Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE

Rowland HILL


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Le dix-huitième siècle a eu sa réforme religieuse comme le seizième, réforme moins célèbre dans l’histoire, mais non moins intéressante pour le chrétien. Une révolution sensible dans l’ordre social n’en fut pas à la vérité le résultat, mais un nouveau retour aux doctrines fondamentales de la Bible, un profond réveil de la vie religieuse signaleront à jamais cette époque comme l’une des plus mémorables dans les annales de l’Église.

De même que la réforme du catholicisme, bien qu’ayant pris naissance en Allemagne étendit son influence sur la face entière de l'Europe, et l’on peut dire du monde, de même la réforme du protestantisme, après avoir eu son siège principal en Angleterre, s’est répandue de proche en proche, de contrée en contrée, et semble avoir imprimé au prosélytisme chrétien une impulsion qui ne s’arrêtera qu’aux limites de la grande famille humaine.

Enfin, dans l’un et l’autre de ces deux grands événements religieux, on peut distinguer également la manifestation extraordinaire de la grâce divine, l'œuvre évidente du Saint-Esprit, et la variété des instruments dont s'est servi l'Éternel.

Il est instructif et intéressant pour nous de considérer quel était l’état de l’Angleterre vers le commencement du siècle dernier, de comparer cet état avec l’aspect religieux que ce pays offre aujourd’hui, et de reporter ensuite nos regards sur le sol, encore enveloppé de ténèbres, de notre chère patrie, animés de la pensée que Dieu peut faire aussi pour nous ce qu’il a déjà accompli ailleurs dans des conditions morales analogues.

Quelqu’un a pu dire en effet que les Anglais formaient alors le peuple le plus irréligieux de la terre. Un véritable paganisme régnait dans ce pays, et on ne découvrit bien toute l’étendue de la corruption et de l'ignorance des populations que lorsque la voix puissante des nouveaux réformateurs vint réveiller de toutes parts un esprit d'hostilité, moins sanguinaire, il est vrai, mais presque aussi forcené que l'opposition soulevée autrefois par les accents des apôtres.

On eut dit qu’il s’agissait d'une nouvelle religion, tant les doctrines vitales de l’Évangile, bien qu’écrites dans les liturgies et dans les confessions de foi, avaient été ensevelies sous l’oubli et le mépris, tant les maximes d’une morale desséchée et impuissante avaient supplanté la prédication de la croix et de la bonne nouvelle!

Je ne crois pas qu’il y ait un chrétien qui puisse contempler la carrière des Whitfield, des Wesley et de quelques autres de leurs contemporains, qui puisse se rappeler leurs travaux, leur dévouement et leurs souffrances, sans que son cœur batte aussitôt d’une vive émotion.

Je ne sais s’il peut y avoir sur la terre un spectacle plus grand et d’un plus puissant intérêt que la vue de cette lutte des ténèbres avec la lumière, de la vérité éternelle avec la corruption de l’homme, de la grâce de Dieu avec l'endurcissement des cœurs.

L’effet de la Parole fut merveilleux; elle tomba au milieu de la multitude, l'éveillant et convertissant des milliers d’âmes, et le pays, traversé dans tous les sens par les messagers de l’Évangile, changea complètement de face en quelques années.

Mais à la génération de ces hommes qui furent dans les mains de Dieu les premiers instruments de ce grand réveil, succéda une autre génération de serviteurs fidèles auxquels fut dévolu le soin de continuer et d'étendre le mouvement religieux commencé, et c’est la que Rowland Hill, le sujet de cette notice, se présente au premier rang.


L’histoire de sa vie est surtout remarquable comme un exemple des travaux extraordinaires et des épreuves de la carrière qu’il fournit, et c’est à ce titre surtout et comme aperçu de la réforme spirituelle de tout un peuple que nous l'offrons à nos lecteurs.


* * *


Rowland Hill était le fils d’un riche baronnet du même nom, deux fois élu membre du parlement, et shériff du Shropshire. Il naquit en 1745.

