Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE

RELATION SINCÈRE ET VÉRITABLE DES CIRCONSTANCES DE L'EXÉCUTION

DU SIEUR FRANÇOIS TEISSIER, viguier DE DURFORT.

DANS LES CÉVENNES, FAITE PAR UN PRÊTRE MISSIONNAIRE QUI L’ASSISTA À LA MORT.


***


Le fait de la mort de M. François Teissier est mentionné dans les Lettres pastorales de Jurieu, (2e édition; Rotterdam, vol. 1er, p. 14 et 81,) avec les principaux faits rapportés dans cette relation.

M. François Tessier, entre plusieurs autres enfants, eut un fils, Isaac Teissier. Celui-ci, après avoir fait ses études à l’Académie de Puy-Laurens et à Durford, fut consacré au saint ministère par le synode du Vigan tenu le 26 août et jours suivant 1681, et fut nommé pasteur de l’église de Saint Vomare-de-Cordière. Il desservit cette église pendant deux ans et quatre mois avec le plus grand zèle, les quatre derniers mois, au péril de sa vie.

Condamné à mort par le présidiat de Nismes, et obligé de s’enfuir, il se retira au pays de Vaud en Suisse, obtint du gouvernement de Berne la naturalisation, et fut ensuite reçu gratuitement bourgeois des communes d’Arzier, Saint-Cergues et le Muids. D’abord suffragant de M. Cailler, pasteur de cette paroisse, il devint son successeur par décision particulière du sénat de Berne. Il fut ensuite pasteur à Begnins où il mourut en 1745, à l’âge de 91 ans. Les documents que nous publions ici sont un héritage précieux qu’on conserve parmi les papiers de sa famille.


* * *


Béni soit Dieu! la mort du Sieur François Teissier, viguier (juge) de Durfort, a des circonstances si merveilleuses, que je craindrais de commettre un crime énorme, si, puisque Dieu m’a fait la grâce d’en être le témoin le plus particulier, je n’en faisais une entière et sincère relation pour la gloire de Dieu, pour la consolation des fidèles persécutés, et pour servir de condamnation à tous ceux qu’une lâcheté criminelle fait préférer une vie courte et passagère à l’acquisition de la vie éternelle.


La divine Providence qui voit que de même que les eaux, qui sont trop en repos se corrompent, et n'engendrent que des insectes et de la corruption, les hommes qui ne sont pas exercés par quelque trouble et par quelque persécution, tombent aussi pour l’ordinaire dans de grands crimes, et ne pensent plus à aller à leur Dieu.

De même que ces eaux croupissantes ne tendent point à leur centre, parce qu'elles s'arrêtent sur la terre; la divine Providence, dis-je, qui voit que ce désordre ne provient que de rattachement que les hommes ont à eux-mêmes, prend soin de les en détacher par toutes sortes de voies.

La prédication de la sainte Parole, les menaces d’un enfer, les promesses d'un paradis, les saintes inspirations, sont les moyens doux et salutaires qu’elle emploie pour obtenir cette fin.

Mais comme bien souvent cette douceur ne fait qu'émouvoir, et ne détache pas entièrement l'homme de la terre, la divine sagesse fait alors intervenir des moyens plus forts et plus puissants, afin d’arracher entièrement l’homme à lui-même, et de l'élever à son Dieu qui doit être sa fin comme il doit être son principe.

Ces moyens si puissants et si salutaires sont les persécutions qui réveillent l'homme, qui lui font comprendre l'énormité de ses crimes (de ses péchés), qui en est la première cause, sa faiblesse, son anéantissement, la vanité de tous les biens de ce monde qui ne peuvent le secourir, et lui proposent la divine miséricorde comme l'unique sujet de son espérance.


Depuis longues années, l'Église du Seigneur souffrait bien de temps en temps quelques petites atteintes, par lesquelles Dieu avertissait ses enfants de revenir à lui; mais ces mouvements n’avaient pas assez de force sur leur esprit. Le monde l’emportait sur leur cœur, et la croix, qui est le caractère de leur religion, n’était envisagée que comme une enseigne (un étendard) qu’on laisse toujours au dehors du logis, sans prendre soin de la porter afin d’entrer dans le palais de la gloire; ce palais à la porte duquel elle est arborée, et où elle sert non seulement désigné d’indication, mais d’une enseigne (d'un étendard) d’application, absolument nécessaire à tous ceux qui prétendent avoir part au royaume du Sauveur qui l’a portée le premier.

