Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE

Ra-Poor-Negro,

Indigène et esclave de Madagascar.

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Ra-Poor-Negro était né et mourut esclave dans l'île de Madagascar, il s’appelait originairement Rabenohaja, et c’est sous ce nom que nous parlerons de lui, jusqu’à ce que nous soyons arrivés à l'époque de son baptême.

Les habitants de Madagascar ont plus de confiance pour les esclaves nés dans leurs familles que pour ceux qu’ils ont acquis à prix d’argent ou dans la guerre, car ces derniers, toujours mécontents d’être loin de leur patrie et en servitude, négligent les intérêts de leurs maîtres, et saisissent la première occasion favorable pour prendre la fuite, tandis que les autres, n’ayant de patrie que la maison où ils ont vu le jour, se regardent naturellement comme des membres de la famille, et ils le sont en effet. C’est ainsi que Rabenohaja, bien que son intelligence et son activité n’eussent rien de remarquable, fut chargé d’accompagner le fils de son maître à l’école et de veiller sur lui.

Comme il y avait beaucoup d’esclaves de cette espèce, qui suivaient leurs jeunes maîtres à l’école, les missionnaires Griffiths et Johns leur donnèrent des leçons à part, et c’est là que Rabenohaja devint élève en 1828. Au commencement il parut avoir peu de dispositions pour l’étude, et ses progrès furent trés lents. Mais au bout de queIques mois il commença à comprendre la nature du Christianisme et à en sentir la valeur. Dès lors ses progrès devinrent si rapides qu’il fut bientôt en état de lire avec facilité tout ce qui était imprimé dans sa langue maternelle. Il reçut l’Évangile de Christ comme un petit enfant; il reconnut qu’il était un pauvre pécheur digne de condamnation, et trouva son Sauveur en Jésus.

Non seulement la foi chrétienne développa ses facultés intellectuelles et morales, mais elle donna une nouvelle vigueur à son caractère et à ses actions. Il se mit à remplir ses devoirs avec une activité qu’il n’avait jamais montrée jusque-là. Intelligence, imagination, application au travail, conduite, tout fut changé en lui, dès qu’il eût adopté les révélations du Christianisme; et l’on pouvait dire à tous les égards qu’il était devenu un homme entièrement nouveau.

Il unissait dans son caractère une profonde humilité au sentiment d’une dignité personnelle qui lui était auparavant inconnue. Sans méconnaître qu’il était au dernier rang de ses compatriotes, dont le plus élevé n’égalait pas les hommes blancs de l’Europe, il se jugeait égal, comme chrétien, à la plus haute de toutes les créatures humaines. Plus il s’abaissait devant Dieu, plus il se sentait relevé devant les hommes. Il avait coutume de dire: Je ne suis qu’un pauvre esclave, et cependant j’ai la certitude d’être aimé du Seigneur Jésus-Christ.

Quoiqu'il fut étranger à cette sensibilité raffinée que produit la civilisation, il avait une sensibilité plus importante et plus précieuse, je veux dire la crainte d’offenser son Créateur, et une perception vive de ce qui fait les actions coupables. Il ne montrait aucune répugnance à manger son humble plat de riz et ses racines de manioc sur une feuille de bananier ou sur une natte de joncs, mais il s'éloignait avec dégoût des pratiques licencieuses, impies éternelles de ses concitoyens.

Il ne ressentait aucune douleur à voir leurs corps à demi-nus, leurs misérables habitations, leur état chétif, car il y était accoutumé d’enfance, mais il ne contemplait qu'avec horreur leur abrutissement, leur idolâtrie, leurs passions grossières et les excès de leur sensualité. Il avait en quelque sorte une nouvelle vue ou faculté morale, qui l’avertissait de tout ce qui offense Dieu, comme nos sens extérieurs nous avertissent de ce qui est bon ou mauvais pour nos besoins matériels.


Pendant les années 1829 et 1830, il venait fréquemment à l’imprimerie, pour lire les portions de l’Ecriture ou les Traités qui étaient sous presse; puis il nous offrait ses services pour les travaux auxquels il pouvait prendre part. Sa soif pour la lecture était si grande qu’il manifesta souvent le désir d'étudier l’anglais, afin d’être en état de lire nos livres; mais je le dissuadai de faire cette tentative, la regardant comme trop difficile pour lui.

