Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE

JOHN NEWTON

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La plupart de nos lecteurs ont, sans doute, entre les mains Omicron et Cardiphonia, excellents écrits sortis de la plume de John Newton. Mais peu de personnes connaissent, en France, la biographie de ce chrétien distingué. Elle mérite pourtant d’être connue, soit à cause des mémorables circonstances qui ont précédé et amené la conversion de Newton, soit parce que ces détails servent à faire mieux comprendre les ouvrages qu’il a composés et que nous possédons dans notre langue. On a publié en Angleterre plusieurs notices biographiques sur ce pasteur; nous avons sous les yeux celle qu’il a rédigée dans une série de lettres à l’un de ses amis, et nous le laisserons parler lui-même, toutefois eu abrégeant beaucoup sa narration.


Je suis né le 24 juillet 1725. Ma mère comme on me l’a dit plus tard, était pieuse et avait une grande expérience chrétienne. J'étais son unique enfant, et elle consacra beaucoup de soin à mon éducation.

Elle me fit apprendre différents chapitres de l'Écriture, des portions de catéchisme, des cantiques et d'autres poésies religieuses. Je répondais assez bien à ses désirs, car je n'avais aucun goût pour les bruyants amusements de l’enfance, et j’étudiais volontiers tout ce qu’elle jugeait à propos de m'enseigner.

On verra plus tard que cette première éducation, si excellente qu’elle lui, ne pénétra point jusqu’à mon cœur.

Mais je dois dire, pour l'encouragement des parents pieux, que ces impressions du jeune âge exercèrent longtemps sur moi une sorte de retenue. Ce ne fut qu’après d’opiniâtres efforts que je réussis à briser entièrement ce frein des idées religieuses; et quand le Seigneur m'ouvrit enfin les yeux, le souvenir de ce que j'avais appris facilita beaucoup mes progrès dans la foi chrétienne.


Ma mère mourut lorsque j’entrais à peine dans ma huitième année. Mon père, qui occupait un commandement dans la marine marchande, se remaria bientôt. Pour moi, je fus placé dans un collège, où je passai deux ans; mais l’injuste et brutale sévérité du maître m’ôta presque entièrement le goût des études.

Depuis l'âge de onze ans jusqu’à celui de dix-sept ans, j’accompagnai mon père dans ses courses maritimes. Pendant cette période, mes sentiments et ma conduite furent très changeants.


Mes impressions religieuses se refroidirent et se rallumèrent tour à tour. Je recommençai plus d’une fois à prier régulièrement, à lire la Bible, à tenir une sorte de journal, et je me regardai comme un chrétien fidèle. Mais, hélas! cette prétendue piété n’avait aucun fondement solide; elle passait aussi vite que l’aube du jour ou la rosée du matin.

J’appris à blasphémer et à prononcer toutes sortes de mauvaises paroles dans la compagnie des marins. Les mauvaises actions ne tardèrent pas à suivre les paroles.


Une chute de cheval dans un endroit dangereux réveilla ma conscience pour un temps. J’opérai une réforme complète, dans mes habitudes; je fis tout ce qu’aurait pu faire le pharisien le plus rigide, ne connaissant alors que ma propre justice.

J'employai une grande partie de mes journées à lire les Écritures, à méditer et à prier; je jeûnai souvent; je m’abstins même de toute nourriture animale pendant trois mois. J'osais à peine répondre aux questions qu’on m’adressait, de peur de prononcer une seule parole inutile. La pensée de mes précédents égarements m’arrachait des larmes. En un mot, je devins un véritable ascétique, et je me serais fait anachorète si je l’avais pu.

Cela dura deux années avec quelques alternatives de relâchement. Mais c’était une pauvre religion qui me laissait à divers égards sous l’empire du péché, et qui ne servait qu’à me rendre insociable, morose, sombre, inutile et presque stupide.


Un livre de lord Shafteshury que je trouvai dans une échoppe de la Hollande commença à m’inspirer d’autres idées. Je cessai d’être misanthrope; niais les opinions de cet écrivain agirent comme un poison lent pour m’entraîner aux derniers excès de l'impiété.

Après plusieurs voyages dans la Méditerranée, je revins en Angleterre, et mon imprudence me fit tomber dans la presse des matelots.

