Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Des causes qui éloignent les jeunes gens du christianisme

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Eugène Bersier


DISCOURS PRONONCÉ LE 20 AOÛT 1833

A LA CONFÉRENCE GÉNÉRALE DES UNIONS CHRÉTIENNES DE JEUNES GENS

RÉUNIS À PARIS



Messieurs,

Nos premières années à tous sont des années de dépendance et de longue minorité. De tous les êtres créés, l'homme est celui qui vient au monde dans l'impuissance la plus complète, et qui doit passer par l'éducation la plus douloureuse et la plus difficile, pour jouir des facultés que Dieu lui a départies.


Que d'essais infructueux, que de tâtonnements, que de chutes avant que le petit enfant réussisse à poser fermement le pied à terre, à marcher seul et sans appui!

Et, dans l'ordre de l'intelligence, combien de temps nous demeurons pour ainsi dire à la tutelle, recevant d'autrui nos idées et nos jugements, vivant sous l'empire de l'autorité, du nombre, de la tradition, des préjugés de naissance!

Que de luttes, que de combats pour arriver à être nous-mêmes, pour avoir des idées et des sentiments personnels!


Le même fait se reproduit dans l'ordre religieux.

Là aussi l'on peut dire que l'enfant suce ses croyances avec le lait qui le nourrit. II peut, il est vrai, témoigner pour la religion qu'il a reçue de ses parents ou de ses maîtres plus ou moins d'amour ou d'indifférence, mais il n'a pas encore l'idée d'en douter; car l'enfant est presque toujours un être qui agit instinctivement, qui ne se rend compte ni de ce qu'il pense ni de ce qu'il croit.

Mais cet état de minorité né peut durer. Il vient un moment où l'individualité se manifeste, où la raison commence à juger et à passer au crible les opinions reçues, où des facultés nouvelles en même temps que des besoins nouveaux transforment l'enfant en homme, où les anciens appuis se brisent, où il faut marcher seul.

À quel âge, Messieurs, peut-on placer cette transition solennelle?

Il est impossible de répondre à cette question d'une manière absolue. Il y a des hommes qui, sous certains rapports, restent éternellement enfants, et qui vivront des idées et des croyances traditionnelles qu'ils ont machinalement reçues.

On peut dire cependant que c'est entre quinze et vingt ans que l'être tout entier se renouvelle, que la personnalité se dessine, que les convictions se forment, que l'horizon s'élargit et s'éclaire de lueurs inconnues aux faibles regards de l'enfant.

La foi religieuse ne peut, Messieurs, demeurer étrangère à ce renouvellement.

Elle aussi doit passer au crible. Le jeune homme doit se rendre compte de la foi de l'enfant, la conserver ou la rejeter. Épreuve solennelle, mais, épreuve par laquelle il faut passer tôt ou tard, à moins d'abdiquer sa conscience et de croire sans savoir pourquoi.

Je sais, Messieurs, qu'il est des gens, même au sein du protestantisme, qui proscrivent l'examen et veulent que l'homme reste, vis-à-vis de la religion, dans un état de minorité perpétuelle, qu'il croie parce qu'on lui a dit de croire, et qu'il chemine dans l'ornière où ses pères ont marché.

Pour nous, Messieurs, nous croyons à l'Évangile; or, puisque l'Évangile nous ordonne de rendre compte de notre foi aux autres, c'est qu'apparemment il veut que nous nous en soyons rendu compte à nous-mêmes.


Non, le christianisme ne craint pas la lumière et l'examen.

Il ne s'impose pas à notre esprit, il s'y propose en respectant notre liberté.


C'est à nous de choisir, et c'est là, dans cette responsabilité terrible, que je trouve la plus grande preuve de notre grandeur morale. Il est inutile d'insister sur une vérité que vous admettez tous aussi bien que moi.


Cela étant, je suppose un jeune homme élevé dans la foi évangélique;

je le suppose arrivé à ce moment décisif où les traditions d'enfance cessent d'avoir pour lui le prestige de l'autorité, où il lui faut choisir entre ses opinions anciennes;

je le suppose en face du christianisme,

et je me demande quelles difficultés pourront l'empêcher d'y croire, et comme, parmi ces difficultés, il en est qui sont communes aux hommes de tout âge, je m'efforcerai de signaler celles qui ont plus de valeur aux yeux de la jeunesse.


Remarquez, Messieurs, que j'ai choisi un homme élevé dans la foi évangélique, et non point un catholique; en effet, devant un sujet si vaste, il fallait me restreindre, et d'ailleurs si je m'étais mis à parler du catholicisme, à signaler les raisons que peut avoir la jeunesse pour n'y plus croire, ou les difficultés qu'il présente, nous entrerions à plein vent dans le domaine de la controverse, et ce n'est pas là ce que vous m'avez demandé.

Mais avant de commencer cet examen, j'ai hâte de répondre à une objection qui s'est présentée peut-être à quelques-uns d'entre vous.

1. Est-il vrai, vous serez-vous demandé, que chez tout homme élevé dans les croyances chrétiennes, il se passe dans sa jeunesse un moment aussi sérieux, aussi décisif que celui dont vous nous parlez?

