Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE.

Legh Richmond.

(suite)

***

(1772-1827.)


Legh Richmond fut nommé en 1814 chapelain du duc de Kent. L’accomplissement des devoirs de cette charge le conduisit quelquefois à officier dans le palais Kensington. Un jour le duc, la duchesse et toute leur suite assistèrent au service. Le prince l’écouta avec une attention profonde, et après le sermon il lui témoigna toute son approbation; il ajouta qu’il reconnaissait pleinement l’importance des vérités évangéliques qui venaient de lui être si nettement expliquées, et qu’il désirait en ressentir davantage l'influence. Le prince le manda ensuite auprès de lui, et l’engagea à prêcher au palais chaque fois qu’il viendrait en ville....

Le soir de ce même jour, le duc écrivit à M. Richmond un billet extrêmement flatteur, dans lequel il le priait de vouloir bien se rendre au palais, pour lui montrer les notes d’après lesquelles il avait prêché le matin. Le motif de cette demande était une discussion qui avait eu lieu chez le prince au sujet de la prédication de M. Richmond. Quelqu’un avait affirmé que personne ne pouvait prêcher avec cette abondance et cette lucidité, si la plus grande partie au moins de son sermon n’était écrite d’avance. En examinant ces notes, on les trouva si brèves, si peu développées, qu’on fut étrangement surpris de cet excessif laconisme. Si nous avons mentionné cette anecdote, c’est afin de donner une nouvelle preuve de l’extrême facilité avec laquelle M. Richmond improvisait presque sans préparation.

II avait entrepris, à l’aide des membres les plus estimables du clergé de la Grande-Bretagne, de publier en huit volumes les Pères de l’église de son pays. C’était un ouvrage; d’un haut intérêt et plein de science, mais d’un prix trop élevé pour la généralité des lecteurs. Il en résulta qu'il ne se vendit pas assez pour couvrir les frais d’impression. En 1814, il eut le chagrin d’apprendre qu’il devait à son éditeur une somme de 50,000 francs, dont il ne pouvait s’acquitter qu’en parvenant à vendre son ouvrage. Il en fut si affecté que ses amis s’en aperçurent; ils eurent, il est vrai, bien de la peine à lui en faire avouer la cause , car sa délicatesse lui rendait extrêmement pénible l'idée de demander des secours. Cependant ses amis entreprirent de faire débiter l’ouvrage, et en moins de quinze mois la dette fut acquittée.

Bien que M. Richmond ne se mêlat que fort peu d’affaires pécuniaires, il apportait une extrême exactitude; dans tout ce qu’il faisait. Avec un revenu qui ne dépassa jamais dix à douze mille francs, il trouva le moyen de vivre d’une manière décente, sans rien devoir à personne, et ce fut avec ses seules ressources qu’il éleva douze enfants, dont deux seulement moururent en bas âge.

Lorsque l'empereur Alexandre se rendit en Angleterre, en 1814, M. Richmond eut, bien accidentellement, une entrevue avec lui. Il était à Portsmouth sur une tour très élevée, d’où il regardait, à l’aide d’un télescope, le panorama qui s’étendait autour de lui. Tout-à-coup entre Sa Majesté impériale avec sa suite. M. Richmond offrit aussitôt de céder la place; mais l’empereur refusa et dit : Peut-être, Monsieur, connaissez-vous le nom de tous les lieux qui se présentent à notre vue. — Je crois pouvoir nommer à Votre Majesté tous ceux qu’elle peut apercevoir, répond M. Richmond ; puis il ajuste le télescope, et le dirige vers les divers objets qu’il croit dignes de l’attention de l’empereur. Après une longue et intéressante conversation avec Sa Majesté, M. Richmond lui dit qu'il saisissait cette occasion de le remercier, en son nom et au nom de tous les amis de la Société Biblique en Angleterre, de l’appui distingué qu’il avait daigné accorder en Russie à la propagation de la Parole de Dieu. C’est plutôt moi, Monsieur, répondit l’empereur, qui dois des remerciements à votre pays et aux amis de cette cause; car, sans votre exemple , nous n’eussions jamais eu de Société Biblique en Russie. Quelques mois après, M. Richmond envoya ses principaux traités (la Fille du Laitier, la Jeune Villageoise, etc.) à l’empereur Alexandre, qui le fit remercier par une lettre très affectueuse.

M. Richmond avait l’habitude de célébrer d'une manière particulière les anniversaires de la naissance de tous les membres de sa famille. Ces jours étaient pour lui, si nous pouvons nous servir de cette expression, des fêtes religieuses. Il avait soin d’écrire aux membres absents, et il prêchait à son troupeau sur un sujet approprié à la circonstance.

