Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ACTES DES APÔTRES.

INTRODUCTION

I.

Le livre qui porte le nom des Actes des Apôtres est proprement la continuation, ou, si l’on veut, la seconde partie de l'ouvrage qui occupe la troisième place parmi nos évangiles. La double dédicace, qui adresse les deux parties à un même personnage, d'ailleurs inconnu, du nom de Théophile, suffirait à elle seule pour établir cette connexité, que d'autres arguments non moins concluants viennent confirmer. L'auteur lui-même déclare, en commençant, qu'il a composé un premier récit sur ce que Jésus a fait et enseigné, et, en reprenant ce récit tout juste au point où il s'est arrêté, il donne à entendre que ce n'est pas précisément un nouvel ouvrage qu'il entreprend. Du reste, le style, le choix de certaines tournures et expressions favorites, trahit une même plume, partout où le rédacteur se maintient dans une certaine indépendance de ses sources. Or, nous avons vu que le troisième évangile est en grande partie rédigé sur des compositions plus anciennes du même genre, dont le style a pu déteindre, dans une certaine mesure, sur celui de la nouvelle composition. Nous ne devons donc pas nous attendre à une égalité absolue de la forme de la narration, dans toutes les parties de l'ouvrage; toujours est-il que nous pouvons la constater dans les morceaux où les éléments recueillis de côté et d'autre sont soudés ensemble par la rédaction de l'historien, ou bien encore dans les pages qui retracent des scènes non encore mises par écrit antérieurement. Mais nous n'entendons pas dire que les ressemblances se circonscrivent dans ces limites plus étroites.

En tout cas, le titre spécial et traditionnel des Actes des Apôtres n'a pas été donné par l'auteur même au livre dont nous allons nous occuper. C'est l'un des derniers ouvrages de la littérature apostolique dont il soit fait mention dans les écrits chrétiens postérieurs; on n'en trouve guère de trace chez les Pères qui ont précédé les grands écrivains de la fin du second siècle, et ceux-ci le désignent déjà par le nom qui lui est resté. Cette mention tardive ne doit pas cependant faire soupçonner une origine comparativement beaucoup plus récente. L'ouvrage avait un caractère privé, et l'on comprend que les événements qu'il raconte n'avaient pas pour l'Église une importance égale à celle de l'histoire de Jésus-Christ lui-même. Cela est si vrai, que deux siècles plus tard encore, Chrysostome pouvait se plaindre que beaucoup de ses contemporains en ignoraient jusqu'à l'existence.

Malgré ce qui vient d'être dit de l'étroit rapport qui rattache les Actes au troisième évangile, il y a lieu de se demander si, en commençant son travail sur l'histoire évangélique, l'auteur s'est déjà proposé de la continuer comme il l’a fait ici. Il nous semble que la préface de l'évangile ne décide pas cette question d'une manière péremptoire bien qu'on puisse dire que l'apparence n'est pas favorable à une réponse affirmative. En effet, en promettant à Théophile de suivre la tradition des témoins oculaires, il paraît n'avoir eu en vue que l'histoire et renseignement de Jésus, d'autant plus qu'il caractérise cet ensemble de faits comme les choses au sujet desquelles son ami a dû déjà recevoir une instruction préalable. Or, l'histoire apostolique n'a pu être l'objet d'une instruction élémentaire dans l'Église dès ces temps-là. Mais tant qu'il n'est pas prouvé que l'auteur de ces deux livres a dû être un contemporain des apôtres mêmes, ses témoins oculaires pourraient bien aussi être ses garants et ses sources pour les faits et gestes de Pierre et de Paul, et ceux-ci seraient compris dès lors au nombre des souvenirs dont une génération subséquente se préoccupait avec une légitime curiosité.

Quelle que soit la solution qu'on veuille donner à cette question, d'ailleurs peu importante, une chose nous semble certaine, c'est qu'il a dû s'écouler quelque temps entre la rédaction du premier et du second livre. Voici sur quoi nous fondons cette assertion. Nous avons constaté que l'auteur, en écrivant le dernier chapitre de son évangile, a rapporté toutes les apparitions de Jésus, dont il parle, au jour même de la résurrection. C'est le soir du dimanche (d'après notre manière de parler) que le Seigneur donne les dernières instructions à ses disciples, qu'il les conduit vers Béthanie, les bénit, et se sépare d'eux. Le mode de cette séparation n'est pas autrement décrit dans le texte authentique, les éditions critiques ayant dû biffer la phrase: et il fut enlevé au ciel. Nous autres, qui avons l'habitude de nous représenter cette histoire telle qu'elle s'est formée par la combinaison de tous les textes, nous avons de la peine à nous faire à l'idée d'une ascension aussi rapprochée de la résurrection, ou plutôt à l'idée qu'un successeur de Matthieu et de Jean ait pu se rendre compte des événements d'après cette conception. Mais il ne sait rien non plus d'un voyage des disciples en Galilée, entre la Pâque et la Pentecôte, puisque, tout au contraire, il leur fait enjoindre de ne pas quitter Jérusalem, tandis que Matthieu et Marc leur font donner l'ordre contraire. Et notre auteur n'est pas le seul à se représenter les faits de cette manière. La même combinaison se produit encore dans l'épître dite de Barnabas, écrite au plus tôt à la fin du siècle (Chap. XV. L'auteur dit: Nous célébrons le huitième jour auquel Jésus est ressuscité, apparu et monté au ciel.). Or, comme le livre des Actes débute par un récit plus circonstancié d'une véritable ascension, et réserve en même temps et explicitement une quarantaine de jours pour les relations du ressuscité avec ses disciples, il est évident que l'auteur n'a dû connaître ces détails, n'importe la source où il aura pu les puiser, que depuis que son premier livre avait été terminé et publié. Cette remarque paraîtra sans doute de nature à appuyer la présomption que la rédaction du second n'entrait pas dans le premier plan de l'historien.


II.

Jetons un coup d'oeil rapide sur le contenu du livre des Actes. Rien de plus simple, de moins artificiel que la marche de la narration. C'est à Jérusalem, dans un cercle très étroit au début, que l'Église se constitue. L'intervention visible et miraculeuse du ciel lui donne d'abord les forces dont elle a besoin pour avoir conscience d'elle-même et pour déployer son activité au-dehors; dans les premiers temps, la faveur populaire contrebalance le mauvais vouloir des classes privilégiées. L'harmonie la plus absolue dans les convictions, un dévouement qui ne recule devant aucun sacrifice, cimentent l'union fraternelle d'un nombre croissant de personnes dont la morale portait l'empreinte de la sévérité légale, et dont le dogme se résumait en une espérance (chap. I-V). Cependant l'horizon s'étend, et le nombre amène les premières divergences. Ce sont des intérêts matériels qui provoquent les premiers symptômes de désaccord. Les intérêts spirituels, le développement des idées, vont en produire d'autres et de plus graves. L'attention de quelques-uns se porte sur le vrai rapport entre l'Évangile et la Loi. Les germes déposés dans les esprits par l'enseignement de Jésus, et qui avaient sommeillé quelque temps, commencent à pousser. Une prédication novatrice excite la contradiction dans la synagogue, qui jusque-là ne s'était pas montrée trop hostile. À la contradiction succède l'animosité populaire. Le sang du premier martyr coule, et le fanatisme n'en est pas satisfait. La persécution s'organise (chap. VI, VII). Mais la persécution n'affermit pas seulement le courage de la communauté, elle devient aussi, dans les mains de la Providence, le moyen de lui faire connaître la force d'expansion de l'idée dont elle est dépositaire, et dont elle ignorait encore la portée. La bonne nouvelle franchit les limites restreintes de son berceau; comme un grain jeté au hasard, elle prend racine et fructifie dans le vaste champ du monde païen, dont le sol vierge paraît bientôt mieux préparé pour la recevoir que ne l'était même celui qu'avaient autrefois défriché les prophètes et que cultivaient depuis longtemps les pharisiens. Pour l'œuvre nouvelle, il fallait des hommes nouveaux: ils arrivent à leur heure; parmi eux, celui dont les mains portaient encore les traces du sang d'Étienne, et auquel il était réservé d'ouvrir les yeux à ses aînés, quand les écailles furent tombées des siens (chap. VIII-XII). Sans rien perdre de l'énergie de l'espérance, les nouveaux apôtres comprennent qu'ils ne doivent pas se borner à en attendre la réalisation, mais y travailler eux-mêmes. Ils organisent la mission et se mettent à jalonner la route de l'avenir (chap. XIII, XIV). Le succès qui les pousse en avant, malgré les périls et les déboires, ne désarme pas la méfiance qui, de la métropole où l’on se sent débordé, les suit d'un œil attentif et jaloux. Pour écarter de funestes malentendus, on se réunit à Jérusalem, on s'entend, on s'arrange. Il ne s'agit pas encore là de principes et de théologie; aussi bien n'était-il pas trop difficile de trouver la formule de l'accommodement. Christ sera le chef de l'Église, sans que les nationalités aient besoin de se confondre, ou de sacrifier, soit leurs droits, soit leurs devoirs (chap. XV). Dès lors l'histoire quitte le terrain sur lequel elle a débuté, elle n'y revient que pour nous faire entrevoir, dans le tableau pathétique des conquêtes et des revers de son plus grand héros, la rupture définitive du judaïsme et du christianisme. Du reste, c'est à lui qu'elle s'attache exclusivement, l'accompagnant dans ses stations successives de l'Asie, de la Macédonie, de la Grèce et de Rome, et tout en paraissant rétrécir de plus en plus l'horizon du lecteur, qui vers la fin n'a plus sous les yeux qu'un frêle bâtiment battu par la tempête, elle le conduit dans la capitale du monde, et, s'arrêtant tout à coup sans finir, elle semble l'inviter à pressentir que c'est là que se régleront les destinées de l'Église (chap. XVI-XXVIII).

