Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE.

Jean Gil, ou Égidius

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Prédicateur de la cathédrale de Séville au seizième siècle.


Tous ceux qui ont étudié avec quelque attention l’histoire de la grande réforme religieuse du seizième siècle savent que les doctrines prêchées par Luther et ses disciples pénétrèrent en Espagne, et y reçurent même pendant quelques années un accueil qui pouvait faire espérer le prochain triomphe du protestantisme dans la Péninsule.

Beaucoup de jeunes Espagnols allaient, à cette époque, dans les universités de France, de Suisse et d’Allemagne, pour y perfectionner leurs études théologiques, et plusieurs d’entre eux rapportèrent dans leur patrie une science fondée sur l’étude approfondie des Écritures et une piété vivante. C’étaient en quelque sorte des missionnaires que l’Europe protestante envoyait sur la vieille terre de Pélage et du Cid pour y déraciner les superstitions de l’Église romaine.

Cette nouvelle prédication trouva en Espagne des cœurs bien disposés à l’accueillir; il se forma dans plusieurs villes des assemblées qui professaient les principes de la réforme, et la vérité eut chaque jour d’éclatantes victoires à proclamer.


Mais l’Inquisition régnait et veillait dans la Péninsule espagnole.

Elle sentit bientôt qu’il y avait là une question de vie ou de mort pour l’Église de Rome et pour elle-même; sa fureur s’accrut avec le danger, et elle parvint à éteindre dans des flots de sang le flambeau de la réforme.

Ni le rang, ni l’âge, ni le sexe ne furent épargnés; l’Inquisition alla chercher des victimes jusque dans les palais des évêques, dans les chapitres des cathédrales, dans les couvents de religieuses et dans la cour de Charles-Quint.

Il était temps, disait avec une grande naïveté l'inquisiteur Parumo; deux mois plus tard, les obstacles auraient été presque insurmontables. Si les inquisiteurs n’avaient pas avec la plus grande diligence déployée toute leur rigueur contre les savants infectés de cette doctrine, elle se serait indubitablement répandue sur toute la face de l’Espagne; car partout des personnages de l’un ou de l’autre sexe, de tous les rangs, de toutes les conditions, penchaient vers elle avec la plus étonnante passion.»

Parmi les personnes pieuses et fidèles qui furent alors persécutées par l’impitoyable tribunal du moine Dominique, nous citerons Juan Gil, communément nommé Égidius, dont l’exemple montre que les plus saintes fonctions et la faveur même du peuple ne pouvaient pas dérober aux vengeances de l’Inquisition celui qui était suspect de protestantisme. Ce docteur espagnol ne tomba pas sous le glaive du bourreau, mais il souffrit beaucoup pour la cause de la vérité.

Égidius naquit à Oliveira, dans le royaume d’Aragon, et fit ses études dans l’université d’Alcala, où il obtint des succès remarquables. Ses couronnes académiques lui aplanirent le chemin qu’il voulait parcourir; il devint professeur de théologie à Siguenza. Son nom se répandit au loin, et quand la charge de prédicateur dans la cathédrale de Séville fut vacante, l’archevêque et le chapitre l’y appelèrent à l’unanimité, sans le soumettre aux examens qui étaient d’usage en pareil cas.

Cependant Égidius n’obtint pas beaucoup de popularité comme prédicateur; les arguties et les divisions subtiles de l’école ne pouvaient guère intéresser des assemblées nombreuses, et après quelques années d’un travail ingrat, Égidius avait résolu d’abandonner son poste, et de chercher à remplir des fonctions plus conformes à la nature de son esprit. Mais ayant lié connaissance, vers cette époque, avec Rodrigo de Valer, un changement extraordinaire s’opéra dans sa prédication.

Rodrigo de Valer n’était pas prêtre; il était resté parmi les laïcs, et pendant longtemps avait mené une vie dissolue. Mais une Bible étant tombée sous sa main, il se mit à la lire avec une infatigable persévérance. Dès lors, son cœur changea, et avec son cœur sa conduite. Il comprit l’Évangile de Christ, il s’humilia devant la croix du Sauveur, et ne tarda pas à employer tous ses efforts pour répandre la connaissance des vérités qui avaient renouvelé son âme.

La bénédiction de Dieu le rendit capable d’exercer une salutaire influence sur Égidius, et celui-ci interrogea lui-même le guide inspiré qui avait ouvert à son ami le chemin de la paix. Aussitôt qu’il eut appris à connaître Jésus crucifié, il adopta un autre genre de prédication. Au lieu de s’étendre sur les arguments et les distinctions creuses de la scolastique, il annonça tout simplement l’Évangile du Fils de Dieu, et l’appliqua de toutes ses forces à la conscience de ses auditeurs. Le peuple accourut en foule pour entendre des discours qui ressemblaient si peu à ce qu’il avait entendu jusque-là, et plusieurs personnes furent amenées par le ministère d’Égidius à «l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde.»