C'est pourquoi toutes ces légères secousses demeurent inutiles, le Tout-Puissant que Ion croyait presque endormi, bien qu'il soit ce gardien vigilant de la maison d'Israël qui ne s'endort jamais, s'est comporté comme un homme qui, se réveillant, aperçoit des voleurs qui lui emportent son trésor; il a tout mis en usage afin d’obtenir cette chère portion des fidèles qui fait son héritage, et qui lui était enlevée par le démon, le monde et la chair.

Il a suscité la persécution la plus sévère qui ait jamais été suscitée, soit qu’on en regarde les exécuteurs ou les supplices. L'idée qui m'en reste me fait tant d'horreur, qu’elle m’impose silence et m’oblige à me tourner du côté de la miséricorde de Dieu, dont la main salutaire:

nous guérit lorsque ses ennemis nous frappent,

nous console lorsqu'on nous tourmente pour son nom,

et nous fait comprendre que bien que les mains des ennemis qui nous affligent soient pesantes, elles ne laissent pas d’être les instruments de notre salut,

et que tandis qu’elles travaillent à consommer les crimes de nos ennemis, elles sont employées à la gloire du Rédempteur et à l'accomplissement de notre rédemption.


* * *


La mort de l’illustre martyr, le Sieur François Teissier, viguier de Durfort, à laquelle Dieu me fit la grâce d’assister, a eu des circonstances si merveilleuses et si surprenantes, que je ne fais nulle difficulté pour la mettre au nombre des miracles que la Toute-Puissance a voulu opérer pour confirmer ces vérités dont je viens de parler.

En voici la relation fidèle.

L’an 1686, le 19 février, sur la minuit, les fidèles de plusieurs lieux voisins de Durfort, Manouble, Saint-Félix, Anduze, Saint-Hyppolite et autres, s’étaient assemblés dans une maison champêtre au voisinage desdits Manouble et Durfort, pour prier Dieu, chanter les louanges divines, et satisfaire aux autres exercices de piété, dont la persécution ne leur permettait pas de faire une profession ouverte.

Le major du régiment de la Fère, nommé M. Davenne, fut averti de cette assemblée sur les cinq heures du soir; mais le mauvais temps, le pays rude, et l’ignorance du lieu où l'on était assemblé, fit retarder la course que l'on devait faire sur les fidèles assemblés, jusqu’à ce que, sur les neuf heures du soir, le nommé Benjamin Villeneuve, ancien révolté, s'offrit pour conduire les soldats à un lieu attenant nommé Lamotte.

Ils marchent avec un temps affreux, et aussi noir que leur dessein. Enfin, pour couper court, ils font rencontre de plusieurs personnes qui s’en retournaient de ladite assemblée; ils font onze prisonniers, à savoir cinq jeunes filles, une vieille femme, quatre bons vieillards et un jeune homme.

Revenus à Lasalle, ledit Sieur Davenue, major, écrivit promptement aux Sieurs marquis de la Trousse et de Baville, intendant, ce qui se passait.

Lesdits Sieurs velociores lupis vespertinis font d’abord marcher tout le présidial de Nismes, toute la maréchaussée, trois compagnies des dragons de Fimarcou, deux compagnies de la Fère, et deux qui étaient déjà à Lasalle; et toute cette petite armée entra dans Lasalle, le dimanche suivant sur les six heures du soir, pendant une pluie, un vent, un orage effroyables.


Le Sieur de Baville arrivé, marcha d'abord aux prisons, entendit tous les innocents malheureux, dont quelques-uns lui déclarèrent que le Sieur François Teissier, viguier de Durfort, était à l'assemblée; et comme c’était une personne de distinction, le dit Sieur de Baville crut ne pas pouvoir rendre un service plus fidèle à Dieu, au roi, à l'Église, que d’en faire un exemple plus considérable.

Pour ce sujet, il envoie, le lendemain au matin, ledit Sieur Davenue, major, et quelques soldats, pour aller saisir ledit Sieur Teissier. On arrive à Durfort, on parle au dit Sieur viguier, qui, loin de résister ou de se sauver, comme il le pouvait aisément et comme ses amis le lui conseillaient, aima mieux se laisser saisir, afin de rendre témoignage de sa foi à la gloire de Dieu, et d’animer par son exemple tous les fidèles, que d'être privé de la gloire éternelle qu’un opprobre imaginaire allait lui acquérir.