À l'âge d’environ seize ans, il fut envoyé au célèbre établissement d’éducation d’Eton, et ce fut là qu’il reçut ses premières impressions religieuses. Son frère aîné Richard, homme de loi et de zèle, et les avis d'une sœur pieuse devinrent les instruments de sa conversion, à cet âge encore tendre, et lui-même à son tour paraît être devenu dès lors un moyen de bénédiction pour quelques-uns de ses camarades.

Dès lors, aussi, ses convictions rencontrèrent une grande opposition de la part de ses parents, et il commença à faire l’apprentissage des railleries et du mépris. Mais ce fut bien pis encore lorsqu’il passa d’Eton à Cambridge, où il devait achever ses études pour obtenir ensuite un bénéfice dans l'église anglicane.

Son zèle, en effet, ne lui permit pas de rester indifférent au milieu des scènes de vice et de misère spirituelle qu’il avait sous les yeux; il se mit donc à visiter les prisons et le lit des malades, et bientôt après, non content de l’influence qu’il avait acquise sur un petit nombre des étudiants qui l’entouraient, et impatient d’exercer des moyens d’action plus étendus et plus directs, il entreprit de prêcher la Parole de Dieu dans différents endroits de la ville et dans les villages environnants.

C’était plus qu’il n’en fallait pour attirer sur lui la haine et le dédain de la part de ses condisciples formalistes ou impies, et plus d’une fois on l’entendit rappeler dans la suite qu'il était devenu à cette époque un tel objet de mépris, par suite de ses sentiments religieux, que pas un individu dans le collège n’avait pour lui un sourire d’affection, si ce n’est un vieux domestique qui cirait les souliers à la porte et dont le cœur était plein de l’amour de Christ.


Mais ni les censures de ses supérieurs, ni les insultes de la populace ne purent arrêter le jeune prédicateur dans une carrière qu’il considérait connue celle du devoir.

Les bénédictions qui reposaient sur ses travaux et les encouragements de Whitfield l'animèrent, au contraire, de plus en plus à saisir toutes les occasions de témoigner pour Jésus et de réveiller les âmes.

Un journal qu’il tenait alors nous le montre prêchant jusqu’à quatre fois dans une semaine. Pendant les vacances, les environs de la résidence de son père devenaient la scène de ses travaux. Il eut la joie vers ce temps-là de voir son frère Richard devenir évangéliste à son tour, de voir un autre de ses frères se convertir au Seigneur, et plusieurs de ses amis d’université se joindre à lui dans les liens d’une intimité chrétienne et d’une pieuse association.

Des événements analogues se passaient aussi à Oxford, avec cette différence cependant que les autorités universitaires, irritées contre des individus dont les principes et la vie chrétienne condamnaient une routine et une orthodoxie mortes, expulsèrent six étudiants en 1718.

Cet événement fit grand bruit, mais ne découragea pas ces pieux jeunes gens dont l’ardeur provenait d’une sainte préoccupation des intérêts du règne de Dieu.


Rowland Hill quitta Cambridge à l'âge de vingt-quatre ans; mais le ministère irrégulier auquel il s’était voué avait prévenu contre lui, de sorte qu’il ne put obtenir la consécration qui lui manquait encore qu’après plusieurs années, avec beaucoup de peine et après le refus de six évêques; et quant aux ordres complets, dont cette consécration ne forme qu’une partie dans l'église anglicane, on ne consentit jamais à l’en revêtir.

Pénétré, malgré ces circonstances, de la nature du vrai sacerdoce chrétien, il n'en poursuivit pas moins le cours de ses travaux. Depuis l’époque de sa sortie de l’université jusqu’à celle de son mariage qui arriva en 1773, nous le trouvons prenant chaque année ses quartiers d’hiver pour ainsi dire, à Hawkstone, résidence de sir R. Hill, son père; puis, des le retour de la belle saison, rentrant de nouveau dans la lice, parcourant diverses parties de l’Angleterre et du pays de Galles, prêchant et évangélisant dans les églises et dans les maisons, dans les chapelles et dans les granges, et même en plein air, aucun local ne se trouvant quelquefois assez vaste pour contenir le nombre de ses auditeurs.

