Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LIBERTÉ DES CULTES

Arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire

Des protestants de Montargis.

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La Cour de cassation a consacré son audience du 7 avril à l’affaire des protestants de Montargis. On remarquait dans l'assemblée nombreuse attirée par ces débats lord Brougham, qui a pris place auprès de M. le procureur général Dupin, beaucoup d’étrangers et de Français d’un rang élevé, plusieurs pasteurs de Paris et des départements, et une foule de protestants animés du vif désir de voir triompher la cause du libre exercice des cultes.

Après le rapport de M. le conseiller Bresson , Me Jules Delaborde a soutenu le bien jugé de l’arrêt de la Cour royale d’Orléans dans un plaidoyer qui a été inséré en partie dans le Semeur du 11 avril, et qui paraîtra en entier dans une brochure qui est sous presse.

Me Delaborde a abordé avec liberté toutes les questions que ce procès soulève. Il a parlé en chrétien et en bon citoyen. Jamais un tel langage, le langage de la foi religieuse et du droit, ne s’était fait entendre devant la Cour.

Lord Brougham, M. l’avocat général Hello, M. Dupin lui-même, ont adressé à l’avocat des félicitations sur sa plaidoirie. Les nombreux amis qui l’entouraient lui ont exprimé avec émotion tome leur gratitude.

M. le procureur général Dupin, oubliant qu'en 1830, dans l’affaire où pour la première fois il portait la parole devant la Cour de cassation, il soutint dans toute son étendue le principe de la liberté des cultes, en a au contraire recommandé l'asservissement.

La police des cultes n’est plus pour lui une simple surveillance; elle suppose aujourd’hui, à ses yeux, la domination du pouvoir. L’autorisation du gouvernement est nécessaire, à ce qu’il prétend, pour ouvrir un lieu de culte.

M. Dupin, dont le réquisitoire a paru, le 8 avril, dans la Gazette des Tribunaux, va plus loin: il faut être Français, selon lui, pour exercer le ministère en France; les consistoires et les pasteurs ne peuvent se faire remplacer ni par des laïques, ni même par des ministres non-salariés par l’État, etc., etc.

Ce système, s’il prévalait, n’aboutirait à rien moins qu’au bouleversement de tout ce qui existe dans nos églises, et qu’à une véritable servitude, au lieu de la liberté dont nous avons besoin. II est tellement faux, que M. Dupin n’a pu le soutenir jusqu’au bout, et que, malgré ses étranges arguments, il a conclu au rejet du pourvoi. Il résulte de là qu’après tout MM. Doine et Lemaire n’ont, à ses yeux, violé aucune loi, et que chacun peut, selon lui, faire ce qu’ils ont fait, pourvu que ce soit dans des circonstances analogues.

La Cour, après une discussion de deux heures et demie; a renvoyé la suite de son délibéré au jeudi 12 , et après y avoir encore consacré ce jour-là environ quatre heures, elle a rendu l’arrêt suivant:

«Ouï le rapport fait par M. le conseiller Bresson , les observations de Me Jules Delaborde , avocat, et les conclusions de M. le procureur général Dupin;

«Après en avoir délibéré;

«Attendu que la liberté religieuse, consacrée et garantie par l’article 5 de la Charte constitutionnelle, n’exclut ni la surveillance de l’autorité publique sur les réunions qui ont pour objet l’exercice de cultes, ni les mesures de police et de sûreté sans lesquelles cette surveillance ne pourrait être efficace;

«Que les dispositions de cet article ne se concilient pas moins avec la nécessité d’obtenir l’autorisation du Gouvernement dans les cas prévus par l’article 291 du Code pénal qui se rapportent aux choses religieuses;

«Qu’en effet, l’ordre et la paix publics pourraient être compromis, si des associations particulières, formées au sein des différentes religions, ou prenant la religion pour prétexte, pouvaient, sans la permission du Gouvernement, dresser une chaire ou élever un autel, partout et hors de l’enceinte des édifices consacrés au culte;

«Que les articles organiques du concordat du 18 germinal an X ne permettent pas qu’aucune partie du territoire français puisse être érigée en cure ou en succursale, qu’aucune chapelle domestique, aucun oratoire particulier, soient établis sans une autorisation expresse du Gouvernement;

«Que le libre exercice de la religion, professée par la majorité des français, doit se renfermer dans ces limites; qu’il est soumis à ces restrictions; que les articles organiques du culte protestant les reproduisent sous les formes appropriées à ce culte, et que les articles 291 et 294 du Code pénal ne contiennent que des dispositions analogues;