Le moment était critique, les flottes françaises menaçaient nos côtes, et le crédit de mon père ne put obtenir qu’on me relâchât. J’entrai alors dans un genre de vie nouveau. Mes compagnons étaient, pour la plupart, des hommes dépravés, qui ruinèrent le peu de bons principes que j’avais conservés. Mon plus intime camarade était un incrédule déclaré, et travaillait à rendre les autres impies avec autant de zèle que s’il avait pu attendre une éternité de bonheur pour récompense. Il se moqua de mes scrupules, de mes phrases sur la vertu, de ce qu’il nommait ma superstition; il s'insinua de toute manière dans ma confiance pour me gagner à ses opinions, et malheureusement il ne réussit que trop bien à me faire abandonner toutes les maximes et toutes les espérances de l’Évangile.

Mon père m’avait recommandé au capitaine, qui me traita d’abord avec beaucoup d’égards et de douceur. Mais ma mauvaise conduite et mon insubordination me privèrent bientôt de son appui.

J’avais alors dix-neuf ans, et la chose que j’avais le moins apprise, c’était de réfléchir avant d’agir. Dès qu’il me venait une pensée, je la mettais à exécution quoiqu'il dût s'en suivre. Je ne me trouvais pas bien sur le vaisseau, et j’avais résolu de le quitter à tout risque.

Un jour, tandis que nous étions dans le port de Plymouth, on me mit dans une petite embarcation avec l'ordre de veiller à ce qu’aucun homme de l’équipage ne désertât. Eh bien! je désertai moi-même.

Je marchai droit devant moi, sans savoir où le chemin me conduisait. Il ne m’arriva point d’accident fâcheux le premier jour, ni pendant une partie du second; j’avançais tranquillement, sans m’inquiéter le moins du monde, lorsque je fus entouré par une troupe de soldats qui me reconduisirent à Plymouth, les mains liées derrière le dos. Je fus mis en prison pendant deux jours, puis châtié publiquement, et dégradé de mon emploi. On me relégua parmi les derniers mousses, et mes anciens compagnons reçurent l’ordre de ne plus m’adresser une seule parole d’amitié. Chaque heure m’exposait à quelque nouvelle insulte, et je n’avais pas un seul ami auquel confier mes peines.


On se représentera aisément ce qui se passait au-dedans de moi. Mon caractère était naturellement vif, emporté, hautain, et j’avais cru jusqu’à cette époque qu’il m’appartenait, non d’obéir, mais de commander. Aussi je me sentais agité des plus horribles passions, des plus affreux désirs de vengeance.

Au-dedans et au-dehors, je ne voyais rien que misère, ignominie, objets de rage et de douleur. Je ne puis exprimer toute l’amertume que j’éprouvai lorsque les côtes de l’Angleterre disparurent à mes yeux. Je fus tenté de me précipiter dans les flots, pour mettre un terme (comme je le croyais alors) à toutes mes infortunes), mais je voulais aussi me venger de mon capitaine, et comment y réussir, si je cessais de vivre?

Celle atroce idée de vengeance me retint.

Le Seigneur m’avait livré, dans ce temps-là, à tout l'endurcissement de mon cœur; j’étais capable de tout; je n'avais pas la moindre crainte de Dieu ni la moindre sensibilité de conscience. Je croyais fermement aux mensonges de ma raison dépravée, et il me semblait certain que tout l'homme mourait à la mort.

Lorsque j’eus résolu de continuer à vivre, j'éprouvai de loin en loin quelques mouvements de sérieuse réflexion. L’espoir me revint que je verrais encore des jours plus heureux.

Un attachement de cœur, qui remontait aux premières années de ma jeunesse, contribua puissamment à me calmer; je formais de beaux rêves pour l’avenir; je me représentais des scènes tranquilles et riantes de bonheur domestique, et ces douces images furent comme un baume ou une huile verse sur mes cruelles blessures.

Combien de temps ce conflit entre des passions opposées aurait-il duré? Je n’en sais rien; mais l’Éternel qui avait encore pitié de moi, bien que je l’eusse complètement abandonné, m’offrit un moyen de quitter ce vaisseau.

Le capitaine avait pris sur les côtes de Guinée deux nouveaux hommes d’équipage, et je demandai la permission d’entrer au service d’un autre bâtiment. Mon capitaine n’y opposa aucune difficulté; il s’applaudissait, au contraire, de pouvoir se débarrasser de moi.

