Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE.

Le massacre des protestants à La Brossardière.

Épisode des guerres de religion de 1595.


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(Extrait de la Revue de l'Ouest, 5 juillet 1835)

Le village de la Brossardière (près de la Châtaigneraie en Vendée), aujourd’hui si tranquille, n’a pas toujours été un séjour de paix, et le sol sur lequel repose sa chapelle, un asile sûr et sacré contre les haines et les persécutions des partis. Sans parler du sac et de l'incendie de la première guerre de la Vendée, les vieilles annales de mon pays ont conservé, dans leurs pages fidèles, le souvenir d’un jour d’exécrable mémoire, jour où cet auguste coteau fut souillé par la présence d'une soldatesque furieuse et criminelle; jour où les pierres granitiques sur lesquelles s’élève à présent le pieux édifice furent inondées du sang d’innombrables et innocentes victimes, immolées par des cannibales, au nom d’une religion pure, miséricordieuse, et qui commande le pardon, même envers ses ennemis!... Ce jour est le 13 août1595.

La terre de la Brossardière appartenait alors à haut et puissant Charles de la Forèdz , seigneur de Vaudoré , de la Forèdz, de Monpensier, de Boisbodron et de la Plissonnière: elle était tenue par lui en droit de haute justice.

Henri IV, depuis quelques années, avait conquis le beau trône de France qu’il occupait avec tant de gloire. Les guerres de religion avaient ensanglanté le commencement de son règne et les règnes de ses prédécesseurs; de terribles représailles avaient été exercées de part et d’autre.

Ce grand roi, après avoir embrassé la religion catholique, avait pensé qu’il ne devait pas abandonner ses anciens coreligionnaires aux vengeances de leurs ennemis. Il avait, par un édit de 1594 renouvelé celui de Poitiers, favorable aux partisans du calvinisme. Cette mesure sage et salutaire arrêta les massacres généraux; cependant elle ne désarma pas tous les catholiques, et elle ne fut qu’une digue impuissante contre les crimes particuliers.


Un édit de Charles IX, du mois de janvier 1561, provoqué par l’illustre chancelier de l'Hôpital, avait permis aux calvinistes de s’assembler pour l’exercice de leur religion, par tout le royaume, pourvu que ce fut hors des villes.

L'année suivante, et le 19 mars, le roi donna à Amboise un nouvel édit., lequel, modifiant le premier, restreignit la permission générale de faire le prêche dans toutes les campagnes, pour les seigneurs hauts-justiciers, a toute l'étendue de leur seigneurie, et pour les nobles, à leur maison seulement, et encore avec certaines restrictions.

Par suite de ce dernier édit, le seigneur Charles de la Foredz, haut justicier de la terre de la Brossardière, avait permis aux calvinistes de sa seigneurie de faire bâtir, sur le coteau de ce nom, une modeste grange, pour y faire le prêche, et, à l’époque de 1595, il y avait déjà 28 ans que l’exercice de la religion prétendue réformée s’y pratiquait sans trouble et sans aucun empêchement.


Le dimanche donc, 13 août 1595, tous les protestants de la seigneurie de la Brossardière étaient rassemblés dans cette grange, ou ils se livraient, comme à l’oirdinaire, aux pratiques de leur culte, il était huit heures du matin: leur ministre, vénérable pasteur, au front chauve et à la parole onctueuse, était en chaire depuis quelques instants et faisait le prêche à ses nombreux auditeurs.

Après leur avoir recommandé l’oubli du passé et le pardon des offenses qu’ils avaient reçues de la part des catholiques; après les avoir félicités de vivre sous un prince juste, tolérant et ennemi de la persécution; après les avoir entretenus d’un avenir prochain et meilleur, où ils pourraient plus librement et sans aucune entrave, exercer leur religion, il touchait à la fin de sa pieuse et charitable exhortation, lorsqu’une troupe de cavaliers, armés de sabres, pistolets et arquebuses, apparut tout à coup sortant du chemin creux pratiqué dans les bois taillis qui couvraient le versant septentrional des rochers de la Châtaigneraie, et qu’ils avaient traversés au pas et dans le plus grand silence. Mais alors ils piquèrent leurs chevaux, les mirent au galop, et vinrent en peu d’instants, par le chemin qui conduit au village, investir le coteau de la Brossardière.


Cette troupe d’hommes armés faisait partie de la garnison de Rochefort, ville éloignée de la Brossardière de plus de dix-huit lieues. Elle était conduite et commandée par les capitaines Demoiriers, Courtin et Mamier, dont les noms, heureusement conservés par les chroniques contemporaines, doivent à jamais être voués à l’exécration de la postérité: elle se composait de quarante-cinq soldats, en y comprenant quatorze ou quinze cuirasses, ils étaient partis de Rochefort le samedi, 12 août, et avaient passé la nuit au village de Chalomiers, près de la maison noble de Montravers, à quatre lieues de la Châtaigneraie; et de là partirent de grand matin, dit mon vieux chroniqueur, dans son style naïvement énergique, pour bien à point arriver vaillamment exécuter leur damnable résolution; qui était de massacrer entièrement, jusqu'aux petits enfants, toute cette église, comme à la vérité ils n'ont omis aucune espèce de cruautés pour y parvenir.