«Que la loi du 7 vendémiaire an IV, inconciliable dans la plupart de ses dispositions avec celle de germinal an X relative à l'organisation des cultes, et statuant sur des matières qui ont été depuis réglées par la section 3, la section 4, paragraphe 8, et la section 7 du chapitre III, titre 1er, livre 3 du Code pénal, se trouve aux termes de l'article 481 nécessairement abrogée;

«Qu’au surplus cette surveillance et cette intervention de l'autorité publique ne doivent point être séparées de la protection promise à tous les cultes en général, que cette protection est aussi une garantie d'ordre public, mais qu'elle ne peut être réclamée que par les cultes reconnus et publiquement exercés;

«Que l’abrogation virtuelle des articles 291 et suivants du Code pénal ne peut donc s’induire ni de l’article 5 ni de l’article 70 de la Charte de 1830;

«Que loin de là, et depuis sa promulgation, ils ont reçu une sanction nouvelle de la loi du 10 avril 1834, qui a confirmé les dispositions de l’article 291 en leur donnant plus d’extension et d’efficacité, et qui a déféré aux tribunaux correctionnels les infractions qui y seraient commises;

«Mais attendu que cet article combiné avec la loi du 10 avril 1834 n’interdit que les associations non autorisées de plus de vingt personnes, dont le but serait de se réunir pour s’occuper d’objets religieux, littéraires, politiques ou autres, alors même que ces associations seraient partagées en sections d'un nombre moindre, et qu’elles ne se réuniraient pas tous les jours ou à des jours marqués;

«Qu'il suit de là que l’article 291 du Code pénal considérant les associations dans leur but, celui de se réunir, s’applique évidemment à toutes réunions qui seraient la conséquence ou le résultat de ces associations mêmes, de quelque manière qu’elles aient été formées; mais que son application ne peut s'étendre aux simples réunions temporaires et accidentelles non préparées à l’avance ou qui n’auraient pas un but déterminé;

«Et attendu que l’arrêt attaqué constate, en fait, que les prévenus Doine et Lemaire, membres de la religion chrétienne réformée, se sont rendus, le 10 juillet et le 10 septembre 1837, dans les communes de Sceaux et de Cépoy, et que là Doine a fait des prières, chanté des psaumes, lu et expliqué l’Évangile, en présence de tous ceux qui, soit par un sentiment religieux, soit par un motif de curiosité, s’étaient spontanément, et sans accord préalable, réunis auprès de lui;

«Que la Cour royale d’Orléans, tout en spécifiant l’objet des réunions qui avaient eu lieu à Sceaux et à Cépoy, n’a donc pas reconnu et déclaré l’existence d’une association de plus de vingt personnes, ni même celle de réunions produites par une association ainsi composée; qu'elle s’est bornée à constater deux réunions formées spontanément dans deux communes différentes, et sans qu'elles eussent été préparées ou concertées à l’avance; que les faits ainsi appréciés ne présentaient plus les caractères prévus et déterminés par les articles 291 et 292 du Code pénal, 1er et 2e de la loi du 10 avril 1834, et qu’en jugeant qu’aucune disposition pénale ne leur était applicable, ladite Cour n'a violé aucune loi:

«Par ces motifs, rejette, etc...»


Quoique le pourvoi soit rejeté par cet arrêt, les considérants en sont tels, qu’il n’aurait pu être plus restrictif si la rédaction en avait été confiée à M. Barthe lui-même, ou s’il avait été rédigé sous son influence immédiate. Aucune illusion n’est plus possible.

Nos Églises savent désormais à quoi elles doivent s'en tenir. Noire liberté a pour extrêmes limites les dispositions de la loi du 18 germinal an X; et même dans cette étroite enceinte, il est interdit aux consistoires et aux pasteurs de se mouvoir avant d’avoir obtenu à cet effet l'agrément du Gouvernement.

Notre situation est entièrement nouvelle; nous avons à reprendre l’œuvre que nous croyions achevée, à lutter de nouveau après tant de luttes. Faisons-le en regardant à Celui de qui nous viendra le secours; faisons-le avec persévérance, avec sagesse, avec fermeté, et dans un même esprit.

L’arrêt ne change pas la loi, il révèle seulement quel usage on en veut faire. Loin de nous abattre, il servira à nous excitera d’énergiques efforts.


La seule liberté que l’on consent à voir dans l’article 5 de la Charte,

c’est la liberté accordée au pouvoir d’organiser et de dominer les cultes.


Puisque tout homme impartial doit nécessairement y voir tout autre chose, c’est un impérieux devoir que de soutenir un droit dont la possession et l’exercice sont indispensables à l'affermissement et aux progrès de la vérité.


Le procès de Montargis, affaire de liberté des cultes de La Cour royale d'Orléans (143 pages) – format pdf: ICI

Suite du procès de Montargis, affaire de liberté des cultes.... (112 pages): ICI

Archives du christianisme 1838 04 14



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