2. Est-il vrai que le choix se fasse nécessairement entre les convictions anciennes et les convictions nouvelles, et qu'appelé à comparaître à la barre, le christianisme en sorte condamné ou béni?

Messieurs, à part les esprits qu'une incapacité naturelle ou qu'un manque absolu d'éducation condamnent à une vie toute animale, j'affirme que chez tous les jeunes gens cette épreuve a lieu; j'admets sans doute que pour un grand nombre d'entre eux, elle n'est pas encore décisive, qu'elle n'a pas aux yeux de tous la même importance, que, chez les uns elle est lente et profonde, chez d'autres rapide et superficielle; que chez les premiers, elle se passe au foyer de la conscience, chez les derniers à la surface de l'être moral; mais enfin,

Messieurs, elle se passe, elle est très réelle.

De deux jeunes gens qui repoussent le christianisme;

l'un pourra vous dire ses raisons d'une manière réfléchie et posée, il vous contera les doutes de son intelligence, il énumérera avec tristesse les objections qui ont déterminé un choix qu'il déplore;

un autre vous dira en riant qu'il a voulu jouir de la vie et s'amuser;

mais, chez tous deux, le combat a eu lieu, l'épreuve a été faite, et tous deux sont responsables de leur choix.


* * *


Il est temps d'aborder les causes les plus propres à éloigner les jeunes gens du christianisme.

J'ai dit qu'à l'époque où l'enfance fait place à la jeunesse, l'être tout entier subit une transformation. Parmi les facultés qui prennent alors une puissance nouvelle, la raison lient le premier rang.

L'enfant est un être d'instinct plutôt qu'un être de raison. La formation du jugement est un des meilleurs indices de la transition qu'il subit pour arriver à la jeunesse.

Il examine, il compare, et de ce travail d'élaboration doivent sortir des opinions nouvelles; plus son jugement sera vigoureux et énergique, plus ses opinions seront personnelles et porteront le cachet de l'originalité.

Eh bien! Messieurs, cette puissance nouvelle qui s'élève alors dans l'homme, cette raison, sous la conduite de laquelle il va s'engager dans le domaine immense de la science, est-elle un guide auquel on peut s'abandonner sans danger?

Messieurs, je ne crains point la raison sérieuse, la raison élevée et impartiale qui juge les choses a leur juste valeur, et ne dédaigne ni ne préjuge rien; mais ce que je crains, pour les jeunes gens surtout, c'est la demi-raison, c'est la demi-science.

Un peu de philosophie, disait Bacon, éloigne de la religion, beaucoup de philosophie y ramène. Or, Messieurs, les jeunes gens ont un peu de chaque science, et ils ont malheureusement une confiance énorme dans le peu qu'ils possèdent. Cela, il faut le dire, est assez naturel. Ils viennent de secouer le joug de l'autorité: raisonner, pour eux, c'est faire preuve d'indépendance, rien d'étonnant à ce qu'ils cherchent à constater cette indépendance vis-à-vis des croyances qui jusque-là les avaient dominés.

Je comprends, Messieurs, que dans cette première effervescence de la raison, il y ait quelque ivresse et quelque égarement. On a remarqué souvent que nul n'est plus dédaigneux envers les collégiens que celui qui vient de quitter les bancs du collège. Petite satisfaction d'amour-propre à laquelle il faut laisser le temps de s'évaporer! Nul non plus ne traite avec tant de frivolité les croyances de son enfance, que celui qui vient de mettre le pied dans le champ de la science, et pour lequel le diplôme de bachelier est la charte de l'émancipation.

On fait un peu d'astronomie, et l'on reproche à l'Ancien Testament de n'avoir pas placé le soleil au centre de notre système.

On fait un peu de géologie, et l'on sourit en lisant le premier chapitre de la Genèse.

Un peu d'anthropologie, et l'on prend en pitié ceux qui admettent la création d'une seule espèce d'hommes.

Un peu de critique, et l'on signale avec plaisir les divergences des évangiles.

Un peu de médecine, et l'on se demande comment l'on a pu croire à des livres qui parlent de démoniaques et de guérisons miraculeuses.

Un peu de philosophie, et l'on met en balance le pour et le contre de l'existence de Dieu.

Avez-vous lu, Messieurs, dans un des spirituels albums de M. Topfer, l'histoire de ce jeune Albert, qui, après quelques leçons de physique, dans sa passion pour cette science, met toute la cuisine en physique, et démonte le baromètre, pour prouver qu'il en connaît la structure, au point que son pauvre père, voyant toujours que le temps menace d'un orage, garde prudemment la maison.

Eh bien, Messieurs, les jeunes gens font tous un peu comme cet Albert; dans leur première passion pour la science, ils démontent, si j'ose employer cette expression, ils démontent leurs convictions religieuses.


Le malheur est que BEAUCOUP S'ARRÊTENT LÀ, SE CONTENTENT DE DÉTRUIRE,

et se trouvent ensuite en face des tentations et des orages, sans guide et sans appui.


Je le sais, en avançant, on revient de cet enthousiasme, on s'aperçoit que la science a ses abîmes, et qu'elle ne résout point tous les problèmes; on s'aperçoit que cette philosophie, dans laquelle on s'était élancé avec tant d'ardeur, laisse inexpliquées ces terribles questions auxquelles du moins le christianisme avait répondu d'une manière si élevée et si conforme à la voix de la conscience.

