Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE

RUTH CLARK

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née en 1741, morte en 1807.


La notice qu’on va lire concerne une pauvre servante, mais une servante affranchie par l’Esprit du Seigneur. Quel est le disciple de Christ, qui dédaignerait l’histoire d’une âme où Christ lui-même a daigné habiter?

Ruth Clark naquit de parents indigents, dans le comté d’York. Elle était encore en bas âge lorsqu’elle perdit son père, et, quelques années après, elle entra comme domestique dans la maison du vénérable pasteur Henry Venn, l'un des chrétiens et des théologiens les plus distingués de l’Église anglicane dans le dernier siècle.


UNE ANECDOTE SUR HENRY VENN.


Un jour M. Venn, pasteur en Angleterre, et auteur de plusieurs ouvrages de piété fort estimés, annonça à ses enfants qu’il leur montrerait le même soir l’un des plus beaux spectacles qui fussent dans le monde.

Les enfants demandèrent avec empressement ce que c’était, mais il refusa de satisfaire d’avance leur curiosité. Le soir, il les conduisit vers une pauvre chaumière, dont l’aspect délabré indiquait un extrême degré d’indigence. Quand ils y furent entrés, ils virent sur une misérable botte de paille un jeune homme rongé de la fièvre et couvert de neuf ulcères.

Quelle affreuse situation! s’écrièrent les enfants, et ils se regardaient l’un l’autre pour se demander ce qu’était devenue la promesse de leur père.

Abraham Midnood, dit le père en s'adressant au jeune homme, j’ai conduit ici mes enfants pour leur faire voir qu’on peut être heureux dans la position la plus malheureuse en apparence.

Oui, répondit le malade avec un doux sourire, oui, je suis heureux; je

ne changerais pas mon sort contre celui de l'homme le plus élevé, le plus riche du monde, qui ne connaîtrait pas l’Évangile.

J'ai la ferme espérance d'aller là où est Lazare, et où il a depuis longtemps oublié toutes les souffrances de sa vie.

Je bénis le Seigneur de m’avoir placé dans cette condition, puisqu'il m'a comblé en même temps de tous les biens qui sont en Christ!

Voilà, mes enfants, poursuivit le pasteur Venn, ce que je vous avais promis; l’un des plus beaux spectacles qui soient au monde!

Cette scène et ces paroles produisirent dans leur cœur une impression qui ne s'en effaça jamais.


Jusque-là Ruth Clark n’avait jamais sérieusement pensé à l'état de son âme. Elle estimait que le culte de famille cause une grande perte de temps, et n’y assistait que d’une manière extérieure et par forme; pendant les prières elle comptait les fleurs de la tapisserie ou les carreaux du parquet.

Mais une scène émouvante devint pour elle un moyen de sérieuses réflexions.

La femme du pasteur fut emportée dans le tombeau à la fleur de l'âge. Sur son lit de mort, elle adressa de solennelles exhortations à Ruth, lui disant:

«Que deviendrais-je aujourd’hui, si je ne connaissais pas un Sauveur?

Occupez-vous, avant toutes choses, à vous préparer à la mort, et ne vous jouez pas plus longtemps de votre âme et de l’éternité

Ruth prit la résolution de vivre d’une vie nouvelle; mais au lieu d’aller confesser humblement ses péchés devant la croix de Christ et d’implorer le secours d’en haut, elle s’appuya sur elle-même, sur ses bonnes intentions, et ne tarda pas à retomber.

Toutefois M. Venn, qui ne connaissait pas de plus sainte obligation ni de plus doux privilège que de travailler au salut des âmes, avait remarqué l’état sérieux de Ruth Clark, et il ne négligea rien pour le développer sous la bénédiction de Dieu.

Un de ses amis le pressait devenir passer quelques semaines auprès de lui, espérant que le changement de scène et d’air contribuerait à rétablir sa santé après la terrible épreuve de la perte de sa femme; mais M. Venn répondit qu’il ne pouvait accepter cette invitation, parce qu’il avait observé quelques signes de conversion chrétienne chez deux de ses domestiques, et qu’il craignait que la suspension des prières de famille n'arrêtât ces petits commencements.