Arrivé à Lasalle, présenté audit Sieur Baville sur les sept heures du soir, du lundi gras, 25 février, interroge par ledit Sieur intendant:

Es-tu Teissier, viguier de Durfort?

Oui, monseigneur.

Où étais-tu la nuit de mercredi dernier, en venant sur le jeudi?

Je suis allé prier Dieu, répondit-il.

Vraiment, prier Dieu! Ne peux-tu pas prier Dieu chez toi?

Jésus-Christ nous apprend, monseigneur, que lorsque nous serons deux ou trois assemblés en son nom, il sera au milieu de nous.

Mais quoi! ajouta l'intendant, ne sais-tu pas que le roi a défendu ces sortes d’assemblées?

Je ne pense pas que le roi défende de prier Dieu, et surtout de le prier pour lui-même.

Mais un officier comme toi, qui devrais empêcher les autres d’y aller, tu t'y rencontres!

C'est cette qualité d'officier qui m'oblige d’y assister, afin de voir si on fait ou dit quelque chose contre Dieu et le roi, afin de vous en donner avis.

Mais il faut obéir au roi, ajoute le Sieur intendant.

Il faut obéir à Dieu, répond le Sieur Teissier.

Menez-le où vous savez, dit alors l'intendant au Sieur Davenue, major; et celui-ci le fit conduire à la prison où il passa la nuit.

Le lendemain matin, 26 février, jour de Mardi gras, le dit sieur intendant fait assembler le présidiat de Nismes, auquel il présidait; et sur la simple et innocente déclaration que ledit Sieur Teissier fit d'avoir assisté à ladite assemblée de Manouble, fut condamné à être pendu.

On vient lui prononcer sa sentence de même qu’à ce jeune homme dont j'ai parlé ci-dessus, qui avait été fait prisonnier. Le sieur Teissier répond, après l'avoir entendue:

Béni soit Dieu je mourrai comme mon Maître. Mon corps est à vous, Messieurs, mais mon âme est à Dieu.

Ce fut alors que M. de Gévaudan, qui était le rapporteur du procès, me dit à moi, oui je suis écrivain fidèle de cette relation, et qui étais pour lors missionnaire à Lasalle: Monsieur, nous vous le remettons, ayez en soin.

Ce fut pour lors, que les larmes aux yeux, tant pour l'horreur du supplice auquel je le voyais condamné, qu’à cause de la croyance que j'avais qu’il allait être damné, je l’embrassai, en présence du sieur marquis de Stafort, frère du comte de Fimareau et de quelques soldats, et fis tout mon possible pour le faire changer à l’Église romaine (je croyais bien faire).

Mais plus je le sollicitais, plus il élevait ses yeux et son cœur vers le ciel, en disant: Père éternel, A mon Dieu! ne me laisse pas succombera la tentation.

J’insistais toujours, et pour vous dire la vérité, je versais des larmes si amères, que durant plusieurs jours après les joues m’en cuisaient.

Ce fut en ce moment que notre illustre martyr me dit en prophétisant:

Monsieur, Dieu voit votre zèle et votre sincérité, vous ne serez pas sans récompense, vous mourrez de notre religion.

Oui, répondit le sieur marquis de Stafort qui était! a présent, vous serez comme Saint-Étienne, vous convertirez Saint Paul.

Et moi, je lui dis alors, sans penser au doux miracle qui s'en est suivi:

Eh bien! Monsieur, priez Dieu qu’il me convertisse.

L'effet a vérifié cette parole, car enfin après avoir longtemps résisté à la pensée de la conversion qu'elle entretenait dans mon esprit, j'ai été obligé, comme un autre Lot, de suivre l’ange qui me tirait hors de la Sodome du monde, et j’ai été assez heureux d’être admis dans l'Église réformée, dans l'illustre ville de Berne, et dans la maison du savant et pieux docteur et professeur en théologie, M. Wiss, par les soins de M. Bermond, charitable ministre fiançais.

Cependant comme le Sieur Teissier entendait le bruit que, I'on faisait pour dresser la potence, il disait:

« Courage, on me prépare l'échelle par où je dois monter au ciel. »

Je faisais mon possible afin de le persuader que s’il mourait dans la religion, bien loin qu’il montât au ciel, il allait être précipité dans les enfers. À quoi il ajoutait toujours: Mon Dieu, mon Sauveur, je te recommande mon âme!