Le commandant du nouveau navire sur lequel je fus placé avait connu mon père et m’accueillit avec bienveillance. Il m’aurait donné, sans doute, des preuves de son amitié, si ma conduite avait été moins scandaleuse.


Pendant que j’étais sur l’autre vaisseau, je me sentais encore un peu retenu, par cela seul que mes compagnons m’avaient vu précédemment sérieux et rangé. Mais ici, parmi des inconnus, loin de mon pays, aucun frein ne m’arrêtait. Non seulement je me livrai ouvertement à des vices odieux, mais je m’efforçai encore de séduire et d’entraîner les autres. Il en résulta tout naturellement que je perdis les bonnes grâces de mon nouveau capitaine. Ce n’était pas un homme religieux ni même rigoureusement moral; mais il haïssait le désordre en tant que ses intérêts y étaient compromis, et nous fûmes bientôt sur un très mauvais pied l’un envers l’autre. J'avais, en outre, cette détestable tournure d’esprit qui ne cause que du mal à celui qui le possède et à ceux qui en sont les victimes; je composai une chanson dans laquelle je ridiculisais le capitaine, sa personne, ses manières; et tout l’équipage la sut par cœur deux jours après. Telle fut la vile et lâche ingratitude avec laquelle je répondis aux amicales prévenances du commandant.

Une occasion se présenta de quitter ce vaisseau, et j’en obtins la permission. Il y a, sur les côtes de la Guinée, quelques colons qui se chargent d’acheter des esclaves dans l’intérieur pour les revendre à des négriers (On doit se souvenir que ceci a été écrit en 1763.).

L’un de ces colons, qui avait fait un voyage en Angleterre, retournait en Afrique à bord du navire sur lequel j’étais monté. Il possédait une fortune considérable, et ses succès me firent espérer que je pourrais m’enrichir comme lui par le même trafic. Je lui offris d’entrer à son service, s'il pouvait obtenir mon congé du capitaine. Il s’y employa et réussit.


Me voilà donc débarqué sur une côte de l’Afrique, n’ayant rien de plus que les babils qui me couvraient, comme si je me fusse échappé d’un naufrage. Mon nouveau maître résidait près du Cap Mount dans une petite île de deux milles de circonférence, couverte de palmiers. Nous commençâmes à faire notre négoce, et j’étais bien résolu de travailler activement pour amasser une bonne pacotille. Mais de nouveaux et plus terribles malheurs que tous ceux qui m’avaient frappé jusqu’alors, devaient m’atteindre. Il y avait dans la maison de mon maître une négresse, femme de quelque importance dans la contrée, et qui avait un grand empire sur lui. Elle gouvernait tout le ménage en maîtresse absolue, et rien ne se faisait que par elle.

Dès la première entrevue, je ne sais pourquoi, celle femme éprouva contre moi une forte prévention; et ce qui rendit encore ma position plus triste, c’est que je tombai dangereusement malade, avant d’avoir été en état de montrer ce que je pouvais ou voulais faire pour le service de la maison.

Mon maître s’embarqua et me laissa entre les mains de la négresse. Tout alla passablement dans les premiers jours de la maladie; mais comme je ne me guérissais point assez vite, je fus peu à peu tout à fait négligé. Quelquefois j’avais beaucoup de peine à obtenir un peu d’eau froide, tandis que j’étais dévoré de la fièvre. Une huche de bois me servait d’oreiller.

Lorsque la fièvre me quitta et que l’appétit me revint, j’aurais été heureux d’avoir de la nourriture; mais personne ne m’en donnait. La négresse vivait dans l’abondance, mais elle faisait beaucoup de difficulté pour me donner de quoi me soutenir. Seulement, lorsqu’elle était de très bonne humeur, elle m’envoyait dans son assiette les restes de son dîner, et j’acceptais ces restes avec la plus vive reconnaissance: tant le malheur avait humilié mon orgueil! Une fois, je m’en souviens, je fus invité à recevoir de sa propre main cette marque de bienveillance; mais comme j’étais extrêmement faible, je laissai tomber le plat de bois avec tout ce qu’il contenait. Ceux auxquels il ne manque rien auront peine à comprendre combien je fus affligé de cet accident; mais la négresse ne fit qu’en rire, et quoique sa table fut couverte de mets (car elle vivait à la manière européenne) elle refusa de me rien donner.