Cependant les difficultés se multipliaient sous ses pas. Le mécontentement de ses parents le remplissait d'amertume. L’hostilité croissait avec le succès. La foule l’accueillait quelquefois par le tumulte ou l’assiégeait de projectiles. Enfin la pauvreté faisait sentir ses atteintes au fils du noble et riche baronnet, au jeune athlète qui avait préféré l’opprobre de Christ aux bénéfices avantageux de l'Église et aux aises d’une vie honorée et paisible selon le monde.

On raconte que, dans la plupart de ses expéditions, il se servait d’un petit cheval dont on lui avait fait présent, et voyageait ainsi sans savoir quelquefois où il pourrait trouver un gîte le soir, pour lui-même et pour sa monture.

Il arrivait fréquemment, à la vérité, que son caractère et son message le faisaient accueillir avec joie par les frères qu’il rencontrait, mais d’autres fois il se trouvait réduit à de cruelles extrémités.

Un soir, en particulier, comme il revenait de Bristol, le prix du passage de la Saverne épuisa sa bourse au point de ne lui pas laisser l'argent suffisant pour défrayer le logement de la nuit. Épuisé de fatigue et de faim, il poursuivait son chemin à l’aventure. Dieu cependant ne l'abandonna pas, et lui fit trouver enfin l'hospitalité ainsi que les ressources nécessaires pour continuer son voyage.


L'anecdote suivante est trop caractéristique pour que nous la passions sous silence. Richard Hill, ainsi que nous l'axons vu, avait suivi l'exemple de son frère, non sans bénédiction pour les lieux qu'il parcourait. Les instances de son père l’avaient néanmoins engagé à y renoncer, lorsqu’une circonstance singulière lui fit reprendre son œuvre d’évangélisation.

Richard après s’être désisté lui-même, avait été envoyé par son père à Bristol pour essayer de ramener Rowland par son exemple. Arrivé à Bristol, il apprend que son frère est justement allé prêcher, non loin de là aux habitants de Kingswood, dont la population consistait principalement en individus employés dans les mines de houille.

Richard s’y rend aussitôt, et trouve en effet Rowland entouré d'une multitude de ces pauvres charbonniers, dont les joues noircies se sillonnaient de larmes à la voix solennelle du jeune prédicateur. Cependant ce dernier aperçoit son frère dans l’auditoire, et devinant aussitôt le motif de sa présence, profitant de l'émotion contagieuse dont il le voit atteint, il termine le service par l’annonce suivante: «Mon frère, Richard Hill, prêchera demain ici à la même heure.»

Richard, bien que pris par surprise, y consentit volontiers, et dès lors, au lieu de retourner à Hawkstone, il imita de nouveau les travaux de Rowland.


* * *


Quelques extraits feront mieux connaître la nature de ses travaux.

«Dimanche, 2 courant, porte le journal de Rowland Hill, est un jour dont je garderai le souvenir. Le matin j’ai expliqué le Psaume premier, à Putsham, devant quelques personnes pieuses; l'onction d’en haut a accompagné cette explication.

Après dîner, j’ai été à cheval à Watchet, où j’ai prêché sur la parabole de l’enfant prodigue, en plein air, avec force et liberté; l’auditoire, composé de plusieurs centaines de personnes, était fort attentif. Cette ville, grâce à Dieu, semble entièrement conquise.

De là, j’ai été à cheval à Dunster, ville de marché, où l’assemblée se montait à près de deux mille personnes. Quoique l’Évangile n’y eut encore été prêché que quatre fois, cependant le Seigneur, ayant dans sa bonté mis au cœur d’un des magistrats de punir les perturbateurs, l’opposition semble terminée. Il me fut donné de parler avec beaucoup de liberté sur le texte: «Il n’y a point de paix pour le méchant.»

