Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre 28

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1 Ce ne fut qu'après nous être sauvés que nous apprîmes que cette île s'appelait Malte. Les indigènes nous accueillirent avec une humanité peu commune, car ils avaient allumé un grand feu et nous y réunirent tous, à cause du froid et de la pluie qui était survenue. Cependant Paul ayant ramassé une quantité de bois sec et l'ayant jeté sur le bûcher, une vipère en sortit par l'effet de la chaleur et s'attacha à sa main. Or, quand les indigènes virent l'animal suspendu à sa main, ils se dirent les uns aux autres: Assurément cet homme-là est un meurtrier, puisque, à peine échappé à la mer, la justice du ciel n'a pas voulu le laisser vivre.

5 Mais lui, ayant secoué l'animal dans le feu, n'en éprouva aucun mal. Cependant ils s'attendaient à ce qu'il y aurait une inflammation ou qu'il tomberait mort subitement. Mais comme, après avoir longtemps attendu, ils virent qu'il ne lui arrivait rien de fâcheux, ils changèrent de sentiment et dirent que ce devait être un dieu.

7Il y avait aux environs de ce lieu une campagne appartenant au principal personnage de l'île, nommé Publius: celui-ci nous reçut chez lui et nous fit l'hospitalité pendant trois jours avec beaucoup de bienveillance. Le père de ce Publius se trouvant justement alité de la fièvre et de la dysenterie, Paul entra chez lui, fit une prière, lui imposa les mains et le guérit. Sur cela, les autres personnes de l'île qui avaient des maladies venaient aussi et obtenaient leur guérison. Aussi nous honorèrent-ils de toutes manières, et à notre départ ils pourvurent à nos besoins.

XXVIII, 1-10. Les indigènes, et non les barbares; car ce dernier mot a aujourd'hui une tout autre signification que dans les temps anciens. Pour Luc et ses contemporains, un barbare était un homme qui ne parlait ni le grec, ni le latin (en général, une langue qu'on ne comprenait point). Or, dans l'île de Malte on rencontrait alors probablement des habitants d'origine sémitique, des colons phéniciens ou carthaginois. — Les naufragés, obligés de se sauver à la nage, ou autrement, n'avaient pas tous abordé à la même place. On les recueillait de côté et d'autre, pour les amener à l'endroit où les premiers secours avaient été préparés dès qu'on eut découvert le vaisseau.

L'accident avec la vipère est positivement raconté comme un miracle, et c'est ainsi que la tradition la plus ancienne l'a compris (Marc XVI, 18). La suite même du récit nous y conduit également. Le jugement contradictoire sur Paul, de la part des spectateurs, qui passent d'un extrême à l'autre, nous rappelle un fait analogue raconté plus haut (XIV, 11, 19). Ce que nous avons rendu, d'après le sens, par la justice du ciel, est à vrai dire le nom propre de la divinité, plus ordinairement appelée Némésis.

Le terme de principal de l'île est obscur. Était-ce un magistrat, lieutenant du préteur de la Sicile, dont Malte était une dépendance? Était-ce un riche propriétaire des environs? Le nom de Publius étant un simple prénom, il est naturel de supposer qu'il s'agit d'un indigène qui l'avait adopté. Nous en avons vu d'autres exemples dans cette histoire. Il est d'ailleurs probable que ce personnage reçut chez lui, non les deux cent soixante-seize individus naufragés, mais le capitaine romain avec sa société.

11 Au bout de trois mois, nous nous embarquâmes sur un vaisseau alexandrin à l'enseigne des Dioscures, lequel avait hiverné dans l'île, et ayant relâché à Syracuse, nous nous y arrêtâmes trois jours. De là, toujours en longeant la côte, nous gagnâmes Rhégium, et le lendemain, un vent du sud s'étant levé, nous arrivâmes en deux jours à Putéoli.

14 Là, nous trouvâmes des frères qui nous engagèrent à rester chez eux pendant une semaine, et c'est ainsi que nous vînmes à Rome. Depuis cette ville, les frères, ayant eu de nos nouvelles, vinrent à notre rencontre jusqu'à Forum Appii et aux Trois-Tavernes. Paul, en les voyant, rendit grâces à Dieu et fut plein de confiance. Quand nous fûmes arrivés à Rome, le capitaine remit les prisonniers au préfet du prétoire. Cependant Paul reçut la permission de rester dans un appartement particulier avec le soldat qui le gardait.

XXVIII, 11-16. À partir d'ici, le récit se raccourcit sensiblement et présente plusieurs obscurités. Ainsi on n'apprend pas comment il fut possible à Paul et à ses amis de s'arrêter une semaine entière à Pozzuoli, comme s'ils avaient été tous en pleine liberté. Nous ne voyons pas non plus comment Paul put savoir qu'il y avait là des chrétiens. L'auteur oublie même de nous dire en toutes lettres qu'à partir de Pozzuoli le voyage se fît à pied. Peut-être cette circonstance explique-t-elle le séjour prolongé dans cette localité. La narration reprend les allures de brièveté que nous avons souvent remarquées pour la période antérieure à la captivité. Quant à la possibilité pour les chrétiens de Rome de venir à la rencontre de Paul, elle ne doit pas être révoquée en doute. Les relations entre Naples et Rome étaient fréquentes et journalières, et dans l'intervalle de sept jours la nouvelle de l'arrivée de Paul pouvait parvenir dans cette dernière ville.

