Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE.

Jean Chrysostôme.

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(347-407.)


(Suite et fin.)

On lira sans doute avec intérêt quelques fragments des discours prononcés par l'illustre patriarche de Constantinople: c'est le meilleur moyen de connaître les préjugés et les erreurs qui régnaient à la fin du quatrième siècle dans les églises de l'Orient.

Beaucoup de personnes, dans ce temps-là comme de nos jours, croyaient qu’il suffisait d’assister au service religieux dans les trois grandes fêtes de l'année. Chrysostôme leur répond que ces fêtes se rapportent à des événements qui doivent être toujours présents au cœur des chrétiens:

«C’est une opinion judaïque, dit-il, de ne vouloir se présenter devant son Dieu que trois fois par an; car pour nous chaque jour doit être un jour de fête, comme il me sera facile de vous le prouver par l’objet même des fêtes chrétiennes.

Notre première fête est celle de la venue de notre Seigneur dans le monde. Qu’est-ce que nous rappelle cette solennité? Que Dieu, le Fils unique de Dieu, a habité parmi nous. Mais aujourd’hui encore il est parmi nous; il l’est et le sera toujours; car il dit, Matthieu, 28, 20: Voici, je suis toujours avec vous jusqu’à la fin du monde. Nous pouvons donc célébrer chaque jour un nouveau jour de Noël.

Qu’est-ce que marque la fête de Pâques? Nous annonçons les souffrances de notre Seigneur et sa résurrection; mais devons-nous le faire seulement dans un temps déterminé? Non, car l’apôtre Paul, voulant nous affranchir du joug des époques légales, nous dit, 1 Cor. 11, 26: Toutes les fois que vous mangerez de ce pain et que vous boirez de cette coupe, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. Puisque nous pouvons et devons annoncer en tout temps les souffrances du Seigneur, nous pouvons aussi célébrer en tout temps la Pâque chrétienne.

Voulez-vous reconnaître comment la fête d’aujourd’hui (la Pentecôte) peut aussi être célébrée chaque jour, examinons quel en est l’objet. Elle est destinée à nous rappeler que le Saint-Esprit a été répandu sur nous. Or, de même que le Fils unique de Dieu est toujours auprès des croyants, le Saint-Esprit habite toujours au-dedans d’eux, Jean 14, 16, 17; et de même que chaque jour est un jour de Noël, puisque Jésus-Christ a dit qu’il est avec nous jusqu’à la fin du monde, chaque jour doit être aussi un jour de Pentecôte, puisque l’Écriture déclare que l’Esprit de Dieu est éternellement avec nous.

Et pour comprendre que les fêtes reviennent sans cesse pour le chrétien, et que nous ne sommes pas seulement liés à des temps déterminés, lisez ce que l’apôtre Paul dit, 1 Cor. 5, 8. Il veut montrer que la fête consiste, «non dans le jour, mais dans une conscience pure; car une fête n’est autre chose que la joie qui rafraîchit le cœur du chrétien, et il n'y a de joie réelle que dans une bonne conscience.»


Chrysostôme exhortait fortement tous les membres de l’église à travailler, chacun selon ses moyens et ses talents, aux progrès du règne de Dieu, et réprimandait avec énergie ceux qui prétendaient laisser cette charge aux seuls ecclésiastiques.

«QUE CHAQUE MAISON, DISAIT-IL, SOIT UNE ÉGLISE; et ne répondez pas qu’il n’y a qu’un seul homme et une seule femme dans votre maison; car Christ a dit: là où deux personnes sont réunies en mon nom, je suis avec elles, — et partout où est Christ, il y a une grande et sainte assemblée......

Il n’est rien de plus froid qu’un chrétien qui ne travaille pas au salut des autres. Comment peut-il même se nommer chrétien celui qui n'est pas utile à ses semblables?

Quand le levain, mêlé à la pâte, ne communique pas sa propriété à toute la masse, peut-on appeler encore cela du levain?

Lorsque le baume ne répand aucun, parfum autour de lui, est-ce encore du baume?