Lorsqu’ils furent arrivés à une barrière, composée d’une seule pièce de bois, placée, entre deux jardins, à l’entrée du village de la Brossardière et à vingt-cinq pas du prêche, les cris de: Aux armes! aux armes!... (poussés sans doute par une personne du village), retentirent sur le coteau, parvinrent dans la grange et y semèrent l’alarme.

De tous les réformés qui s’y trouvaient, deux seulement étaient armés chacun d’une arquebuse, l’un deux, sorti des premiers du prêche, s’approcha vivement de la barrière et, presque à bout portant, déchargea son arme sur les catholiques. Cet acte, d’une courageuse témérité, leur imposa et leur fit craindre que tous les calvinistes ne fussent en armes dans la grange: ils s’arrêtèrent et délibérèrent quelques instants sur le parti qu’ils devaient prendre, ce qui donna, à plusieurs de ceux des protestants qui avaient abandonné la grange aux premiers cris d’alarme, le temps de se mettre, par la fuite, hors de la portée du fer de leurs ennemis. Ce nombre toutefois fut peu considérable


Bientôt les soldats catholiques, honteux de la terreur panique qu’ils avaient éprouvée, et s’apercevant que les infortunés calvinistes, loin de vouloir opposer aucune résistance, avaient recours à la fuite, laquelle, pour me servir encore des expressions de ma chronique, était, après Dieu, leur unique espérance, franchirent tous la barrière, envahirent le coteau et poursuivirent les fuyards, l’épée au poing, dans toutes les directions: tous ceux qu’ils atteignirent furent immédiatement massacrés.

Le sentier qui conduit au moulin fut couvert de cadavres: celui qui, à l'est, aboutit au monticule , fut le théâtre d’un carnage non moins lâche et non moins horrible. Ce ne fut plus une eau claire et incolore que roula le ruisseau qui coule de ce côté; les malheureux réformés, se pressant en foule sur le pont étroit placé sur ce ruisseau, trouvèrent dans ce dangereux passage le trépas qu’ils voulaient fuir; leurs corps, percés de coups, furent précipités dans l’onde ensanglantée, et ceux que le fer des bourreaux ne put atteindre, tombèrent, sur la rive opposée, sous le plomb meurtrier de leurs armes à feu.

Quelques fuyards, quoique blessés, étaient parvenus avec peine à gagner les bois taillis. Poursuivis incessamment dans ce dernier asile par les cavaliers catholiques, c’est en vain qu’ils implorèrent la pitié de ces barbares, tous y reçurent la mort!.... Quelques-uns d’entre eux, désespérant d’échapper par la fuite au sort affreux dont ils étaient menacés, eurent recours à une ruse, hélas! bien innocente; ils se teignirent le visage du sang qui coulait en abondance de leurs blessures, et, pressant le sol de leur corps, feignirent de dormir du sommeil éternel. Faible espoir, trop tôt déçu !... Les meurtriers, ingénieux à découvrir et à déjouer une ruse qui pouvait soustraire à leur rage quelques-unes de leurs victimes, mirent pied à terre, consultèrent d’un œil féroce et scrutateur leurs traits défigurés, interrogèrent d’une main cruellement assurée les pulsations de leur cœur; et, lorsqu’ils eurent reconnu chez eux quelques faibles signes de vie, ils leur ravirent, sans miséricorde, ces restes si chétifs d'une douteuse existence!....

Hélas! pendant que ces actes d’une cruauté inouïe s’exécutaient dans les environs de la Brossardière, une scène plus douloureuse encore, plus épouvantable, se passait simultanément sur le coteau et dans l’église même des réformés.

Cinq ou six soldats catholiques étaient descendus de cheval; et, l’épée à la main, en foulant aux pieds les femmes éperdues, que leur seul aspect avait glacées d’effroi, s’étaient précipitées dans l’intérieur du prêche, pour y assouvir leur fureur sur les infortunés qui y étaient restés. Ignorant en partie ce qui se passait au-dehors, ceux-ci ne croyaient pas que leurs jours fussent en danger; ils pouvaient penser que, traités seulement en prisonniers, les plus riches d’entre eux, par de fortes rançons, rachèteraient la liberté des autres. Quelle était leur erreur! La soif de l’or n’était, chez les sicaires des Demoiriers, Courtin et Mander, qu’un besoin secondaire; celle du sang était le plus fort, le plus impérieux.