Ma détresse devint si grande que j’allais souvent cueillir, pendant la nuit, des racines dans la plantation, au risque d’être puni comme voleur, et je les mangeais toutes crues sur le sol, pour ne pas être découvert. Ces racines sont assez bonnes, lorsqu’elles sont cuites ou rôties, mais dans leur état de crudité, elles sont âcres et indigestes. Cette nourriture agissait sur moi comme un émétique, mais la nécessité me forçait à y recourir.

Je fus souvent secouru par des étrangers et même par des esclaves, qui m’apportaient en secret un peu de nourriture; car ils n’osaient pas le faire devant la négresse. Outre ces besoins physiques, j’avais à supporter la haine et le mépris.

Ma position devint si abjecte, durant la première année de mon séjour en Afrique, que plusieurs nègres s’estimaient eux-mêmes trop au-dessus de moi pour daigner m’adresser la parole. Quand mes forces revinrent, la négresse me fit quelques visites, non pour me témoigner sa compassion, mais pour m’insulter. Elle me nommait paresseux, fainéant, lâche, me contraignait de marcher quoique je fusse presque incapable de lui obéir, engageait ses esclaves à singer mes mouvements, à me jeter du sable à la tête, ou s’ils me jetaient des pierres (ce qui arriva une ou deux fois), elle ne leur adressait aucune réprimande. Mais, en général, bien que les esclaves dussent me maltraiter en présence do la négresse, ils me témoignaient une sorte de pitié, lorsqu’elle était absente.

Au retour de mon maître, je me plaignis de ces mauvais traitements, mais avec peu de succès. Il me prit pourtant avec lui dans son deuxième voyage, et ma position serait devenue tolérable, s’il ne m'eut soupçonné de vol. C’était presque le seul vice dont je ne méritais pas d'être accusé. Je fus de nouveau réduit à une diète cruelle, et sans quelques poissons que je pêchais en arrière du maître, je serais probablement mort de faim. Je mangeais ce poisson sans pain ni sel, et il me paraissait délicieux. L’inclémence des saisons et le manque de vêtements me firent aussi beaucoup souffrir. Je fus quelquefois exposé trente ou quarante heures à des pluies continuelles, n’ayant guères qu’une mauvaise chemise pour me couvrir.

Je perdis tout courage, et presque toute faculté de réfléchir. Ce n’était plus cet orgueil qui me poussait aux tentatives les plus désespérées, mais un abattement stupide. Quand j’étais à terre, je fuyais dans les bois pour éviter le regard des étrangers. Nouvel enfant prodigue, je ressentis toutes les amertumes et toutes les horreurs de sa position.

Cet état de choses dura un peu plus d'une année. J’écrivis à mon père et le suppliai d’avoir pitié de moi. Il chargea un capitaine de me ramener sur son bord, et je me trouvai enfin sur un vaisseau qui faisait voile vers mon pays natal. Le capitaine était tout disposé à me traiter avec obligeance. Mais j’étais un blasphémateur si débouté, j’inventais chaque jour tant de nouvelles et horribles imprécations, que ce marin, qui n’était pourtant guère circonspect dans ses paroles, m’adressa plus d’une fois de sérieuses réprimandes.

Cependant un livre que je trouvai à bord, l'imitation de Jésus-Christ, me fit involontairement réfléchir sur ma position.


* * * *


Si toutes ces choses étaient vraies! me disais-je, en lisant le livre de l’Imitation de Jésus-Christ; mais ce ne fut qu’un mouvement passager. Pour mettre fin à ces réflexions trop sérieuses, je m’en allai chercher des distractions dans les entretiens de mes compagnons de voyage. Cependant le jour du Seigneur était proche de moi, et une terrible dispensation de la Providence vint bientôt me remettre en mémoire les convictions que j’avais chassées.

Une nuit que je dormais paisiblement, je fus réveillé tout à coup par une horrible tempête. Les flots soulevés balayaient le pont du navire, et pénétraient de toutes parts jusque dans les cabines. Un immense cri d’alarme retentissait à mon oreille: Nous périssons! nous périssons!