L'attention la plus solennelle a régné. Ayant fini vers sept heures et un quart, et étant invité d’une manière pressante, je me suis rendu, après un peu de repos, à Minehead, accompagné de trois cents personnes, venues pour entendre la Parole de Dieu à Dunster, et pour m’engager à passer aussi chez eux. Un auditoire de deux mille âmes au moins fut aussitôt rassemblé. Tous, à l’exception de quelques individus des classes supérieures, montrèrent beaucoup d’attention, et parurent frappés de la majesté de la Parole. J'éprouvai là encore une grande liberté, et je pus répandre mon âmenie au dehors avec amour en leur expliquant Luc, XIV, 21.»

Dans le même temps, quelqu’un lui écrivait de Bristol:

«Je me rappelle souvent les moments de bénédiction que nous avons passés ensemble, lorsque la gloire du Seigneur resplendissait autour de nous, et que sa puissance fortifiait nos âmes. Avec quel plaisir je voyais alors la multitude attentive suspendue, pour ainsi dire, à vos lèvres. Oh! puissions-nous compter beaucoup de jours semblables, bien que le monde n’y voie que de l'enthousiasme, bien que certains chrétiens y reprennent de l’imprudence. Ces jours venaient de Dieu, car ils menaient à Dieu!»

Il est inutile de grossir davantage le récit de cette période de la vie de Rowland Hill. Disons seulement que Londres devint aussi vers ce temps un nouveau champ d'activité pour lui.

Du reste nous n’aurions qu’à revenir sans cesse sur des circonstances du même genre que celles que nous avons déjà vues, si ce n’est pourtant que cette carrière si pure et si dévouée commençait à attirer le respect des adversaires eux-mêmes.


Lorsqu’en 1773 notre prédicateur eut obtenu la consécration ecclésiastique, qui lui avait d’abord été refusée, il n'en continua pas moins d’agir sur le même plan que par le passé.

Seulement, s’étant marié à la même époque, Hawkstone ne tut plus sa résidence d’hiver, mais il partagea désormais l'année entre Londres et Wotton, village du Glocestershire, où il avait fixé sa demeure d’été, élevé une chapelle et rassemblé un troupeau.

Il ne paraît pas cependant avoir jamais beaucoup prolongé son séjour sur l’un ni l’autre de ces deux points, mais il s'attachait à parcourir les environs, à évangéliser les districts par lesquels il passait dans ses voyages, et entreprenait constamment de nouvelles expéditions dans presque toutes les parties de la Grande-Bretagne. Les fatigues qu’il eut à supporter, dans le cours d’une tournée, dans le Pays de Galles, en 1774, sont vraiment extraordinaires; prêchant au moins trois fois et dans l'occasion jusqu’à quatre fois par jour, il ne parlait cependant jamais moins d’une heure de suite.

Les populations le suivaient par milliers de lieu en lieu, rien ne pouvait refroidir leur empressement à l'entendre; et souvent, sous ce climat humide, l’auditoire demeurait, malgré la pluie, aussi immobile et aussi attentif que si le ciel eut été sans nuages.

Quant aux fruits de ces efforts, Rowland Hill recevait de tous côtés les nouvelles de l’impression salutaire et durable que sa prédication avait laissée.

La conversion de beaucoup d’âmes était partout le sceau que son œuvre recevait du ciel, et il ne lui en fallait pas davantage pour persévérer dans ce ministère irrégulier selon les hommes, mais efficace selon Dieu, et marcher en avant, fort de l’approbation du Maître au service duquel il était enrôlé. Il arrivait quelquefois aussi qu’on lui remettait en chaire le récit de diverses circonstances intéressantes dont il donnait alors lecture à haute voix. L’une de ces notes contenait ce qui suit:

«Cher Monsieur, je vous adresse ce qui suit pour votre encouragement, pour vous humilier aux pieds de Jésus et non pour vous enorgueillir. Un homme de peu de fortune avait épousé une jeune femme qui n’en avait pas beaucoup plus. En quelques années leur extravagance leur fit dépenser tout ce qu’ils avaient, ce qui poussa le mari à de telles extrémités qu’il devint la terreur de sa femme et de son beau-père; il résolut même de tuer ce dernier, et sortit réellement un dimanche de l'été dernier pour mettre à exécution cet horrible dessein.

