Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE

Jean de Long.

(Narration authentique d’un pasteur de la Pennsylvanie.)


***


Étant en voyage pour visiter quelques amis, j’arrivai sur une hauteur, qui pourrait porter le nom de montagne sans trop d’exagération. Il y avait là plusieurs chaumières d'un aspect riant, bien qu’elles fussent la demeure de l’indigence. Dans l’une d’elles vivaient deux personnes, un mari et sa femme, dont la réputation de piété s’était répandue dans tout le pays d’alentour.

Comme Zacharie et Élisabeth, «ils étaient tous deux justes devant Dieu, et ils suivaient tous les commandements et toutes les ordonnances du Seigneur d’une manière irrépréhensible.»

Là, le sacrifice de louange et d’actions de grâces était offert, matin et soir, devant l'autel domestique; là aussi se rassemblaient, de temps en temps, les villageois des environs, pour présenter à Dieu l'humble hommage de leurs cœurs, et pour assiéger ensemble le trône des miséricordes. Le contentement habitait dans cette cabane avec la pauvreté. On voyait empreinte sur la physionomie de ces deux bonnes gens la paix de leur âme, cette paix que les orages de la vie ne pouvaient troubler, et qui semblait jeter chaque jour de plus profondes racines.


Le mari avait été, dans ses jeunes années, un excellent chanteur, et il y avait encore dans le timbre mâle et sonore de sa voix quelque chose qui faisait vibrer les cordes du cœur. Autrefois sa mémoire était remplie de chansons grossières et obscènes; mais depuis qu'il était sorti de son état de mort spirituelle, il avait appris un grand nombre d’admirables cantiques, qui servaient à son édification et à celle d’autrui.

Il m’accueillit avec joie, et me serra cordialement la main. Comme je savais par une longue expérience que le meilleur moyen de faire une visite profitable est d’amener aussitôt l’entretien sur un sujet religieux, sans le préparer par des compliments mondains qui durent presque toujours plus longtemps qu’on ne voudrait, je lui dis en entrant:

Il me paraît, oncle Jean (c’est le nom familier sous lequel il était généralement connu), que vous êtes un de ces heureux chrétiens qui sont dans un état continuel de paix intérieure, et n’éprouvent pas ces alternatives de joie et de peine, de courage et d'abattement si fréquentes chez d'autres disciples du Rédempteur.

Grâce à Dieu, me répondit-il, je sens que je marche dans la lumière, et que Jésus est toujours près de moi; cependant il y a aussi des moments où je suis privé de ces vives joies spirituelles qui nous transportent au-dessus de ce monde périssable. Non que j'aie des doutes pénibles sur ma dernière fin; je sais en qui j’ai cru, et je suis assuré que rien ne me séparera de l’amour de Christ. Mais les infirmités de notre condition terrestre me rendent quelquefois souffrant, et les douleurs du corps semblent mettre un voile entre le Seigneur et mon âme. Loin de moi, néanmoins, toute plainte et tout murmure! J'ai mille sujets de rendre à Dieu de continuelles actions de grâces.

Il n’y a que peu d’années que je m'occupe des choses du ciel, et depuis lors je puis dire que j’ai servi un bon Maître, qui me comble de biens au-delà de tout ce qu'il m’est possible d’espérer et de demander.

Je serais heureux, mon digne ami, continuai-je, d’entendre de votre propre bouche le récit de votre conversion. C'était autrefois le plus doux entretien des enfants de Dieu de se raconter l'un à l’autre les grandes choses que le Seigneur leur avait faites, et nous devons suivre leur exemple. On m’a dit que vous avez été, à une autre époque de votre carrière l'un des plus pauvres esclaves de la puissance des ténèbres et ce sera une chose aussi intéressante que profitable de me montrer comment vous avez passé de cet esclavage à la liberté des serviteurs de Christ.

Il m’est facile de satisfaire votre désir, répondit le vieillard. J’éprouve une sensation bien pénible, à la vérité, lorsque je reviens sur mes jours d’égarement et de folie; mais ces souvenirs me rappellent aussi combien la miséricorde de Dieu a été grande envers moi.

L’histoire de ma jeunesse n'est que l'histoire de tout autre jeune homme notoirement dépravé, avec cette différence pourtant que la plupart des jeunes gens ne se distinguent que dans une sorte d’immoralité, tandis que je me distinguais dans toute espèce de vices.

Si vous exceptez le meurtre, il y avait à peine un crime avec lequel je ne fusse pas familier.

Ainsi se passèrent mes jeunes années, pleines de désordres et d’iniquités, loin de Dieu, loin de sa maison et de ses enfants, dans les plus mauvaises compagnies. La danse, les plaisirs bruyants, les excès de tout genre, les rixes et les batteries: voilà ce qui composait ma misérable existence.