Je me levai à la hâte et courus sur le pont. Les vagues avaient fait une ouverture à la quille de notre navire, et l’eau s’v précipitait avec fureur. Nous eûmes aussitôt recours aux pompes, mais nous n’étions que onze ou douze hommes d’équipage pour travailler, et si notre cargaison n’eût pas consisté en blocs de cire ou de bois, objets spécifiquement plus légers que l’eau, nous aurions été infailliblement submergés. Au bout d’une heure, le jour commença à poindre et le vent à s’abattre. Nous bouchâmes les voies d’eau avec nos matelas et nos habits sur lesquels nous posâmes des pièces de bois. Enfin le danger parut s’éloigner de nous.

Je ne fus que médiocrement ému au commencement de cette chaude alerte; je travaillais de toutes mes forces et encourageais mes compagnons. Mais voyant l’eau monter de plus en plus, et recevant je ne sais quel ordre du capitaine, je m’écriai presque machinalement: Si cela ne réussit pas, que le Seigneur ait pitié de nous!

Une pensée me saisit aussitôt après que j’eus prononcé ces paroles: Peut-il y avoir encore de la pitié pour moi?

Je continuai à pomper depuis trois heures du matin jusque vers midi; alors, mes forces étant épuisées, j’allai prendre un peu de repos. Une heure après on me rappela; mais comme j’étais incapable de travaillera la pompe, on me plaça au gouvernail. Là, j’eus le temps de réfléchir.

Je repassai mes premières impressions religieuses, les circonstances extraordinaires de ma vie, les appels, les avertissements, les délivrances que j’avais obtenues, et mon horrible endurcissement de cœur qui m’avait fait tourner l’Évangile même en ridicule. Je vins à me considérer comme le plus grand des pécheurs et comme trop coupable pour obtenir le pardon de Dieu. Les passages de la Bible dont je me souvenais en ce moment semblaient me confirmer dans mes craintes:

Prov.1 24-31:

Puisque j’appelle et que vous résistez, Puisque j’étends ma main et que personne n’y prend garde,

Puisque vous rejetez tous mes conseils, Et que vous n’aimez pas mes réprimandes,

Moi aussi, je rirai quand vous serez dans le malheur, Je me moquerai quand la terreur vous saisira,

Quand la terreur vous saisira comme une tempête, Et que le malheur vous enveloppera comme un tourbillon, Quand la détresse et l’angoisse fondront sur vous.

Alors ils m’appelleront, et je ne répondrai pas; Ils me chercheront, et ils ne me trouveront pas.

Parce qu’ils ont haï la science, Et qu’ils n’ont pas choisi la crainte de l’Éternel,

Parce qu’ils n’ont point aimé mes conseils, Et qu’ils ont dédaigné toutes mes réprimandes,

Ils se nourriront du fruit de leur voie, Et ils se rassasieront de leurs propres conseils...

Hébr. 6 4-6:

Car il est impossible que ceux qui ont été une fois éclairés, qui ont goûté le don céleste, qui ont eu part au Saint-Esprit, qui ont goûté la bonne parole de Dieu et les puissances du siècle à venir, et qui sont tombés, soient encore renouvelés et amenés à la repentance, puisqu’ils crucifient pour leur part le Fils de Dieu et l’exposent à l’ignominie.

2 Pierre 2, 20:

En effet, si, après s’être retirés des souillures du monde, par la connaissance du Seigneur et Sauveur Jésus-Christ, ils s’y engagent de nouveau et sont vaincus, leur dernière condition est pire que la première.


J’étais immobile, attendant avec un sombre désespoir la condamnation éternelle. Mais lorsque je reconnus, vers six heures du soir, que le navire commençait à être hors de danger, un rayon d’espérance brilla dans mon cœur. Il me sembla voir la main de Dieu étendue en ma faveur; je me mis à prononcer une prière; non la prière de la foi sans doute, mais le cri du malheureux qui ne sait plus à qui recourir.

L’idée de Christ, de cet adorable Sauveur, que j’avais tant de fois outragé, me revint à l’esprit. Je me rappelai plusieurs circonstances de sa vie et de sa mort; je désirais de croire en lui. Mais la foi me manquait; les racines de l'incrédulité étaient si profondes dans mon cœur que je ne pouvais les en arracher.

Je résolus de lire le Nouveau-Testament, et l’un des premiers moyens dont le Seigneur se servit pour m'ouvrir les yeux fut ce passage: « Si donc vous, qui êtes mauvais, savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père céleste donnera-t-il le Saint-Esprit à ceux qui le lui demandent » (Luc XI, 13 )?

