Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE.

Jean Chrysostôme.

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(347-407)


Jean, surnommé Chrysostôme (bouche d’or) à cause de son éloquence, fit d’abord des études pour le barreau, sous la direction du fameux, rhéteur Libanius. Cette carrière ouvrait à ses talents une magnifique perspective, et il aurait pu en attendre les plus hautes dignités. Mais le spectacle de la vie désordonnée et des fréquentes injustices des avocats lui fit bientôt choisir une autre profession. Il résolut de se consacrer entièrement à la lecture de la Bible, à l’étude des choses saintes et à la pratique des devoirs religieux.

Mélèce, qui était alors évêque d'Antioche, approuva les intentions de ce jeune homme, et après trois ans de noviciat, il le reçut dans l’Église par le baptême, et lui donna en même temps l’emploi de lecteur. C’était vers la fin de l’an 369.

Depuis lors Chrysostôme veilla sur ses discours avec une pieuse et sévère attention. Il s’abstint de tout jurement, de tout mensonge, et même de toute plaisanterie.

Sa mère, dans la maison de laquelle il vivait, prenait soin de pourvoir aux choses qui lui étaient nécessaires, en sorte qu’il n’avait à s’occuper d’aucune affaire temporelle. Il jeûnait, priait, lisait la Bible, dormait sur la terre nue, et soumettait son corps à tous les exercices capables de le mortifier et de l’assujettir. Il parvint ainsi, sous la bénédiction divine, à vaincre toutes les passions de la jeunesse, et à donner l’exemple d'une conduite sans reproche au milieu d’une génération corrompue.

Cette vie retirée le fit accuser d’être un homme insociable; niais il aima mieux supporter ce mauvais renom que de s’exposer de nouveau à la séduction du monde. C’est à cette époque que l’on doit placer ses voyages à Jérusalem, vers l’Euphrate et vers la Mer Noire, voyages dont il parle fréquemment dans ses écrits. Lorsqu'il revint à Antioche, il prit la résolution de vivre dans une solitude encore plus complète qu’auparavant.

Il y avait alors dans les montagnes voisines d’Antioche un grand nombre d’anachorètes, qui étaient devenus célèbres par leurs austérités, par leur frugalité, et par les mortifications auxquelles ils se soumettaient. On peut blâmer, sans doute, le motif qui les poussait à s’isoler de tout commerce avec les autres hommes; on peut regretter qu’ils n’aient pas fait le bien que la religion les appelait à faire dans la société de leurs semblables; mais on doit avouer aussi que ces pieux cénobites étaient loin de ressembler aux moines oisifs et dépravés qui ont paru dans les siècles postérieurs.

Les anachorètes dont nous parlons se distinguaient par une piété fervente, et ne négligeaient aucun moyen pour avancer dans la connaissance de Dieu. Ils se levaient avant le jour pour prier; puis ils consacraient une grande partie de leur temps à la lecture de la Bible. Ces exercices religieux ne les empêchaient pas de se livrer à des travaux manuels. Quelques-uns cultivaient la terre; d’autres fabriquaient des coupes, des vases, et divers ustensiles du même genre; d’autres encore s’occupaient à écrire ou à copier des livres. Leur nourriture se bornait à un peu de pain qu’ils faisaient eux-mêmes; leur boisson était de l’eau, et la terre leur servait de couche.

Bien que pauvres, ils étaient les soutiens des pauvres: tant il est facile de secourir son prochain, en quelque situation que l’on soit, quand on le veut d’un cœur sincère! Ils accueillaient avec la plus cordiale hospitalité tous les étrangers qui venaient auprès d’eux, et soignaient les malades avec un zèle infatigable. Nulle distinction de rang parmi ces solitaires; celui-là seul était regardé comme le plus grand, qui se montrait le plus humble et le plus appliqué à l’accomplissement de ses obligations.

Voilà le genre de vie que Chrysostôme crut devoir adopter dans les plus florissantes années de la jeunesse. Il eut d’abord quelque peine à suivre ces pratiques austères; mais il combattit les obstacles que lui opposaient ses anciennes habitudes, et passa quatre ans dans les montagnes d’Antioche, sous la direction d’un vieux cénobite. Au bout de ces quatre années, il se retira tout seul dans une grotte, et y passa deux ans à étudier les livres de l’Ancien et du Nouveau-Testament. Aussi ne s'est-il trouvé, dans le cours des siècles, que bien peu de théologiens qui aient eu des Écritures une connaissance égale à celle de Chrysostôme. Mais ces austérités usèrent les forces de son corps, et une maladie grave le contraignit, en 381, de revenir dans la ville d'Antioche.