Le scepticisme vient bientôt miner ces fragiles colonnes du temple que, dans la ferveur de l'idolâtrie première, on avait élevé à l'orgueilleuse raison; mais, Messieurs, pour la plupart des esprits, il est alors trop tard. Ils se sont depuis longtemps éloignés de Dieu, et quand ils veulent revenir à lui, le poids des habitudes, les chaînes du péché les arrêtent; car, Messieurs, la foi religieuse n'est pas quelque chose que l'on quitte et que l'on reprenne à volonté. «Un jour viendra, dit Jésus-Christ, où vous me chercherez, mais vous ne me trouverez pas.»

Oh! Messieurs, la demi-science, la raison superficielle, voilà l'écueil contre lequel je ne saurais assez vous prémunir. La plupart des jeunes gens rougiraient s'ils avaient à s'avouer franchement les motifs de leur incrédulité. Rien de moins philosophique que leurs raisons. Cela ne les empêche pas de les formuler en paroles sentencieuses, qui ont pour eux la valeur d'un axiome.

Un sourire, un haussement d'épaules, voilà souvent toute leur réponse aux questions les plus solennelles.

Je n'ai ni le temps, ni le loisir, ni le talent nécessaires pour réfuter les nombreuses objections que la jeunesse contemporaine lance contre le christianisme. Tout ce que je puis faire maintenant, c'est de rappeler certains principes, certaines vérités qui doivent présider à toute discussion roulant sur des sujets religieux.

D'abord, rappelons-nous que la logique ou la raison n'est qu'un instrument, admirable sans doute, et dont je ne veux point rabaisser la valeur, mais qui produira les résultats correspondant aux prémisses que vous lui avez confiées.

Dès lors, l'issue de vos discussions religieuses dépendra des principes, des faits primordiaux que vous aurez reconnus. Si tous reconnaissaient les mêmes faits moraux, la logique appliquée à ces faits donnerait pour résultante la même religion, et le scepticisme serait aussi impossible en religion qu'il l'est en mathématiques.

Mais voici ce qui complique la question.

En mathématiques et dans les sciences positives, nul n'est intéressé à nier les premiers principes, l'idée de l'espace ou du temps, par exemple, sur lesquelles tout l'édifice va reposer. Tous admettant donc les mêmes axiomes, on arrive au même résultat.

Dans les sciences morales, au contraire, l'homme n'est plus désintéressé, chacun incline du côté de ses dispositions bonnes ou vicieuses; les mêmes faits ne sont point également évidents pour tous, et c'est ce qui produit les systèmes les plus opposés.

Si tous admettaient les grands faits moraux qui sont les axiomes de la conscience; par exemple, le besoin de sainteté, de vérité, d'amour infini, le sentiment d'une déchéance et de la culpabilité; tous reconnaîtraient que la solution évangélique est seule raisonnable.


Aussi, en dernière analyse, la cause de l'incrédulité

gît moins dans la raison que dans la volonté.


Voulez-vous, oui ou non, reconnaître les lois de votre conscience morale, telle est la première question à résoudre quand on veut aborder le problème religieux.

En second lieu, si ce n'est pas votre intelligence, mais votre volonté qui est égarée par l'orgueil ou par la convoitise, il s'ensuit que le christianisme qui prétend réparer ce mal doit agir avant tout sur la volonté; en d'autres termes, qu'il est avant tout moral.

Souvenez-vous de cela lorsque vous étudiez la Bible et surtout l'Ancien Testament, et n'allez pas y chercher ce que Dieu n'a pas voulu y mettre; voyez-y avant tout l'histoire inspirée des rapports de Dieu avec l'homme déchu, et beaucoup d'objections qui vous embarrassaient tomberont d'elles-mêmes.

Il faut se rappeler que les difficultés qu'on signale dans le christianisme se retrouvent dans tous les systèmes et sont inhérentes à notre état borné, avec cette différence cependant que le christianisme leur donne la solution la plus pratique et la plus conforme aux lois de la conscience.

Rappelons-nous que bien des difficultés qui existent dans la théorie ne se résolvent que dans la vie pratique, et qu'il en est du christianisme comme d'un rouage immense dont on ne comprend le mécanisme que lorsqu'on le voit en mouvement.

Rappelons-nous qu'avant de nier les miracles physiques des évangiles, il faut nier les miracles moraux qu'ils nous rapportent, tels que la vie et renseignement de Jésus, qui sont aussi inexplicables.

Gardons-nous de rendre l'Évangile solidaire des inconséquences que nous observons dans la vie des chrétiens et des erreurs contenues dans les dogmatiques humaines.

Enfin, quand il s'agit de trouver la vérité religieuse, disons-nous bien que ce n'est pas notre intelligence seule qui la trouvera, mais que notre cœur et notre volonté doivent s'unir à elle, sans quoi nous serons forcés de reconnaître que ce n'est pas sérieusement que nous l'avons cherchée.

«Si quelqu'un veut faire la volonté de mon Père,

il saura que ma doctrine vient de Dieu, a dit Jésus-Christ.»

