Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE

ROBERT MORRISON, MISSIONNAIRE EN CHINE.

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PREMIER ARTICLE.


Si le dévouement de toute une vie à la meilleure, à la plus noble des causes, la gloire de Dieu et le bien temporel et spirituel de l'humanité déchue, étaient, parmi les hommes, la mesure de la célébrité, je dirais que l’homme le plus célèbre du dix-neuvième siècle vient de terminer sa brillante et utile carrière.

Mais comme les héros du royaume de Christ tels que Morrison ne puisent pas dans une vanité alimentée par l’approbation des hommes les nobles motifs de leurs grandes actions, ce n’est pas non plus sous l’auréole d'un nom glorieux qu’il faut chercher la récompense de leurs travaux.

Bien que l’apôtre de la Chine soit vénéré de toute l’Église de Christ qui lamente son départ, bien que les services éclatants qu’il a rendus à sa patrie, tout en se consacrant au salut des âmes, lui aient valu l’estime de tous ses compatriotes capables de l’apprécier, bien que sa profonde érudition comme orientaliste lui ait attiré les honneurs des sociétés savantes de son pays (Morrison a reçu successivement les brevets de docteur en théologie de l’université de Glasgow, des membres de la Société Royale et de la Société Asiatique de Londres, etc.), c’est au sein de gloires et d’honneurs infiniment plus élevés et plus purs que nous aimons à le suivre, il jouit maintenant de la seule récompense qu’il ambitionnât dans ses rudes travaux: la présence de son Dieu Sauveur.

Loin de ressembler aux hommes du siècle qui ne se proposent d’autre but que la gloire dont la postérité couvrira leur nom, Morrison a passé sa vie à saper par sa base ce principe égoïste et vaniteux qui se trouve réduit en dogme dans les écrits de Confucius. Et cependant, tout en condamnant par sa conduite et ses travaux ces hommes qui sont disciples du philosophe chinois sans s’en douter, il a laissé les monuments d’une renommée impérissable, même sur la terre.

Mais laissons parler ceux des faits de sa vie qui nous sont connus (On annonce une biographie complète sur sa vie et ses travaux. Cet ouvrage est vivement désiré et ne pourra qu’être du plus haut intérêt.).

Robert Morrison naquit à Morpeth, dans le Northumborland, le 5 janvier 1782. Il passa la plus grande partie de son enfance à Newcastle, où il eut constamment sous les yeux le spectacle édifiant de la piété vivante de ses parents, qui appartenaient à une église presbytérienne.

C’est sous le toit paternel et par les soins pastoraux d’un excellent ministre de Christ que le jeune Morrison reçut les premières et profondes impressions religieuses qui furent l’âme de son utile vie. Jamais il ne parla sans émotion des prières pleines d’onction que son vénérable père adressait à Dieu en famille pour son enfant. Heureux l’enfant qui possède un tel père! Heureux le père qui donne un tel fils a l’Église de Dieu!

Dès l’âge de seize ans, le cœur du jeune Morrison fut décidément gagné pour le Seigneur, et éprouva ce grand changement sans lequel «il n’eût pu entrer dans le royaume de Dieu,» ni travailler utilement à l’avancement de ce royaume sur la terre. Mais quelle était la nature de ces principes religieux qui exercèrent une si puissante influence sur son cœur et sur sa vie?

En d’autres termes, quel fut le secret de tant de dévouement, le mobile de tant de travaux et de fatigues supportés avec joie?

Qu’il nous le dise lui-même. Voici quelques lignes d’une lettre a un ami à qui il retraçait les souvenirs de sa première jeunesse:

«Les instructions que je recevais dans la maison paternelle et de la bouche du ministre de l’église écossaise finirent par m’amener au Seigneur Jésus-Christ, en qui je trouvai le salut et le bonheur.

Par la foi à la vérité, j’éprouvai une joie et une paix jusqu’alors inconnues. L’espérance anticipée du ciel me fit ressentir les plus pures délices, et dès lors mon premier désir fut de communiquer à d’autres le bonheur dont je jouissais.

Je souhaitais de gagner des âmes à Christ, pour qu’elles eussent part à la félicité éternelle. Dès ce moment, l’étude devint mon occupation de prédilection. Je m’y livrai avec peu de moyens extérieurs et avec les plus grands efforts, en dérobant, chaque jour, à mon sommeil quelques heures que je pusse y consacrer. Je demandai les directions de quelques ministres qui me découragèrent, et ma mère âgée se demandait sans cesse à quoi pourrait me mener tant de zèle et de constance.»

Celui qui avait choisi Morrison le savait bien.