Lors d'une de ces fêtes, il écrivait à sa mère:

« Le retour de ce jour demande aussi un retour de respect pour Dieu, Créateur de toutes choses, et d’affection pour vous qui avez été choisie pour me donner l’existence, à moi indigne . Combien je pense souvent avec amour et reconnaissance à tous vos soins, et à la vigilance dont vous m’avez entouré dès mon enfance jusqu'à aujourd’hui !Qui pourrait oublier les qualités de votre cœur?

Certes personne : le nom de mère est un titre consacré par tous les principes divins et humains. Ce jour étant celui de ma naissance, je me propose de prêcher sur Ps. 139,14-18: ce texte semble fait exprès pour une telle méditation. — Quel miracle que la vie de l’homme! Dès le berceau elle est incompréhensible jusqu’à sa tombe, de sa tombe jusqu'à la résurrection , de la résurrection jusque dans l’éternité!

Puis la diversité des caractères, tant d’événements, et toujours la Providence gardant les corps, les esprits et les âmes ! Lorsque je médite sur l’avenir, je me perds dans d’inexplicables pensées ; mais je vois combien il est important que l’esprit cherche ses consolations dans ses souvenirs autant que dans ses sensations actuelles , selon que le plan du salut lui est plus ou moins révélé; c’est alors que l’éternité lui apparaît fondée sur une base solide et pleine de ravissantes espérances »

Il écrivait à sa femme, au mois de juillet 1818, pendant un voyage qu’il fit en Ecosse:

« Je vois sans cesse passer sous mes regards des scènes d’un intérêt impossible à décrire, et j’aime à croire qu’elles ne seront pas perdues pour notre bonheur domestique. Je n’avais jamais aussi bien compris les bénédictions qui peuvent résulter , et pour moi et pour d’autres, de mes courses de missionnaire. Dieu seul connaît les doux sentiments que m’a fait éprouver l'accueil si bienveillant que j’ai reçu en Ecosse, et l’approbation qu’on a accordée à tous mes traités et à tous mes sermons. J'en suis surpris, reconnaissant et humilié.

Je vous dirai quelque chose d’une de mes visites à une école du dimanche : Après avoir examiné les enfants, je leur adressai une exhortation ; ils avaient fait entre eux (et j’ai revu ce même fait en plusieurs endroits) une collecte pour les enfants des juifs. Ils étaient deux cents; c’était le jour de la distribution des livres, qui se fait tous les six mois, à titre de récompense. Les soixante meilleurs écoliers reçurent chacun un exemplaire de la Jeune Villageoise. Trois d’entre eux, en écoutant lire ce traité à l’école, en avaient eu le cœur touché. Je fus prié d’offrir un traité à chaque enfant, à mesure qu’on les ferait passer devant moi, en présence d’environ deux cents personnes de tout rang. Ce moment fut solennel et touchant.

Le principal directeur fit d’abord une courte allocution , dans laquelle il rendit grâces à Dieu pour tout le bien qu’avait produit la distribution de mes traités en Ecosse, et en particulier dans l’école qu’il dirigeait; il ajouta qu’il saisissait l’occasion qui s’offrait à lui de présenter à tous ces enfants un homme qu’ils aimaient depuis longtemps et de tout leur cœur, sans le connaître. Après ces mots, tous les assistants, grands et petits, chantèrent en chœur un cantique... pas un œil n’était sec; quant à moi, j’eus peine à terminer cette simple et intéressante cérémonie. Une petite fille, que la grâce de Dieu avait convertie depuis deux ans, fut si affectée en s’approchant de moi, qu’elle tomba à genoux, fondant en larmes.»

N'est-ce pas encore un modèle à citer que la lettre suivante, adressée à sa fille aînée? Quelle tendre affection! Il n’oublie rien dans le détail des soins qu’il recommande : le cœur seul d’un père sait y pourvoir.

« Chère Marie, disait-il, je vous écris à l’époque de mon jour de naissance, et j’en fais autant à l’occasion du vôtre; car, dit Salomon, il y a un temps pour naître et un temps pour mourir. A cette déclaration du Sage, j’ajouterai qu’entre ces deux époques il y a un intervalle d’une importance infinie: ma chère enfant l’apprécie-t-elle comme il le mérite?

Toutes les beautés réunies de la nature, en Ecosse et en Angleterre, ne peuvent se comparer à celles de la grâce, non pas même un instant. Jamais nous n’apprécions d’une manière aussi juste la valeur réelle de notre âme, la vanité de ce monde et le besoin d’un Sauveur, qu’à l’époque où le cours des temps nous ramène au jour anniversaire de notre naissance. Ce jour concentre en lui seul toutes nos expériences des temps passés et toutes nos espérances pour l’avenir. C’est un jour qui parle le même langage au jeune homme et au vieillard; il les invite l’un et l’autre à prier et à réfléchir. Bientôt l’éternité engloutira tous les intérêts de ce monde périssable ; je désire sincèrement que vous usiez du temps en vue de cette éternité. Que d’occasions vous en avez eues! que de moyens autour de vous!