Voilà, Messieurs, quelques rayons épars et tronqués, mais qui peuvent servir à éclairer ce sujet si controversé des rapports de la raison et de la foi. Vous le voyez, cette étude me conduirait trop loin.

Tout ce que je puis vous engager à faire maintenant, c'est de ne jamais trancher la question religieuse à la légère; c'est de l'aborder avec le respect que vous devez à la foi qui a été reçue par Newton et par Leibnitz, par Bacon et par Kepler, par Euler et par Pascal.

Oui, que ce soit dans l'esprit de ces hommes-là que vous abordiez l'étude du christianisme.

- Examinez avec attention la vie, les enseignements et la mort de Jésus-Christ, ce qui est le cœur de l'Évangile;

 - lisez et demandez-vous, sans vous embarrasser de l'opinion des hommes, si tout cela est vrai, si ces histoires ont pu être inventées, si ces miracles n'ont pas un cachet de simplicité et de grandeur austère qui les distingue complètement de tous les récits merveilleux qu'inventa jamais la curiosité humaine;

- demandez-vous si Jésus-Christ a dit vrai, si une telle vie suppose l'enflure du faux enthousiasme ou le calcul de l'ambitieux, que ce soit votre conscience qui réponde.

 - Placez-vous ensuite en face de la morale évangélique.

 - Dites si ce n'est pas ainsi que doivent vivre les hommes, à supposer qu'il existe un Dieu pur et saint;

 - dites si le but raisonnable de toute existence peut-être autre chose que la gloire de Dieu, si la loi du monde moral peut être autre que l'amour, et dites si le christianisme qui a proclamé ces deux lois inconnues à l'Ancien Monde peut ne pas être la vérité souveraine, absolue.

  - Interrogez enfin la voix de votre conscience.

 - Cherchez la raison de ces regrets, de cet ennui profond qui vient tout empoisonner dans votre vie; de ce besoin de dissipation qui vous fait haïr le recueillement intérieur; et dites si l'Évangile a eu tort en proclamant votre déchéance et en vous promettant la réhabilitation.

Voilà, Messieurs, ce que j'appelle une étude sérieuse.

Elle est bien aisée, sans doute, et accessible à tous. Avouez qu'elle est au moins nécessaire quand il s'agit de repousser l'Évangile.

Du reste, je ne crains pas de le dire, il est très petit le nombre de ceux qui sont détournés du christianisme par des raisonnements sérieux et qui n'ont cédé qu'à des doutes cruels.

La plupart abandonnent aisément le terrain et se laissent entraîner par les plaisirs; aussi ne vous étonnez pas que leurs raisons soient si frivoles et si peu justifiables.

Ils auraient honte de s'avouer à eux-mêmes qu'ils ne cèdent qu'à l'égoïsme, aux passions et à l'amour de la chair; quelques raisonnements spécieux pour pallier leur conduite, voilà tout ce qu'ils désirent, voilà de quelle brillante monnaie ils payent les réclamations de leur conscience.

Mais, Messieurs, ce n'est pas la raison seulement qui se développe alors dans le jeune homme, et qui menace ses convictions religieuses; toutes ses facultés se renouvellent à l'aurore de la jeunesse, et l'imagination et le sentiment qui prennent alors un essor tout nouveau peuvent, s'ils sont mal dirigés, éloigner de l'Évangile un grand nombre de nobles coeurs.

L'imagination existe chez l'enfant, sans doute, mais ce n'est qu'à seize ans qu'elle éclaire la vie d'un éclat fascinateur. C'est alors aussi que le sentiment ouvre à l'âme des profondeurs auparavant ignorées, que le cœur peut comprendre l'amour, et qu'un monde nouveau, inconnu jusque-là, s'épanouit devant les regards.

La vie bouillonne dans l'être tout entier, il semble que les facultés soient transformées, une ardeur nouvelle s'empare de l'âme, l'ambition s'allume et la poésie vient orner nos sentiers des fleurs les plus brillantes.

Vous souvenez-vous du jour où vous avez compris pour la première fois les grands poètes, où la vue d'une œuvre d'art exerça sur vous un charme fascinateur: un voile tomba de devant vos yeux. Vous avez senti alors que vous aviez dit adieu pour jamais à l'enfance et à ses naïfs plaisirs. L'ambition s'était peut-être allumée en vous. Quel est celui d'entre nous qui n'a rêvé la gloire, qui ne s'est vu ou grand poète, ou savant illustre, orateur ou général?

Cette ardeur, cet enthousiasme, ces brillantes espérances, faut-il les condamner absolument?

Non, Messieurs: malheur, au contraire, à qui n'a jamais eu d'enthousiasme, à qui porte sous une jeune poitrine un cœur prématurément vieilli! Le christianisme ne craint pas l'enthousiasme, il le purifie et l'élève. Que dis-je? Seul, il le conserve, seul il préserve intacte, à l'abri des souillures du monde, cette source féconde des dévouements généreux qui est-ce qu’il y a de plus profond dans l'âme humaine.