Sa conduite et son exemple servaient puissamment à convaincre ceux qui l’entouraient, du bonheur qu'il y a de se consacrer à Dieu de toute son âme. Ses domestiques l’entendaient habituellement chanter des hymnes quatre heures du matin, avant qu'il fût levé, et lorsqu’il entrait dans son cabinet, vers cinq heures, son visage, de même que le visage de saint Étienne, «paraissait semblable à celui d’un ange» tant il était serein et portait l’empreinte d’une heureuse paix!

M Venn parla souvent à Ruth de son état spirituel; mais elle l’écoutait avec froideur, quelquefois même avec une sorte de mécontentement, parce qu’il la jugeait pire qu’elle ne croyait être. Voyant cela, le pieux pasteur cessa de l’entretenir sur ce sujet. Mais Ruth Clark n’en fut pas moins troublée, et sentit même plus de détresse intérieure, parce qu’elle craignait que son maître n’eût abandonné tout espoir de la convertir.

Durant cette période de combats, elle éprouva de nombreuses alternatives d’abattement et de ferveur, de joie et d’angoisse.

Tel jour, elle pensait que tout était bien dans son âme; tel autre jour, elle ne trouvait au-dedans d’elle que ténèbres, tristesse, répugnance à prier. Elle sentait qu’elle devait se donner entièrement à Dieu, mais la résolution et la force lui manquaient.

Enfin, elle entendit un discours qui lui fit comprendre la grande folie et le crime de renvoyer l’œuvre de sa conversion, et depuis ce moment, elle se tourna sans réserve du coté de Dieu. Le Seigneur daigna la bénir, aussitôt qu’elle ne se proposa plus de servir d’autre maître que lui; et dès lors, en effet, elle avança de jour en jour dans la connaissance de la vérité et la pratique des bonnes œuvres.

Ruth Clark avait un caractère naturellement violent, et elle dut employer plusieurs années de vigilance et d’efforts, avant de pouvoir le soumettre complètement; mais elle y réussit tellement par la grâce de Dieu, que des personnes qui vécurent plus tard auprès d'elle ne soupçonnaient pas même qu’elle eut été autrefois esclave de passions violentes et emportées.

Avant d’avoir obtenu ce triomphe, elle était jetée hors d’elle-même par la moindre provocation, ce qui lui causait ensuite beaucoup de remords et lui inspirait de ferventes prières.

Elle acquit, dans ce temps-là, une nouvelle preuve de la salutaire influence d’un maître chrétien, qui s’intéresse à la conversion de ses serviteurs. M. Venn ne s’appliquait pas seulement à instruire sa maison sur les vérités de l’Évangile et à lui offrir un bon exemple, mais il se montrait fidèle à reprendre chacun de son péché, dans les choses mêmes qui ne regardaient pas le service du ménage, et les devoirs intérieurs.

Il pensait qu’un maître est tenu de veiller sur les mœurs et les sentiments de ses domestiques, aussi bien que sur ceux de ses enfants, et la mauvaise conduite d’un serviteur l'affligeait comme un malheur de famille, en sorte qu’il en faisait l’objet d'une humiliation générale pour toute la maison.

En voici un exemple.

Il s’éleva un jour dans la cuisine une violente querelle entre Ruth et une autre servante. M. Venn l’entendit et accourut, portant sur sa figure l'expression d’une amère tristesse, comme s’il eût éprouvé une grande calamité personnelle.

Après avoir sérieusement averti ses domestiques de leur faute, il leur dit que les prières de famille seraient une moquerie, tant que l’on commettrait de pareils scandales, et qu’ils devaient s’humilier tous devant Dieu en particulier, avant de reprendre leurs exercices religieux accoutumés.

Le culte domestique fut donc interrompu pendant une semaine, et toute la conduite et les discours de M. Venn, durant cet intervalle, annonçaient une profonde humiliation; il employa deux jours, entièrement seul dans son cabinet, à jeûner et à prier.


On comprendra aisément que l’impression produite par cette manière d’agir dût être vive et solennelle. M. Venn ne négligeait, en aucune occasion, d’imprimer dans son esprit et dans celui de ses serviteurs un sentiment profond de la laideur du péché, et de leur enseigner qu’il est nécessaire, pour tous ceux qui invoquent le nom de Christ, de s’abstenir de l'iniquité.

