Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE.

Hughes Latimer.

Réformateur anglais.

***

(1470-1555)


Hughes Latimer était né d’une famille de villageois qui vivait dans l’aisance. Il alla faire ses études à l’université de Cambridge, et consacra tout son temps aux spéculations de la théologie scolastique.

À cette époque, il était, non seulement zélé, mais superstitieux. Il s’imaginait, par exemple, que s’il entrait dans un ordre de moines et qu’il portât le capuchon, il serait assuré de son salut éternel. Dans le service de la messe, il se faisait un terrible cas de conscience de mêler l’eau et le vin en proportions convenables. Quand il voyait de jeunes étudiants occupés à la lecture de la Bible, il leur adressait de vifs reproches, et leur conseillait de s’en tenir aux théologiens renommés dans l’école. Ce zèle ardent le fit élever à la dignité de porte-croix de l’université.

Enfin, cependant, il plut à Dieu de choisir Latimer, comme il avait choisi autrefois Saint Paul, pour l’envoyer prêcher la vérité que ce disciple de Rome s’efforçait auparavant de détruire.

Un professeur de Cambridge fut le premier instrument de la conversion de Hughes Latimer, et cette œuvre fut continuée et confirmée par les exhortations de Bilney, qui mourut plus tard pour la cause de Christ.


Maître Bilney, dit Latimer dans un de ses sermons, ou plutôt saint Bilney, qui a souffert le martyre pour le Seigneur, fut le moyen que Dieu employa pour m’amener à la connaissance de sa Parole. Car j’étais un papiste aussi obstiné que qui que ce fut en Angleterre; et Bilney, voyant bien que j’avais du zèle sans science, vint à moi, et me pria, au nom de Dieu, d’entendre sa confession de foi. J’y consentis, et cette confession, à dire vrai, m’en apprit plus dans une heure que tous les auteurs scolastiques n’avaient pu m’apprendre pendant plusieurs années. En sorte que, depuis ce temps-là, je commençai à goûter la bonne Parole de Dieu, et je m'éloignai de toutes les vaines questions de l’école.

Latimer apporta autant de zèle à prêcher la réforme qu’il en avait mis précédemment à la combattre. Ses discours produisirent la plus vive sensation dans la ville et l’université de Cambridge. Il y montrait les erreurs de l'Église romaine avec une courageuse fidélité et une éloquence persuasive. «Il n’y a jamais eu depuis les apôtres, dit un chroniqueur contemporain, il n’y a jamais eu, ni en Angleterre, ni ailleurs, un homme qui ait prêché l’Évangile plus sincèrement, plus purement et plus honnêtement que Hughes Latimer

On comprendra sans peine que la prédication de ce pieux serviteur de Christ souleva contre lui les plus violentes inimitiés, mais il serait plus difficile de se faire une idée du genre de polémique des papistes. Le prieur des dominicains, entre autres, voulant montrer combien il était dangereux de traduire la Bible en langue vulgaire, prétendait que les gens du peuple l’expliqueraient littéralement, et que, lorsqu’ils liraient ce passage: «Si ton œil te fait tomber dans le péché, arrache-le,» ils s’arracheraient immanquablement les yeux, si bien que le monde serait rempli d’aveugles et de mendiants.

Latimer, assez caustique de son naturel, répondit, quelques jours après, en regardant le prieur qui portait son froc de dominicain, que, lorsqu’on représentait un renard sortant la tête du fond d’un capuchon et prononçant un discours, personne n’était si stupide que de prendre la chose à la lettre; mais que le peuple savait fort bien voir dans ce renard une image de l’hypocrisie, de la ruse et des intrigues de certaines gens encapuchonnées. Le prieur se le tint pour dit, et ne recommença plus sa polémique.