Voilà, en peu de mots, le résumé du livre des Actes. L'auteur a-t-il envisagé l'histoire du point de vue auquel nous venons de nous placer, sous l'impression qu'elle a faite sur nous, et a-t-il arrangé son récit en conséquence? Ou n'est-il qu'un naïf narrateur, uniquement préoccupé du soin de recueillir ses matériaux, de les mettre en ordre et de conserver de grands souvenirs? Ou bien encore veut-il faire servir l'exposition des faits à la revendication de quelque principe? Son ouvrage est-il l'expression d'une tendance particulière et lui-même l'avocat d'un parti? Poursuit-il un but spécial, qu'il s'agirait de découvrir, soit dans le choix des faits, soit dans la couleur qu'il leur donne? Toutes ces questions ont été posées par la science de nos jours. Avant de les aborder plus directement, nous désirerions faire quelques autres observations encore sur le contenu matériel de l'ouvrage.

En jugeant celui-ci d'après le litre que la tradition lui a imposé, on est arrivé à trouver ce titre assez mal choisi, comme promettant beaucoup plus que le livre ne donne. De fait, les apôtres n'y figurent guère que pour mémoire (I, 13). Autrement ils ne paraissent pas sur la scène, pour la plupart. Jean assiste un jour, en simple spectateur, à un miracle opéré par Pierre (III, 1 suiv.); son frère est seulement nommé à l'occasion de sa mort (XII, 2). Pierre seul est en évidence et joue un rôle distingué dans quelques-uns des premiers chapitres, pour disparaître ensuite complètement. Encore la part qu'il prend à l'établissement de l'Église, toute considérable qu'elle est, n'est-elle pas trop exactement qualifiée par ce terme Pactes, alors qu'il s'agit essentiellement de discours, en partie apologétiques, et que ce n'est que très timidement et presque à contrecœur qu'il se hasarde dans la carrière de l'apostolat proprement dit (chap. X, comp. I, 8). Les hommes actifs, les vrais pionniers de l'Évangile, sont des personnages placés au second rang, d'après la conception vulgaire, et nullement les Douze: un Étienne, un Philippe, un Barnabas, puis des individus tellement obscurs, que leur nom même n'est pas mentionné (chap. VIII, 4; XI, 19 etc.), et surtout ce Paul qui les éclipse tous. Et même parmi ceux qui persistent et attendent, nous en rencontrons un qui ne paraît pas avoir occupé une place inférieure à celle des Apôtres privilégiés (I, 22 suiv.), c'est Jacques, le frère du Seigneur. En face de ces faits incontestables, on a trouvé le titre du livre un peu prétentieux. Ce jugement est-il bien équitable? Ne serait-il pas trop précipité? Ne se fonderait-il pas, en dernière analyse, sur ce préjugé issu de la légende, qui nous représente les douze Apôtres comme se partageant le monde et se hâtant d'aller porter l'Évangile aux quatre coins de l'horizon, depuis les bords du Gange jusqu'au cap Finistère? Mais si nous sommes autorisés à traiter de fable tout ce que les siècles suivants nous disent à ce sujet, l'extrême sobriété du récit de notre auteur ne serait-elle pas plutôt un argument à faire valoir en faveur de son livre? Sans doute, il doit y avoir eu, même sur ce théâtre si restreint, bien des scènes intéressantes, bien d'émouvantes péripéties, qui sont perdues pour la postérité, l'histoire ne les ayant pas enregistrées dans ses annales; mais comment prouver qu'en fait d'actes importants pour la marche générale des choses et des idées, une biographie plus détaillée des Douze aurait pu recueillir une moisson beaucoup plus riche, surtout pour la période dans laquelle celle-ci se renferme? Du reste, il ne s'agit pas ici de disculper un écrivain qui n'est pour rien dans le choix du titre que porte son ouvrage, et dont nous n'avons pas encore examiné le véritable but. Mais ceux-là même, qui plus tard ont introduit cette désignation, ne pouvaient-ils pas le faire en bonne conscience? Le livre contenait ce que de leur temps on savait encore des Apôtres, le reste était effacé de la mémoire des hommes, ou bien n'était pas encore inventé. À notre avis, nous le répétons, ceci est une recommandation pour le livre que nous allons étudier. Car, comme la légende s'est formée assez rapidement, et que dès le milieu du second siècle elle avait commencé à dominer les souvenirs positifs du premier, on pourrait peut-être inférer de la portée même de ce titre des Actes des Apôtres, que ceux qui le proposèrent n'étaient pas encore dans le cas de constater la pauvreté apparente du récit par la comparaison avec la tradition légendaire, pauvreté qui frappa bientôt l'attention des chrétiens et qui ne fut pas la dernière cause de l'origine de cette riche littérature apocryphe destinée à combler les lacunes de l'histoire.

Cependant on est aussi allé trop loin dans la direction opposée, en décorant ce livre du titre d'Histoire de l'Église chrétienne au siècle apostolique, ou plutôt en interprétant dans ce sens le titre usité. Il y a sans doute du vrai dans cette interprétation, et nous serions bien ingrats si nous voulions ici marchander l'importance de ce travail, à défaut duquel nous serions dans l'impossibilité de nous former une idée tant soit peu claire de la manière dont se sont produits les deux faits les plus considérables de cette première période, l'évangélisation du monde païen, et la séparation de l'Église et de la Synagogue. Si le livre des Actes nous manquait, nous n'aurions plus guère de critère sûr pour apprécier à leur juste valeur les innombrables traditions légendaires sur le siècle apostolique, qui ne tardèrent pas à circuler dans les églises; les épîtres de Paul mêmes, ces précieux documents de l'histoire authentique, sans rien perdre de leur valeur intrinsèque, nous offriraient non moins d'énigmes que d'utiles renseignements. Notamment à l'égard du développement graduel des idées et des institutions, nous n'aurions que des notions fausses ou incomplètes, parce que nous dépendrions entièrement des théories, qui sont sans doute un élément très important de l'histoire, mais qui ne la constituent pas à elles toutes seules. On n'a qu'à voir la conception tout idéale des débuts de l'Église, telle qu'elle a prévalu dès l'abord dans les écoles sorties de la Réforme (où pourtant on connaissait les Actes !), pour se convaincre de la justesse de notre observation. À ce point de vue, nous ne voulons donc pas nous récrier contre ce nom d'une première ébauche de l'histoire de l'Église, qu'on a donné à cet ouvrage, indispensable même à ceux qui font le plus de réserves au sujet de certains détails. Mais personne ne soutiendra plus aujourd'hui que nous avons là une histoire complète. Si nous accordons volontiers que notre livre a épuisé les souvenirs authentiques relatifs aux (douze) Apôtres, nous insisterons aussi sur les nombreuses lacunes qu’il présente dès qu'on désire sortir de ce cercle étroit. Qu'on nous permette d'établir cela par un petit nombre d'exemples choisis presque au hasard. Longtemps avant la destruction de Jérusalem, il y avait une communauté chrétienne à Rome; Paul a dû la trouver assez importante pour lui adresser la plus longue de ses épîtres et pour vouloir se créer là un nouveau centre d'activité. Quelle a pu être l'origine de cette communauté, dont la fable seule attribue la fondation à Pierre? Quelle tendance avait son christianisme? Les Actes n'en disent rien; l'auteur ne paraît pas avoir entrevu l'immense intérêt qui devait, même déjà de son temps, s'attacher à cette localité, et ce qu'il nous dit de Rome (chap. XXVIII), loin de nous orienter, ne fait que dérouter la sagacité de l'historien moderne. On a toujours fait honneur au rédacteur de ses récits variés et pittoresques relatifs aux voyages de Paul, et certes, nous ne voulons pas amoindrir le mérite de ces pages. Mais quand on lit les épîtres du grand apôtre, on s'aperçoit aussitôt de l'insuffisance de la partie de l'ouvrage qui s'occupe de lui. Nous laissons ici de côté les incertitudes qui subsistent quand on veut déterminer ce qui tient aux origines des épîtres aux Thessaloniciens, aux voyages réitérés de Paul à Corinthe, au nombre des épîtres adressées à l'Église de cette ville, aux questions chronologiques que soulèvent les textes de l'épître aux Galates; encore moins ferons-nous valoir les faits résultant des épîtres contestées de nos jours par un certain nombre de critiques, par exemple la mission de Crète, les voyages de Tite et de Timothée, les relations de l'apôtre avec l'intérieur de l'Asie proconsulaire (Col. II, 1, etc.), le procès de Rome (2Tim. IV. 16), et autres.

Arrêtons-nous à ce qu'il y a de plus exempt de doute: combien d'événements, que nous ignorons aujourd'hui, ne nous sont-ils pas révélés par des passages comme 2 Cor. XI, 23 suiv., par des allusions comme celles de Rom. XV, 19; XVI, 3 suiv. Gal. II, 11 suiv.? Sans compter que nous ne mentionnons ici que des faits matériels, des voyages, des aventures, des œuvres apostoliques, et que l'énumération serait bien plus riche, et aurait une portée bien plus grande, si nous voulions insister dès à présent sur le peu d'attention que le narrateur consacre aux faits d'un autre genre, infiniment plus importants pour l'Église et son histoire, et constituant la physionomie spirituelle, l'esprit même de celle-ci. Les mêmes observations s'appliquent à ce qui ne rentre pas directement dans la sphère paulinienne. Les chapitres II et III de l'Apocalypse, positivement écrits avant l'an 70, nous mettent en présence d'un mouvement prodigieux d'hommes et de tendances sur un théâtre à peine entrevu ailleurs. Nous pourrions encore faire valoir les notices à tirer de la première épître de Pierre (chap. I, 1, et V, 13), s'il était nécessaire de multiplier les preuves, ou si la critique moderne n'avait point enlevé à ce dernier témoignage une partie de sa force probante.