Mêmes égarements après mon mariage, bien qu’ils fussent alors encore plus inexcusables; mais quelle n'est pas la force des anciennes habitudes! Partout, chez moi et dans les lieux que je fréquentais, j’aimais à m’entourer de gens corrompus qui me fortifiaient dans le mal, m’encourageaient à vivre dans l'intempérance, m’applaudissaient dans mes blasphèmes, et se moquaient de la religion.

Effroyable peste de l'âme que ces sociétés où le mal est appelé bien, le bien mal, la lumière ténèbres et les ténèbres lumière!

Comme je me voyais sans aucune conviction religieuse, je me faisais une horrible joie d’entraîner les autres dans la même incrédulité. J'invitais les jeunes gens, les enfants du voisinage à venir me rendre visite le dimanche, et je m’efforçais de les égayer par le récit de mes prouesses et de mes iniquités. Mes auditeurs étaient nombreux et assidus; car j’avais une sorte d'esprit naturel qui rendait mes discours piquants et agréables. Hélas! le dernier jour pourra seul manifester tout le mal que j'ai fait par ces indignes moyens, et je n’y pense jamais sans avoir une profonde horreur de moi-même.

De temps à autre, cependant, au milieu de cette carrière de vice et de révolte contre Dieu, il s’élevait dans ma conscience des convictions de péché et une sorte de terreur de l'éternité. Mais je traitais cela de faiblesse d’esprit, et tâchais de m'étourdir aussitôt que possible.

La boisson était ma grande ressource dans de pareils moments. Quant à la religion et à tout ce qui s’y rapporte, je m’en faisais l’idée la plus sombre. Elle me paraissait bonne pour le moment de la mort, mais entièrement incompatible avec les plaisirs et les amusements de la vie.

Les chrétiens me semblaient être une race de gens tristes, moroses, malheureux, et je m'imaginais qu’en adoptant leurs croyances je devrais dire un irrévocable adieu à toute pensée de bonheur sur la terre.

J'atteignis de cette manière l'âge de quarante-neuf ans. À cette époque (il y a environ six ans de cela), il plut à Dieu d'envoyer dans cette contrée deux pasteurs qui prêchaient avec force les vérités du salut.

Je n'allai pas d’abord les entendre, mais comme leur prédication produisait un grand mouvement dans le public, j'avais un désir secret de suivre la foule au temple, bien que j’eusse honte de me montrer dans la maison de Dieu. Le désir prévalut sur la honte, et je me décidai à faire cette démarche.

Je me trouvai précisément assis à côté d’un homme, déjà sur l’âge, qui avait partagé autrefois mes passions et mes désordres. Le texte du pasteur était en ces termes: «C’est par la foi que Noé, avant été divinement averti des choses qu’on ne voyait point encore, craignit, et bâtit l’arche pour sauver sa famille, et par cette arche il condamna le monde, et fut fait héritier de la justice qui s’obtient par la foi (Hébr. XI, 7).»

Mon attention fut vivement excitée par le prédicateur. Après le sermon, la sainte cène fut distribuée, et je fus frappé de la séparation qui se faisait entre ceux qui s’approchaient de la table sacrée et ceux qui restaient en arrière. Lorsque j’en vis plusieurs qui avaient eu naguère une conduite semblable à la mienne, et particulièrement mon voisin âgé recevoir les symboles de la communion chrétienne, une solennelle pensée s’empara de toutes les puissances de mon âme: Il en sera justement ainsi, me disais-je, au jour du jugement. Ce vieillard et des centaines d’autres de mes anciens amis entendront cette parole de salut: Venez, vous qui êtes bénis de mon Père, dans le royaume qui vous a été préparé; ils habiteront éternellement avec le Seigneur, et moi! moi, je serai laissé en arrière.

Comme nous sommes séparés en ce moment, nous serons séparés pour l’éternité.

Il m’est impossible de décrire la violence de mon émotion. Je me levai, je sortis du temple, espérant que la marche calmerait mon esprit, mais en vain. Des pleurs coulaient le long de mes joues, pendant que je courais comme un insensé à travers les rues. «Que vas-tu donc faire? me disais-je sous l’influence de mon mauvais cœur; que penseraient tes amis, s’ils te rencontraient dans un pareil état, gémissant, pleurant, au sortir d'une assemblée religieuse? Ah! il faut de toute nécessité me délivrer de ces sentiments, et le plus tôt sera le mieux. J’eus donc recours à mon moyen habituel d’étourdissement; j'entrai dans une taverne et demandai de l’eau-de-vie.

Hélas! je frémis aujourd'hui de cet horrible expédient, qui aurait pu tuer mon âme pour jamais. Dieu, dans ses grandes compassions, ne me permit pas de réaliser mon funeste dessein. La boisson fut impuissante à chasser mon angoisse. Le lendemain, je voulus doubler le remède; mais il fut également inutile.