Comme il passait par un des endroits où vous prêchiez en plein air, il s’arrêta pour vous écouter; il plut au Seigneur de le subjuguer par la Parole; elle pénétra jusqu’au plus profond de son âme, et le lion devint doux et paisible comme un agneau. Il reconnut sa méchanceté diabolique, son cœur de pierre devint un coeur de chair; il est maintenant le meilleur des maris, le meilleur des pères et le meilleur des gendres, et comme il avait été l’effroi du voisinage, tout le monde s’émerveilla d’un semblable changement.

Vous pouvez être assuré de l’authenticité de ce fait; le Seigneur vous anime donc à marcher en avant. Soyez revêtu d’humilité.»

D’un autre côté cependant, l'hostilité, bien qu’ayant diminué, subsistait encore.

Il fut une fois fortement engagé à ne pas aller à Richmond, village situé sur la Tamise, à peu de distance de Londres, quelques jeunes gens ayant loué un bateau et devant descendre la rivière, le joindre et le jeter à l’eau. On peut difficilement concevoir tout ce qu’il éprouva, lorsqu’il apprit que ce bateau avait chaviré et que les infortunés qui le montaient avaient tous été noyés.

Une autre fois la haine alla plus loin encore, et un misérable, qui ne fut jamais découvert, osa faire feu sur lui à travers une fenêtre de la chapelle où il prêchait. La balle passa près de lui sans l’atteindre.


Un événement important dans la vie de Rowland Hill, et, l’on peut dire, dans l’histoire du réveil religieux qui nous occupe, fut la construction du lieu de culte, si connu depuis sous le nom de Surry-Chapel.

Parmi les personnes que M. Hill avait contribué à amener à l’Évangile, et qui se sentaient particulièrement attachées à son ministère, il s’en trouva plusieurs qui, désirant consacrer une portion considérable de leurs biens temporels à la cause de Dieu, résolurent d'élever, à Londres, une vaste chapelle, où la Parole de vie serait dispensée aux âmes, à la fois avec cette fidélité et avec cet esprit de vraie catholicité (Universalité de vocation.), qui formaient les traits distinctifs du caractère de leur ami. Un vaste terrain, à cette époque marécageux et libre, aujourd'hui couvert de constructions et peuplé, se trouvait renfermé dans une partie de Londres dont la population dépravée n’avait aucune ressource religieuse.


Vers 1780, époque d'agitation politique et de tumulte, de nombreuses assemblées s’étaient réunies dans ces plaines, et Rowland Hill avait quelquefois saisi l’occasion de s'adresser à elles, annonçant ainsi la Parole à près de vingt mille personnes, et cela avec bénédiction pour un grand nombre.

Le lieu parut favorable au but que l’on se proposait, et les fonds nécessaires ayant été souscrits avec libéralité, la première pierre fut posée en février 1782 et l’ouverture de la chapelle eut lieu l’année suivante.

Notre prédicateur devait y remplir lui-même les fonctions de pasteur pendant les mois d'hiver, et durant le reste de l’année, pendant qu’il continuerait, comme par le passé, à parcourir diverses parties du pays, la chaire devait rester ouverte aux ministres de l’Évangile de toutes les dénominations, anglicans ou dissidents, nationaux ou séparés, sans qu’on leur demandât d'autre titre que leur attachement aux doctrines fondamentales du Christianisme.

La liturgie anglicane devait y être mise en usage; mais tous ceux dont l’esprit était assez éclairé et les sentiments assez larges, pour s’élever au-dessus des distinctions de sectes, de disciplines et de partis, sur le terrain commun de l’amour de Dieu et des âmes, étaient admis à annoncer Christel Christ crucifié dans l'enceinte du nouveau temple.

Chercher ainsi les affinités des chrétiens entre eux et insister sur les points capitaux autour desquels tous peuvent, tous doivent se réunir, tel fut toujours le soin de R. Hill. Sa vie fut en quelque sorte consacrée à réaliser ce principe, et à le faire triompher autant que possible, tout entier absorbé par la considération des intérêts éternels de ses semblables; il ne put jamais perdre cet objet de vue, pour s'occuper des divisions auxquelles donnent lieu les misères des chrétiens, encore plus que leur fidélité.