Je raisonnai là dessus de cette manière: Si ce livre est vrai, la promesse contenue dans ce passage doit l’être également; or, j’ai besoin de cet Esprit pour comprendre et accepter le Christianisme; je dois donc prier, et si l’Évangile vient de Dieu, il confirmera sa promesse.


Nous avions échappé à la tempête, mais d’autres malheurs nous menaçaient. L’eau avait emporté ou avarié toutes nos provisions qui se trouvaient à fond de cale, et nos moutons, porcs et autres animaux, avaient été engloutis dans les vagues. Il ne nous restait que du poisson salé, quelques légumes, un peu de pain et de l’eau fraîche. Comme nos voiles étaient déchirées, nous n’avancions que fort lentement, et il fallut se borner à de très petites rations pour ne pas mourir de faim.

Quatre ou cinq jours après, un matelot cria: Terre! terre! Effectivement on apercevait au loin une cote élevée et plusieurs petites îles. Notre ration fut doublée, et nous cinglâmes, pleins d'espérance, vers ce point de l'horizon; mais, hélas! notre pays montagneux et nos petites îles n’existaient que dans les nuages. Ce mécompte rendit notre position encore plus triste, et l’avenir se montrait à nous sous un aspect terrible. Périr de faim, ou nous dévorer les uns les autres, quelle effroyable perspective! Enfin, le Seigneur nous délivra dans ses grandes compassions, et nous arrivâmes dans un port de l’Irlande.

Durant ces semaines de détresse, je continuai à lire le Nouveau-Testament, et je me sentis convaincu de péché. La parabole du figuier fit sur moi une impression profonde, (Luc XIII: ... Voilà trois ans que je viens chercher du fruit à ce figuier, et je n’en trouve point. Coupe-le: pourquoi occupe-t-il la terre inutilement? Le vigneron lui répondit: Seigneur, laisse-le encore cette année; je creuserai tout autour, et j’y mettrai du fumier. Peut-être à l’avenir donnera-t-il du fruit; sinon, tu le couperas.) de même que celle de l’enfant prodigue et le récit de la conversion de Saint Paul.

Je trouvais beaucoup d'analogies entre ces divers passages cl moi-même. Je priais souvent, et quelquefois la pensée me venait que je serais heureux de mourir de faim, pourvu que je mourusse au Seigneur.


Avant notre arrivée en Irlande, j’avais acquis une conviction satisfaisante de la vérité de l’Évangile, et j’y voyais le seul remède à mes maux. N'ayant jamais lu les systèmes qui rabaissent la gloire de Christ, je le regardais comme Dieu manifesté en chair. J’avais un sincère repentir de mes fautes; je renonçai à mes blasphèmes, et j’étais devenu à plusieurs égards, selon toute apparence, une nouvelle créature.

Mais si cette œuvre, comme je n’en puis douter, était faite par le Saint-Esprit, il y manquait encore beaucoup de choses.

Quoique je fusse affligé de mes énormes iniquités, je ne connaissais guère la corruption naturelle de mon cœur.

La spiritualité et l'étendue de la loi m'étaient également inconnues;

je ne savais presque rien de la vie du chrétien cachée avec Christ en Dieu,

de la communion avec notre Père céleste,

ni de la dépendance continuelle où nous devons être devant lui, pour recevoir jour par jour, heure par heure, de sa main paternelle tout ce qui est nécessaire à nos âmes et à nos corps.

Je comptais sur la miséricorde de Dieu pour obtenir le pardon de mes iniquités passées, mais je m’appuyais sur moi-même pour faire mieux à l’avenir.

Le Seigneur dissipa peu à peu mes fausses notions sur le Christianisme; mes progrès furent lents et quelquefois achetés par de cruelles expériences. Il y avait alors en moi un commencement de retour vers Dieu; mais ce ne fut que longtemps après que je devins croyant et chrétien dans toute la vérité de ces expressions.


Revenu dans mon pays, je fréquentai assidûment le service public, et m’approchai de la Sainte-Cène aussitôt et aussi bien préparé qu’il me fut possible. On supposera sans doute que j’étais maintenant ferme, inébranlable, zélé dans l'œuvre du Seigneur, et que je ne suivis plus les impulsions de la chair et du sang. Mais je dois faire encore d’humiliants aveux.