Et ne dites pas: il est impossible d’amener les autres à l’Évangile; car si vous êtes chrétiens, il est encore plus impossible que vous ne le fassiez pas. De même que ce qui est dans la nature d'une chose arrive nécessairement, l’activité est nécessaire au chrétien; car c’est un devoir fondé sur la nature même du Christianisme.»


Comme il y avait de grandes divisions dans l’église, et que l'on s’accusait d’hérésie de chaque côté, le pieux patriarche, qui joignait une sincère charité à un zèle ardent, estima que c’était son devoir de recommander à tous la douceur et la patience:

«Montre à celui qui se trompe, disait-il, que ce qu’il tient pour juste et orthodoxe est contraire à la Parole de Dieu. S’il accepte la démonstration, tu auras travaillé tout à la fois pour ton salut et pour le sien; s'il ne l'accepte pas, tache de parler à son cœur, et agis envers lui avec une inaltérable patience, de peur que le souverain Juge ne te demande compte de son âme.

Garde-toi d’agir avec précipitation ou par inimitié; ne persécute personne; donne en toutes choses l’exemple d’un amour paisible et pur. C’est déjà un grand gain de manifester son amour, et d’enseigner ce qui est le caractère essentiel des disciples de Jésus, Jean 13, 35. Nous devons condamner les fausses doctrines, mais avoir beaucoup de douceur envers les hommes et prier sans cesse pour leur salut....»

«Quand même, dit-il ailleurs, tu ferais des miracles, et quoi que tu puisses faire, les païens ne t’admireront pas autant que s’ils remarquent en toi de la débonnaireté et de l’amour. Rien n’a sur les hommes autant de puissance que l’amour. Si quelqu’un ne vient pas aussitôt à l'Évangile, ne lui demande pas tout en une fois, mais conduire peu à peu par l’amour dans le sentier des justes.»

Ces exhortations qui s’adressaient directement à la conscience, et qui démasquaient tous les vices et toutes les hypocrisies, produisirent deux résultats opposés:

Chrysostôme obtint l’approbation et le respect de tous ceux qui marchaient sincèrement vers la sanctification;

mais il s’attira d’un autre l'inimitié et les persécutions de ceux qui haïssaient la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises.

À Constantinople en particulier, Chrysostôme eut affaire avec des ennemis puissants, et spécialement avec l'impératrice Eudoxie, femme ambitieuse et mondaine, qui pensait avoir rempli tous ses devoirs de religion, quand elle avait visité et orné les temples, pratiqué quelques formes de culte, et témoigné des marques extérieures de vénération aux moines et autres ecclésiastiques qui peuplaient en foule son palais.

Eudoxie ne se faisait, du reste, aucun scrupule de confisquer les biens des familles riches, et d’ôter même aux pauvres leurs dernières ressources, pour satisfaire la cupidité des courtisans.

L’évêque d’Alexandrie, qui était envieux de la renommée de Chrysostôme, exerçait une grande autorité sur les résolutions de l'impératrice, et ne négligeait rien pour augmenter ses ressentiments contre le patriarche de Constantinople.

Eutrope lui-même, ce favori qui avait appelé Chrysostôme au premier siège de l’Orient, ne tarda pas à se brouiller avec lui. Il voulait bien entendre des discours éloquents, des périodes sonores et pathétiques, mais il ne voulait pas entendre la vérité.

Il fut d'abord le plus zélé admirateur et prôneur des talents du patriarche; mais quand celui-ci le censura de ses désordres et résista à ses iniques entreprises, il passa rapidement de l'admiration à la haine.

Les temples étaient alors des lieux de refuge, et Chrysostôme s’opposa au despotisme d'Eutrope, qui s’arrogeait le droit de violer ces pieuses retraites. Mais bientôt après, par l’un de ces retours de fortune si communs dans l’empire d’Orient, Eutrope fut précipité du faîte des honneurs, et chercha lui-même un asile dans ces temples qu’il avait tant de fois profanés. Le patriarche saisit cette circonstance pour montrer à la multitude le néant de toutes les choses humaines, et prêcha sur le texte:

Tout est vanité, Prov. 1,2.