III.

Cet état des choses étant dûment constaté, avant d'en déduire un reproche d'incurie contre notre auteur, peut-être même un arrêt de condamnation contre son ouvrage, il sera juste de demander et d'examiner si la narration des faits a bien été son but unique ou principal. Dans son évangile (nous l'avons suffisamment reconnu), il a certainement voulu être aussi complet que possible; il le dit dans sa préface, et une scrupuleuse analyse comparative nous a démontré qu'il a fait de son mieux pour remplir son programme. Mais faut-il pour cela appliquer la même mesure aux Actes, qui entrent en matière sans rien promettre de pareil? Réservons provisoirement encore la question des moyens, que nous nous proposons de traiter à part, et voyons si ce livre est de nature à rendre probable la supposition que son rédacteur se serait avant tout mis en quête de matériaux nombreux. L'opinion traditionnelle, qui en fait un compagnon de voyage de l'apôtre Paul, est absolument incompatible avec ce point de vue, qu'elle doit être la première à repousser. Mais la critique même, laquelle est arrivée à cet égard à des conclusions différentes, s'y arrêtera tout aussi peu, car à quelque époque qu'elle veuille placer la composition de l'ouvrage, elle doit reconnaître qu'il n'aurait pas dû être trop difficile à un historien diligent et sympathique d'obtenir des informations plus complètes. Le but de l'écrivain doit donc avoir été un autre (Nous nous sommes déjà expliqué sur cette question dans l'Histoire de la théologie apostolique, 3e éd., t. II, 329 suiv. — Nous ne nous arrêterons pas ici à réfuter les diverses opinions émises ailleurs pour répondre à la question qui nous occupe en ce moment.).

La grande question qui agitait la primitive Église, surtout avant la destruction du temple de Jérusalem, et plus tard encore jusqu'à l'apparition envahissante de la philosophie gnostique, c'était celle du rapport de l'Évangile et de la Loi. Tout le monde connaît la manière dont Paul se rendit compte de ce rapport; elle nous est familière, parce que la conception de cet apôtre est devenue l'une des prémisses de la théologie protestante. Mais avant même que la question se présentât aux esprits sous cette forme abstraite, elle surgit d'une manière objective et pratique, par l'affiliation accidentelle et spontanée, à la communauté des croyants, de quelques hommes d'origine païenne et non circoncis. Les recevrait-on comme frères, et à quelles conditions? Voilà ce qu'on se demandait, et sur quoi les opinions se divisaient dès l'abord et très énergiquement. La controverse se prolongea, s'envenima même. Le bon sens, l'esprit évangélique, les faits qui parlaient plus haut que les préjugés, finirent par lui donner une solution pacifique, sans qu'on fût arrivé à discuter les principes mêmes, que des hommes plus exercés dans la science de la religion auraient fait valoir d'abord. On comprit qu'il fallait laisser agir l'esprit de Dieu, que l'Église était construite sur une base assez large pour donner place à des membres venus des deux côtés opposés; mais tout en repoussant, en faveur de ceux du dehors, un exclusivisme pharisaïque, on n'entendit pas relâcher les liens qui engageaient la piété nationale. Si l'on suit.attentive-ment le récit dès Actes, on s'aperçoit bientôt que tout l'intérêt dramatique de l'histoire se rattache à ce double courant des idées et que la sympathie de l'historien est acquise au compromis indiqué.

Comme pour ses contemporains la controverse, selon l'usage de tous les temps, se résumait déjà en noms propres, ce sont aussi beaucoup plus les personnes que les faits ou les théories qui se présentent ici sur le devant du tableau. De fait, l'auteur ne s'occupe guère que de Pierre et de Paul. Jacques et Étienne même, auxquels l'histoire assigne pourtant une place assez distinguée, sont positivement rejetés sur le second plan et dans l'ombre à côté des deux illustres chefs. Entre ceux-ci il s'établit, d'un bout à l'autre, un parallélisme tellement marqué, que nous ne pouvons nous défendre de l'idée qu'il a été dans la pensée de l'auteur et qu'il n'est point simplement l'effet d'une appréciation subjective du lecteur. Pierre était sans doute le premier disciple de Jésus (Luc V, 10), mais la vocation de Paul n'est pas moins immédiate et formelle. La mission spéciale de celui-ci auprès des gentils, mission qui offusquait les croyants d'origine juive, est affirmée à plusieurs reprises par des déclarations d'un ordre exceptionnel (Actes XVI, 9; XVIII, 9; XXII, 17; XXIII, 11.); mais Pierre a dû recevoir une communication pareille dans un but analogue (Chap. X, 10.). Ils opèrent tous les deux des miracles, absolument semblables pour la forme, le but et les moyens (Comp. chap. III, 2 suiv., avec XIV, 8 suiv.; chap. IX, 36 suiv., avec XX, 9; chap. V, 1 suiv., avec XIII, 9; chap. V, 15, avec XIX, 12; chap. V, 16, VIII, 7, avec XVI, 18, XIX, 12; chap. VIII, 18 suiv., avec XIII, 6 suiv., XIX, 13 suiv.); à tous égards, ils sont placés sur la même ligne, qu'il s'agisse de la faveur du ciel ou de celle du monde (Chap. X, 2.6, comp. XIV, 11; chap. XII, 7 suiv., comp. XVI, 26; chap. X, 44, comp XIX, 6; chap. II, 43, V, 11, comp. XIX, 17.). Cette égalité est tellement frappante, qu'il est impossible de supposer que l'auteur ne s'en soit aperçu tout le premier, en d'autres termes, qu'il n'ait pas voulu la faire ressortir. Or, nous ne sachions pas que dans la primitive Église on ait jamais contesté à Pierre la position éminente qu'il occupait à la tête des Douze; tandis que nous savons très bien que beaucoup de chrétiens refusaient à Paul l'autorité qu'il pouvait justement revendiquer en vue de ses travaux. Il en résulte pour nous une sérieuse présomption en faveur de l'hypothèse que l'ouvrage des Actes était destiné à corriger un préjugé injuste et à mettre en relief les titres de l'apôtres des gentils. Cette présomption se change en certitude, quand ou arrive à constater que le récit de l'auteur s'applique à signaler surtout dans la conduite de Paul ce qui devait le recommander aux observateurs rigides de la loi, et à glisser sur ce qui, d'un autre côté, avait éveillé leurs soupçons ou déterminé leurs sentiments de répulsion à son égard. Nous y voyons relevées avec soin les preuves d'attachement aux rites mosaïques, qui ne devaient pas être trop rares dans la vie d'un homme dont la maxime était d'être Juif avec les Juifs (Chap. XIII, 3; XIV, 23; XVI, 3; XVIII, 18, 21: XX, 16. XXI, 24.), tandis que ses grands axiomes théologiques, qui nous sont si bien connus par ses épîtres, y sont voilés au point que l'apôtre paraît manquer du courage nécessaire de les professer dans un moment décisif (Chap. XXI, 21 suiv.), et qu'ailleurs il affecte même de se déclarer pharisien (Chap. XXIII, 6; XXIV, 14: XXVI, 4 suiv.). Nous n'entendons pas dire que l'historien ait sciemment altéré les faits; notre commentaire fera voir que l'ensemble de son exposé nous offre des traces non équivoques du contraire, et nous donne des renseignements très net sur la position des partis; nous sommes surtout convaincu qu'en insistant sur les rapports fraternels entre Paul et les apôtres de Jérusalem, l'auteur est dans le vrai. Il n'en est pas moins positif que le portrait du théologien auquel nous devons les Épîtres est décoloré à certains égards, et que jamais, avec ce livre pour source unique, nous n'arriverions à nous faire de son œuvre l'idée qui se dessine dans les pages immortelles adressées aux Galates, aux Corinthiens et aux Romains.

De tous ces faits nous déduisons la conclusion que le but de l'auteur des Actes n'a pas été de raconter une simple histoire, mais en même temps de présenter cette histoire comme plaidant hautement en faveur des tendances d'union et de conciliation, en face desquelles s'agitaient alors les théories extrêmes, diamétralement opposées: l'une, d'origine plus récente, et bientôt aussi plus dangereuse, qui était hostile à tout ce qui tenait à la loi mosaïque, ne se fait guère encore remarquer dans le cadre du récit; l'autre, plus ancienne, et commençant déjà à perdre du terrain, qui ne voyait le salut que dans la stricte observation de cette même loi, y occupe une place tellement large, qu'il faut bien admettre que l'auteur a dû y voir l'élément dominant, la force motrice des événements. Que si l'on devait se croire autorisé à ne point reconnaître, dans le choix et l'exposé des faits, l'intention directe et consciente de rattacher le pragmatisme de l'histoire à cet élément (et nous ne pensons pas qu'il y ait lieu de se prononcer à cet égard d'une manière trop absolue), il faudrait du moins accorder que l'auteur n'a compris celle-ci qu'à ce point de vue, et il restera toujours vrai qu'il n'a pas su ou voulu s'élever à la hauteur des principes dont la discussion aurait donné aux faits mêmes une autre physionomie. Personne ne niera que Paul aurait écrit cette histoire dans un autre esprit, sans avoir besoin d'en changer la matière. Il aurait tranché les questions et n'aurait pas représenté le compromis comme le suprême but à atteindre. Ici son évangile, pour autant qu'il est formulé, est plus souvent mis dans la bouche de Pierre que dans la sienne propre (Chap. X, 34; XIII, 38; XV, 10.)