Puissiez-vous ne perdre aucun de tous les jours qui vous seront encore accordés ! Des alentours religieux, des liaisons chrétiennes ne sauraient à elles seules vous sauver : c’est la religion du cœur qui est le tout de l’homme.... Pensez à nous tous, non pas seulement à cause des liens terrestres qui nous unissent, mais pour l’amour de Jésus, qui nous unit à la grande famille du ciel. Voilà ce qui donne à toute affection une véritable valeur. »

Voici enfin une lettre qu’il écrivit à son fils Wilberforce,eut quand celui-ci  atteint l’âge de quinze ans , et qui renferme d’excellents conseils pour les jeunes gens qui sc destinent à entrer dans la carrière pastorale:

« Vous m’inspirez une plus grande sollicitude que tous mes autres enfants. Je désire avec ardeur qu’un de mes fils soit ministre; mais je tremble à la pensée de dévouer au saint ministère un serviteur né de moi, qui n’aurait pas donné des preuves satisfaisantes que son âme est droite devant Dieu. Si cela n’était pas, vous et moi nous nous rendrions coupables d’un horrible péché.

A quelque profession qu’on se voue , on peut s’y être décidé longtemps à l’avance ; mais le ministère fait exception à cette règle générale. Saint-Paul lui-même tremblait à la responsabilité qui pesait sur lui : « De peur, dit-il, qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même trouvé non recevable (1 Cor. IX, 27).

Avant que le jeune homme qui se destine au ministère puisse y songer sérieusement, il faut que, par sa conduite personnelle, il ait donné la preuve qu’il est vraiment pieux. Je n’hésite donc point à vous dire que, malgré la joie et l’honneur que j’éprouverais à voir en vous un prédicateur fidèle de la justice , honorant l’Evangile que vous seriez appelé à annoncer, j’aimerais cependant mille fois mieux vous voir artisan ou manœuvre que ministre infidèle de Christ.

Je vous parle avec connaissance de cause: c’est parce que j’ai eu à m’humilier moi-même de la manière dont je suis entré dans le ministère, que je crains et que je tremble pour tous les jeunes gens qui se vouent à cette vocation. Que dois-je donc éprouver quand il s’agit de mon propre enfant?

Notre Eglise nationale soupire et gémit continuellement de voir entrer chaque jour dans son sein tant d’indignes ministres. Chaque année, des parents, des protecteurs, des universités, versent dans l’église un torrent de jeunes gens incapables de remplir les devoirs de leur vocation, et augmentent ainsi, devant Dieu, notre culpabilité nationale. Aussi, que voit-on? Les âmes sont négligées et se perdent ; la bigoterie et l'ignorance marchent tête levée; l’orgueil ecclésiastique l’emporte sur la sainteté. Faut-il donc s’étonner de voir l’église établie méprisée, insultée, abandonnée, et voudriez-vous que vous ou moi nous servissions à augmenter encore cette plaie? Contribuerons- nous à ajouter un seul homme aux sentinelles traîtresses et infidèles qui sont sur la tour de notre Jérusalem bretonne?

Dieu nous en garde ! Vous ne sauriez éviter de si tristes conséquences, qu’en devenant dès ce jour un vrai disciple de Christ, plein d’humilité et de pensées sérieuses. Je ne serai satisfait que quand je vous verrai étudier avec cette piété qui met l’obéissance dans le cœur d'un fils, l’affection dans celui d’un frère, et une reconnaissance pleine d’adoration dans celui du chrétien simple et fidèle. S’il n’en était pas ainsi, comment consentirais-je avec quelque satisfaction à vous consacrer au plus important et au plus sacré de tous les offices dont un homme puisse être revêtu ?...

Je ne me déciderai à vous faire prendre les ordres que si je vois clairement, d’après votre conduite, vos sentiments, vos discours et vos pensées habituelles, que vous avez en vous ce qui, à mes yeux, peut seul justifier une résolution si solennelle.

J’écris ces mots avec anxiété, et ce n’est pas sans peine que ma plume continue à tracer mes pensées; mais Dieu sait que j’y joins mes ardentes prières pour la conversion de votre cœur. J’espère qu’il voudra bien exaucer ces supplications que, depuis bien des années, je lui adresse à votre sujet...

Que ces lignes vous servent de témoignage devant Dieu. Gardez-les pour être un signe entre vous et moi. Elles vous rappelleront que je vous ai parlé sérieusement sur un sujet où l’indifférence serait un péché.»