Mais, Messieurs, il faut aussi le reconnaître, si cette flamme nouvelle se porte tout entière sur les choses du monde, si elle alimente l'autel de l'égoïsme, de la vanité, de l'ambition personnelle, ou des passions impures, ce n'est pas impunément qu'elle aura brûlé. Vous verrez, à sa lueur rougeâtre, pâlir cette autre flamme de la vie chrétienne et dans l'embrasement d'une jeunesse ambitieuse ou dissipée vos yeux aveuglés ne discerneront plus ce qui est seul et véritablement grand et beau.

Le dévouement, l'abnégation, la pureté de la vie, tout cela vous semblera froid, pâle, et le pain de vie qui doit nourrir votre âme paraîtra insipide à vos palais gâtés.

Ah! mes amis, je ne crains pas de le dire, pour qui pourrait se placer sur les hauteurs de la poésie ou des arts, le christianisme brillerait encore d'un incomparable éclat. Les plus grands poètes, les plus grands artistes l'ont bien compris, et quelles que soient les créations sublimes que le génie de l'homme invente:


La divine figure du Christ les dominera éternellement,

car il est la perfection absolue,

et tout ce qu'il y a de grand, de beau, de pur, vient s'harmoniser en lui.


Mais il est rare le nombre de ceux qui peuvent s'élever ainsi, et en attendant, la plupart restent en bas, au milieu du tumulte des passions; le feu qui brûle leur âme est trop souvent celui d'une ambition toute charnelle, ou celui de la convoitise ou du désordre.

Cela est d'autant plus vrai qu'aujourd'hui l'on se figure que pour être grand artiste il faut mener une vie désordonnée, et que c'est au milieu des lueurs sinistres de l'orgie que l'inspiration vient visiter le poète.

Pourquoi faut-il que, souillant leur muse, tant de nobles intelligences aient plaidé par leur conduite cette triste cause?

Pourquoi faut-il que pour quelques œuvres de génie, il y ait aujourd'hui tant de vies désordonnées?

Quoi, dites-vous, l'inspiration vient mieux vous visiter au milieu du désordre?

Quelle inspiration?

Ah! nous le savons bien; mais ce n'est pas là celle de Virgile, qu'on appelait la jeune fille à cause de la pureté de ses moeurs;

ce n'est pas celle du Dante qui vécut toute sa vie d'un amour idéal;

ce n'est pas celle de Milton, dictant à ses jeunes filles qui l'entouraient son poème immortel, et chantant l'innocence d'Éden sous sa couronne de cheveux blancs qu'aucun désordre n'avait souillée;

ce n'est pas celle de Corneille écrivant Polyeucte et Cinna près du berceau de ses enfants endormis;

ni celle de Racine composant Athalie sous les ombrages de Port-Royal!

J'en pourrais nommer encore.

Qu'est-il besoin de le faire?

Non, malgré les déplorables excès de tant de belles intelligences à notre époque, je n'en conclurai pas qu'il n'y ait que le mal qui inspire les grands poètes et les grands artistes; LE CHRISTIANISME A LES SOURCES LES PLUS PROFONDES.

Mais, je le reconnais, si le christianisme a paru souvent froid, compassé, peu poétique aux intelligences jeunes et aux imaginations ardentes, la faute en est aux chrétiens.

Nous avons hérité de nos pères quelque chose de scolastique, de ferrailleur et d'étroit.


Voyez notre littérature du réveil.

Comme il y a peu de souffle, comme tout est guindé; combien de ces livres qui vous inspirent un mortel ennui. Je n'y sens pas une âme jeune, une vie forte, tout est calqué sur le même moule; on y marche gauchement dans un uniforme étroit.

Nous qui sommes des chrétiens scripturaires, n'avons-nous jamais remarqué les différences profondes qu'il y a dans l'Écriture entre saint Paul, saint Jacques et saint Jean.

On reconnaît de prime abord chacun d'eux à son caractère prononcé. Quel accord, cependant, et quel ensemble magnifique! Eh! c'était parce qu'ils se sentaient un dans une même foi, que chacun parlait son propre langage, qu'il n'y avait chez eux rien de servilement méthodique, mais une vie puissante qui prenait librement son essor, et se créait son expression véritable.

Que cela nous soit en exemple, Messieurs; qu'il n'y ait parmi nous rien de méticuleux, de pédant et d'étroit.

Chassons ces mauvaises influences qui ont fait tant de mal au protestantisme français.

N'ayons peur de rien de ce qui est grand et beau.

Que notre vie chrétienne ne soit pas un pâle décalque, mais une libre reproduction de la vie apostolique.

Ayons chacun notre caractère, notre individualité, notre vie; soyons forts; en un mot, soyons jeunes.

Oh! la jeunesse, voilà la grande chose qu'il faut prêcher à notre époque à tous les jeunes gens. Je cherchais à vous prémunir tout à l'heure contre le faux enthousiasme. Mais où est-il de nos jours l'enthousiasme, même le faux enthousiasme?

Où sont-ils ceux qui se passionnent même pour les choses de néant?

Il me semble que ce qui distingue au contraire notre jeunesse contemporaine, c'est une vieillesse prématurée.

On ne perd pas beaucoup de temps à admirer, on ne s'oublie pas dans l'enthousiasme.

Le premier but c'est de parvenir.

Je remarque chez des jeunes gens, même très jeunes, l'amour du lucre, l'instinct de l'agiotage, et chez de jeunes étudiants le désir de parvenir le plus tût possible aux places avantageuses, et de faire de l'argent.