* * * *


En 1803, il parvint à se faire admettre à l'académie de Hoxton (collège des Indépendants, près de Londres), et dès ses premières années d’étude, il commença à annoncer, quand il en trouvait l’occasion, la foi qui l’animait.

Son premier auditoire fut composé des pauvres de l’hospice de la paroisse de Saint-Luc.

«Je me souviens,» dit-il dans la lettre citée ci-dessus, «d’avoir versé en secret des larmes de joie, quand, avec un sentiment de profonde responsabilité, je fus, la première fois, envoyé pour prêcher Jésus aux pauvres de l’hospice de Saint-Luc. La chaire de leur chapelle fut la première dans laquelle je montai.»

Il y a quelque différence entre un ministère ainsi commencé et les pauvres amplifications de rhétorique qu’on fait réciter à la plupart de nos futurs pasteurs, pour s’exercer; comme si l’on devrait s’exercer sur des âmes immortelles, en présence de l’éternité, avec le plus solennel des sujets! On ne permettrait pas à de jeunes chirurgiens d’exercer ainsi leur scalpel inexpert.

Les amis de Morrison qui eurent l’avantage d’être ses compagnons d’étude s’accordent dans le témoignage qu’ils rendent au sérieux de son esprit, à la piété vivante et profonde qui le caractérisait alors. Il parlait peu, se retirait volontiers dans la solitude, et l’on voyait que ses sentiments étaient moins excités par les moyens extérieurs d’édification que nourris par la prière et la méditation. Ses qualités intellectuelles ne se faisaient remarquer alors que par une application intense et soutenue. Il parlait quelquefois de son obligation personnelle de devenir missionnaire avec le ton de la plus profonde conviction.

Au mois de mai 1804, il se dévoua solennellement au service du Seigneur auprès des païens. Admis par les directeurs de la Société des Missions de Londres, il alla poursuivre ses études à Gosport, sous le professorat du vénérable docteur Bogue, connu de plusieurs de nos lecteurs, par son excellent Essai sur la divine autorité du Nouveau-Testament. — Il est digne de remarque que, l’année même où Morrison se consacrait à la première mission protestante en Chine, la Société Biblique fût fondée à Londres.

Ainsi le Seigneur de l'Église, dont les voies sont rarement observées dans les petites choses, préparait en même temps celui qui, par sa traduction du Livre de Vie, devait le mettre à la portée de millions de païens, et l'institution gigantesque qui devait le répandre par millions d’exemplaires!

Le 8 janvier 1807, Morrison, ayant terminé ses études, fut solennellement consacré pour son œuvre, et le dernier jour du même mois il s’embarqua pour les États-Unis. Voici quelques lignes de son journal, écrites lorsqu’il vit disparaître derrière lui les côtes de l’Angleterre:

«Voilà donc, selon toute probabilité, le dernier regard que je pourrai jeter sur ce pays que je ne dois plus visiter! Oh! que la bénédiction de Dieu repose sur le pays de ma naissance! pays qui m’a nourri! pays des tombeaux de mes pères! pays de ma naissance à la vie des cieux! pays de tant d’enfants de Dieu! O mon heureuse patrie! puisse la lumière de l’Évangile ne s’éteindre jamais sur les rivages! Mon Dieu, entends la prière du missionnaire partant! Amen! Amen!»


* * * *


Parti de Philadelphie, le 10 mai 1807, Morrison arriva à Canton le 4 septembre de la même année.

La Chine, avec son immense étendue de la mer du Japon jusqu’aux plaines du Tibet, et depuis les monts Oural jusqu’au royaume de Siam, la Chine, qui comptait, il y a vingt ans, plus de trois cent soixante millions d’âmes, n’avait point encore vu arriver sur ses rivages de messagers du pur Évangile de Christ.

Le caractère national et les institutions politiques de ce peuple, qui ne permettaient de relations avec les étrangers que sous les restrictions les plus jalouses avaient entouré ce vaste empire d’une insurmontable barrière, et préservé cette immutabilité qui semblait devoir être éternelle.

Les institutions religieuses de ces peuples, leurs lois, leur histoire, leurs livres sacrés, leur idolâtrie multiforme, leurs dégradantes superstitions, tout semblait s’unir pour opposer au Christianisme la forteresse la plus redoutable du polythéisme.

La beauté de quelques-unes des maximes politiques et morales de leurs sages, tout en nourrissant leur orgueil, ne sert qu’à faire ressortir par un hideux contraste leur dégradation et leurs crimes réduits en principes par une longue habitude.