La chronique dit bien que ces cannibales (qui tous d’ailleurs paraissaient vouloir épargner les femmes, et semblaient ainsi, par un bizarre assemblage, accompagner leurs horribles excès de quelques vains simulacres de galanterie) se laissant aller néanmoins au désir de tirer un lucre quelconque de leur infernale expédition, coupèrent les bourses des demoiselles bourgeoises et autres femmes et filles qui se trouvaient dans la grange, leur arrachèrent leurs bagues des doigts avec violence, et même en blessèrent quelques-unes qui ne se prêtaient pas avec assez de complaisance ou de promptitude à l'exécution de leurs coupables projets; néanmoins, je le répéte, ces scènes de rapine n’étaient qu’accessoires: c'était de sang, avant tout, que les tigres étaient altérés.

Tous les calvinistes qui se trouvaient dans le prêche, vieillards, hommes, enfants, quel que fut leur âge, quelle que fut leur condition, furent impitoyablement passés au fil de l’épée. Le respectable pasteur de cette église, naguères si nombreuse et maintenant presque anéantie, fut frappé le premier dans cette même chaire d’où, peu de temps auparavant, tombaient de sa bouche, dans le cœur de ses auditeurs, des paroles de paix, d’espérance et de miséricorde!.... Il reçut la mort sans se plaindre et sans s’abaisser à demander grâce pour une vie déjà longue, mais plus pleine encore de bonnes œuvres que de jours. Son exemple fut suivi par ses coreligionnaires, qui tous, sans murmurer, présentèrent au fer des assassins leur poitrine découverte. Leurs corps, privés de mouvement, jonchèrent l’intérieur du temple, et les flots de leur sang, si inhumainement répandu, se mêlèrent et en inondèrent le pavé.

La rage des bourreaux paraissait, si non complètement assouvie, du moins un peu calmée par le carnage auquel ils venaient de se livrer: toutefois, il manquait encore une victime à leur insatiable férocité. Un d’entre eux, avant de violer l’humble asile consacré au culte réformé, avait donné son cheval à tenir à un calviniste; ce malheureux s’était acquitté de sa mission pénible, en détournant les jeux du théâtre de tant d’atrocités. Quoique vieux, il tenait encore à ce monde par quelques liens, par ceux de sa famille; il osait espérer, qu’en faveur du petit service qu’il venait de rendre, il aurait droit à quelque commisération. Souhaits superflus! espérance trompeuse!.... Le soldat, rouge de sang et de colère, s’approche de lui, reprend brusquement les rênes de son cheval, et, fixant le calviniste d’un œil courroucé;— Quel âge as-tu, lui dit-il? — Soixante-quinze ans, répond avec calme celui-ci. — Tu as assez vécu, reprend l’assassin; va rejoindre tes amis, les hérétiques, et au même instant, lui appliquant froidement sur le cœur le canon d’un pistolet, il en presse la détente, et sans vie, à ses pieds, étend l’infortuné vieillard!.... Et c’était là un soldat catholique? C’était là un homme professant la doctrine de Celui qui, sur le calvaire, donna jusqu'à la dernière goutte de son généreux sang pour racheter les crimes du genre humain?.... Non, non; c’était un énergumène, dont l’esprit de parti, l’intolérance religieuse, un fanatisme aveugle, dont mille passions désordonnées avaient totalement altéré la raison; c’était, en un mot, une bête féroce, incapable de discerner le bien d’avec le mal.

Ce fut la dernière scène de cette terrible et sanglante tragédie. Les acteurs qui l’avaient si bien jouée, après avoir, pour rappeler encore les expressions de la chronique, si vaillamment exécuté leur damnable résolution, remontèrent à cheval, pour faire retraite, et partirent incontinent; ils traversèrent le ruisseau de Parèds, gagnèrent les bois taillis, prirent à droite pour éviter la ville, longèrent quelque temps le ravin au sud-ouest, et, tournant les rochers de la Châtaigneraie, disparurent bientôt derrière leurs cimes de granit.

Mais le sang des victimes avaient crié vengeance. Le Dieu fort et juste, au nom duquel venaient de se commettre tant de lâches assassinats, les avait déjà désavoués; et, ne voulant pas qu’ils restassent plus longtemps impunis, il envoya sur les traces des meurtriers un des ministres de sa colère, le remords dévorant et vengeur!...

Cet invisible et inexorable exécuteur des arrêts de la justice divine les atteignit promptement et s’empara de chacun d’eux comme d'une proie dévouée à ses tortures: semblable au vêtement teint du sang de Nessus, il les enveloppa et les étreignit de toutes parts, les pénétra de ses pointes aiguës, et leur fit éprouver dans ce monde les tourments anticipés, les tourments affreux de l’enfer.....

E. GIRAUD, juge.

Archives du christianisme 1836 12 24b


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