IV.

À la question relative au but de l'historien se rattache de très près celle concernant ses moyens, ou ses sources. Cette question nous semble bien plus difficile à résoudre que la précédente; en tout cas elle est encore fort controversée. Autrefois, sans doute, elle paraissait on ne peut plus simple et facile. L'auteur, s'introduisant lui-même en quelques endroits comme témoin des événements qu'il raconte et parlant à la première personne, se faisait reconnaître comme une personne de l'entourage habituel de Paul et était censé écrire ses mémoires. À ce point de vue, les lacunes qu'on pouvait remarquer par-ci, par-là, dans son récit, s'expliquaient tout aussi naturellement que la richesse des détails dans certaines autres parties. Quant à la période écoulée avant l'entrée de Paul en scène, et aux faits antérieurs en tout cas à la participation du narrateur, faits d'ailleurs comparativement peu nombreux, il suffisait de se rappeler que l'apôtre avait fait à différentes reprises un séjour à Jérusalem, qu'il avait été retenu prisonnier à Césarée pendant deux ans, et qu'il n'avait jamais été seul et isolé dans ces occasions: ses amis et compagnons devaient donc trouver moyen de connaître, s'ils le voulaient, les débuts de l'histoire de l'Église, ses contours généraux, ses détails les plus saillants, et ce serait même chose par trop singulière, qu'aucun d'eux n'eût manifesté une si légitime curiosité.

Pour apprécier à sa juste valeur cette manière de se rendre compte du fondement du livre des Actes, il conviendra de considérer à part chacune des deux parties principales dont il se compose, et d'examiner séparément l'hypothèse qui s'y rapporte, relativement aux sources: les informations traditionnelles concernant les origines de l'Église, et les mémoires du compagnon de voyage de l'apôtre Paul.

Quant à la première partie, nous avouons franchement que l'opinion d'après laquelle le rédacteur aurait mis à profit des renseignements recueillis de côté et d'autre, des souvenirs déjà un peu incohérents, qu'il aurait ensuite soudés ensemble par des formules de transition ou de très courts résumés (Chap II. 43 suiv.; IV, 32 suiv.: Y. 12 suiv.; VI, 7 VIII, 1 suiv.: VIII, 25. IX, 31 suiv.: XI. 19; XII, 24.), que cette opinion, disons-nous, nous paraît beaucoup plus plausible que celle qui fait travailler l'auteur sur des documents écrits, qu'il n'aurait eu qu'à copier. Ainsi on a parlé d'Actes de Pierre, de Barnabas, d'Étienne, qui auraient existé très anciennement déjà et à l'égard desquels un simple procédé de compilation aurait pu amplement suffire. La méthode suivie par l'auteur dans la rédaction de son Évangile semblait autoriser cette supposition et devoir la faire préférer à toute autre. Cependant elle ne nous paraît pas acceptable. Quelle singulière littérature, que ces petites compositions historiques ! Si le compilateur y a pris tout ce qu'il y avait d'important (et l'on veut même qu'il les ait insérées intégralement !), il faut convenir qu'elles étaient bien peu riches pour des compositions contemporaines; elles se réduiront pour ainsi dire à la dimension de feuilles volantes. S'il n'en a fait que de courts extraits, cela prouverait une fois de plus qu'il poursuivait un tout autre but que celui de la pure narration des détails, et dans la même mesure disparaîtra la nécessité d'avoir recours à des documents de ce genre, pour apprendre les quelques traits caractéristiques qu'il importait de mettre en relief et qui pouvaient être généralement connus. Mais il y a plus. Ces prétendus extraits d'écrits anciens et contemporains ne portent point, tant s'en faut, dans leur exposé des faits, le cachet de l'immédiateté du témoignage oculaire. Ainsi la scène de la Pentecôte est racontée de manière qu'on voit tout de suite que le narrateur n'a eu qu'une idée confuse des faits qu'il veut reproduire. Dans l'histoire d'Ananias et de Saphira, sans insister sur le nombre des miracles que renferme le récit d'un événement d'une si mince portée, on cherche vainement à se former, avec les seuls termes du texte, une conception nette de l'idée que l'auteur a pu se faire de ce qu'il appelle la communauté des biens dans la primitive Église. Dans l'affaire d'Étienne, si importante pour les destinées générales de celle-ci, ce sur quoi nous sommes le moins bien renseignés, c'est précisément la chose essentielle, la prédication de ce disciple; sans compter que ce qui est dit d'abord sur la contestation au sujet du «service journalier des veuves», sur l'antagonisme des «Hellénistes et des Hébreux», sur l'institution du diaconat, est absolument insuffisant pour nous faire connaître la composition, les usages et l'organisation de la communauté de Jérusalem, et semble être écrit à distance. Des notes comme celle qui termine l'histoire du diacre Philippe (VIII, 39), sont-elles l'expression du témoignage oculaire? Enfin, si nous avions là des compositions écrites à proximité des faits, serions-nous, comme nous le sommes, dans l'impossibilité absolue de reconstruire la chronologie des événements et d'établir le synchronisme général de l'histoire?

On a surtout allégué les discours, si nombreux dans notre livre, comme étant des documents anciens et authentiques que l'auteur aurait trouvés à sa disposition et dont il aurait fait le principal ornement de son livre. Nous nous permettons d'être d'un avis tout différent, à l'égard de tous ces discours, même de ceux de la seconde partie. Non que nous prétendions les considérer comme de purs exercices de rhétorique, tels qu'il s'en rencontre tant dans les historiens grecs et latins; mais la forme dans laquelle ils nous sont parvenus est bien certainement l'œuvre du rédacteur du livre des Actes. Le plus long de ces discours n'aurait pas duré cinq minutes, ce qui n'aurait presque jamais suffi pour initier un auditoire peu préparé à des idées plus ou moins nouvelles, et ce qui n'était d'ailleurs guère dans les habitudes des prédicateurs (II, 40; XX, 7). Ce sont donc des résumés, des ébauches; et nous reconnaissons volontiers que plusieurs d'entre eux paraissent répondre on ne peut mieux à la situation donnée et exprimer le caractère d'une individualité marquée (Chap. VII; XVII, 22 suiv.; XX, 18 suiv.; XXVI, 2 suiv.); d'autres ne contiennent du moins rien qui heurte en face les faits qu'ils sont destinés à vivifier et peuvent également se fonder sur des indications traditionnelles (Chap. II, 14 suiv.; XIII, 16 suiv.; XV.). Ailleurs, à la vérité, ce ne sont guère que des lieux communs, mais comme tels même, ils ne paraissent pas précisément s'écarter de la nature des circonstances (Chap. III, 12 suiv.; IV, 8 suiv., 24 suiv.; X, 34 suiv.); et ce n'est qu'exceptionnellement que l'exégèse et la critique ne sauraient y voir que des produits de la réflexion subjective d'un narrateur moins bien inspiré (Chap. I, 16 ss. ; V, 34 suiv.). Nous insisterons surtout sur ce que nous avons longuement développé ailleurs (Hist. de la théol. chrét. au siècle op., II, 599 ss.; 3e éd., II, 335 ss.), savoir que la couleur théologique de ces discours est tellement effacée, qu'on a toutes les peines du monde à y recueillir quelques phrases éparses qui rappellent la prédication de Paul, ce qu'il aime à appeler son évangile, et qu'il n'y a rien, absolument rien, qui puisse nous faire connaître l'évolution progressive de la pensée chrétienne au sein de la primitive Église.

Ces dernières remarques, auxquelles nous nous sommes laissé entraîner prématurément, peuvent déjà servir à faire préjuger en partie quelle est l'opinion que nous nous sommes faite relativement aux sources que le rédacteur a pu mettre à profit dans la seconde partie de son ouvrage. En effet, en tant qu'il s'agit des idées et du point de vue théologique, ce n'est pas dans l'intimité de l'apôtre Paul qu'il a dû former ses convictions, ce n'est pas de l'esprit du théologien qui a hardiment et hautement proclamé la déchéance de la loi, qu'il était pénétré en prenant la plume, ce n'est pas la lecture des Épîtres qui a précédé et facilité la composition des Actes. Sur ce point, la science est arrivée à des résultats désormais incontestables. Mais ce n'est là qu'un côté de la question. Le fait que l'auteur ne s'est pas approprié la théologie de Paul dans toute sa rigueur, et n'a pas écrit l'histoire à ce point de vue essentiellement théorique, ne prouve pas le moins du inonde qu'il n'a pas eu de rapports personnels avec cet apôtre, et qu'il faudra se mettre en quête d'autres sources que ses souvenirs personnels, pour la partie du récit qui nous occupe en ce moment. Il convient donc d'examiner aussi les faits matériels, qui forment la substance même de la narration, pour tâcher de découvrir la base et l'origine de celle-ci.