Le mal est général, et tout le monde le sent.

À ce mal il est une cause, qui l'explique en partie: l'industrialisme qui envahit tout.

Jamais on n'a compris autant qu'aujourd'hui la puissance merveilleuse de l'argent.

Ne croyez pas que je veuille ici, comme font les misanthropes et les vieillards, prétendre qu'autrefois tout allait mieux et accumuler sur la tête de notre siècle, comme sur celle d'un bouc émissaire, tous les reproches et tous les vices. Loin de là, je reconnais avec bonheur qu'à certains égards notre siècle vaut peut-être mieux que ceux qui l'ont précédé; mais cela ne m'empêche pas de voir que le vice capital, que LE PÉCHÉ ORIGINEL DE NOTRE SIÈCLE C'EST L'AMOUR DE L'ARGENT, et de proclamer aussi que rien n'est plus mortel à la jeunesse.

Au siècle dernier on était enivré de la raison de l'homme, on croyait fermement à sa bonté morale. Déplorable erreur, sans doute, qui pouvait égarer la jeunesse, mais qui ne la desséchait pas dans sa fleur; aujourd'hui on est revenu de ces illusions.

On croit que l'homme est avant tout un être intéressé, et que l'argent est le grand mobile qui le fait mouvoir. Cette pensée se retrouve partout, elle me frappe surtout dans la littérature qui paraissait par sa nature même devoir en être le plus à l'abri.

A-t-on jamais vu dans les siècles passés l'argent jouer un si grand rôle dans les œuvres d'art?

- La plupart des drames, des productions littéraires pivotent autour de l'idée d'une somme à acquérir, d'un héritage à solliciter; c'est là le fond de l'intrigue de beaucoup de romans à la mode.


On cherche à protester il est vrai, à mettre l'honneur au-dessus de l'argent; plusieurs productions littéraires se sont inspirées de cette pensée, mais comme ces protestations rapportent beaucoup à leurs auteurs, le public ne voit là qu'une autre manière plus habile d'adorer le Mammon du siècle.

Cette fureur pénètre jusque dans l'Église.

Il va sans dire que je ne parle pas ici de l'Église romaine qui déjà sous Léon X entendait à merveille les grandes entreprises pieusement commerciales, et avait su trouver avec son adresse ordinaire, dans la distribution des indulgences, une mine intarissable.

- Mais dans des Églises évangéliques, d'ailleurs vivantes, ce fléau de notre siècle s'étale insolemment, et nul ne pourrait croire en les voyant que leurs membres font profession d'être sur la terre étrangers et voyageurs.

Si un homme apostolique nous adressait, comme aux premiers temps de l'Église, une lettre d'exhortation, pourrait-il y mettre cet exorde simple et sublime que Clément de Rome plaçait en tête de la sienne: «Ecclesia  Romœ  ecclesiœ  Dei  quœ  Corinthi peregrinatur;» à l'Église de Dieu qui demeure en France comme une étrangère, prête à partir?

Hélas! mes amis, à vous de répondre. Mais s'il est des Chrétiens qui soient appelés à briser ces lourdes chaînes qui nous attachent au monde, où les trouvera-t-on, si ce n'est parmi les jeunes gens?

Oh! je vous en conjure, ne vous laissez pas entraîner par ce flot impur.

On remarque qu'on abandonne les professions appelées autrefois libérales, et que partout les jeunes gens se tournent où il y a quelque gain à faire.

La disette de jeunes pasteurs est extrême; on veut gagner, on veut parvenir.

Dans toutes les sphères le mal est le même.

Dans les sciences, par exemple, vous verrez qu'on recherche avant tout les applications pratiques et lucratives plutôt que les idées générales et les côtés élevés des questions; on veut de ce qui sera populaire, utile, bien reçu, et l'on se soucie peu de ce qui est vrai.

Il est difficile de poursuivre lentement un travail sérieux et où on a mis sa conscience, quand on voit autour de soi tant de gens qui parviennent très haut par d'heureuses spéculations, tant de fortunes qui se font par un coup de baguette; quand on voit la conscience foulée aux pieds et le succès final justifier tout.

Vous sortirez ce soir, mes amis, vous verrez partout sur vos pas dans cette grande ville le luxe s'étaler avec magnificence, vous verrez partout les élus du monde que les regards envieux suivront bien loin, vous rentrerez dans votre pauvre chambre d'étudiant, ou de commis; le contraste sera rude, le monde aura soufflé sur vous sa brûlante haleine qui vous aura peut-être enivré pour un temps.


Votre vie obscure de chrétiens, vos renoncements volontaires, la croix de votre Sauveur, tout cela vous pèsera peut-être; qui de nous ne l'a éprouvé parfois?

Mais TENEZ BON, vous conservez dans votre rude vie deux choses que tous ces heureux du monde ont dès longtemps perdues et qui sont pourtant les seuls éléments du honneur:

LA PURETÉ DE L'ÂME ET L'ÉLAN DE LA JEUNESSE,

ces deux choses que le christianisme conserve, que le monde envie, mais qu'il ne peut retrouver quand il les a perdues.