Forum Appii était à 43 milles (14 lieues) de la capitale; Très Tabernœ à 33 milles (11 lieues). La première impression reçue par Paul à la vue des chrétiens de Rome était la confiance dans l'avenir, moins au sujet de son procès, pour lequel il ne concevait encore aucune crainte, que relativement à ses futurs rapports avec la communauté, laquelle, comme on va le voir, n'était point encore séparée de la synagogue et pouvait ainsi inspirer des appréhensions à l'apôtre, qui ne savait que trop bien les dispositions des Juifs à son égard.

Le préfet du prétoire, ou gouverneur militaire de Rome, en sa qualité de commandant en chef de la garde impériale, était chargé aussi de la garde des prisonniers politiques. Les pièces du procès de Paul, envoyées par Festus, étant de nature à ne pas le compromettre, on le traita avec des égards particuliers et l’on se contenta de le faire surveiller par un planton, au lieu de le mettre en prison.

17 Cependant au bout de trois jours il fit convoquer les principaux d'entre les Juifs, et quand ils furent réunis, il leur dit: «Mes frères, sans avoir rien fait de contraire à notre peuple ou aux institutions de nos pères, j'ai été arrêté à Jérusalem et livré de là entre les mains des Romains. Ceux-ci, après avoir fait une enquête, voulaient me relâcher, parce qu'il ne se trouvait aucune charge contre moi qui pût motiver un arrêt capital. Mais les Juifs y ayant fait opposition, je fus dans la nécessité d'en appeler à l'empereur, sans avoir l'intention de porter plainte contre mon propre peuple. C'est pour cette raison que je vous ai appelés pour vous voir et vous parler, car c'est à cause de l'espérance d'Israël que je porte ces chaînes.»

XXVIII, 17-20. La première préoccupation de Paul à Rome était, d'après cela, de se mettre en rapport avec les Juifs et de leur inspirer sur son compte des dispositions plus favorables que ne les avaient montrées ceux de la Palestine. Comme les Juifs eux-mêmes se trouvaient dans une position difficile et sous la double pression du préjugé populaire et de lois exceptionnelles, plutôt momentanément oubliées qu'abrogées officiellement, ils pouvaient avoir un intérêt à se déclarer avec éclat contre un homme suspect à la police, plutôt que de se compromettre en prenant fait et cause pour lui. Ils pouvaient d'ailleurs avoir été prévenus contre Paul, soit par des émissaires, soit par des lettres, et lui nuire ici, comme d'autres l'avaient fait en première instance. L'apôtre réunit donc chez lui les personnes qu'on lui signalait comme les plus influentes de la communauté et leur expose sa situation.

À cet effet, il affirme: 1° que son arrestation n'avait été provoquée par aucun acte hostile au judaïsme, dont il se serait rendu coupable; 2° que les Romains ont reconnu son innocence à tout autre égard aussi; 3° que son pourvoi ne lui a pas été suggéré par de mauvaises intentions contre ses coreligionnaires, comme s'il était venu à Rome pour acheter sa liberté par des dénonciations contre les Juifs, lesquelles n'étaient que trop facilement écoutées; enfin 4° que la cause première de tout son procès, c'était la foi messianique partagée par tout pieux israélite. Il va sans dire que nous n'avons ici que le cadre du discours que Paul a dû adresser à son auditoire; mais on voit par ces quelques lignes qu'il savait à merveille apprécier la situation et les nécessités qui en résultaient pour lui. Dans les trois premiers points, les paroles que lui prête son biographe sont absolument conformes aux faits et aucune arrière-pensée ni réticence n'en affaiblit la valeur. Quant au quatrième point, nous avons plusieurs fois déjà eu l'occasion d'expliquer comment l'apôtre était amené à présenter sa prédication sous ce jour particulier et dans quel sens il pouvait le faire sans renier ses principes. Par la réponse des Juifs, on entrevoit que Paul a dû dire quelque chose de plus au sujet des chrétiens.

21 Ils lui répondirent: «Nous n'avons point reçu de la Judée des lettres à ton sujet, et aucun de nos frères n'est venu nous faire un rapport, ni dire du mal sur ton compte. Cependant nous désirerions apprendre de ta propre bouche ce que tu penses; car pour ce qui est de ce parti, il est à notre connaissance qu'il rencontre partout de l'opposition.»