Or, il se présente ici un fait de la plus haute importance pour la solution du problème, et qui de tout temps a déterminé le jugement de la critique. Une portion notable du récit est rédigée de manière que l'auteur parle à la première personne du pluriel: il se fait donc connaître comme étant de la société de l'apôtre des gentils, et présent sur les lieux. Ce qu'il y a de curieux, c'est que cette première personne apparaît et disparaît alternativement, an beau milieu des phrases et des événements, sans autre indice ou remarque, qui serait de nature à nous expliquer cette circonstance énigmatique. Ce Nous se montre d'abord à Troade, au moment où Paul s'apprête à passer pour la première fois en Europe; il accompagne l'apôtre à Philippes (XVI, 10-17), où l'on en perd tout à coup la trace. Ce n'est que quelques années plus tard, également en Macédoine, peut-être dans cette même ville de Philippes, qu'il reparaît inopinément (XX, 5) et se met du voyage de Jérusalem (XX, 5-15; XXI, 1-18). Pendant le séjour dans cette ville, dans les scènes de l'arrestation de Paul, de son procès, de sa captivité à Césarée, la narration devient tellement objective, que l'on ne s'étonne pas trop de ne plus rencontrer ce Nous. Cependant nous devinons aisément qu'il n'est pas loin, puisqu'il est encore du voyage de Rome; il s'embarque avec le prisonnier, il partage les périls du trajet, il essuie le naufrage, il arrive à la capitale, pour s'éclipser là définitivement, avant la fin du livre (XXVII, 1-XXVIII, 16). On comprend que très anciennement déjà, et jusqu'à nos jours, on ait vu là une preuve irrécusable de ce que l'ouvrage a dû être écrit par un ami et compagnon de Paul. L'absence de la première personne dans certaines circonstances ou localités ne pouvait en aucune façon être invoquée contre cette supposition, puisque l'apôtre n'avait pas toujours et partout les mêmes amis auprès de lui. D'un autre côté, l'opinion traditionnelle pouvait se prévaloir avec raison de la grande uniformité du style dans l'ouvrage tout entier, phénomène dont nous avons parlé plus haut, et qui semblait démontrer de prime abord l'identité du rédacteur des Actes et de ce compagnon de voyage qui paraissait sur la scène de temps à autre. Seulement on pouvait encore réserver la question de savoir si les mémoires de voyage avaient été écrite antérieurement déjà, comme une espèce de journal, et mis à profit plus tard, quand il s'agissait de la composition de l'ouvrage complet, ou bien si l'auteur de celui-ci a simplement reproduit dans l'occasion ses souvenirs non encore rédigés auparavant. Enfin, on trouvait une dernière confirmation de cette manière de voir dans le fait que le récit est interrompu tout à coup, et de manière à étonner le lecteur désappointé: c'était une preuve de ce que l'auteur avait achevé son travail et déposé la plume tout juste à l'époque où il s'arrête.

Nous ne méconnaissons nullement la valeur de tous ces arguments; nous ajouterons même qu'en tout état de cause les scènes racontées à la première personne sont des modèles de netteté et de vivacité, et surtout aussi d'exactitude chronologique, et trahissent partout le témoin oculaire. Mais nous ne saurions non plus amoindrir la portée de certaines réserves faites par la critique moderne, qui a cru pouvoir distinguer l'auteur du livre des Actes, de l'ami de Paul, auteur des mémoires de voyage, de manière à compter ces mémoires parmi les sources exploitées par le premier. En laissant de côté une série d'objections qui ne sont guère de nature à trancher la question, nous ne pouvons nous empêcher de relever surtout la suivante. Les morceaux dans lesquels apparaît le pronom de la première personne (Nous), se rapportent à peu près exclusivement à des détails de voyage, surtout de voyages maritimes. On est naturellement amené à les considérer comme autant de fragments d'un véritable journal, dont l'auteur ne se serait occupé que des faits matériels dont il aurait été témoin. On n'entrevoit nulle part une participation personnelle du narrateur à ce qui appartient à une sphère plus élevée. On dirait un récit tout profane; les quelques miracles même, qu'on y rencontre accidentellement (Chap. XVI, 16 ss.; XX,7ss. ; XVII, 22 ss.; XXVIII, 3 ss.), ne se refusent pas tous à une explication naturelle. L'absence d'éléments théologiques ou ecclésiastiques dans ces fragments est d'autant plus sensible, que toutes les fois que ces éléments reviennent dans le cours de la narration sous la plume du rédacteur (Chap. XVI, 18 ss.: XX, 17 SS.; XXI, 19; XXVIII, 17 ss.), le Nous disparaît, et en même temps disparaissent la précision et la netteté de l'exposition, pour faire place au résumé, aux généralités, à un genre de récit, enfin, qui est aujourd'hui insuffisant pour l'intelligence complète des faits. Prenons pour exemple la dernière page du livre. Il s'agit de l'arrivée de Paul à Rome. L'historien-journaliste qui parle à la première personne, a soin d'enregistrer chaque petite étape (Chap. XXVIII, 11 ss.); il inscrit exactement le nombre des jours pendant lesquels on s'est arrêté à chaque endroit; il n'oublie pas de dire où et comment on y rencontra des chrétiens: puis, la caravane étant arrivée à Rome, plus de détails de journal, plus de lucidité dans la narration, plus de Nous; plus même de chrétiens, plus d'église, rien sur les rapports de celle-ci et de la synagogue: rien, en un mot, qu'une conversation entre Paul et quelques Juifs, qui disent assez vaguement avoir entendu parler de la nouvelle secte; c'est une scène, pour tout dire, qui nous fait l'impression d'une espèce de programme, destiné à constater la rupture définitive entre l'Évangile et le judaïsme, mais non d'un fait spécial, coordonné à tous les autres, et compris, à ce titre, dans les souvenirs précis du journaliste.

On comprendrait encore qu'en rédigeant les Actes, un ancien compagnon de voyage de Paul ait intercalé, dans un journal écrit primitivement dans un autre but, des éléments négligés autrefois, et que ceux-ci, mis par écrit après un laps de temps plus ou moins long, n'aient pas la même fraîcheur de coloris, et ne présentent pas la même richesse de détails que les notes prises immédiatement sur le fait. Mais on a de la peine à se persuader que, même pour les époques où l'auteur n'a pas été dans la société de l'apôtre, il n'ait pas pu ou voulu recueillir, de la bouche de celui-ci, des renseignements tant soit peu plus complets que ceux qu'il nous donne (Voyez par ex. chap. XVIII, 18-23; XIX, 1 ss. (passage qui paraît même être en contradiction avec le précédent relativement au succès de la prédication de l'Évangile à Éphèse); XIX, 8-10; XX, 1-3.), et que, pour les autres époques, à l'égard desquelles il est censé avoir recours à ses propres souvenirs, sa mémoire l'ait si mal servi, ou qu'il ait si négligemment mis à profit les matériaux qu'elle pouvait lui fournir. En tout cas, nous devons le répéter ici, si le livre entier était dû à la plume d'un compagnon de Paul, il faudrait convenir que l'esprit de celui-ci n'a point déteint sur l'ouvrage de son ami ou disciple, et ce n'est certes pas de ce côté-là que se justifie l'opinion traditionnelle.

La non-identité du rédacteur de notre livre des Actes et de l'auteur du journal de voyage, dont il nous a été conservé des extraits, paraît donc pouvoir être soutenue avec quelques chances de succès, ou du moins quelque apparence de plausibility; et nous ne croyons pas qu'elle puisse être écartée, comme une hypothèse toute gratuite et même inutile, par une simple fin de non-recevoir. Cependant, quelle que soit la valeur de cette hypothèse, elle ne coupe pas court à toutes les difficultés. Elle se heurte toujours et principalement contre ce fait, que le pronom nous apparaît de temps à autre subitement et sans avertissement préalable, pour disparaître bientôt de même, sans autre formule de transition, de sorte que tous nos devanciers, jusqu'au siècle passé (comme aujourd'hui encore les lecteurs moins attentifs), ont pu se persuader aisément qu'il pourrait être replacé partout. Gomment s'expliquer ce fait, si l'on veut distinguer deux écrivains, dont l'un aurait exploité le travail d'un prédécesseur? Dirons-nous que le dernier venu ne s'est pas même donné la peine de changer une rédaction étrangère, qu'il a si servilement, si machinalement fait ses extraits, qu'il a même copié un pronom, lequel était pourtant déplacé sous sa plume, et ne pouvait qu'induire en erreur des lecteurs placés à distance? Ou bien dirons-nous plutôt que le rédacteur a laissé subsister le pronom nous de propos délibéré, pour faire passer tout son ouvrage pour le travail d'un témoin oculaire? Si la première de ces deux explications semble être écartée d'avance par l'uniformité du style dans la partie du livre dont il s'agit, la seconde implique un soupçon que rien ne justifie, et est en même temps insuffisante, en ce sens qu'elle suggère à tout homme non prévenu la réflexion que le rédacteur, s'il avait eu l'intention de s'assurer, par de pareils moyens, une autorité d'emprunt, y aurait sans doute insisté davantage et aurait pu trouver l'occasion d'introduire plus fréquemment les preuves trompeuses de sa présence personnelle. Il faudra bien convenir que le problème n'est pas encore définitivement résolu, et peut-être s'arrêtera-t-on volontiers, pour le moment encore, à ce simple expédient, de dire que l’auteur, écrivant en premier lieu pour son ami Théophile, a pu se mettre en scène lui-même, dans l'occasion, sans autre préambule, sur d'être compris et de ne donner lieu à aucun malentendu. Mais cette manière de se tirer d'embarras, on raccordera, ne répond pas à toutes les objections soulevées par la critique; et si celle-ci, n'ayant à sa disposition que des moyens incomplets et purement négatifs, n'arrivera probablement jamais à tirer au clair une question littéraire aussi difficile qu'intéressante, elle pourra toujours se retrancher derrière les considérations que nous soumettrons à nos lecteurs à la fin du § VI.