* * *

J'ai énuméré quelques-unes des nombreuses difficultés qui peuvent éloigner du christianisme la jeunesse, et surtout la jeunesse de notre époque; il me reste encore à signaler la plus grande, la plus terrible, la plus générale: c'est l'enivrement des passions et surtout des passions impures.

C'est à l'aurore de la jeunesse que la passion s'éveille, précisément à CE MOMENT OÙ IL S'AGIT DE SE DÉCIDER SI L'ON GARDERA SA FOI OU SI ON L'ABANDONNERA.

Ah! mes amis, pour la plupart des jeunes gens, c'est là le vrai, le grand motif de leur incrédulité.

Vous vous étonniez avec moi tout à l'heure de ce qu'ils avaient tant de peine à la justifier, de ce que leurs raisons étaient souvent si faibles; c'est que ces raisons, ces arguments n'étaient que des palliatifs par lesquels ils cherchaient à se justifier à leurs propres yeux ou aux regards des autres.

Le vrai motif, c'est que pour être chrétien il faut être pur; or ils ne veulent pas de la pureté.

Oui, pour être chrétien, il faut être pur; ce n'est pas aux regards aveuglés par le voile épais de la chair que l'Évangile brille de son véritable éclat.

Pour le voir dans sa splendeur, il ne faut pas rester dans cette pesante atmosphère de l'impureté de la jeunesse contemporaine végète autour de nous.

En voyageant en Suisse, avez-vous remarqué une chose bien simple et cependant bien frappante?

Quand vous cheminez dans la plaine, c'est à peine si vous apercevez le sommet du Mont-Blanc caché qu'il est derrière des cimes plus rapprochées; rien ne vous avertit de sa grandeur, vous le placeriez au rang des montagnes ordinaires; mais quittez la plaine, élevez-vous, le Mont-Blanc s'élèvera avec vous, les cimes inférieures qui vous avaient paru le dominer s'affaisseront sous votre regard étonné; montez plus haut, il monte encore, jusqu'à ce qu'enfin parvenu loin de tous les bruits de la plaine, le roi des montagnes, seul grand au milieu des cimes neigeuses, vous apparaîtra dans son incomparable majesté.

Ainsi pour Jésus-Christ.

Tant que vous restez dans la plaine, c'est-à-dire au sein de cet air impur que respire à pleine poitrine la jeunesse contemporaine, le Dieu de l'Évangile n'a pour vous ni prestige, ni éclat; c'est à peine si vos regards se tournent quelquefois sur lui.

Mais quittez la plaine, élevez-vous au-dessus de ces miasmes, recherchez un air plus pur et plus vivifiant, et vous verrez, à votre horizon, Jésus-Christ s'élever en même temps que s'élèvera votre âme, et lorsque tout meurtri, tout épuisé par votre longue lutte vous arriverez haletant sur ces hauteurs après lesquelles vous avez soupiré, l'Évangile aussi ravira votre âme par sa beauté surhumaine, par sa divine grandeur.

Messieurs, l'impureté, ce grand abîme où va se perdre la foule, est d'autant plus redoutable en France que nul ne le croit dangereux.

Rien de plus doux, de plus gracieux que les chemins qui y conduisent. Il semble que tout ce qui est jeune doive y passer.

Qu'y a-t-il à craindre?

Quelques égarements passagers, une ivresse éphémère?

Mais est-ce là un si grand mal, et ne faut-il pas que la fougue s'exerce et que l'ardeur juvénile ne se perde pas?

Le jeune homme pur, c'est un phénomène; on refuse d'y croire, il semble en vérité qu'il ne soit plus jeune ou qu'il lui manque quelque chose.

La vie, la vie à pleins flots, la vie avec toutes ses jouissances, voilà ce que demandent les natures passionnées, et beaucoup suivent entraînés moins par leur propre ardeur que par une curiosité malsaine qui leur fait croire que pour bien juger de tout, il faut avoir tout vu et tout éprouvé.

Le mal n'est pas grand, semble-t-il.

C'est chose si légère et de si peu de conséquence, que le monde ne peut se montrer sévère pour quelques débordements.

Le mal n'est pas si grand!

Et croyez-vous qu'on ne perde rien à passer par les sentiers de l'impureté, alors même qu'on ne devrait pas aboutir à l'abîme où tant de jeunes gens se sont perdus?

Croyez-vous que vous ne laissez rien de votre âme aux ronces du chemin?

Croyez-vous que les souvenirs de ces heures mauvaises ne viendront pas vous assaillir plus tard, comme la saveur nauséabonde de mets corrompus?

Il semble qu'un peu de légèreté ne fasse pas de mal!

Un poète de notre époque, qui est tombé bien bas sans doute, mais qui a ceci de grand et d'infiniment respectable, c'est que du sein de ses égarements ses cris les plus sublimes s'adressent à cette pureté perdue, à cet idéal qu'il voudrait retrouver et qu'il demande en vain, a écrit ces vers que je voudrais graver au fond de votre âme:

Oh! malheur à celui qui laisse la débauche
Planter son premier clou sous sa mamelle gauche!
Le cœur de l'homme vierge est un vase profond,
Et quand la première eau qu'on y verse est impure,
La mer y passerait sans laver la souillure,
Car l'abîme est immense et la tache est au fond.