L’évêque Mélèce, qui appréciait toujours davantage sa piété et ses vertus, lui conféra la charge de diacre. Chrysostôme la remplit pendant cinq ans avec la plus louable fidélité. Voici un fait, entre autres, qui peut servir à caractériser son zèle.

L’évêque d'Antioche s’étant rendu à Constantinople pour des affaires ecclésiastiques, beaucoup de prêtres montrèrent une extrême négligence dans l’exercice de leur ministère, et ne craignirent pas de baptiser plusieurs milliers de personnes, avant de leur avoir donné les instructions dont elles avaient besoin pour recevoir dignement le baptême. Chrysostôme eut pitié de l’ignorance de ces néophytes, et les rassembla pour leur enseigner les vérités essentielles du Christianisme. Comme il n’était que diacre, il n’avait pas la permission de prêcher en public; mais il pouvait instruire des catéchumènes, et cet humble emploi commença à répandre au loin le bruit de ses talents oratoires.

Flavien, successeur de Mélèce, le reçut au nombre des prêtres, et le chargea de la prédication dans les principaux temples d’Antioche. Il paraît que Chrysostôme jouissait d’un grand crédit auprès du nouvel évêque; car il s'exprime dans ses discours, non seulement avec la tendresse d’un père et la dignité d’un pasteur, mais avec la sévérité d’un juge qui a le droit de retrancher les rebelles de la communion de l’Église. L'évêque assistait lui-même très régulièrement aux prédications du nouvel orateur, et lui témoignait en toute circonstance la plus vive affection.


Jean Chrysostôme fit alors paraître dans tout leur éclat des talents qui ne s'étaient encore montrés que sous la lueur douteuse de ses instructions particulières. Aucun travail ne lui coûtait pour avancer le règne de Dieu dans les âmes. Il ne se passait guère de jour où il ne rassemblât le peuple autour de la chaire évangélique. On dit (mais le calcul nous paraît fort exagéré) que ses auditeurs s’élevaient quelquefois au nombre de cent mille personnes. On l’écoutait avec un étonnement et une ardeur incroyables.

Ses discours étaient souvent interrompus par des acclamations, par des battements de mains, et l’illustre interprète de la Parole de Dieu conjura plusieurs fois ses auditeurs de témoigner leur approbation, non par des applaudissements mondains, mais par leur zèle à suivre ses exhortations dans leur conduite.

Les sujets de ses discours étaient extrêmement variés. Tantôt, il présente une simple paraphrase d’un morceau des Écritures; tantôt il traite une matière spéciale; toujours il s'attache à combattre les vices de son temps. Quand il s'occupe de ceux qui avaient adopté de fausses opinions, il le fait avec une douceur, une charité qui peut servir de modèle à tous ceux qui réfutent les erreurs des hérétiques. Ses discours sont tout ensemble des monuments de la piété la plus fervente et de la plus parfaite humilité.

Une si admirable éloquence porta le nom de Chrysostôme dans tout l’empire d'Orient, et lorsque l'évêque de Constantinople, Nectaire, mourut en 397 , beaucoup de personnes témoignèrent le désir d’appeler à ce siège le célèbre prédicateur d'Antioche. Le patriarcat de Constantinople donnait à celui qui l'occupait une grande et profonde influence, non seulement sur les affaires de l’Église, mais encore sur celles de l'État, il n’est donc pas étonnant que cette éminente dignité fut briguée par une foule d’évêques et de prêtres, qui estimaient les honneurs du monde au-dessus du bien commun des fidèles.


Après la mort de Nectaire , on vit des membres du clergé commettre les plus honteuses bassesses pour obtenir le siège de Constantinople. Les uns flattaient le peuple, et tâchaient de capter ses suffrages par des promesses insidieuses; d'autres s’adressaient aux courtisans, aux principaux officiers du palais, et ne s’abstenaient pas même des plus indignes moyens pour surprendre la religion de l’Empereur.

Chacun avait ses amis, et l'on se rassembla plusieurs fois sans pouvoir tomber d’accord sur le choix du patriarche. Le peuple, fatigué et mécontent de toutes ces intrigues, adressa une requête à l’Empereur Arcadius pour le prier de nommer un évêque qui fut digne d'occuper le siège de Constantinople. Un chambellan, nommé Eutrope, qui gouvernait alors l’empire sous le nom de son maître, avait entendu Chrysostôme pendant ses voyages en Asie, et comme il voulait se rendre agréable au peuple en lui donnant un bon et pieux évêque, il fit tomber le choix d’Arcadius sur le prédicateur d'Antioche. L’Empereur, le clergé, les fidèles, tous se réunirent pour appeler Chrysostôme.