La seule chose bien positive, c'est que les Épîtres de Paul ne sont point à compter parmi les sources du livre des Actes. L'auteur de celui-ci, ou bien ne les a pas étudiées, en composant son ouvrage, ou bien même ne les avait jamais lues.


V.

Une question spéciale, qui se rattache jusqu'à un certain point à celle des sources du livre des Actes, concerne la conclusion abrupte de cet ouvrage: Cependant Paul demeura deux ans entiers dans un appartement qu'il avait loué à ses frais, et où il pouvait recevoir tous ceux qui venaient le voir, en prêchant le royaume de Dieu et en enseignant ce qui concernait le Seigneur Jésus-Christ, en toute liberté et sans être gêné.

Nous appelons cette conclusion abrupte, non pas seulement dans le sens de la rhétorique, mais surtout au point de vue psychologique; nous voulons dire que le lecteur ne saurait en être satisfait. Il voudrait savoir quelles ont été les destinées ultérieures de l'Apôtre, et notre génération surtout, plus encore que celles qui l'ont précédée, se trouve singulièrement désappointée par un silence qui ouvre la porte si large aux hypothèses, comme autrefois aux légendes. Jadis, et en partie naguère encore, on s'expliquait cette manière de l'auteur de prendre congé de ses lecteurs, par une supposition bien simple et en apparence complètement suffisante. L'auteur aurait écrit tout juste à la fin des deux années dont il parle, et par conséquent la fin de la captivité de Paul, quelle qu'elle ait été, lui était provisoirement tout aussi inconnue qu'elle nous l'est aujourd'hui à défaut d'autres sources. Mais cette explication ne suffit plus maintenant. Non seulement il sera facile de prouver que la composition des Actes ne remonte pas à une époque aussi ancienne, antérieure à la persécution de Néron, mais le texte même que nous venons de transcrire paraît exclure cette combinaison.

En effet, ce texte dit: Paul demeura et non pas: il demeure, ou encore: il est demeuré; en d'autres termes, l'auteur prend son point de vue, non pas dans cette période de deux ans, mais à un moment postérieur; il donne à entendre qu'elle est révolue, et que d'autres faits, n'importe lesquels, ont remplacé depuis ceux qui caractérisaient ce laps de temps. Il y a plus: dans les chapitres précédents, on a pu et dû d'autant plus s'intéresser au procès de Paul, que l'auteur lui consacre un quart entier de son ouvrage, et que nulle part ailleurs il n'entre dans tant de détails à la fois émouvants et dramatiques; et voilà que nous n'apprenons rien, mais pas le moindre petit mot, sur les péripéties ultérieures de ce procès, ni sur son issue, bien que plus d'une fois il ait été fait d'avance allusion à son second stade (Chap. XXIII. 11; XXVII. 21. Comp. 2 Tim. IV, 10. 17.). Or, il est impossible d'admettre qu'un accusé politique ait été retenu prisonnier à Rome pendant deux ans, sans qu'aucune forme de procédure ne soit intervenue, si ce n'est pour décider du sort de l'inculpé, du moins pour orienter les autorités. Il y avait donc toujours quelque chose de plus à dire, lors même qu'on voudrait s'arrêter à la date que la tradition veut bien assigner à la composition de l'ouvrage.

Par les mêmes motifs ou d'autres analogues, nous ne saurions accepter certaines explications qui ont été proposées plus récemment. On a dit, par exemple, que l'auteur s'arrête brusquement à l'arrivée de Paul à Rome, parce que Théophile, pour l'instruction duquel l'ouvrage fut composé, savait le reste en sa qualité d'habitant de cette ville. Mais si le narrateur n'avait réellement eu en vue qu'un but aussi restreint, nous ne voyons pas pourquoi il se serait donné la peine d'écrire; il pouvait raconter son histoire de vive voix à une personne dont on le suppose si rapproché. On a dit encore, que des considérations politiques lui imposaient une certaine discrétion, et qu'il a pu craindre de se compromettre en parlant explicitement de l'issue du procès. Mais quelque chatouilleuse qu'on veuille supposer la censure romaine, la simple mention du fait de l'exécution d'un homme condamné par un tribunal ne devait pas lui paraître plus choquante que tout ce que le livre contient d'éloges au sujet de ses actes antérieurs, lesquels, après tout, formaient la base de son procès. On a dit que la source à laquelle notre historien puisait sa relation de la vie de Paul s'arrêtait tout juste ici, et qu'il ne savait rien de plus. Mais dès qu'on doit reconnaître que son travail de rédaction ne se bornait pas à une simple transcription de documents plus anciens, on doit admettre aussi que les moyens d'information n'ont pas pu lui manquer pour en remplir les lacunes et pour compléter un récit dont lui-même, tout le premier, aurait senti l'imperfection. On a enfin hasardé la conjecture qu'il aurait existé une continuation de l'ouvrage, aujourd'hui perdue. Le fait est, que cette conjecture, qui ne peut se prévaloir du moindre indice positif ou même indirect dans la littérature ecclésiastique, équivaut à l'aveu qu'on ne sait trouver aucune explication plausible de cette énigme.

Dans cet état des choses il ne reste que deux manières, plus ou moins acceptables, de sortir d'embarras. Ou bien l'on se contentera de dire que Fauteur s'était proposé de continuer son récit, et qu'il en a été empêché par quelque circonstance imprévue, peut-être par sa mort; ou bien il faudra se décider à voir dans sa brusque conclusion une nouvelle preuve, et non la moins éclatante, de ce que dans la composition de son livre il avait eu en vue, non pas autant l'exposé des faits matériels eux-mêmes, que celui des enseignements ou des conséquences morales qu'on devait en tirer. En effet, la dernière page de son récit, tout en laissant le lecteur dans une ignorance complète au sujet de la situation de la communauté chrétienne de Rome, au point que les personnes mêmes qu'il introduit sur la scène ont l'air de déclarer qu'elles n'en savent rien, contient le manifeste le plus explicite et le plus positif relativement à la rupture, désormais consommée, entre le judaïsme et le christianisme. Il est impossible de méconnaître que ce dénouement est bien celui de l'histoire du siècle apostolique elle-même, et ce ne serait certes pas faire injure à l'historien, que de penser qu'il a tenu à faire ressortir, en le prenant de plus haut, l'esprit des événements qu'il avait à raconter, au lieu de s'arrêter à tous les détails. Aussi cette explication est-elle chaudement recommandée aujourd'hui par tous ceux qui considèrent les Actes avant tout comme un ouvrage de tendance, on pourrait presque dire comme un ouvrage de parti. Cependant elle ne nous semble pas de nature à couper court à toute hésitation. Elle ne rend pas plus compte que les autres, de l'emploi du passé défini; elle semble directement contredite par le soin que l'auteur met à consigner, dans les pages immédiatement précédentes, tant de petits détails, très-intéressants sans doute, mais parfaitement inutiles en vue d'une conception pragmatique de l'ensemble; enfin elle prétend faire, d'un narrateur généralement naïf et simple, et que nous ne voyons nulle part, dans le cours de son livre, s'élever au-dessus du niveau de son entourage, un philosophe planant sur les hauteurs de l'histoire et sachant en dégager l'esprit, comme si, avec le coup d'œil du génie, il emhrassait déjà une série de siècles.


VI.

Les Actes sont un ouvrage anonyme, ainsi que le troisième évangile, dont ils sont la continuation. La tradition nomme l'auteur et nous nous sommes provisoirement prévalu de son autorité pour éviter les circonlocutions. Cependant cette tradition, d'ailleurs unanime, n'est constatée que depuis le dernier tiers du second siècle; antérieurement aucun écrivain ne prononce le nom de Luc, et la critique doit examiner jusqu'à quel point ces éléments de conviction peuvent nous suffire.

Nous avons vu, dans un précédent paragraphe, que la question n'est plus aussi simple aujourd'hui qu'elle l'était pour nos devanciers, la critique prétendant faire une distinction entre le rédacteur du double ouvrage que nous avons sous les yeux, et l'auteur des mémoires de voyages, dont ce rédacteur a pu profiler pour son travail. Nous n'avons pas besoin de rentrer dans celle discussion: il suffira de constater que tout le monde reconnaît dans l'auteur des mémoires un ami et compagnon de voyage de Paul, de sorte que, lors même que la tradition se serait trompée en identifiant deux personnages qu'il fallait distinguer, et dont l'un pourrait avoir écrit à une époque plus ou moins postérieure à l'autre, ce sera toujours dans l'entourage de l'apôtre des gentils que nous avons à chercher le témoin et garant d'une notable partie des faits relatés. Pour ceux qui ne font point cette distinction des personnes, ce résultat est acquis pour tout l'ensemble de l'ouvrage.

Or, nous connaissons un grand nombre de disciples qui ont été en relation plus ou moins constante avec Paul, surtout aussi comme associés à ses travaux apostoliques, et à première vue il semble assez difficile de démêler dans le nombre celui auquel doit revenir l'honneur de la composition des mémoires, étant donnée provisoirement la nécessité de vérifier l'assertion traditionnelle. Mais à y regarder de plus près, le cercle se restreint beaucoup. Sans craindre de nous tromper, nous pouvons affirmer que l'auteur des mémoires (et par conséquent, dans l'hypothèse de l'identité, l'auteur des Actes) ne se trouvera pas parmi les personnes nominativement désignées dans ce livre. Un écrivain qui s'introduit lui-même dans son récit comme participant aux événements qu'il raconte, en se servant du pronom de la première personne, ne se désignera pas en même temps à la troisième et au moyen d'un nom propre. Pour s'en convaincre, on n'a qu'à prendre l'hypothèse de quelques modernes, qui ont voulu attribuer la rédaction des mémoires de voyage à Timothée, et à la mettre en regard du passage chap. XX, 4, 5, où il est dit: «De Macédonie en Asie, Paul était accompagné d'Aristarque, de Gaïus, de Timothée, de Tychique, de Trophime... ceux-ci prirent les devants et nous attendirent à Troade, tandis que nous ne quittâmes Philippes qu'après Pâques, pour les rejoindre» etc. Il est évident que le narrateur qui parle ici de ce qu'il a fait lui-même, se distingue des individus qu'il désigne nominativement.