Serait-il vrai cependant que son espoir fut un rêve, que de semblables efforts soient nécessairement vains?

Hélas! il arrive souvent que l’aspect du monde chrétien nous amène, malgré nous, à cette douloureuse pensée, et nous oblige à lever les yeux vers un monde invisible, pour y rencontrer la seule unité véritable et réelle, la seule, peut-être, qui soit possible!

On sait du reste que la Société des Missions de Londres, fondée en 1795, la Société des Traités religieux fondée en 1799, et la Société biblique Britannique et Etrangère, en 1804, furent toutes basées sur ce même principe de catholicité (Universalité de vocation.)

Aussi Rowland Hill fut-il l’un des membres les plus zélés et des soutiens les plus ardents de ces différentes institutions.

Ce fut dans Surry-Chapel qu'eurent lieu les premières délibérations du comité de la Société des Missions de Londres, ainsi que les assemblées annuelles postérieures. Il en fut lui-même un des premiers directeurs, et son troupeau se distingua toujours par d’abondantes contributions à cette sainte cause.

Quant à la Société des Traités, il en présida originairement le comité, et composa plusieurs des petits ouvrages dont elle a imprimé et répandu un si grand nombre. Enfin lorsque les règlements de la Société Biblique furent attaqués et son existence compromise, il ne cessa de lui demeurer fidèle, et prit toujours la part la plus vive à son extension et a ses succès. C’est ainsi qu’il aida de tout son pouvoir à la formation et à la prospérité de ces admirables institutions qui, filles elles-mêmes du mouvement religieux de l’époque, devaient servir à le poursuivre, raffermir et l’étendre.

Plusieurs autres établissements utiles se rattachèrent à la fondation de Surry-Chapel. Un certain nombre des membres les plus pieux de son troupeau avaient entrepris la tâche de visiter à domicile les malades et les pauvres, afin de pouvoir les assister d’une manière plus efficace, et formaient ainsi une sorte de diaconat.

Treize écoles du Dimanche, contenant ensemble plus de trois mille enfants, en dépendaient aussi; ce fut même Rowland Hill qui introduisit le premier ces écoles à Londres.

Enfin, une école où vingt-quatre pauvres filles étaient vêtues et élevées gratuitement, une sorte d’hospice pour un nombre égal de pauvres femmes, et des sociétés de bienfaisance complétaient cet ensemble remarquable; il s’y trouvait jusqu’à un bureau de vaccination, et l'on rapporte que Rowland Hill lui-même, désireux d’étendre les bienfaits de cette opération, et de dissiper les préjuges à cet égard, vaccina de ses propres mains plus de dix mille enfants en quelques années.


Le voici donc maintenant à la tête d'un troupeau et revêtu des fonctions pastorales; mais nous avons vu la réserve qu’il avait cru devoir faire, afin de pouvoir continuer ces laborieux pèlerinages qui semblaient être sa vocation particulière.

Outre de nombreuses tournées en Angleterre même, il visita deux fois l'Irlande et trois fois l’Ecosse. À Edinburgh , l’édifice qui avait été loué exprès ne put contenir la foule avide de l’entendre, et il se vit obligé de rassembler son auditoire dans la campagne. Le site choisi se trouvait particulièrement favorable pour cet objet; un bassin naturel formait une espèce d’amphithéâtre dont les pentes se garnirent d’une multitude innombrable et silencieuse, tandis que le ministre du Seigneur, se tenant au milieu, annonçait d'une voix majestueuses sonore la bonne nouvelle de la rédemption.

Une autre fois ce fut dans un cimetière qu’il prêcha. À la vue de cette foule d’auditeurs qui se pressaient autour de lui, il s’écriait:

«Oh! quelle sagesse et quelle grâce ne sont pas requises pour être net du sang d'une semblable multitude, et pour lui déclarer tout le conseil de Dieu!»