Avant les travaux apostoliques de Morrison, de Milne, de Gutzlaff et des missionnaires américains, aucun rayon de la pure lumière du Christianisme n’avait pu pénétrer cette masse de ténèbres. Nous n’ignorons pas l’entreprise héroïque et les louables efforts de François Xavier au seizième siècle. Et, sans ajouter foi aux miracles et aux merveilles dont la superstition a doté sa mémoire, nous sommes loin de déprécier les intentions et les labeurs de l'illustre disciple de Loyola.

Nous aimons, au contraire, à reconnaître qu’il y avait en lui et en quelques-uns de ses compagnons d’œuvre un haut degré de piété et de dévouement. Mais quel Christianisme que celui qu’ils voulaient substituer aux superstitions de la Chine!

La mission des jésuites dans ce vaste empire fournit un exemple frappant et instructif de l’impuissance de la vérité divine elle-même, quand sa pureté et sa simplicité sont altérées par une politique mondaine et par la superstition.


C’est une des preuves les plus convaincantes de la divinité de la religion de Jésus que la puissance avec laquelle elle marcha à la conquête du monde pendant les premiers siècles, sans compromettre un seul de ses principes, sans s’accommoder aux cérémonies religieuses, sans s’immiscer à la politique des Grecs, des Romains, ni même des Juifs.

Dédaignant toutes les armes charnelles, elle demandait la démolition des autels, l’abjuration du vice et de la corruption; elle convainquait de folie la philosophie du siècle, et devant elle tombaient les autels, les vices et la sagesse des sages. Mais que firent en Chine ces hommes qui en se revêtant du beau nom de Jésus, avaient oublié ou corrompu l’esprit de sa religion?

Laissant de côté, ou plutôt cachant soigneusement sous le boisseau, selon leur principe, LA PAROLE DE DIEU, qui est l'épée de l'Esprit, ils cherchèrent un triomphe qui ne pouvait qu’être éphémère, en ôtant la vérité dans tout ce qui pouvait déplaire au goût de leurs auditeurs, et trancher les passions par la racine. Ils adaptèrent autant que possible le culte chrétien aux rites idolâtres; ils se conformèrent aux usages de la cour et aux habitudes du peuple, sans combattre ce qui pouvait être contraire à la sainteté du Christianisme.


Un missionnaire sans Bible est un non-sens. Incapables de gagner les âmes pour Christ en les convertissant par sa Parole, proclamant l'autorité tout humaine d’une Église corrompue et d’une tradition superstitieuse, à laquelle les Chinois pouvaient opposer la leur, les jésuites cherchèrent, comme ils l’ont toujours fait en Europe, à saisir la puissance du bras séculier en s’insinuant dans les grâces de l’empereur et des grands; et ce genre de succès, ils l’obtinrent. Mais la sagesse des hommes est folie devant Dieu, et l’ambition de la politique de Loyola fut sa destruction.

La suprématie spirituelle du «représentant de Dieu sur la terre,» le pape, et la suprématie politique du «Fils du ciel,» l’empereur, vinrent en collision: la dernière prévalut, et l’échafaudage jésuitique s’écroula dans la poussière. Il n’y a plus maintenant que la Revue Européenne qui croie que «deux cent mille catholiques y chantent aujourd’hui, dans la langue de Confucius, les louanges de Dieu!»

Morrison comprit que la mission chrétienne protestante en Chine devait partir d’un principe directement opposé. Convaincu:

que la Bible est la seule source de lumière divine,

que la Bible renferme le message du Dieu saint et miséricordieux à l’homme pécheur,

que la Bible seule enfin est cette Parole puissante par laquelle Dieu appelle les choses qui ne sont point, comme si elles étaient, et ressuscite les morts,


Morrison conçut le plan gigantesque et entreprit la tache immense de mettre toute la Bible, par une traduction populaire, à la portée des millions d’idolâtres qui remplissent l’empire chinois. Tel était le grand but de sa vie, l’objet de ses ardentes prières avant même de quitter sa patrie. Car il consacra alors dix-huit mois presque exclusivement à l’étude de la langue chinoise. Aidé d’un maître qui se trouvait à Londres, il copia quelques manuscrits et la plus grande partie d’un dictionnaire latin-chinois que la Société royale mit à sa disposition. Il put se convaincre dès lors combien étaient grandes les difficultés qu’il aurait à surmonter, tant à cause de la nature de la langue chinoise que parce qu’il n’existait alors presque aucun bon ouvrage dont il put s’aider.

Mais Morrison avait trop de résolution et d’esprit de prière pour reculer devant les obstacles. Dès lors ses travaux ont singulièrement facilité l’étude d’une langue que si peu d’Européens avaient acquise avant lui. Cependant, malgré les nombreux désavantages contre lesquels il eut à lutter, il parvint, par ses études subséquentes en Chine, à se rendre maître de la langue du pays, écrite et parlée, si parfaitement que le comité du comptoir britannique de Canton lui offrit à diverses reprises et avec instance un secrétariat avantageux.