Il conviendra donc de chercher en dehors des Actes, c'est-à-dire dans les Épîtres, le nom de l'inconnu que nous désirons découvrir. Sans doute, il serait possible qu'il ne s'y trouvât pas; car personne ne voudra affirmer que les Épîtres doivent contenir tous les renseignements personnels qui se rattachaient à la sphère de Paul, et dans l'occasion nous y voyons même apparaître des anonymes (2 Cor. VIII, 18, 22. Phil. IV, 3). Cependant la vraisemblance est pour la supposition contraire. Or, les Épîtres nous offrent surtout deux noms, sur lesquels notre attention devra se porter de préférence: Tite et Luc. On a songé à Tite, en faisant valoir, en sa faveur, certains arguments assez spécieux. Mais cette argumentation se heurte contre une difficulté insurmontable; c'est que Tite a joué un rôle très important aux conférences de Jérusalem (Gal. II, 1 suiv.), et que dans le récit des Actes relatif à ces conférences (chap. XV), non seulement Tite ne paraît pas sur la scène, ni directement, ni indirectement, mais qu'il n'y a pas même de place, pour lui et ce qui le concernait, dans le cadre des faits, tels que notre historien les présente. Il en résulte que, à moins d'accuser l'auteur d'avoir altéré les faits, il faut abandonner cette hypothèse. Reste donc Luc. Le peu que nous savons de lui (il n'est nommé que dans trois passages des Épîtres), s'accorde bien avec les données des extraits des Mémoires insérés dans les Actes, notamment ces deux circonstances, qu'il se trouvait à Césarée avec Paul, pendant la captivité de celui-ci, antérieurement au voyage de Rome (Col. IV, 14. Philém. 24), et ensuite à Rome, aussitôt après l'arrivée de l'apôtre, à un moment où celui-ci se plaignait de son isolement (2 Tim. IV, 11). Or, l'auteur des Mémoires était de ce voyage de Rome (Actes XXVII, 1 suiv.). D'après cela, on peut dire que, si la tradition devait ne pas se fonder sur des données positives, mais n'être qu'une combinaison savante, celle-ci serait bien l’une des hypothèses les plus plausibles qu'on ait faites au sujet des nombreux problèmes que l'histoire de la littérature apostolique soumet à la sagacité des critiques. Nous devons ajouter cependant, que l'authenticité des Épîtres que nous venons de citer, a été contestée et qu'il faudra d'abord l'établir à son tour, pour en faire valoir le témoignage.

Le nom de Luc doit être d'origine latine. Sa forme grecque Loukas se compose de trois éléments: le fond latin, conservé dans la forme française, doit être considéré comme une abréviation d'un nom plus long (Lucianus, Lucilius, etc.); puis il y a la terminaison aramaïque â, et la terminaison grecque s. Cette manie de tronquer les noms étrangers et de leur donner une désinence orientale, laquelle à son tour s'accommodait au grec, était très répandue à cette époque, et l'on en trouve de nombreux exemples dans le Nouveau Testament (Noms d'origine latine: Silas (Sylvanus), Amplias, Rom. XVI, 8 (Ampliatus), Iunias.. Rom. XVI, 7 (Iunianus); grecs: Démas, Col. IV, 14, etc. (Démétrius), Epaphras, Col. I, 1, etc. (Epaphroditus), Hernias, Rom. XVI, 14 (Hermogenes), Olympas, Rom. XVI, 14 (Olympiodorus), Zénas. Tite III, 13 (Zénodotus), Apollos (Apollonius), etc.). D'après l'un des passages cités, il a été médecin; la légende en a fait un peintre d'Antioche. En rapprochant ensemble les deux passages Col. IV, 11 et 14, on a cru pouvoir établir qu'il était d'origine païenne. Voilà tout ce qu'on peut dire sur son compte.

Quant à l'époque de la composition de tout l'ouvrage, c'est-à-dire de l'Évangile et des Actes (les Mémoires de voyage pouvant être plus anciens), il a déjà été démontré (Histoire évangélique. Introduction, page 90 suiv.) qu'il faut aller au-delà de la destruction de Jérusalem, laquelle est positivement antérieure à la rédaction de l'Évangile. Et nous croyons avoir prouvé que le second livre n'a pas suivi immédiatement le premier. Mais c'est là tout ce qu'on peut établir avec certitude; en voulant aller plus loin, on s'engage dans le dédale des appréciations purement conjecturales et subjectives. Ceux qui prétendent pouvoir descendre jusqu'au règne de Trajan, ne se placent pas sur un terrain plus solide que ceux qui tiennent à ne pas dépasser l'année 80. Le texte ne fournit de données suffisantes ni pour l'une ni pour l'autre de ces opinions. Ce qui est relatif à la constitution de l'Église, ne nous force pas de songer au second siècle (I, 17 suiv. ; VIII, 14 suiv. ; XV, 28; XX, 17, 28). Mais l'image de Paul, comme nous l'avons montré plus haut, est déjà tellement décolorée, et les origines de l'Église se dessinent en général d'une manière si vague, qu'il ne sera pas hors de propos de se représenter le narrateur séparé des événements par un laps de temps assez considérable.


VII.

Nous terminerons par deux mots sur la valeur historique du livre des Actes. À plusieurs reprises déjà, nous avons été amené à effleurer cette question, en parlant du contenu de l'ouvrage et des sources que l'auteur a pu mettre à profit. Nous avons dù signaler des lacunes nombreuses dans son récit; nous avons fait entrevoir qu'il poursuivait un but spécial en choisissant et en exposant les faits, et que l'objectivité matérielle n'était pas son unique préoccupation; nous avons prouvé que le portrait de l'apôtre Paul, d'ailleurs le plus en évidence dans l'ensemble du tableau, est singulièrement effacé et en partie rendu méconnaissable, si tant est qu'on veuille le mettre en regard de celui que nous présentent les Épîtres. Nous pourrons ajouter que la relation des Actes est absolument insuffisante pour établir une chronologie tant soit peu certaine de l'histoire apostolique, tous les efforts des modernes à cet égard n'ayant abouti qu'à des combinaisons hypothétiques et hasardées; que le silence, sans doute involontaire, de l'historien nous fait perdre toutes les traces de l'œuvre de Jésus en Galilée, dont cependant les évangiles font le principal théâtre de son activité réformatrice, et qui, d'après une tradition non suspecte (Matth. XXVIII, 7, 10, 16. Marc XVI, 7), n'a point dû être privée de celle de ses disciples; enfin, que notre commentaire fera voir, relativement à plusieurs faits d'une certaine importance, comme la glossolalie, les scènes de la Pentecôte, la communauté des biens, l'organisation de l'Église primitive et ses rapports avec la synagogue, la position des partis dans le sein du judaïsme, etc., que le narrateur n'a pas été à même de se procurer des renseignements suffisants et assez positifs pour pouvoir nous donner à son tour un exposé net et lucide de tous ces faits, mais qu'au contraire son récit est devenu la source d'une série de méprises traditionnelles, et de conceptions plus ou moins incomplètes ou suspectes. Aussi bien la critique moderne a-t-elle formulé sur le compte de cet ouvrage un jugement de plus en plus défavorable, et notamment toutes les différences, réelles ou apparentes, explicites ou partielles, qu'on croyait remarquer entre sa relation et celle de Paul, sont devenues de nos jours autant de chefs d'accusation contre le livre des Actes. Il n'est guère besoin d'ajouter que les miracles racontés par l'auteur ne figurent pas au dernier rang de ces causes de suspicion, surtout en tant qu'il s'agit d'effets magiques attribués à des ombres ou à des vêtements, ou de ces miracles de punition si étranges par eux-mêmes, et si complètement étrangers à l'histoire évangélique.

Bien que nous ne voulions pas entreprendre de nier la réalité des imperfections signalées, nous croyons pourtant que le jugement qu'elles ont provoqué est peu équitable, et qu'on les a exagérées comme à plaisir pour justifier cette transition un peu brusque de l'ancienne appréciation louangeuse, dominée par les théories théologiques et scripturaires, à l'appréciation littéraire et critique de nos jours, qui tenait à constater son entière indépendance. Qu'il nous soit permis de présenter ici quelques considérations rapidement esquissées, qui, nous osons l'espérer, contrebalanceront jusqu'à un certain degré les reproches en question.