Voici le témoignage d’un contemporain d’Égidius:

«Entre les dons que ce saint homme avait reçus du ciel, on remarquait l'étonnante faculté d’allumer dans le cœur de ceux qui écoutaient ses instructions une flamme sacrée, qui les excitait à remplir tous les exercices de piété, tant intérieure qu’extérieure, et qui leur inspirait, non seulement le désir de prendre leur croix, mais encore de la joie dans la perspective des souffrances dont ils étaient continuellement menacés: preuve évidente que le Maître qu’il servait était avec lui, et gravait par son Esprit les enseignements du prédicateur dans les âmes qui entendaient ses paroles.»

Le zèle d’Égidius était tempéré par une sage circonspection: cependant lorsque son ami Rodrigo de Valer, qui ne laissait arrêter son ardeur par aucun obstacle ni aucune crainte humaine, fut cité devant le tribunal de l’Inquisition, il eut le noble courage de se présenter comme son défenseur. Nous nous contenterons d’ajouter ici que Valer fut condamné, après plusieurs citations, à rester perpétuellement enfermé dans un couvent, et qu’il y termina ses jours.

D’autres prédicateurs de l’Évangile élevèrent bientôt la voix dans la cité de Séville: entre autres deux condisciples d’Égidius dans l’université d’Alcala , hommes également distingués par leurs lumières et par leur piété, le docteur Vargas et Perez de la Fuente. Tous trois marchèrent d’un commun accord dans le chemin de la réforme, et travaillèrent ensemble à l’avancement de cette grande cause.

Vargas fit des cours pour les plus instruits, et il y expliqua successivement l’épître aux Romains et les Psaumes; Perez de la Fuente remplaça fréquemment Égidius dans la chaire chrétienne.

Leur zèle provoqua des passions jalouses dans le reste du clergé, dont plusieurs membres défendirent chaudement les superstitions romaines, tandis que les trois associés s’attachaient à établir l’impuissance des cérémonies purement extérieures, l'utilité de la lecture des saints livres, la nécessité de s’appuyer uniquement sur les mérites du Sauveur et de montrer sa foi par ses œuvres. La haute réputation qu’ils avaient acquise, soit à cause de leur science, soit à cause de leur conduite irréprochable, les préserva pour quelque temps des coups de leurs ennemis, en sorte que la Parole de Dieu se propagea rapidement à Séville et dans tous les lieux voisins. Cette église compta environ huit cents membres avant d’être renversée.


Mais l’œil de l’Inquisition était fixé sur ces trois prédicateurs, et cherchait avec avidité une occasion favorable pour les frapper. Il était également impossible d’échapper à la vigilance ou d’obtenir le pardon de ce tribunal qui, dans les trente-six premières années de son rétablissement, sous le règne de Ferdinand et d’Isabelle, avait fait brûler vifs, selon les calculs les plus modérés, treize mille individus, sans compter huit mille sept cents personnes qui avaient été brûlées en effigie, et cent soixante-neuf mille autres qui avaient été condamnées à diverses peines.

Des inquisiteurs employèrent des espions pour recueillir les paroles d’Égidius et de ses amis. Mais le docteur Vargas mourut dans ce temps-là, et Perez de la Fuente fut choisi pour accompagner Philippe, connu plus tard sous le nom de Philippe II, dans les Pays-Bas. Égidius resta donc seul en butte aux intrigues et à la haine de l’Inquisition; toutefois son crédit était si grand, sa renommée si étendue, qu’on n’osa pas diriger une attaque ouverte contre lui.

Il fut nommé par l’empereur Charles-Quint, en 1550, au siège épiscopal de Tortose, l’un des plus considérables de l’Espagne. Cette marque d’une haute faveur exaspéra les adversaires d’Égidius, et ils résolurent de frapper un coup décisif pour le renverser. En conséquence, on le dénonça au Saint-Office comme coupable d’hérésie, et l’on parvint avec l’aide de quelques formalités à le renfermer dans les cachots de l’Inquisition.

Jamais on ne connaîtra entièrement les secrets de ces lieux de ténèbres et d’horreur, jusqu’au jour où les choses cachées seront mises en lumière devant le Juge des vivants et des morts. Mais on peut assurer qu’il se trouvait dans les prisons du Saint-Office beaucoup de fidèles disciples du Sauveur, qui goûtaient la douce paix de la conscience et une heureuse communion avec Dieu, tandis que des moines impitoyables s’acharnaient à les torturer. Plusieurs périrent dans ces sombres cachots, et leurs noms avec eux; d’autres montèrent sur le bûcher; mais le Seigneur a reconnu et sauvé ceux qui étaient siens.

Les accusations portées contre Égidius concernaient la doctrine de la justification, l’assurance du salut, le mérite de l'homme, la pluralité des médiateurs, le purgatoire, la confession auriculaire et le culte des images.

On lui reprocha aussi d’avoir soutenu la cause de Rodrigo de Valer, et empêché l'érection d’un crucifix dans un lieu où un homme était mort par accident. Pour répondre à ces nombreuses charges, Égidius exposa ses vues sur la justification avec les motifs qui lui avaient fait adopter cette doctrine.