Vers le milieu de l’année 1830, le Christianisme devint l'objet d’une attention croissante pour les indigènes de Madagascar; les chapelles ne pouvaient contenir le grand nombre d’auditeurs qui venaient y chercher l’instruction religieuse, et des réunions de prière s’établirent partout. Rabenohaja fut l’un des premiers et des plus zélés parmi les croyants, comme on les appelait par dérision. Aux uns il enseignait à lire, il exhortait les autres à suivre le service public, et assistait aux réunions de prière aussi souvent qu’il lui était possible.

Son jeune maître fut désigné dans ce temps-là pour diriger une école à soixante ou soixante-dix milles de notre station; Rabenohaja reçut l’ordre, au mois de septembre 1830, de le rejoindre dans ce village. La veille de son départ, nous tînmes une réunion spéciale pour le recommander à la protection divine. Il pleura en prenant congé de nous et dit: Je ne suis qu’un enfant dans la connaissance de la Parole de Dieu, et je dois pourtant abandonner la source d’où j’ai tiré ce peu de connaissance! Mais il se réjouissait, d'un autre côté, à la pensée de pouvoir être utile dans une nouvelle sphère de travail, et ses espérances ne furent pas trompées.

Il partit, ayant un petit sac sur le dos; et que pensez-vous qu’il avait mis dans ce sac? D’abord, et avant tout, le Nouveau-Testament; puis, différentes portions de l’Ancien-Testament; enfin, des catéchismes, traités, cantiques, alphabets, le tout dans sa langue maternelle.

Ses inquiétudes étaient grandes pendant le chemin, selon ce qu’il me raconta plus tard; il craignait que son jeune maître, qui était encore idolâtre, ne lui fit endurer des mauvais traitements à cause de sa religion. Quelque temps auparavant, ce maître avait voulu le contraindre d’adorer les idoles en le menaçant de la plus sévère punition, en cas de désobéissance; mais le pauvre esclave fit valoir sa bonne conduite, depuis qu’il était chrétien, et déclara qu’il aimait mieux mourir que de faire un acte d’idolâtrie. Pour cette fois il n’avait éprouvé aucun châtiment: mais qu’allait-il arriver, maintenant qu’il devait vivre prés de son maître? Il était tremblant et angoissé, comme Jacob marchant à la rencontre de son frère Esaü, et il pria Dieu, comme lui, de le soutenir dans cette épreuve. Sa prière fut exaucée; car son jeune maître fut si charmé de son talent dans la lecture que, dès le second jour, il le prit pour l’aider dans ses leçons, et le traita avec une grande affection.

Rabenohaja mit à profit sa nouvelle position pour répandre autour de lui la connaissance du vrai Dieu. Tout en enseignant à ses écoliers les éléments de l’instruction, il s’efforçait de leur communiquer la science des principales vérités de l’Évangile, et le soir en particulier, il tenait des réunions de prière pour amener les adultes à la foi chrétienne.

Il cherchait depuis longtemps l’occasion de parler à son maître de l’excellence du Christianisme, et crut enfin l’avoir trouvée, lorsque celui-ci fut atteint d’une grave maladie. L’esclave lui montra la folie de se confier à des idoles et à des enchantements, qui ne peuvent nous être utiles ni dans la santé ni dans la maladie. Le maître, abattu et humilié par ses souffrances, écouta sans déplaisir ces exhortations, et avoua que sa foi aux idoles avait été renversée depuis plusieurs années par le singulier fait qu’on va voir;

J’étais un jour, dit le maître, dans une plaine avec le roi Radama et plusieurs officiers, quand tout à coup parut le gardien de la grande idole nationale, portant une perche surmontée d’un morceau de velours rouge, qui est le symbole ordinaire de l'idole. En arrivant devant nous, il se mit à courir çà et là comme un frénétique, et le roi l’ayant interrogé sur la cause de ce transport, il répondit que c’était l'idole qui le forçait de courir ainsi, et qu’il ne pouvait lui résister.

Voyons, reprit le roi, si l’idole exercera sur moi la même puissance! Disant cela, il prit la perche, et marcha le long de la plaine avec une gravité solennelle et sans la moindre émotion.