Mais un autre antagoniste, beaucoup plus redoutable, se présenta sur la scène. C’était l’évêque d’Ely. Il arriva à l’improviste dans la chapelle de l’université de Cambridge, au moment où Latimer commençait son sermon. Celui-ci s’arrêta quelques minutes, puis il dit à l’assemblée que ce nouvel auditeur demandait un nouveau sujet, et qu’il allait prêcher sur les devoirs de la charge d’évêque. Il le fit avec autant d’éloquence que de courage. Après le sermon, l’évêque appela le prédicateur.

Monsieur Latimer, lui dit-il, je vous remercie de votre excellent discours, et je vous assure que je me mettrai à vos pieds pour vos bons conseils, si vous consentez à faire ce que je vais vous demander.

Quel est le bon plaisir de votre seigneurie? répondit Latimer.

Dame! je voudrais vous entendre prononcer dans cette chapelle un sermon contre Martin Luther et sa doctrine.

Mylord, dit Latimer, je ne connais point la doctrine de Luther, car on ne nous permet pas de lire ses écrits. Comment donc entreprendrais-je de réfuter des opinions qui me sont inconnues? Je sais une seule chose, c’est que j’ai prêché aujourd’hui, non la doctrine de l’homme, mais la doctrine de Dieu, telle qu’elle nous est enseignée dans les Écritures, et si Luther n’agit pas autrement que moi, il n’est pas possible de le réfuter.

Bien, Monsieur Latimer, répondit l’évêque dans son langage trivial, je vois que vous branlez au manche, mais vous paierez un jour la façon de ce méchant habit.

Depuis ce temps, Hughes Latimer fut exposé à des persécutions de tout genre. Ses ennemis le firent comparaître devant le cardinal Wolsey, qui lui demanda compte de ses prédications. Latimer lui répéta le sermon qu’il avait prononcé devant l’évêque d'Ely.

N’avez-vous pas annoncé d’autres doctrines? dit Wolsey.

Non, je vous assure.

Eh bien! continua le cardinal après un moment de réflexion, je vous autorise à prêcher dans toute l’Angleterre, et l’évêque d’Ely dira ce qu’il voudra.


La querelle d'Henri III avec le Saint-Siège, à l'occasion de sa première femme Catherine d’Arragon, ouvrit une voie plus facile et plus large aux travaux de Hughes Latimer. Vers la fin de 1530, cet homme fidèle adressa une lettre au roi pour le prier de faire publier la Bible en anglais, et l’on trouve dans cette requête le passage suivant: «Ayez pitié de votre âme; songez que le jour approche où vous serez appelé à rendre compte de votre administration et du sang qui a été répandu par votre glaive»

Malgré les nouveaux sentiments d’Henri VIII en faveur de la réforme, Latimer fut encore cité à comparaître, en 1531, devant l’archevêque de Cantorbéry et plusieurs autres prélats. À cette occasion, il faillit être victime d’une ruse diabolique.

On l’avait mis dans une petite chambre, près d'une cheminée couverte d’une tapisserie. L’un des examinateurs, son vieil ami d’enfance, prenant le ton de l’intimité la plus cordiale, lui dit: Mon cher Latimer, expliquez-vous franchement, et dites-nous en conscience si vous n’avez jamais été soupçonné d’hérésie, mais parlez haut, car j’ai l’oreille dure depuis quelque temps.

Ceci excita les soupçons de Latimer, et, prêtant l’oreille, il entendit une plume courir sur le papier, derrière le paravent de la cheminée. On voulait consigner par écrit des réponses faites dans l’abandon de l’intimité, afin d’avoir des pièces positives pour le condamner.

Heureusement il avait quelques protecteurs à la cour, et le roi Henri VIII l’admit au nombre de ses chapelains. Dans cette nouvelle charge, Latimer conserva tout son zèle et toute sa fidélité. Il prêchait devant le roi ce qu’il est bon de faire entendre aux rois. Ses ennemis l’accusèrent de tenir des propos séditieux.

Que dites-vous de cela, monsieur? demanda Henri VIII.