Toujours, toujours me poursuivait l’image de mes amis qui ressusciteraient glorieux et entreraient dans la demeure d’une éternelle félicité, pendant que je tomberais dans la nuit éternelle, poussant des cris de désespoir avec les démons et les damnés.

Encore une fois, par un endurcissement inouï, un autre matin étant venu, j’essayai de m’étourdir dans l’ivresse. Mais avant d’avoir accompli mon projet, je sentis mon corps faiblir, chanceler, et il me sembla que ma vie s’approchait rapidement de son terme. Je me levai pour aller respirer un air pur; mais avant d’être arrivé à la porte, je me trouvai à demi aveugle. C’est à peine si je pouvais reconnaître mon chemin; tous les objets s’agitaient et vacillaient autour de moi. J’en conclus que mes craintes n’étaient que trop bien fondées, que ma mort était proche, et que j’allais comparaître, moi misérable pécheur endurci, devant un Dieu justement irrité. Maintenant, me disais-je, ce n’est plus le moment de te jouer de ces choses. INVOQUE DIEU, OU TU SERAS PERDU POUR JAMAIS.

Je me dirigeai vers un bois proche de la ville, ne sachant guère où je voulais aller, chancelant à chaque pas, ne distinguant rien sur ma route. Enfin j’arrivai près d’un arbre renversé, et là tombant à genoux par une sorte d'instinct, j’essayai de balbutier quelques mots de prière.

Pardon, grâce, miséricorde! sois apaisé envers moi qui suis le premier des pécheurs! telles étaient les paroles qui sortaient entrecoupées de mes lèvres. Si j’avais pu pleurer, j’y aurais trouvé quelque soulagement; mais la source de mes larmes me semblait tarie. À diverses reprises je m'agenouillai au même endroit, mais je ne pouvais pleurer.

La nuit suivante, le sommeil ne descendit point sur mes yeux. Les terreurs de l'Éternel m'environnaient, et mon âme était écrasée sous le poids de ses misères. Il en fut de même le lendemain: ni repos, ni espérance, ni consolation. Mais au bout du troisième jour un rayon traversa ces épaisses ténèbres. Je reconnus que Dieu pouvait encore me pardonner, quels que fussent mes crimes, et alors ma langue fut déliée pour invoquer le Seigneur, et mes larmes coulèrent avec abondance.

Je continuai plusieurs jours de suite à prier, à pleurer, à supplier le Seigneur d’avoir pitié de moi. Je me trouvai de plus eu plus disposé à mettre ma confiance dans les compassions de Dieu, et à donner mon cœur à Christ, étant résolu, s’il était trop tard, de mourir à ses pieds, en criant miséricorde.

Mais à mesure que je comprenais mieux l'Évangile, l’espérance descendit plus avant dans mon cœur. Jésus-Christ me parut un Sauveur parfaitement propre à me retirer de l’abîme, puisqu’il «peut toujours sauver ceux qui s’approchent de Dieu par lui, étant toujours vivant pour intercéder pour eux» (Hébr. VII, 25).

Ainsi, par degrés, mes obscurités et mes anxiétés s'évanouirent; la lumière, la joie et la paix prirent possession de mon cœur.

Voilà plus de cinq ans que ce changement a eu lieu, et quoique je fusse auparavant l'un des hommes les plus adonnés à la brutale passion de l'ivrognerie, je n’ai jamais ressenti depuis lors aucun désir de toucher à des liqueurs spiritueuses. Je puis attester aussi que je n'avais jamais connu ce que c'est que le vrai bonheur, avant d’être chrétien; et si la piété n’avait d’heureuses conséquences que de ce côté-ci de la tombe, elle mériterait encore d’être recherchée comme une perle de grand prix. Oui, «la piété a les promesses de la vie présente et de celle qui est à venir «(1 Tim. IV, 8).

Pendant que Jean de Long poursuivait son récit, plusieurs de ses pieux voisins étaient venus, l’un après l’autre, s’asseoir dans sa chaumière, et lorsqu’il eut achevé, nous saisîmes cette occasion de faire une réunion de prière. Puis le vieillard chanta un cantique si bien adapté à sa position que des larmes coulèrent de tous les yeux. Je me sentis fortifié, rafraîchi, plein de joie, et je me répétai souvent: il m’est bon d’être ici!

Lecteur! êtes-vous loin de Christ, comme l'était Jean de Long?

Repentez-vous; confiez-vous aux mérites de Christ, et vous obtiendrez miséricorde. Ou bien, gémissez-vous sur l'obstination d’un pécheur: Ne vous découragez point. Ce pécheur peut encore être amené aux pieds de Christ par vos exhortations et par vos prières.

Souvenez-vous de la conversion de Jean de Long.

Archives du christianisme 1836 09 24


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