Mais la difficulté consistait maintenant à le faire sortir d’Antioche. On connaissait son extrême humilité, son affection pour son troupeau, son désir de ne pas le quitter, la résistance que les chrétiens d’Antioche opposeraient à l’éloignement d’un docteur dans lequel ils honoraient déjà leur futur évêque. Il fallut employer une sorte de ruse pour surmonter ces obstacles.

Arcadius envoya au gouverneur de la province une lettre particulière, qui lui ordonnait d’aller voir Chrysostôme en particulier, de le prendre dans sa voiture et de le mener hors de la ville, avant de lui faire connaître sa nouvelle vocation. C'est ce qui arriva en effet. Le gouverneur entraîna Chrysostôme jusqu’à la première station, et le remit à des officiers de l'Empereur qui le conduisirent jusqu’à Constantinople.

Son installation se fit avec une pompe inaccoutumée. Un grand nombre d’évêques y assistèrent, et le patriarche d’Alexandrie, Théophile , présida à la cérémonie. Ce patriarche avait tenté beaucoup d’efforts pour placer à Constantinople un autre évêque; mais il n’avait pu y réussir, et quoiqu’il en coûtât à son ambition, il dut installer Chrysostome en 398, aux grands applaudissements de la cour et du peuple. Mais il se promit en secret de renverser cet importun rival, et les occasions ne manquèrent pas à son ardeur de vengeance, comme nous le verrons dans la suite de cette biographie.

À peine monté sur le siège de Constantinople, le nouveau patriarche y déploya une infatigable activité. Ses travaux étaient nombreux, sa responsabilité immense, mais il ne resta point au-dessous de ce qu’on attendait de lui. Il aimait son troupeau de toute l’affection d’un père; il y voyait des frères, des soeurs, des enfants, et s’efforça d’obtenir leur amour. Il ne se contentait pas de les instruire dans le temple; mais il accordait un libre accès auprès de sa personne à tous ceux qui avaient des conseils à lui demander ou même à lui offrir.

Il est impossible, disait-il, que je ne commette pas quelquefois des fautes, sous le poids des soins multipliés qui m’ont été remis; je demande en grâce qu’on m’en avertisse, afin que je m’en corrige, et que je ne commette plus les mêmes erreurs à 
l’avenir.

Il est à peine nécessaire d’ajouter que le dévouement de Chrysostome fut récompensé par l’affection de son troupeau. Tous accouraient pour l’entendre, et, ce qui vaut mieux, beaucoup d’auditeurs mettaient en pratique ses enseignements. Il s'opéra une réforme très sensible dans les mœurs de la capitale de l’empire, et l’on reconnut alors ce qu’un seul homme est capable de faire, quand il possède une foi vivante accompagnée d'une puissante éloquence.

C’était une espèce de mode à Constantinople, dans ce temps-là, de discuter à tout propos sur des questions théologiques. Les choses que l’on ne doit traiter qu’avec un esprit sérieux, une âme recueillie, loin des dissipations et des frivolités du monde, étaient devenues un texte de conversations légères et inconvenantes. On plaçait l’essence du Christianisme dans certaines formules, qui semblaient d’autant plus saintes qu’elles étaient plus obscures, et qui offraient une matière inépuisable aux plus ardentes controverses.

On parvenait ainsi à s’étourdir contre l’impression que doit faire la vérité sur la conscience, et par un étrange renversement d’opinion et de conduite, on tâchait d’être habile théologien pour se dispenser d’être chrétien. En un mot, on avait fait de la religion révélée une affaire de dialectique ou d’imagination, et ce n’était plus une affaire du cœur. Chrysostôme, qui connaissait parfaitement les défauts et les besoins de ceux auxquels il s’adressait, ne manqua pas de les prémunir contre les illusions qu’ils se formaient à l’égard de la vraie piété; il ne cessa de leur redire que c’était peu de raisonner sur la religion, mais qu’il fallait la pratiquer, et que le meilleur disciple de Christ n’est pas l’homme qui dispute le plus subtilement sur le Christianisme, mais celui qui observe sa loi avec le plus de persévérance et de fidélité.

(La fin a un prochain numéro.)

Archives du christianisme 1837 03 11


 

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