Mais quelle espèce de sermons dois-je donc prononcer devant le roi? dit Latimer en se tournant vers ses accusateurs. Comment! dans un discours fait pour le roi, je ne dirais rien de ce qui concerne les devoirs et la responsabilité d’un roi? Est-ce à vous de me prescrire ce que je dois prêcher?

Puis, s’agenouillant, selon l’usage du siècle, devant Henri VIII: Je n’ai jamais cherché ni ambitionné, lui dit-il, de prêcher devant Votre Grâce. Mais j’y ai été appelé, et je suis prêt, si vous ne m’approuvez point, à céder la place à d’autres qui vous soient plus agréables que moi. Mais si Votre Grâce me laisse la charge de prédicateur dans sa chapelle, je réclame le droit de faire l’acquit de ma conscience, et de composer mes sermons suivant les besoins de mon auditoire.

Le roi fut satisfait de sa sincérité, et le nomma évêque de Worcester. Hughes Latimer déploya dans ces hautes fonctions la vigilance et le dévouement dont il avait déjà donné tant de preuves. Il était infatigable à enseigner, à prêcher, à exhorter, à corriger, à réformer. Mais les temps étaient si mauvais qu’il rencontra de grands obstacles. II parvint cependant à déraciner beaucoup d’idées superstitieuses dans l’esprit des peuples, et à faire prévaloir la vérité sur l’erreur.

Ses efforts auraient encore été accompagnés de plus abondantes bénédictions, si l’acte connu sous le nom de l'Acte des six articles ne l’avait engagé à se démettre de sa charge épiscopale. Ce qu’il regrettait du reste, c’était le pouvoir de faire du bien, et non sa dignité.

Quand il fut revenu chez lui, après avoir renoncé à sa charge d’évêque, il se dépouilla de son rochet (Mantelet de cérémonie des pairs d'Angleterre) en poussant un cri de joie, et ses amis lui demandant la cause de cette hilarité, il répondit qu’il se réjouissait de sentir combien ses épaules étaient légères depuis qu’il ne portait plus un si lourd fardeau. Mais il fut mis en prison jusqu'à la fin du règne de Henri VIII.


Lorsqu’Édouard VI monta sur le trône, en 1547, Latimer obtint la permission de sortir de la Tour de Londres, et il aurait pu remonter, s’il l’avait voulu, sur son siège épiscopal. Mais il était alors dans sa soixante-dix-septième année, et son corps, affaibli par de longues souffrances, ne pouvait plus soutenir les fatigues d’un vaste évêché. Toutefois, il ne mena point une vie oisive. Il passa une partie de son temps près de l’archevêque de Cantorbéry, Cranmer, et travailla avec lui à ces homélies qui sont encore de nos jours un puissant moyen d’édification dans l'Église anglicane. Outre cela, il prêchait souvent à Londres et dans d’autres villes. Ses études particulières n’étaient pas non plus négligées. Il se levait malgré son âge à deux heures du matin, hiver comme été, et s’appliquait spécialement à l’étude approfondie de la Parole de Dieu.

Ces pieux travaux furent bientôt interrompus, et de nouvelles persécutions atteignirent la vieillesse de Latimer. Édouard VI eut un règne très court. La reine Marie monta sur le trône d’Angleterre en 1553, et partout le papisme sonna la vengeance contre les disciples de la réforme.

Latimer ne fut pas oublié. On lui envoya un officier de justice pour lui annoncer qu’il allait être mis en prison. Le but des persécuteurs était d’effrayer le vieillard et de le pousser à prendre la fuite; mais leur attente fut trompée.

Mon ami, dit Latimer en voyant l’officier de justice, vous êtes le bien venu auprès de moi. Sachez bien, vous et tous les autres, que je vous accompagne aussi volontiers à Londres, étant appelé par mon souverain pour lui rendre compte de ma doctrine, que je le ferais dans tout autre endroit du monde. Je ne doute pas que Dieu, qui m’a jugé digne de prêcher l’Évangile devant deux excellents princes, ne me rende aussi capable de l’annoncer devant le troisième, soit pour son salut, soit pour sa ruine éternelle.