Une autre fois, comme Ruth s’était encore livrée à la violence de son caractère, M. Venn lui dit, entre autres choses, que de telles fautes rendaient suspecte la sincérité de sa foi.

Ces paroles lui causèrent une grande agitation; elle se retira dans sa chambre, et se prosterna devant le Seigneur, l’âme remplie d’angoisse. Bien qu’elle connût la sincérité et la droiture de ses croyances religieuses, le jugement d’un maître si respecté lui inspirait les craintes les plus sérieuses. Admirable et salutaire influence d’un chrétien qui rend témoignage à ses serviteurs par son exemple et sa fidélité!

Nous avons déjà dit que Ruth Clark était parvenue à surmonter la violence de son caractère. À mesure qu’elle croissait dans la foi, elle croissait aussi dans la pratique des vertus chrétiennes. Elle était diligente, active, honnête et fidèle dans les plus petites choses, pleine de réserve et de modestie à l’égard de ses supérieurs. Elle accomplissait à la lettre ce précepte de l’apôtre:

«Que ceux qui ont des fidèles pour maîtres ne les méprisent point, sous prétexte qu’ils sont leurs frères; mais qu’ils les servent d’autant mieux, par cela même qu’ils sont fidèles, chéris de Dieu, et qu’ils ont soin de leur faire du bien.» (1 Tim. 6, 2.)

Ruth avait de nombreuses occupations, mais elle trouvait toujours quelques moments pour prier et pour lire la bible. Elle portait constamment sur elle un livre de cantiques, et tenait une Bible à portée de son lieu de travail, ce qui lui permettait d’employer le moindre instant de relâche qu’elle pouvait obtenir.

Sa charité envers les membres de sa propre famille ne se refroidit point pendant plus de trente ans, quoiqu’elle fût souvent suivie de tristes mécomptes.

Ruth envoyait régulièrement des livres de religion et des lettres pieuses à ses frères, ses sœurs et leurs enfants, et elle accompagnait ces envois de quelques petits cadeaux; car, disait-elle, si je ne leur envoyais que des choses qui concernent la religion, ils pourraient en prendre du dégoût; mais les autres cadeaux me concilieront leur attachement, et s’ils aiment ma personne, ils aimeront peut-être aussi mes paroles.

Un de ses frères mourut, en laissant quatre enfants destitués de toute ressource temporelle. Ruth envoya aussitôt jusqu’au dernier liard qu’elle possédait au monde, et les fit entrer dans une maison de travail, en prenant des engagements qui égalaient la totalité de ses gages.

On lui représenta qu’elle devait penser à elle-même et aux besoins de ses vieux jours. Voici sa réponse qui mérite d'être conservée:

«Je ne pense pas que ce soit un devoir d’économiser quelque chose pour mon avenir, tandis que ces enfants souffrent dans le moment présent; d’ailleurs, si Dieu est une portion suffisante pour les anges, ne suffira-t-il pas toujours à mes besoins?»

Ruth Clark s’intéressait vivement au bien-être spirituel comme au bien-être temporel des membres du troupeau. C’était la coutume de M. Venn d’inviter ses paroissiens à prendre part au culte domestique qui se tenait dans sa maison, et Ruth n’éprouvait pas de joie plus douce et plus pure que lorsqu’elle voyait le presbytère tout rempli de gens du peuple, bien que cette affluence augmentât beaucoup ses travaux de chaque jour.

On aura peu de peine à croire que M. Venn appréciait et estimait à un haut prix une servante comme Ruth Clark. Il exprimait fréquemment ses actions de grâces à Dieu pour le privilège qui lui avait donné de la posséder dans sa famille.

Passant un jour près d’elle, tandis qu’elle était occupée à un rude travail, avec les vêtements convenables dans ce moment, il dit à ses filles:

«Oh! quel changement se fera un jour dans la personne de Ruth, lorsqu’au lieu de ces habits grossiers, elle portera un glorieux vêtement de lumière, et que ses occupations serviles seront remplacées par le cantique de l’Agneau qu’elle chantera jour et nuit dans le temple de Dieu.»