Sa franchise ne fit que donner de nouvelles armes à ses ennemis, et il est probable que le tribunal de l'Inquisition l’aurait condamné à une peine sévère, si de puissants protecteurs, inquiets sur l’issue du procès, n’étaient intervenus en sa faveur.

L’empereur lui-même écrivit à l’inquisiteur général pour demander sa délivrance; le chapitre de Séville réclama instamment son prédicateur, et il se trouva même (chose inouïe!) un juge du saint office qui prit en main la défense d’Égidius. Tout cela contraignit l’Inquisition à être plus modérée que d’ordinaire, et l’on convint que les faits imputés à Égidius seraient soumis à deux arbitres choisis de part et d’autre. En outre, comme l’accusé avait le rang d’évêque et jouissait d’une grande popularité, il fut résolu que la cause serait examinée publiquement dans la cathédrale de Séville.

Égidius nomma pour son arbitre Domingo de Soto, moine de l’ordre des Dominicains et professeur à Salamanque. Celui-ci, ayant reçu permission de communiquer avec l’accusé affecta d’avoir les mêmes sentiments que lui sur la justification, et lui donna l'espoir d’arranger facilement cette affaire ils décidèrent ensemble que chacun d’eux composerait un écrit sur le point controversé, et qu’ils le liraient l’un après l’autre en présence des inquisiteurs.

Le jour venu, la cathédrale fut remplie d’une immense multitude qui attendait avec anxiété l’issue du jugement. Deux chaires ou tribunes avaient été élevées, l’une pour Soto, l’autre pour Égidius; mais, soit accident ou calcul perfide, elles avaient été placées à une distance considérable l’une de l’autre.

Après le sermon, Soto lut le résumé de ses idées sur la doctrine de la justification. Égidius, ne pouvant entendre distinctement ce qu’il disait, se persuada qu’il n’y avait dans l’écrit de Soto que ce qu’il lui avait dit en particulier, et lorsque ce faux ami élevait la voix à la fin de chaque sentence pour lui demander s’il l’approuvait, il ne fit aucune difficulté de répondre par un signe d’assentiment. Après cela, s’étant mis à lire lui-même son écrit, il exposa des opinions presque entièrement opposées à celles qu’il avait paru accepter pendant le discours de Soto.

Les inquisiteurs profitèrent immédiatement de l’avantage que leur donnait cette contradiction apparente. Les deux déclarations furent jointes au procès, et l’on prononça contre lui une sentence qui le représentait comme violentement soupçonné d’hérésie luthérienne. La sentence portait de plus qu’il devait abjurer les propositions qui étaient à sa charge, puis rester en prison pendant dix ans, s’abstenir d’écrire et de prêcher pendant dix ans, et demeurer dans le royaume pendant le même espace de temps, à défaut de quoi il serait puni comme hérétique relaps, c’est-à-dire brûlé vit.

Rien ne peut peindre la stupéfaction d’Égidius à l’ouïe de ce jugement; il comprit, en voyant la joie de ses adversaires et l’abattement de ses amis, qu’il avait commis quelque étrange erreur. Ne sachant plus ce qu’il faisait, il s’inclina en silence et accepta sa condamnation. C’est seulement lorsqu’il se trouva dans son cachot qu’il fut instruit de la trahison de son indigne avocat, le moine dominicain. Égidius figura au nombre des condamnés dans l’autodafé qui eut lieu à Séville en 1552.

Trois ans après il fut relâché, mais il eut la douleur de voir que l’église naissante de Séville avait presque complètement péri durant ce long orage. Quelques-uns de ses membres avaient fui sur la terre d’exil, d’autres avaient payé de leur vie la profession de la foi chrétienne, et plusieurs aussi n’osaient plus manifester leurs convictions.

Égidius ne perdit point courage; il alla chercher la force et la consolation à la source de toute grâce excellente, et se trouva puissamment affermi, malgré les cruelles souffrances qu’il avait endurées. Peu après, il se rendit à Valladolid, où son ami le docteur Cazalla le reçut avec de vives démonstrations de joie. Le prédicateur de Séville exhorta ses frères à être persévérants dans la foi, puis il retourna dans le lieu de sa résidence. Mais l'âge et les fatigues avaient affaibli sa santé; il fut atteint d’une fièvre violente et mourut au bout de quelques jours. C’était en 1556.

S’il avait vécu plus longtemps, il aurait probablement péri du dernier supplice; car en 1560 l’Inquisition fit déterrer ses ossements pour les jeter dans les flammes, nota son nom d’infamie et confisqua ses biens, comme étant mort dans la foi luthérienne.

Égidius a écrit sur divers livres de la bible des commentaires qui n’ont pas été publiés. Il composa aussi, pendant qu’il était en prison, un traité sur le devoir de porter sa croix. Un jour peut-être l’Espagne, réveillée du sommeil de mort où elle est comme ensevelie, recherchera avec un soin religieux tout ce qui reste de la mémoire et des écrits d’Égidius, et reconnaîtra en lui un des plus fidèles témoins de cet Évangile éternel qui doit régner sur toutes les nations.

Archives du christianisme 1838 04 14


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