XXVIII, 21, 22. La réponse de ces hommes est très sensée. Quant aux faits du procès, ils disent n'en rien savoir, et cela est très-vraisemblable; car avant l'appel, personne à Jérusalem ne pouvait avoir intérêt à nuire à Paul à Rome même, et depuis, l'occasion de l'y prévenir pouvait avoir manqué aux plus malveillants. La seconde partie de leur réponse est bien plus importante pour nous. Les Juifs de Rome ont besoin d'apprendre de Paul même ce que c'est au fond que cette prédication messianique pour laquelle il a pu être arrêté à Jérusalem. Tout ce qu'ils en savent, c'est que partout (parmi les Juifs) elle rencontre une opposition bien décidée. Il en résulte: 1° que ces personnes admettent qu'il peut y avoir une prédication messianique non orthodoxe; 2° qu'elles n'ont rien vu chez les chrétiens de Rome qui eût pu leur expliquer la cause de cette opposition. En d'autres termes, le christianisme, tel qu'il existait dans leur voisinage, ne leur avait inspiré aucun soupçon pareil à celui qui poursuivait Paul en Palestine. Ils demandent donc à l'apôtre de s'expliquer franchement sur ses croyances et son enseignement, et la discussion que Paul avait engagée sur le terrain personnel, se trouva portée sur celui des principes.

23 Sur cela, ils prirent jour avec lui et vinrent le trouver en plus grand nombre à son logis. Et il leur exposa ce que c'était que le royaume de Dieu, en leur faisant des instances et en cherchant à les convaincre au sujet de Jésus, par la loi et les prophètes, depuis le matin jusqu'au soir. Et les uns se laissèrent convaincre par ce qu'il disait, les autres restèrent incrédules.

25 Comme ils allaient se retirer sans avoir pu se mettre d'accord, Paul leur dit cette seule parole: «C'est bien avec raison que le Saint-Esprit a parlé à vos pères par le prophète Ésaïe, en disant: Va vers ce peuple et dis-lui: vous entendrez de vos oreilles et vous ne comprendrez point, et vous regarderez de vos yeux et vous ne verrez point. Car le cœur de ce peuple est endurci et ils ont fait la sourde oreille et ils ont fermé les yeux, afin de ne pas voir de leurs yeux et de ne pas entendre de leurs oreilles et de ne pas comprendre de leur cœur, pour se convertir, de sorte que je puisse les guérir. Sachez donc que ce salut de Dieu a été envoyé aux païens; aussi ceux-ci l'écouteront-ils!»

XXVIII, 23-28. La seconde conférence devant être plus importante et plus solennelle, on y va en plus grand nombre; il devait y avoir aussi de simples curieux. Quoique ici encore l'exposé de notre historien soit on ne peut plus maigre en ce qui concerne le discours de Paul, nous ne saurions douter qu'il n'ait franchement exposé sa doctrine concernant la loi, et non pas seulement le caractère messianique de Jésus. Car le refus des Juifs à l'égard de ce dernier point n'aurait pas motivé la conclusion par laquelle Paul déclare que le salut sera offert aux païens. Au point de vue du judéo-christianisme, le Messie Jésus s'alliait parfaitement avec l'observation de la loi, comme notre livre le constate à chaque page. Mais la conclusion de l'apôtre nous fait voir clairement qu'il a dû dire à peu près ce que nous lisons dans l'épître aux Romains. L'auteur a donc glissé encore une fois sur la chose essentielle pour s'en tenir à des généralités. Mais ce qui nous frappe bien davantage, c'est le silence du texte sur les chrétiens de Rome, qui pourtant sont allés au-devant de Paul, par intérêt pour sa personne, et qui s'éclipsent ici tout à fait.

Le passage cité (Ésaïe VI, 9 ss.) est plusieurs fois invoqué dans le Nouveau Testament (Matth. XIII, 14. Jean XII, 40), mais dans des rédactions différentes. Ici, il a la forme d'une simple prédiction, et Paul lui donne un sens typique en se l'appliquant à lui-même et à ses interlocuteurs présents. Ceux-ci voient et entendent les textes scripturaires qui annoncent le salut gratuit et extra-légal; mais ils se refusent à l'évidence. Paul apprit encore une fois que dans les choses religieuses les démonstrations purement exégétiques n'ont jamais la puissance des inspirations directes du cœur et de la conscience; sa méthode ne suffisait guère à sa tâche, bien que son but et ses conceptions fussent au-dessus de toute contestation au point de vue absolu, et quant à leur valeur intrinsèque.

Les éditions vulgaires ajoutent encore tout un verset après ce discours, v. 29: Et quand il eut dit cela, les Juifs s’en allèrent, ayant entre eux une longue discussion.

30 Cependant Paul demeura deux ans entiers dans un appartement qu'il avait loué à ses frais et où il pouvait recevoir tous ceux qui venaient le voir, en prêchant le royaume de Dieu et en enseignant ce qui concernait le Seigneur Jésus-Christ, en toute liberté et sans être gêné.

XXVIII, 30, 31. Sur cette fin abrupte du livre, voyez l'introduction.


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