Il disait dans une autre occasion:

«Mes enfants, Ruth Clark est aujourd’hui ma servante, mais si votre père a le bonheur de se trouver à ses pieds dans le grand jour du jugement, sa place ne sera pas la moindre parmi les élus.»

De son côté, Ruth honorait et respectait son maître, comme le meilleur ami et le plus grand bienfaiteur qu'elle eût sur la terre, et comme l'instrument de sa conversion à l’Évangile.

Pendant la vie de M. Venn, elle n’osait pas le louer, parce qu’elle craignait de lui déplaire par ses éloges; mais après qu’il eût été rappelé de Dieu, elle s’entretenait constamment de lui, et disait:

«Quand je monterai au ciel, je chercherai d’abord mon Sauveur; car sans lui il n’y aurait pas de ciel; mais ensuite j’irai chercher mou bien-aimé et honoré maître!»

Elle resta au service de M. Venn jusqu’à la mort de ce vénérable pasteur, c’est-à-dire pendant plus de trente ans. Elle fut placée alors, par les soins de la famille de M. Venn, dans une agréable et riante maison du village, et quand elle prit possession de son logement, elle s’écria:

«Je savais que le Seigneur pourvoirait à mes besoins; je n’ai jamais eu de craintes ni d’inquiétudes à cet égard, mais je n’attendais pas autant de sa bonté.»

Elle vécut, depuis cette époque, dans la retraite, mais non dans l'oisiveté. Beaucoup d'enfants se rassemblaient autour d’elle, pour l'entendre raconter des histoires de la Bible, ou répéter des chants religieux.

Elle aimait aussi à réunir des personnes plus âgées, afin de les entretenir des souffrances du Sauveur, de son sacrifice expiatoire et des promesses qui sont faites à ceux qui croient en lui.

Elle fréquentait la famille de son ancien maître, et savait conserver dans ses relations la dignité humble et affectueuse qui accompagne la vraie piété. Tous les membres de la famille la traitaient avec respect, et les plus jeunes d’entre eux bénissent encore sa mémoire, bien que vingt-huit ans se soient écoulés depuis sa mort.


Au printemps de l’année 1807, elle fut attaquée d’une maladie dangereuse, ayant été blessée par un cheval pendant qu’elle marchait sur la voie publique.

Ses dernières heures furent paisibles. Elle était sans cesse en prières, et comme la femme du fils de M. Venn, qui était également pasteur, lui exprimait le désir qu’elle priât pour ses sœurs et pour elle:

«Oh! oui, Madame, répondit Ruth Clark; mais je prie surtout pour M. Venn; car en priant pour lui, je prie pour les âmes qui lui sont confiées.»

Elle dit encore:

Je ne sens pas cette grande joie, ces ravissements que j’ai quelquefois éprouvés; c’est une œuvre difficile que de mourir, mais j’espère que le Seigneur me soutiendra.

Votre esprit est-il agité de quelques doutes? reprit la dame.

Oh non, répondit Ruth, non; Celui qui m’a aimée pendant toute ma vie ne m’abandonne pas maintenant; je n’ai pas des transports de joie, mais je n’ai pas non plus de doutes ni de craintes.


Elle mourut au mois de mai 1807, âgée de soixante-six ans, et fut ensevelie à coté de son cher et vénérable maître. Alors tout se termina pour elle dans le monde, mais son âme affranchie est entrée dans une nouvelle carrière où ne subsistent plus les distinctions de rang, de science et de fortune.

Elle s’est présentée devant Dieu qui n’a point égard à l’apparence des personnes, mais qui rend à chacun selon ses œuvres, et elle a sans doute entendu ces douces paroles:


«Cela est bien, bon et fidèle serviteur;

parce que lu as été fidèle en peu de choses,

je t’établirai sur beaucoup de choses;

entre dans la joie de ton Seigneur.»


Ici-bas, elle a glorifié Dieu dans son humble condition, et maintenant elle est réunie aux saints qui l’avaient précédée dans la demeure des rachetés de Jésus-Christ.

Archives du christianisme 1835 07 11


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