Les directeurs de la Société des Missions de Londres l’engagèrent à l’accepter, persuadés qu’en entrant par ce moyen en relation avec toutes les classes du peuple, il en retirerait le plus grand avantage pour ses travaux futurs.

Chaque année les dépêches du comptoir britannique à la Compagnie des Indes renfermaient les témoignages les plus honorables tant au caractère et à l’érudition du missionnaire qu’aux services signalés qu’il rendait à rétablissement dans ses rapports avec l’État.

Nous citons le trait suivant pour faire comprendre à quel point Morrison possédait tous les talents et toutes les connaissances nécessaires pour le grand œuvre de sa vie, la traduction de la Bible, et en même temps avec quelle confiance on peut maintenant distribuer ce volume sacré, préparé par lui.

À la suite de démêlés qui s’étaient élevés entre le comptoir britannique et le vice-roi de Canton, ce dernier, frappé du style des dépêches du comité anglais, ne douta pas qu’elles ne fussent l’ouvrage de quelque savant de son pays, et désireux de connaître l’auteur de ce qui à ses yeux était un acte de trahison, il demanda avec hauteur qu’on lui envoyât le nom de l’écrivain. Morrison lui fut nommé, et on lui offrit une visite de ce savant pour qu’il pût s’assurer par lui-même de la vérité du fait.

Au milieu de ses travaux, de ses études, de ses prédications, Morrison ne perdit pas de vue le grand objet qu’il s’était proposé.

En 1815 parut la première édition du Nouveau-Testament chinois. Jusqu’en 1827 cinq éditions subséquentes furent revues, perfectionnées et publiées par lui.

Le docteur Milne, missionnaire anglais fort distingué, l’ami intime, le compagnon d’œuvre de Morrison, se joignit â lui pour traduire l’Ancien Testament; et en 1819 la Bible entière fut publiée dans la langue de Confucius.

Si l’Allemagne célèbre comme une fête nationale le jour séculaire où le grand Luther termina son immense travail, la traduction de la Bible, qui pourra dire les actions de grâces que les générations futures de la Chine, converties à l’Évangile par la Parole de Dieu, feront monter vers les cieux en répétant le nom de Morrison, le jour qui leur rappellera l'accomplissement de son œuvre!

Le réformateur de l’Allemagne avait compris, lui aussi, que le seul moyen de tirer les peuples des ténèbres et de la superstition était de faire luire à leurs veux le flambeau éclatant de la Parole divine. C’est la Bible de Luther qui a fait la réformation de sa patrie.

Partout où sa langue est parlée, les peuples reconnaissants associent son nom aux actions de grâces qu’ils rendent à Dieu pour la possession de ce trésor de l’âme.

Mais un avenir plus glorieux encore est promis à la Bible de Morrison. Et ce n’est pas seulement l’immensité des peuplades du centre de l’Asie, mais encore le génie de la langue chinoise qui assure à cette Bible une influence d’une étendue sans exemple dans aucune autre langue. Ce n'est pas de lettres alphabétiques et de mots formés par ces lettres que se compose la langue du Céleste Empire. Les caractères ne sont pas les symboles des mots, mais les symboles des idées, espèces de figures hiéroglyphiques susceptibles d’une combinaison indéfinie, et qui par là pourraient être un moyen universel de communication.

Ces signes universels, systématisés par un usage de plusieurs milliers d’années, font que, bien qu’il y ait une grande diversité dans les dialectes parlés des différents peuples de l’Asie centrale, la langue écrite est partout la même et partout comprise. En sorte que depuis la Chine propre, la Cochinchine, jusqu’à l’Archipel, à Malaca, à Singapore et même jusqu’à Java, toutes ces immenses populations, au nombre de plus de quatre cents millions d'âmes (c’est-à-dire plus du tiers de toute la race humaine), peuvent désormais et jusqu’aux générations les plus reculées puiser à sa source divine la connaissance du glorieux Évangile de Christ!

Nous avons déjà fait remarquer comment l’Institution biblique est venue à point nommé féconder ces prodigieux résultats. Ce ne sont plus ni les Bibles, ni les lecteurs qui manquent, mais bien plutôt les missionnaires pour les répandre. Les journaux de Gutzlaff montrent avec quelle avidité les Chinois reçoivent la Bible. Cet homme apostolique ne distribue pas ses caisses de livres saints; il en est littéralement dépouillé dans chacun de ses voyages.

Qui ne voit que de toutes parts la moisson est blanchie, et que l’aurore du glorieux jour de Christ commence à luire sur un lointain horizon?

Archives du christianisme 1835 04 11





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