Mais peut-être, dit le roi Radama en s’adressant à moi, je suis trop pesant pour que le Dieu puisse me faire courir, essayez donc, vous qui êtes léger! Je pris donc la perche, et marchai dans la plaine, sans éprouver aucune extase; ensuite je remis l’idole au prêtre, qui s’en alla fort mortifié de l’aventure. Depuis ce temps j’ai eu une incrédulité secrète pour les idoles.

Rabenohaja, voyant que son maître ne croyait plus aux pratiques de l’idolâtrie, prêcha avec une hardiesse toujours croissante l’Évangile à tous ceux qui voulaient l’entendre. Quelques-uns furent touchés à salut, les autres non; mais il n’y eut personne qui n’admirât la sagesse et le zèle du pauvre esclave. On s’adressait même à lui pour guérir les infirmités du corps, et cette confiance lui ouvrit de nouveaux champs d’activité. En voici un exemple:

Le chef d’un village voisin vint un jour le voir, et lui dit: Vous avez lu les livres? et chacun pense que vous savez tout. Maintenant je dois vous apprendre que, depuis trois ans, je souffre d’un cruel abcès à l’estomac, et que le mal devient plus grand de jour en jour, quoique j’aie beaucoup dépensé en enchantements et en remèdes: voyez donc si vous ne pouvez rien faire pour moi.

J’ai appris des livres que j’ai lus, répondit l’esclave, que toutes les afflictions nous sont envoyées de Dieu comme un châtiment, parce que nous l’avons oublié, et que nous nous confions aux enchantements et aux idoles; c’est pourquoi la première chose qu’il nous faut apprendre, c’est de chercher le moyen de nous réconcilier avec Dieu.

Soit, répondit le malade, mais me voici sur le point de mourir; Dieu ne veut-il pas me donner un remède?

Dieu ne vous enverra point directement un remède; mais si vous vous confiez en lui, il bénira peut-être les moyens que vous emploierez pour vous guérir.

Rabenohaja lui promit alors d’indiquer les moyens qu’il avait vu employer en pareille circonstance, mais sous la condition que le chef jetterait au loin les amulettes, bandelettes et autres charmes qui lui couvraient les mains et les pieds. Cette condition ayant été acceptée, l’esclave commença par la prière, puis il prépara un remède qui produisit une prompte guérison. Le chef reconnaissant se mit à étudier les livres chrétiens avec toute sa famille, composée d’environ trente personnes, et le pieux esclave allait, chaque dimanche, lire les Écritures et prier avec eux. Les habitants du village demandaient avec surprise: Est-ce par l’ordre du roi que tous ces gens, jeunes et vieux, lisent ce livre dans leurs maisons? — Non, répondit le chef, mais je suis persuadé que ce livre est bon pour nous tous.

On a déjà vu que Rabenohaja avait été d’entre les premiers à s’occuper du Christianisme et à demander le baptême, mais lorsque nous baptisâmes pour la première fois des indigènes en mai 1831, son maître ne lui avait pas permis de s’absenter pendant deux ou trois semaines pour cet objet. Plus tard, il obtint l’autorisation si ardemment désirée, et s’empressa de venir auprès de nous. L’examen fut bientôt fini pour Rabenohaja: car il avait donné par sa conduite la preuve la plus irrécusable de la sincérité de ses convictions chrétiennes. Il fut donc admis à participer aux sacrements du baptême et de la sainte cène, le 5 novembre 1831.


Quant à son nouveau nom, il faut observer que nous n’avions jamais encouragé les indigènes à changer leurs noms propres, afin d’éviter toute singularité inutile, et de ne pas faire attacher aux noms de la Bible une importance qu’ils n’ont point. Les convertis prononçaient donc leurs noms immédiatement avant le baptême, sans avoir été préalablement interrogés sur ce point. C’est alors que Rabenohaja prononça pour la première fois le singulier mot: Ra- Poor-Negro. Le pasteur fut surpris, et lui demanda: Est- ce bien Ra-Poor-Negro, que vous voulez dire? — Oui, répondit l’esclave, c’est le nom que je désire prendre, et il fut en conséquence baptisé ainsi. Le monosyllabe ra est une sorte d’article ou de préfixe dans la langue de Madagascar, en sorte que Ra-Poor-Negro signifie simplement le Pauvre Nègre.