Cependant l’exécuteur vint (notez que cet exécuteur avait souvent travaillé, avant d’être bourreau, dans le jardin et autres pièces de notre illustre martyr), l'exécuteur lui dit alors:

Ah! Monsieur, qui me l’aurait dit!

Dieu le veut, répondit le Sieur Teissier; j'ai souvent offensé mon Dieu, et il a pourtant encore tant de bonté pour moi (Ici le manuscrit est endommagé.).... Béni soit Dieu!

J'ordonnai alors à l'exécuteur de se taire; il lia, en versant des larmes, notre illustre martyr. Nous sortons de la prison, et passons à travers la place. Sitôt qu’il y fut, il s’écria: Je meurs de la religion!

Je criai alors plus haut que lui, afin d'empêcher que le peuple n'entendit ce qu'il disait; mais ce fut en vain.

Il monte enfin à l'échelle; je l'y accompagne, et monte deux échelons avec lui, en l'exhortant toujours d’entrer dans la religion romaine, s'il voulait entrer dans le paradis. Mes exhortations furent inutiles; je lui criai enfin pour dernières paroles qu'il répéta fort distinctement: Mon Dieu! je vous recommande mon âme!... Après quoi, l'exécuteur fit son dernier office....

Voilà la relation sincère et véritable de l'heureuse mort de ce glorieux martyr. Béni soit Dieu!

Écrit de la propre main de M. Aiguisier, missionnaire, qui est celui-là même qui accompagna feu mon père, à la potence. À Berne, le 20 juin 1689.

Teissier, pasteur.


* * *


LETTRE ÉCRITE PAR LES PASTEURS DES CÉVENNES ET DU BAS-LANGUEDOC, RÉFUGIÉS EN SUISSE, A M. LE PASTEUR ISAAC TEISSIER, À L’OCCASION DE LA MORT DE SON PÈRE, FRANÇOIS TEISSIER, VIGUIER DE DURFORT.


Monsieur et très honoré frère,

Nous avons appris la nouvelle de la fatale, mais glorieuse mort de M. Teissier votre père; et comme nous vous avons témoigné en toutes sortes de rencontres, que vous nous étiez extrêmement cher, nous avons bien voulu vous en donner une nouvelle preuve en cette occasion.

Nous ne doutons pas que, comme la manière en laquelle ce bon personnage a été enlevé d'entre les hommes est extraordinaire, sa mort aussi ne cause en vous des mouvements semblables. Votre père vous manque, c'est ce qui est très affligeant; mais la cause pour laquelle est que vous ne l’avez plus, doit bien apporter du remède à votre affliction.

Nous savons ce que c'est que d'être enfant, et les sentiments de la nature qui nous l'apprenaient, ont été fortifiés en nous par la raison et encore plus par la piété dont nous faisons des leçons aux autres; de sorte que nous ne pouvons plus ignorer ce qu’un homme de bien doit à son père vivant, mourant et mort.

Mais quand nous considérons ce qu'il v a de particulier dans la mort du votre, nous trouvons qu'il est de votre devoir de recevoir cette perte d’une tout autre manière que ceux qui ont perdu le leur par la voie ordinaire de la nature.

Nous regardons la cause qui la lui a procurée et la manière dans laquelle il l’a soufferte. C’est la profession ouverte du Saint Évangile qui l'a mis entre les mains de ce qu'on appelle la justice.

Il n'a été exposé à leur rigueur ni comme meurtrier, ni comme malfaiteur, mais en bien faisant, et il a été, de même que son Maître, mené à la tuerie comme un agneau; son innocence et son silence nous le montrent assez.

S'il a parlé, ce n’a pas été pour murmurer; à cet égard, il s’est tu et n’a point ouvert la bouche, sachant que c’était Dieu qui le voulait de la sorte. Mais voyant que le Maître était là dehors, qui l'appelait, il a voulu, avant que de l'aller joindre, laisser échapper par ses paroles quelqu’une de ces pensées que l’abondance de son cœur (rempli du Saint-Esprit, comme celui de Saint-Étienne,) lui fournissait dans cet état.