L’officier répondit qu’il n’avait pas reçu l’ordre de le faire prisonnier; mais comme Latimer persévérait à ne pas s’enfuir hors du royaume, les papistes le conduisirent enfin à la Tour de Londres.

Il y fut traité sans aucun ménagement; mais le courage ne lui manqua point. Un jour, par exemple, il fit appeler le gouverneur de la Tour. C’était en hiver.

Monsieur, lui dit-il, allez informer votre maître que, si vous ne changez pas de manière d’agir, je pourrai bien lui échapper.

Comment donc? s’écria le lieutenant tout alarmé, et regardant autour de lui pour savoir ce qui pouvait donner lieu à un tel avertissement.

Oui, monsieur, poursuivit Latimer d’un ton calme, je maintiens ce que j’ai dit; car on a l’intention, je pense, de me faire mourir sur un bûcher: mais si vous ne me faites pas avoir un peu de feu, je vous échapperai sans nul doute; car je mourrai de froid.


Après quelques mois passés à la Tour dans la société de l'archevêque Cranmer et de l’évêque Ridley, on conduisit Latimer à Oxford, pour lui faire soutenir une discussion contre les papistes. Chose cruelle, de forcer un vieillard de quatre-vingt-quatre ans à remplir une pareille tâche! Arrivé à Oxford, on lui proposa trois articles sur la transsubstantiation. Latimer allégua son âge, son état de maladie, son manque de livres, ajoutant qu’il était tout aussi propre à mener des soldats à l’assaut qu’à soutenir une controverse avec des docteurs d’Oxford; mais rien n’y fit.

Pressé de questions subtiles et captieuses, il répondit enfin que, depuis peu de temps, il avait lu sept fois le Nouveau-Testament, seul livre qu’on lui eût laissé, avec beaucoup d’attention, et qu’il n’avait pu y trouver la messe, ni dans sa grosse charpente, ni même dans ses moindres linéaments. Ces expressions choquèrent beaucoup les docteurs, et l'on renvoya la dispute à un autre jour.

Quand Latimer comparut pour la seconde fois devant ses antagonistes, il les supplia de ne pas le retenir longtemps; car il était excessivement faible. Il sollicita, en outre, la permission de répondre en anglais, parce que l’âge et les infirmités lui avaient fait presque entièrement oublier le latin. Le vénérable réformateur rendit un noble témoignage à la vérité, et força ses adversaires de ne lui répliquer que par de stupides injures.

Quelques assistants se moquaient de lui et riaient, parce que ses vêtements étaient d’une ancienne mode. Qu’est-ce donc? mes maîtres, s’écria-t-il avec indignation; ce n’est pas ici un sujet pour rire: il s’agit de vie et de mort. On le pressa inutilement de se rétracter; il répondit qu’il ne pouvait pas renier son divin Maître Jésus-Christ et sa Parole. Alors ses juges le livrèrent au bras séculier.


Le 16 octobre 1555, jour à jamais mémorable dans les fastes des Églises d’Angleterre, Latimer et son ami Ridley furent conduits sur la place publique pour être brûlés vifs. Un docteur d’Oxford prêcha devant eux, et ils demandèrent à répondre, mais on ne le leur permit point.

Le bourreau les attacha sur le bûcher, et, au moment où le feu fut allumé, Latimer prononça ces sublimes paroles:

«Aie bon courage, Ridley, et agis en homme; nous allumons aujourd’hui en Angleterre, par la grâce de Dieu, une lumière qui, j’en ai la confiance, ne sera jamais éteinte.»

Puis, sentant les flammes s'approcher de lui, il s’écria: «Ô mon Père céleste, reçois mon esprit.»

Ainsi mourut celui qu’on a justement appelé l’apôtre de l’Angleterre.

Archives du christianisme 1837 05 27

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