À la fin de ce voyage il écrivait:

«Je viens de terminer une tournée de 1,200 milles, qui a duré neuf semaines, j’ai parlé dans la faiblesse à bien des milliers d'âmes, ayant été appelé à prêcher près de quatre-vingt fois, et tout cela s’est effectué sans accident, si ce n’est que j’ai été légèrement indisposé et que le cheval qui m’a servi dans tout ce voyage a été boiteux pendant quelques jours.»

L’érection d’une chapelle à Cheltenham, ville de dissipation et de beau monde, fut aussi une entreprise importante à laquelle il donna beaucoup de soins.


* * *


Rowland Hill était maintenant avancé en âge; les préjugés s’étaient dissipés, le mépris et les persécutions qu’il avait longtemps supportés avaient fait place à l’estime et à la vénération, et la comparaison des événements de sa jeunesse avec les scènes de ses derniers jours le remplissait d'émotion et de reconnaissance.

Toujours dévoué au service de son Maître, nous le voyons à l’âge de soixante et onze ans parcourir l'espace de cent milles et prêcher vingt et un sermons dans une semaine. La dispensation de la Parole de Dieu était pour lui un besoin de chaque jour.

À quatre-vingt-deux ans son ardeur et sa force semblaient à peine diminuées.

«Je n'oublierai jamais, écrit quelqu’un, la puissance avec laquelle il prêcha, vers cette époque, sur ces paroles: Je sais que mon Rédempteur est vivant. Plus je deviens vieux, dit-il, et plus je sens le besoin que j’ai du Sauveur, et la seule évidence que j’aie de ma part dans son salut, c’est son influence vitale sur mon cœur. Oh! quelle expression! Parce que je vis, vous vivrez aussi. Si Jésus vit dans nos cœurs par la foi, c’est alors, et alors seulement, que nous pouvons dire: Je sais que mon Rédempteur est vivant.»

En 1850, à l'âge de quatre-vingt-cinq ans, Rowland Hill fit encore une tournée dans le comté de Kent, prêchant activement. Mais, cette voix, puissante, cette voix si souvent et si longtemps bénie pour la conversion ou l'édification des âmes, allait bientôt s’éteindre dans la tombe.

Sa femme l'y précéda cependant, et lui fut enlevée après une union de cinquante-sept ans. Il supporta cette douloureuse épreuve avec résignation, et retrouva encore la force de travailler pour le Rédempteur qu’il aimait, «Hélas! disait-il, «un sermon le dimanche et une autre dans la semaine, c’est tout ce que je puis faire maintenant.»


Ce fut le dimanche, 31 mars 1855, à Page de quatre-vingt-huit ans, qu’il fit entendre pour la dernière fois le message de salut dont il était chargé. Le feu de la vie s'éteignait rapidement en lui.

Dans ces derniers et solennels moments ce vénérable serviteur de Dieu revenant sur les doctrines qu'il avait toujours professées:

«Si j’avais à revivre, dit-il, je prêcherais exactement les mêmes choses.»

Une autre fois on l’entendit se dire à lui-même «et L’œil n’a point vu, l'oreille n’a point entendu les choses que,Dieu prépare pour ceux qui l'aiment.»

Enfin, s’adressant à un ami qui se trouvait auprès de son lit de mort:

«J'estime chose solennelle que de mourir. Je n’ai point de transports de joie, mais j’ai la paix, une bonne espérance fondée sur la grâce; oui, tout par grâce. Christ, ajouta-t-il, est tout pour le mourant. Mais je voudrais être parfaitement saint, parfaitement semblable à mon cher Sauveur; sans la sainteté il n’y a pas d’entrée au ciel.»

Il expira le 11 avril 1855, et fut enterré sous la chaire même de Surry-Chapel, accompagnée des sanglots et des regrets d’une multitude qui avait perdu en lui un ami, un pasteur, un père.


* * *


Je ne sais si Rowland Hill fut ce que le monde appelle un grand prédicateur, mais je sais qu’il fut un prédicateur éminemment utile. Peu d'hommes probablement ont été en aussi grande bénédiction à leur pays, et ce fut par la prédication de la Parole qu’il agit sur ses semblables.