«Ces paroles, dit-il, devraient être gravées sur toutes les portes, à l’entrée et à la sortie de toutes les maisons; elles devraient être continuellement présentes à la conscience de tous les hommes; car nous sommes trop portés à regarder la trompeuse apparence des objets terrestres comme une réalité.»

Beaucoup de gens riches furent mécontents de ce discours, et élevèrent de violents murmures.


Chrysostôme répondit dans un autre sermon qu'il n'avait pas condamné les richesses considérées en elles-mêmes, mais les mauvais moyens qu'on emploie trop souvent pour les acquérir et le mauvais usage qu'on en fait. Ensuite, pressentant l'orage qui le menaçait, il continua en ces termes «Je suis prêt à laisser répandre mon sang, pourvu que je puisse arrêter les progrès du mal. Je m'inquiète peu de la haine et des persécutions des méchants; une seule chose m'est précieuse: l'amendement de mes auditeurs.»

Il n’est pas de mensonge, pas de calomnie qui ne fût inventée par les ennemis de Chrysostôme pour le perdre. Ce vénérable patriarche vivait avec une extrême sobriété; il ne prenait qu’une nourriture très légère, et ne buvait que rarement un peu de vin. Cela n'empêcha pas ses adversaires de répandre le bruit qu’il commettait des excès énormes dans sa vie cyclopéenne, pour employer leurs propres expressions.

Chrysostôme mangeait toujours seul, n’invitant personne à sa table, et n’allant non plus chez personne. Il agissait ainsi, pour ne pas consumer à des entretiens frivoles un temps précieux, et pour éviter les tentations à l’intempérance. Mais ses ennemis lui eu firent un crime abominable; ils attribuaient à l’orgueil ce qui n’était que le résultat de sa piété.


Le prédécesseur de Chrysostôme aimait la pompe et la magnificence dans le culte religieux; mais ce dernier, plus simple dans ses formes, vendit beaucoup de vases d’or, de riches tapis, d’ornements fastueux, et employa cet argent à établir des hospices pour les étrangers, les pauvres, les orphelins et les veuves. À cause de cela, ses ennemis l’accusèrent d’avoir volé les églises, et transformèrent sa charité en sacrilège.

Chrysostôme s’appliqua surtout à introduire des réformes dans le clergé. Un grand nombre de prêtres déshonoraient leur saint ministère par les plus viles passions; ils vivaient dans les désordres du monde, se mêlaient à toutes les intrigues, ambitionnaient les honneurs, les richesses, et ne reculaient devant aucune bassesse pour les obtenir. Le patriarche destitua plusieurs d’entre ces ecclésiastiques, et exhorta les autres à donner un meilleur exemple. Il est inutile d’ajouter que ces mesures, quelque justes qu’elles fussent, excitèrent contre Chrysostôme les plus implacables ressentiments. On doit citer, entre autres, deux diacres qui avaient été renvoyés, l’un parce qu’il était coupable d’adultère, le second parce qu’il avait commis un meurtre, et qui furent les principaux instruments des persécutions dirigées contre le patriarche.


L'orage éclata en 403. L’évêque d’Alexandrie, Théophile, rassembla un certain nombre d’évêques et de prêtres, les effraya par des menaces ou les gagna par des présents, et dans ce prétendu concile, qui n'était qu’un brigandage, selon l’énergique expression de Bossuet, Chrysostôme fut déclaré indigne d'occuper un siège épiscopal.

D’autres évêques s’étaient réunis autour du patriarche, et voulaient opposer à cet acte de tyrannie une éclatante protestation. Chrysostôme leur répondit d’une voix tranquille:

«Priez, mes frères, priez pour moi. Si vous aimez Christ, retournez auprès de vos troupeaux. Pour moi je puis dire avec l’apôtre: le temps de mon départ approche. Après tant de tribulations, je suis heureux de sortir de ce monde. Je connais bien les ruses de Satan, qui ne veut pas supporter davantage mes attaques contre son règne. Souvenez-vous seulement de moi dans vos prières.»