Ah! mes amis, gardons, gardons à l’abri de la souillure ce vase profond que Dieu nous a confié.

C'est là que s'élaborent les grandes pensées et les grandes actions, c'est là que se mûrit la force de la vie.

Oui, le souvenir des tentations vaincues est une force pour les tentations à vaincre!

C'est un parfum qui embaume la vie et la garde, et quand Dieu vous accordera la vie de famille, ce sera la couronne de votre affection mutuelle, le trésor le plus précieux que vous pourrez apporter à la compagne que Dieu vous aura choisie; c'est l'auréole qui rayonnera, avec la bénédiction divine, sur la tête innocente de vos petits enfants.

Il faut le reconnaître pourtant, chers amis, ce qui nuit à cette noble cause c'est que la chasteté a souvent pour avocats et pour défenseurs les tempéraments froids, les jeunes gens sans jeunesse et sans passion, ces vieillards prématurés dont je vous parlais tout à l'heure.

Le monde en conclut qu'il leur est bien aisé de prêcher aux autres ce qui ne leur coûta presque jamais rien; une autre circonstance qui nuit également à cette sainte cause, c'est que les jeunes chrétiens, en soutenant cette terrible lutte, tombent dans un excès contraire et deviennent non pas trop purs, on ne l'est jamais assez, mais prudes, sévères, mornes et puritains.

Cette prudence les rend de mauvaise compagnie, leur ôte toute grâce et tout entrain, les empêche de se montrer serviables et gais quand il le faudrait.

À cet égard encore, mes amis, n'avons-nous rien à nous reprocher et ne devons-nous pas nous rappeler avec confusion cette admirable parole du Sauveur: «Pour toi, quand tu jeûnes, lave ta tête, parfume les cheveux et ne compose point ton visage d'une façon triste

Oui, sous ce rapport encore, comme sous d'autres, je ne saurais vous donner qu'un conseil, soyez jeunes!

On vous dit que la recherche des plaisirs impurs est l'apanage de la jeunesse,

vous savez au contraire que rien ne la fait plus vite périr, que rien ne fane plutôt sa couronne;

mais il vous reste à montrer au monde que la pureté seule conserve la jeunesse de l'âme, la fraîcheur des sentiments, la force de la vie, l'enthousiasme et l'amour de tout ce qui est grand.

Ces combats, cette lutte intérieure, bien loin de vous affaiblir, retrempent votre caractère et vous préparent à la grande lutte de la vie. Allez, chers amis, votre peine n'est pas perdue. L'orage ne vous renversera pas, il vous fera pénétrer plus avant dans le terrain du christianisme; vos convictions s'enracineront; le feu de la passion sera pour vous le feu qui trempe l'acier; la lutte, bénie de Dieu, aura une heureuse issue et vous en sortirez régénérés et plus forts.

J'ai essayé, mes amis, de vous signaler quelques-unes des difficultés qui éloignent la jeunesse du christianisme, et de vous montrer comment vous pouvez lutter contre elles et chercher ainsi à faciliter la voie à ceux qui viendront après nous.

Dieu appelle chacun de nous à un saint apostolat auprès de nos jeunes frères; nous pouvons exercer une grande influence, une influence bénie sur ceux que nous précédons de quelques pas dans la vie.

Le christianisme prêché par la jeunesse a pour eux plus d'attrait; ne demeurons pas infidèles à notre tâche, et que Dieu nous donne la force de l'accomplir.

Les temps sont difficiles, les idées religieuses vont s'effaçant, l'intérêt, la jouissance vont énervant la société et faussant les idées morales.

Le monde lui-même le proclame: jamais il n'y a eu autant de talents divers, jamais il n'y a eu aussi peu de grands caractères.

Or, Messieurs, ce sont les grands caractères, les âmes fermes qui sauvent le monde et régénèrent la société. Ce n'est pas le talent de saint Paul qui a fondé l'Église des Gentils, c'est son âme, inspirée par l'Esprit de Dieu; et au seizième siècle, CE N'EST PAS LE TALENT DE LUTHER QUI A RENOUVELÉ L'ALLEMAGNE, C'EST SON INÉBRANLABLE FOI.

Le génie et le talent peuvent ne servir qu'à éblouir le monde, et nous ne le savons que trop; les grands caractères seuls régénèrent une nation et la moralisent.

Or, Messieurs, au sein de l'ivresse générale, du bien-être, de la civilisation progressive, de ces jouissances toujours plus générales, au sein de cet énervement, on cherche les volontés fortes, les cœurs fermes, les fois inébranlables, car on en a besoin pour ne pas périr.

Quels que soient notre humble position et notre manque de ressources, c'est à nous de répondre à ce vœu, c'est à nous de montrer à la société contemporaine qu'au milieu du mal qui nous ronge, qu'au milieu de l'impuissance morale et de l'anarchie qui nous menace, qu'au milieu de ce déchaînement de passions mauvaises qui soufflent de tous côtés sur notre patrie, il reste à la génération nouvelle des convictions énergiques, une ferme espérance, une force plus grande que le mal, et que cette foi, ces convictions, cette force, Dieu les a mises dans le cœur des jeunes chrétiens.





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