M. Richmond eut la douleur, quelques années plus tard, de perdre ce jeune homme qui montrait de pieuses dispositions, et paraissait avoir toutes les qualités nécessaires pour former un fidèle ministre de Christ. Il perdit également son fils aîné qui était entré dans la marine. C’est ainsi que le Seigneur éprouve ses serviteurs, et qu’il les fait passer par beaucoup d’afflictions avant de les recevoir dans son royaume céleste. Legh Richmond eut le cœur brisé par la mort de ses deux enfants, mais il ne perdit point courage, et trouva toujours la force de bénir la main de Dieu.


Nous approchons des derniers moments de cet excellent homme, de ce digne pasteur, dont les travaux furent, jusqu’à la fin, singulièrement bénis. Sa voix se fit entendre en chaire pour la dernière fois les deux premiers dimanches de mars 1827.

A la première de ces prédications assistait un homme qui, s’étant cru offensé, avait dès longtemps fait vœu en lui-même de ne jamais remettre les pieds à l’église. C’était à la fois un esprit léger et un libertin, en même temps qu’un persécuteur acharné de la religion dans la personne de ceux qui la professaient. Ce jour-là, des circonstances inutiles à rapporter le contraignirent à se départir de sa résolution.

M. Richmond avait pris pour texte de son sermon : « Ô Dieu, crée en moi un cœur net, et renouvelle au dedans de moi un esprit droit ( Ps. 51,10 ). » La Parole de Dieu, rendue efficace par la puissance du Saint-Esprit, frappa le cœur de ce pauvre incrédule, comme un marteau qui brise la pierre. En rentrant chez lui , il tomba à genoux devant Dieu pour la première fois de sa vie, et avec des larmes abondantes il s’écria, comme le publicain : « Sois apaisé envers moi qui suis pécheur. »

Le dimanche suivant, les prédications de M. Richmond furent particulièrement solennelles. Le matin il prêcha sur Col. III,2 : « Affectionnez-vous aux choses qui sont en haut. » Ce discours s’adressait au vrai disciple, et lui apportait de solides consolations. Dans l’après-midi, il en appela à la conscience des pécheurs endormis : « Eternel, je me suis souvenu des jugements que tu as exercés de tout temps, et je me suis consolé en eux ; l’horreur m’a saisi à cause des méchants qui ont abandonné ta loi (Ps. 119, 52, 53). »

En sortant de l’église, quelqu’un dit : Ce discours sort des lèvres d’un homme mourant.

Dès lors, la maladie de M. Richmond fit de rapides progrès. Il prit un nouveau rhume qui l’empêcha de parler autrement qu’à voix très basse. Toutefois, ce ne fut pas sans peine qu’on put le décider à ne pas se faire porter à l’église. Il devint bientôt incapable de sortir de chez lui, et il commença à se douter que son cher troupeau ne le reverrait plus.

L'affliction se répandit dans la paroisse; l’église adressait au Seigneur de continuelles prières pour sa guérison, mais le temps était venu où il devait entrer dans son repos.


M. Richmond mourut le 8 mai 1827, à l'âge de 55 ans. La triste cérémonie de ses funérailles est décrite dans la lettre suivante d’un de ses amis, qui avait assisté à cette scène de deuil :

« Au moment où j’arrivai pour assister aux funérailles de cet homme excellent, les lugubres tintements de la cloche se faisaient déjà entendre. La tristesse se lisait sur toutes les physionomies; à chaque instant des gens en grand deuil traversaient la route ; les vieillards mêmes et les malades se traînaient hors de leurs cabanes, appuyés sur des béquilles ou sur le bras d’un ami. Tous voulaient voir ce funèbre cortège, et pleurer ensemble la perte qu’ils venaient de faire. Il n'était pas d’œil qui ne témoignât au dehors une douleur intérieure et profonde : langage muet, mais plus expressif que des volumes écrits à la louange du défunt.

Les habitants des villages environnants, ou de lieux plus éloignés encore, arrivaient en foule pour payer leur tribut d’affection et de respect à la mémoire de ce pasteur qu’ils avaient si longtemps aimé et vénéré.... Le drap mortuaire était soutenu par six ministres des environs , qui donnaient des marques d’une douleur profonde. « Hélas! mon frère! » semblaient-ils dire. Puis venaient en ordre, la famille du défunt, les plus respectables d’entre les paroissiens, les communiants, les membres des sociétés mutuelles, jeunes et vieux, les écoles, une longue procession de pauvres, enfin beaucoup d’étrangers. A mesure que le cortège défilait, il était rejoint par les hommes qui formaient la haie. Je n’ai rien vu qui exprimât une douleur si profonde et si sincère. »

Archives du christianisme 1838 03 10

 
- Table des matières -