Je repris mes voyages sur mer, et mes sentiments de piété ne tardèrent pas à se refroidir. Ma conversation redevint légère et frivole, et quoique je fusse fréquemment repris dans ma conscience, je n’avais plus les armes de Dieu pour me défendre des traits enflammés du Malin.

Quand nous arrivâmes sur les côtes de la Guinée, l'ennemi des âmes m’environna d’un grand nombre de tentations sous lesquelles je succombai. Pendant un mois je me livrai il la fougue des plus honteuses passions.

Oh! comme il est nécessaire de prendre garde à soi, de peur qu’on ne vienne à s’endurcir par la séduction du péché! J'étais esclave, et n'avais ni le désir ni la force de briser mes chaînes.


Enfin le Seigneur, dont les compassions sont inépuisables, daigna encore intervenir en ma faveur. Il m’envoya une fièvre violente qui, pour un temps, me mit aux portes du tombeau. Quelle position quels souvenirs! quels remords!

Je me voyais sur le point d’être appelé devant le tribunal de Dieu; et dans ces moments d’angoisse, je me rappelais mes dangers et mes délivrances passées, mes ferventes prières, mes solennelles promesses lorsque j’étais venu à la table du Seigneur, et l’inconcevable ingratitude avec laquelle j'avais répondu à tant de bénédictions. Oh! je désirais que le Seigneur m'eût jeté au fond de l’Océan à l’époque où j’avais éprouvé mes premières convictions.

Je tombai dans un morne désespoir; mais cet effroyable état ne dura que peu de temps. Faible encore, et pouvant à peine me soutenir, je m’en allai dans une partie reculée de l'île, et là, je me sentis encore libre de prier.

Je n'osai plus prendre de résolutions, et je me prosternai devant le Seigneur, en le suppliant d’en agir avec moi comme il le jugerait convenable. Je me retrouvai capable d’espérer et de croire en un Sauveur crucifié. Ma conscience fut délivrée de son fardeau, et la paix de l'âme me fut rendue.

En même temps je recouvrai, rapidement la santé du corps, et deux jours après, lorsque je remontai sur le vaisseau, j’étais parfaitement bien.


Depuis cette époque, je n'ai plus été l’esclave de mes péchés. Il est vrai que j’ai dû combattre sans relâche l’homme de péché qui habite en moi, et que je gémis encore sous le poids, mais Dieu m'a soutenu par sa force toute-puissante. Bien que j’aie souvent contristé son Esprit (hélas! quand serai-je donc plus sage?), son amour m’a garanti des affreux désordres auxquels je m’étais précédemment livré, et j’espère humblement qu’il sera mon guide et mon appui jusqu’au terme de mes jours.

Vers ce temps-là, je fus l'objet d’une admirable délivrance du Seigneur, et je la citerai entre beaucoup d’autres du même genre.

On m’avait confié la charge d’aller le soir à terre sur une chaloupe, et de revenir le matin à bord avec une partie des marchandises qui devaient former notre cargaison. J’avais déjà fait beaucoup de voyages semblables lorsqu’un jour le capitaine, au moment où je prenais congé de lui pour entrer dans la chaloupe, me dit qu'il s'était mis dans la tête (ce fut son expression) que je resterais ce jour-là sur le vaisseau, et il ordonna à un autre homme de l’équipage de prendre ma place. Je fus surpris de la chose; car c’était la première fois que la chaloupe partait sans moi; je lui en demandai la raison, mais il ne put m’en donner aucune, sinon qu’il s’était mis cela dans la tète. Il fallut obéir; je ne descendis point dans la chaloupe, et celle chaloupe ne revint plus! Elle était vieille et usée; pendant la nuit, elle s’engloutit dans les flots, et celui qui avait pris ma place fut noyé. Le lendemain, quand j’appris cette nouvelle, je fus profondément ému. Le capitaine lui-même, bien qu’il eut trop peu de religion pour croire à une Providence spéciale, ne put s’empêcher de prendre garde à un fait si étonnant, et il répéta qu’il n’avait eu d’autre motif pour me retenir sur le vaisseau qu’une idée qui lui était venue tout à coup.

Je ne me retirai que par degrés des sociétés et des relations du monde.