Et comme ces paroles leur arrachaient des larmes: «Ne pleurez, pas mes frères, poursuivit-il, et ne m’ôtez pas mon repos. Christ est ma vie, et mourir m’est un gain. Rappelez-vous que je vous ai toujours dit que l’existence présente est un voyage, pendant lequel nous devons accepter avec égalité d'âme la prospérité et l’adversité. La terre est comme un grand marché; nous achetons, nous vendons, et nous retournons ensemble dans notre patrie.»

L’un des évêques ayant répondu: «Nous pleurons sur l’église qui va perdre son vénérable chef. — Je n’ai pas été, répondit-il, le premier docteur de l’église, et je ne
 serai pas le dernier. Paul n’a-t-il pas été décapité? Eh bien Tite , Apollos, Timothée et beaucoup d’autres restèrent après lui, et continuèrent son oeuvre.»

Chrysostome s’en alla paisiblement dans la terre d’exil; mais pour cette fois la persécution fut courte. Le peuple avait veillé trois jours et trois nuits autour de l'église et de son palais pour l'empêcher de partir, et le patriarche eut la générosité de se livrer secrètement à ses ennemis, qui attendirent les ténèbres du soir pour le mener sur le chemin de Bithynie. Mais le jour suivant, le palais de l’Empereur et toute la ville de Constantinople furent ébranlés par un violent tremblement de terre. Le peuple regardait cet événement comme une voix de la Providence qui s'opposait à l’exil de Chrysostôme, et l'impératrice Eudoxie, qui n'était point exempte de superstition dans sa vie déréglée, fit rappeler le patriarche. La foule immense alla au-devant de lui; les rues étaient jonchées de fleurs, et le peuple poussait des cris de joie. C’était le triomphe de la piété sur la mondanité, et de la vertu sur la calomnie.

Cependant la haine couvait au fond du cœur des ennemis de Chrysostôme, et n'attendait qu’une bonne occasion pour reparaître. C’est ce qui eut lieu bientôt.

On avait érigé en face de la principale église une statue à l'impératrice Eudoxie, et cette cérémonie avait été accompagnée de superstitions et de réjouissances païennes. Il était d’usage, en outre, de rendre des honneurs presque idolâtres à cette statue: chose d’autant plus scandaleuse qu’elle avait lieu à la porte de l’église. Chrysostôme ne put y rester indifférent; il réprimanda le peuple, et n’épargna point ceux qui encourageaient ces extravagances à demi païennes. Ce fut le prétexte d'une nouvelle persécution. Eudoxie fit rassembler encore une fois les évêques qui lui étaient dévoués, et demanda instamment la condamnation de Chrysostome. C’est alors que le patriarche prononça le sermon si connu qui commence par ces mots: «Voici encore Hérodias en furie; elle danse encore; elle demande encore la tête de Jean....»

Chrysostôme fut condamné, destitué et chassé de l'église, le 10 juin 404, il montra une grande force d’âme au milieu des douleurs et des insultes qui remplirent les dernières années de sa vie. On l’envoya sous un climat meurtrier, parmi des peuples barbares, et il y conserva la même sérénité que sur le siège de Constantinople. Il s’efforça encore de répandre autour de lui la bonne odeur de l'Évangile.

Les lettres qu’il écrivait aux membres de son troupeau qui lui étaient restés fidèles inspiraient une pieuse résignation à tous ceux qui les lisaient, et confirmaient la loi des petits et des faibles.

Ces communications déplurent aux implacables ennemis de Chrysostome, et on le relégua dans un autre lieu d’exil. Ce vénérable serviteur de Christ fut contraint de faire un voyage de trois mois à travers des contrées sauvages. Sa santé déjà fort chancelante ne put supporter de si cruelles fatigues. Et comme la mort s’approchait de lui, il changea ses habits de deuil pour des vêtements blancs, afin de marquer la confiance avec laquelle il attendait l’accomplissement des promesses de Dieu; il prit la sainte cène avec joie et quitta ce monde en disant: «LOUANGE ET GLOIRE SOIENT À DIEU EN TOUTES CHOSES!» il était âgé d’environ soixante ans.

Archives du christianisme 1837 03 25

 
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