Son éloquence venait du cœur; son secret était là, parce qu’en effet, selon sa propre expression, partout la vie engendre la vie et la mort n'engendre que la mort.

«On m'appelle enthousiaste, s’écriait-il une fois, mais mes paroles sont des paroles de vérité et de sens rassis. Lorsque je vins pour la première fois dans cette partie du pays, je me promenais là-bas, sur une colline, et je vis une carrière de sable s'écrouler et engloutir trois ouvriers. Je me mis alors à crier si haut, que I'on m’entendit de la ville à la distance d’un mille; on accourut et l’on parvint à sauver deux des victimes.

Personne n'imagina alors de m’appeler enthousiaste; et quand je vois la perdition éternelle prête à fondre sur de pauvres pécheurs et à les engloutir dans un abîme de misère, m’appellera-t-on donc enthousiaste, parce que je leur crie d’échapper au danger qui les menace?»

C’est cette chaleur de conviction qui faisait dire au célèbre Shéridan: «Je vais entendre Rowland Hill, parce que ses pensées sortent brûlantes de son cœur.»

Un des sujets que Rowland Hill aimait le plus à traiter était l'union intime et inséparable de la justification et de la sanctification.

Il s’exprimait quelquefois ainsi:

«Dieu ne peut nous rendre heureux sans nous rendre saints, c’est pourquoi il sanctifie nécessairement ceux qu'il justifie. Il y en a beaucoup qui veulent bien être justifiés, mais qui ne désirent pas être sanctifiés. Quant à moi, je puis dire de la justification et de la sanctification ce que disait cet enfant à qui l'on demandait lequel il aimait le mieux, de son père ou de sa mère, et qui répondit, je les aime le mieux tous les deux.»

«Un chrétien,» disait-il un jour, comme absorbé dans cette pensée, «un chrétien est un homme qui a le Saint-Esprit dans son âme, qui est un temple du Dieu vivant! Nettoie-moi, Seigneur, afin que tu puisses demeurer en moi. Oh! quelle misérable idée de l'œuvre sublime et glorieuse de la grâce n’ont pas ceux qui réduisent toute la religion à un peu de moralité!»

Il faut, avant de finir, indiquer avec regret une chose qui contribua, jusqu’à un certain point, à la célébrité du prédicateur, mais qui diminua, sans doute, l'utilité de son ministère, nous voulons parler de l’habitude irrésistible qu’il avait de mêler des pensées singulières, des comparaisons étranges, des idées excentriques aux solennels accents qui conviennent seuls à la chaire chrétienne.

Du reste, sa voix se prêtait à tous les tons, et il savait parler tour à tour le langage le plus approprié aux malades sur un lit de mort, aux criminels dans les prisons, à de grossiers matelots dans les ports d’Angleterre, à de petits enfants dans les écoles du dimanche; il aimait particulièrement ces derniers, et composa pour eux des hymnes bien connues.

Dans l'histoire si pleine de la vie que nous venons de raconter, il faut voir plus que l'ouvrier, il faut y voir l’œuvre elle-même; puis remonter de cette œuvre à son auteur qui est Dieu.

Rowland Hill ne fut qu’un instrument dans ce vaste mouvement religieux dont nous voyons si distinctement aujourd’hui les effets.

Sans doute, il y eut dans ce travail spirituel d'une grande nation de l’écume et des scories, des choses à rejeter aussi bien que des choses à imiter; sans doute, nous devons faire une large part dans l’étude des faits, au caractère national, aux habitudes, aux institutions d’un pays qui n’est pas le nôtre. Mais si nous devons avoir l'intelligence des temps et des circonstances, nous devons aussi nous mettre chacun sur la conscience l’exemple de zèle et de foi qui nous a été donné.

O lecteurs! si nous désirons de grandes choses pour notre patrie, apprenons à nous donner d'abord entièrement à Christ, avec tout ce que nous sommes, tout ce que nous avons et tout ce que nous pouvons!

Archives du christianisme 1836 05 14


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