À mesure que je croissais dans la foi, je découvrais mieux toute la folie des choses mondaines, et mon goût pour la retraite s’augmentait. J’aimais à prier dans les bois et dans les champs, au milieu des grandes œuvres du Créateur. Ces oratoires vastes et sublimes inspiraient à mon âme des émotions plus hautes et de plus purs ravissements que l’étroite enceinte de quatre murailles.


Je fis encore plusieurs voyages sur mer, et comme j’étais parvenu au grade de capitaine, j’introduisis sur mon bâtiment un service religieux. Chaque dimanche, je réunissais deux fois les hommes de l’équipage pour leur lire les prières liturgiques et leur adresser quelques exhortations. Cependant mes idées religieuses étaient toujours confuses à divers égards; je connaissais quelque chose de la méchanceté de mon cœur; j’avais lu fréquemment la Bible et quelques bons livres de piété; mais je manquais d’expérience sur beaucoup de sujets; car je n'avais encore trouvé personne qui m’assistât dans mes recherches.

Enfin je rencontrai le capitaine d’un vaisseau parti de Londres, homme pieux dont la conversation me fut très utile. Son caractère était communicatif, et nous apprîmes à connaître nos sentiments réciproques par quelques expressions qu’il nous arriva de prononcer dans nos entrevues. Bientôt nous devînmes amis intimes et presque inséparables.

Pendant près d’un mois, nous passâmes toutes nos soirées ensemble, tantôt sur son bâtiment, tantôt sur le mien, et nos conversations se prolongeaient quelquefois jusqu’au point du jour. J’étais tout oreilles, et non seulement il me donna de bonnes instructions, mais, ce qui valait mieux, il développa les commencements de ma piété. Il me montra les avantages de la communion avec les fidèles, et m’encouragea à faire une profession plus publique de mes sentiments.

Le Seigneur m'éclaira par le moyen de cet excellent capitaine; mes conceptions devinrent plus larges et plus évangéliques, et je fus délivré d'une crainte qui m'avait troublé bien longtemps, celle de retomber dans ma première apostasie.

Mon digne ami me donna aussi une connaissance générale de l’état de la religion en Angleterre, et des controverses qui agitaient alors le monde chrétien. Il m’indiqua les lieux où je pourrais m’adresser à Londres pour être mieux instruit sur les choses de religion, et je retournai vers mon pays natal avec de nouvelles espérances et une joyeuse perspective.


Au mois d’août 1754, je revins dans un port de la Grande-Bretagne. Ce fut mon dernier voyage sur mer. Le trafic des nègres me parut incompatible avec mes principes religieux. Ma santé ne me permettait pas non plus de faire de longues excursions maritimes. Je tournai mes vues d’un autre côté.

Pendant mes voyages, j’avais profité de mes heures de loisir pour étudier le latin. Une fois fixé dans mon pays, je voulus savoir le grec, non pour me familiariser avec les auteurs classiques, mais pour pouvoir comprendre le Nouveau Testament et les septante.

L’année suivante, j’abordai l’hébreu, et deux ans après, je m’appliquai à l’étude de la langue syriaque. Ce n’est pas que j’eusse l'intention de devenir un critique érudit; mais j’attachais une grande valeur à pouvoir sonder les Écritures dans les langues originales. J’entrepris aussi d’étudier les bons théologiens latins, anglais et français.

Plusieurs de mes amis me conseillèrent d’entrer dans la carrière pastorale. C’était le désir de mon excellente mère, lorsque je n’avais encore que cinq ou six ans. Moi-même, j’y portai mon attention et mes souhaits, en réfléchissant sur le passage de Gal. 1, 23-24: «.... elles avaient entendu dire: Celui qui autrefois nous persécutait annonce maintenant la foi qu’il s’efforçait alors de détruire. Et elles glorifiaient Dieu à mon sujet.  »

Jusqu’à présent mon projet n’est pas encore réalisé. J’éprouve toujours le même désir de servir le Seigneur, mais j’attends la manifestation de sa volonté.

Qu’il daigne disposer de moi comme il le voudra; je me recommande à sa miséricorde, étant persuadé que sa volonté et mes vrais intérêts sont inséparables.

Que son nom soit à jamais glorifié!

Archives du christianisme 1835 08 08

Archives du christianisme 1835 08 22



 


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