Je lui demandai ensuite pourquoi il avait pris un nom si singulier: Oh! me dit-il, j’avais vu dans votre imprimerie le traité du Pauvre Nègre, avec une gravure qui le représentait à genoux, les yeux levés vers le ciel, et j’ai pensé que, étant esclave comme lui, il n’y a rien que je doive désirer plus que de lui ressembler aussi dans ses dispositions chrétiennes; c’est ce qui m’a fait adopter son nom.

Je lui expliquai que les mots Pauvre Nègre ne sont pas un nom propre, mais désignent un état, une condition, une manière d’être.

Bien, me répondit-il, je souhaite que ce soit là ma condition pendant toute ma vie.

Immédiatement après, il se disposa à retourner dans le village de son maître. Il avait déjà été atteint deux fois de la fièvre contagieuse qui règne dans cette partie de l'île de Madagascar, et il avait le pressentiment qu’une troisième attaque lui serait fatale. Il alla même jusqu’à dire à quelques-uns de ses plus intimes amis: Je crois que nous ne nous reverrons plus sur la terre: Jésus ne tardera pas à venir me chercher.

Il passa chez moi la soirée qui précédait le jour de son départ. Je l’engageai à ne point se livrer à des appréhensions gratuites, mais à se confier à la Providence de Dieu; et je lui donnai en même temps un remède dont il pourrait faire usage en cas de fièvre. Il m’exprima plusieurs fois qu’il ne redoutait ni les maladies ni la mort, mais qu’il était bon de se tenir toujours prêt. La nuit étant avancée, je lus un chapitre du Nouveau-Testament, et il pria avec beaucoup d’abondance et de ferveur. Le matin, nous nous adressâmes de tendres adieux, et il se mit en route. Quelques semaines après, il m’écrivit pour me demander des livres d’alphabet et autres, et nous continuâmes pendant un peu de temps à entendre parler de son activité chrétienne.


Cependant, la triste nouvelle nous parvint bientôt que Ra-Poor-Negro était mort d’une attaque de fièvre. Deux de ses écoliers se rendirent à la station pour nous annoncer la fin de leur excellent instituteur. Ils nous dirent qu’il n’avait été malade que trois jours, et que durant sa maladie il avait constamment répété: Je vais à Jéhovah Jésus! Jésus m’appelle! Je ne crains rien!

Observez que cette expression: Jéhovah Jésus est l’une de celles que les natifs ont adoptées d’eux-mêmes, sans aucune suggestion de notre part. Je ne me rappelle pas qu’aucun des missionnaires l’ait jamais employée; cependant plusieurs des chrétiens nous dirent, lorsque nous quittâmes l'île de Madagascar: Que Jéhovah Jésus vous comble de ses bénédictions!

Mais pour revenir à notre récit, les dernières paroles de Ra-Poor-Negro furent: Je ne crains rien; je ne crains rien! Et ces simples mots, prononcés à l’heure de la mort par un être qui avait été païen, supposent une force beaucoup plus grande qu’on ne l’imaginerait au premier abord.

Mais pourquoi donc? demandera-t-on peut-être.

C’est que l’esprit naïf et inculte des païens n’essaie pas de cacher son horreur de la mort. J’ai souvent remarqué à Madagascar que les hommes les plus courageux et les plus fiers, au moment où ils sont placés en face du tombeau, s’écrient avec désespoir: Je meurs! ô mon père! ô ma mère! je meurs! et des larmes abondantes coulent de leurs yeux. Sous l’influence de tels sentiments, les indigènes évitent toutes les conversations sur la mort, et regardent comme une cruauté d'annoncer à un parent ou à un ami qu’il doit bientôt mourir.

Dans nos pays chrétiens les incrédules affectent de se moquer de la mort, mais le langage de la nature montre toujours qu'elle est le roi des épouvantements. Combien donc est inestimable cette vérité selon Dieu, qui fait dire à un pauvre esclave au moment de rendre le dernier soupir: Je ne crains rien!

Nous fûmes tous très affligés de celle perte, d’autant plus que Ra-Poor-Negro était le premier d’entre les indigènes convertis que la divine Providence ait rappelé de ce monde périssable.

Archives du christianisme 1837 08 12

 
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