Tout d'abord, il nous semble injuste de demander à un narrateur du premier siècle d'employer, à l'égard des matériaux à rassembler, les procédés de recherche, de triage, d'examen, que nous sommes en droit d'exiger d'un historien du dix-neuvième. À ce prix, les plus illustres classiques n'échapperont guère à un arrêt de condamnation. Pour cela, il manquait aux écrivains de cette époque non seulement le goût et l'exemple de cette érudition patiente et circonspecte, sans laquelle nous ne concevons plus le véritable historien, mais les moyens mêmes d'y arriver, s'ils avaient pu la croire indispensable. Nous devons être très heureux et très reconnaissants, quand nous sommes à même de constater chez eux la bonne foi et la sincérité. Si de cette manière nous n'apprenons pas toujours exactement comment les choses se sont passées, du moins nous saurons comment l'opinion publique se les est représentées. Or, à cet égard, notre auteur n'a pas à craindre la comparaison avec ses contemporains. Ajoutons que là où il s'agit essentiellement de croyances, nous avons un intérêt majeur à connaître cette opinion. Il est vrai que notre historien est chrétien, et chrétien convaincu, par conséquent homme de parti, si l'on veut l'appeler ainsi. Mais à ce titre nous le sommes aussi, et nous reconnaissons que ce qu'il dit des adversaires du christianisme, le témoignage des siècles suivants le confirme de la manière la plus explicite. Ensuite son récit n'a qu'à gagner à être comparé à ce dédale de fables qui commencèrent bientôt après à se répandre dans la société chrétienne, et qui finirent par s'implanter si profondément dans l'imagination populaire, que la plupart d'entre elles sont encore aujourd'hui acceptées par la naïve crédulité des masses, ou par celle moins excusable de leurs conducteurs.

Quant à la chronologie, il y a lieu de rappeler qu'à défaut de documents officiels, qui n'existaient pas pour l'Église apostolique, et de journaux, que l'antiquité ne connaissait pas du tout, les auteurs des premiers siècles n'avaient aucun moyen sûr de l'établir, même approximativement. Les souvenirs personnels, auxquels on aurait pu en appeler, ne se trouvaient que très exceptionnellement à la disposition des écrivains, et du nôtre en particulier. Et comme les intérêts de l'Église se circonscrivaient dans une sphère très étroite, et ne se rattachaient guère aux événements dont avaient à s'occuper les historiens de l'empire, ce n'est que dans des cas très-rares que nous pouvons aujourd'hui trouver des points de repère au moyen du synchronisme de l'histoire politique. Des erreurs matérielles même, à l'égard de la succession chronologique des faits (chap. V, 36, 37), sont donc très-excusables, et n'affectent pas le fond du récit; et l'absence de précision, relativement à ce point particulier, tout en nous créant des embarras, est la chose la plus naturelle du monde.

Pour ce qui est du fond même de l'histoire apostolique, ce qui doit nous frapper le plus, c'est la sobriété de l'auteur en fait de détails. À y regarder de près, il ne nous donne que quelques scènes éparses pour toute la période antérieure à l'avènement de Paul. On est autorisé à en conclure qu'il ne subissait point encore l'influence de cette productivité malsaine qui envahit bientôt l'Église et à l'ascendant de laquelle les meilleurs auteurs des siècles suivants n'ont pas su se soustraire. Et s'il est permis de supposer que les scènes en question ont pu se colorer d'une manière un peu idéale en passant par le prisme de la tradition, elles ne trahissent pas cependant une incompatibilité absolue avec ce que la situation générale nous ferait attendre d'avance. Tout au contraire, il est facile de découvrir, sans que l'auteur les signale directement, des traits qui portent au plus haut point le cachet de la vérité historique, bien qu'à première vue ils aient de quoi nous surprendre. À titre d'exemple, nous citerons la place assignée dans les Actes aux Pharisiens et aux Sadducéens. Par les Évangiles, nous sommes conduits à mettre les deux partis sur la même ligne, en tant qu'il s'agit de leurs sentiments à l'égard du christianisme. Or ici, les premiers nous sont représentés comme favorables dans l'origine au mouvement chrétien, si bien qu'un bon nombre d'entre eux s'affilient à la communauté, tandis que la polémique incisive de Jésus devait sembler les en éloigner plus que qui que ce soit. Les Sadducéens seuls apparaissent comme les adversaires acharnés de la nouvelle secte. C'est que les discours du Seigneur les jugent, les uns et les autres, au point de vue religieux et moral, et ne se préoccupent point de leur position respective comme partis politiques, laquelle finit par amener chez eux une appréciation différente de faits qui leur laissaient entrevoir, à tort sans doute, des complications redoutées par les uns, désirées par les autres. L'auteur des Actes, sans se rendre un compte bien exact de cette divergence, et tout en croyant pouvoir la ramener à une simple question de théorie philosophique ou théologique (XXVI. 8), nous a fourni les moyens de constater comme un fait ce qu'une étude approfondie de l'histoire nous devait faire pressentir comme une probabilité.

D'un autre côté, cette présence des Pharisiens au sein de la communauté, à laquelle nos conceptions traditionnelles s'attendaient si peu, jette aussi un jour nouveau sur les tendances générales de la primitive Église, sur ses convictions, ses pratiques pieuses, ses espérances; et nous nous apercevons facilement qu'à tous ces égards notre auteur nous fournit les éléments d'un tableau passablement différent de celui que naguère encore l'historiographie protestante aimait à en retracer. Car c'est bien aussi au moyen des textes des Actes, et non pas seulement de ceux de Paul, que la critique moderne est parvenue à découvrir le véritable état des choses, et à expliquer l'origine et la nature des luttes intérieures qui vinrent bientôt troubler l'harmonie de l'Église naissante. C'est la juxtaposition immédiate, dans le sein de cette Église, du judaïsme et de l'Évangile, qui hâte la manifestation de l'antagonisme naturel, de l'incompatibilité même des deux principes, et les données de l'historien, à cet égard, sont d'autant plus précieuses, qu'il ne paraît pas avoir bien nettement saisi la signification intime des faits dont il ne relate que les symptômes accidentels (chap. VI, X, XI, XV, etc.), et qu'il ne poursuit nullement le but de raconter, d'une manière pragmatique, les premières phases d'un conflit au milieu duquel il se trouvait encore placé lui-même et qui, à vrai dire, n'est pas encore arrivé à son terme à l'heure qu'il est.

Dans l'histoire de Paul, malgré les nombreuses lacunes que nous avons signalées, les points où les Actes se rencontrent avec les Épîtres, et où leurs récits se trouvent confirmés par le témoignage de celles-ci, sont plus nombreux encore (Voyez par exemple sur le pharisaïsme de Paul, Actes XXII, 3; XXIII, 6; XXVI, 5. Phil. Ill, 5; sur son fanatisme persécuteur, Actes VIII, 3; IX, 1, etc. 1 Cor. XV, 9. Gal. I, 23; sur sa mission spéciale, Actes IX, 15; XXII, 21, etc. Rom. 1,5; XI, 13. Gal. I, 16; sur ses premières prédications, Actes et Gal., 1. c. Comp, encore chap. XIII, 50; XIV, 1, 19, avec 2 Tim. Ill, 11; chap. IX, 23, avec 2 Cor. XI, 32; chap. XV, 30, avec Gal. II, 11; chap. XVI, 19, avec 1 Thess. II, 2; chap. XVIII, 3; XX, 34, avec 1 Thess. II, 9; 2 Thess. III, 8; 1 Cor. IV, 12; IX, 12.), et cet accord est d'autant plus significatif, qu'il ne porte nulle part le cachet de la dépendance, et que dans certains cas on ne le retrouve pas à la surface même du récit. Si à l'égard de quelques faits spéciaux, la critique a rencontré des difficultés pour le rétablir, ou si elle est même disposée à abandonner cette tâche comme irréalisable (Par exemple en ce qui concerne la conférence de Jérusalem.), en revanche celle-ci est bien facile relativement à des choses très-essentielles. Ainsi l'apôtre parle de sa conversion en des termes (1 Cor. IX, 1; XV, 8. Gal. I, 16.) qui écartent du récit de l'auteur des Actes le soupçon de s'être laissé imposer une légende d'origine suspecte. Il en est de même de ce que celui-ci dit des visions de Paul (Chap. XXII, 17, etc. Comp. 2 Cor. XII, 1.). Quelle que soit l'idée que la science théologique ou psychologique de nos jours puisse ou veuille se faire de ces événements et d'autres pareils, toujours est-il qu'à leur sujet l'accord entre le héros de l'histoire et son biographe met à couvert la responsabilité de celui-ci, tous les deux se plaçant au même point de vue. Quand les Actes, dans l'exposé des voyages de Paul, le conduisent presque partout d'abord, et pour ainsi dire de préférence, dans les synagogues des Juifs, et en seconde ligne seulement dans un milieu étranger, ce fait, en apparence en contradiction avec sa mission auprès des peuples païens, sur laquelle il aime à mettre l'accent quand il vient à parler de ses travaux, est amplement confirmé par la théorie même qu'il s'est faite sur la destination de l'Évangile. C'est au Juif d'abord (Rom. I. 16; IX, 4 suiv.), mais non moins au païen, que s'adresse la nouvelle révélation, et il ne fait que suivre la direction providentielle en allant offrir en premier lieu à ses frères et coreligionnaires la parole du salut qui leur était promise d'avance. Son devoir à l'égard d'un cercle moins restreint ne commencera que lorsque l'accomplissement du premier lui aura été rendu impossible. Du reste, à défaut du principe théorique, les conditions matérielles de la prédication apostolique recommandaient et nécessitaient un pareil procédé: la synagogue seule offrait aux missionnaires, avec la chaire et l'auditoire, les moyens de se faire comprendre (Actes XVII, 22; XXVI, 24.), et en même temps l'occasion d'entrer en relation avec la partie saine de la société grecque (Actes XIII, 43; XVII, 4, etc.).

Ainsi, de tout ce qui a été dit dans cette introduction, nous croyons pouvoir inférer que la valeur de notre livre, considéré comme source de l'histoire, n'est pas aussi petite qu'il a plu à plusieurs auteurs contemporains de le prétendre. Nous nous réservons d'ailleurs de corroborer notre jugement par l'analyse des détails dans le cours du commentaire, partout où l'occasion s'en présentera.


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