Et comme son Maître fit cette belle confession devant Pilate, il a confessé devant ses juges qu’il avait assisté à toutes les saintes assemblées qu’on avait faites pour prier Dieu dans les Cévennes, et que, s'il eut vécu, il aurait assisté à celles qu’on ferait de jour, présumant que le zèle de ses compatriotes s'enflammerait, et que si la rigueur dont on a usé envers les réformés, les fait être à présent connue de pauvres Nicodémites, il viendrait bientôt un temps où, non contents d’aller chercher le Seigneur de nuit, ils le demanderaient en plein jour.

Enfin il a remis courageusement son âme entre les mains de Celui qui l’avait racheté, et ce cher martyr, comme son patron Saint Étienne, a dit avant de mourir: Seigneur Jésus, reçois mon esprit.

Tout ce qui pourrait vous faire de la peine en cette rencontre est cet appareil de sa mort, honteux suivant le monde.

Un bourreau, une potence, une échelle, une corde, sont aux yeux des hommes un objet plein d’ignominie; mais les chrétiens regardent ces choses d'un autre œil.

Les gibets, les roues et les bûchers ne sont pas des choses qui fassent rougir ceux d’entre eux qui les souffrent, et moins encore ceux qui leur appartiennent.

La croix de Christ, le plus cruel et le plus honteux de tous les supplices, a sanctifié tous ceux que ses membres pourront jamais endurer; et quels qu’ils soient, ils leur sont aujourd’hui, de même qu’à lui, des degrés pour monter à la gloire du ciel.

Ainsi, n’y ayant rien à cet égard que nous croyions qui vous fasse de la peine, nous vous prions, pour votre consolation, d'attacher toute votre méditation à la cause de la souffrance de ce bon père, et à la manière dont il a souffert.

C'est pour la profession de la vérité qu'il meurt: qu'elle cause plus belle!

C'est en demeurant fidèle jusqu’à la mort: quelle disposition plus glorieuse!

C’est pourquoi, Monsieur et très cher frère, nous vous exhortons et même nous vous supplions pour Christ, que vous receviez ce coup d’une manière tout autre que ne font les autres hommes de la perte de leurs parents.

Ils laissent agir le temps, qui est un remède bien long et propre seulement pour les faibles; ou bien, ils emploient la raison, qui a bien à la vérité quelque chose de plus puissant que le temps, mais qui aussi ne consolide jamais bien une plaie, et qui d'ordinaire fait illusion.

Servez-vous de la piété toute seule, si vous voulez recevoir, comme vous devez, cette visitation du Seigneur. Voyez votre père triomphant dans les cieux, qui nous laisse combattant sur la terre.

Vous êtes un confesseur, et il est un martyr; il est à présent couronné de la main de Celui qui est le chef et le consommateur de la foi. Il était, comme nos pauvres frères des Cévennes, qui sont comme des morts dans la grande tribulation, et il est maintenant comme un de ces morts qui sont morts au Seigneur, et qui se reposent de leurs travaux.

À cette heure, il a sa robe blanchie au sang de l'Agneau, et recueilli avec lui dans la gloire céleste, il le suit quelque part qu'il aille, et se joignant avec les autres bienheureux, il prend les palmes en ses mains, et chante avec eux. Alléluia, loué soit le Seigneur tout puissant qui nous a rachetés de toute tribu, langue, nations et peuples.


En conscience, toutes ces vérités ne doivent-elles pas prévaloir sur le sujet de l’affliction que cette perte vous donne, pour remplir votre âme d'une solide consolation?

Possédez votre âme par votre silence et votre patience. Vous le devez à Dieu qui l'a appelé, à Christ qui l’a couronné, aux vôtres qu’il a affermis, à ses frères et compatriotes qu'il a fortifiés, à tous les fidèles qu’il a édifiés, à vous qui vous devez sentir glorieux d'avoir un aussi illustre père, et à nous qui vous en prions pour l'honneur du saint ministère et de l'Évangile que nous annonçons, et qui sommes prêts par la grâce de Dieu à souffrir pour son nom, s’il veut nous y appeler.

C’est cette fermeté d'âme que nous espérons que votre piété accordera à notre prière, à laquelle nous joignons celle de nous croire toujours inviolablement, Monsieur et très honoré frère, vos très humbles et très affectionnés serviteurs et frères au Seigneur, les pasteurs du pays des Cévennes, réfugiés en Suisse.

De Lausanne, ce 14 mars 1686.

Archives du christianisme 1836 06 25


- Table des matières -