Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE.

FAREL ET CALVIN.

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À l’occasion du jubilé séculaire de Genève, l’un des professeurs de l'Académie, M. Cellerier fils, a écrit une courte Histoire de rétablissement de la réformation dans son pays


Nous empruntons à cet opuscule, dont le style est simple, pittoresque et attachant, quelques faits relatifs aux deux principaux réformateurs de Genève, Guillaume Farel et Jean Calvin.

Ces extraits, auxquels nous espérons ajouter bientôt une notice sur Zwingli, présenteront, avec les anecdotes sur Luther publiées précédemment, une sorte de galerie des chefs de la réforme.


* * * *

Farel, dont la mémoire doit être bénie des Genevois, comme des Neuchâtelois et des Vaudois, n'était ni moine ni curé. C’était un homme riche et de noble famille, qui pouvait chez lui s’amuser et prendre du bon temps. Mais son goût le portait à étudier, et, instruit une fois dans l'Évangile, il ne cessa plus de le prêcher jusqu’à la mort, négligeant richesses et repos pour amener ses frères au salut.

Jeune, il quitta son pays (Gap en Dauphiné) pour aller étudier à Paris, et de là, conduit par la Providence en divers lieux, il devint plus tard pour notre Suisse française un apôtre et un clair flambeau.

Ferme, ardent, infatigable, il était partout, ne craignait, n’hésitait et ne s’arrêtait jamais. Puissant en paroles, il avait une voix de tonnerre, le feu dans les yeux et le cœur sur les lèvres, et à cette voix, les amis de l'Évangile étaient réjouis, ses adversaires confondus....


En septembre 1532, Farel arriva dans Genève.

Ses discours faisant du bruit par la ville, il fut cité devant l’abbé de Bonmont, grand-vicaire, et devant ses conseillers. Ceux-ci, irrités, lui criant: «Viens là, méchant diable de Farel,» Farel répondit avec courage et douceur:

«Je ne suis point diable; j’annonce Jésus-Christ crucifié, mort pour nos péchés, et ressuscité pour notre justification. À cette fin suis-je employé de Dieu, notre bon Père, et suis devant vous prêt à rendre raison de ma foi, s’il vous plaît de me ouir patiemment.»

Alors pour délibérer, ils firent retirer Farci sur une galerie ou un serviteur du grand-vicaire lui lâcha un coup d’arquebuse, mais, par la protection de Dieu, le manqua. Farel, ferme comme à l’ordinaire, se retournant au coup, lui dit:

«Ton arquebuse m’effraie peu.»

Alors, ramené devant les juges, il en reçut l’ordre de quitter la ville à trois heures de là.

«Vous me condamnez sans m’avoir entendu,» dit-il.

Pour lors, Dom Bergery, l'un des juges, se levant, dit en latin ce que le souverain sacrificateur avait dit de Jésus-Christ:

«Il a blasphémé; qu’est-il plus besoin de témoins? Il est digne de mort.» Puis il s’écria en français: «Au Rhône! au Rhône! Il vaut mieux que ce méchant Luther meure que de troubler tout le peuple.»

«Parle les paroles de Dieu et non de Caïphe,» lui répartit Farel.

Alors tous confusément se mirent à crier:

«Tue, tue ce Luther!» le chargeant d’injures, puis de coups de pied et de poing. Farel sortit protégé par le syndic Guillaume Hugues , qui l’arracha de leurs mains et retint même, en route, un poignard dont il allait être percé. Puis le lendemain, Farel fut mis dans un petit bateau avec ses compagnons de bon matin, de peur qu’ils ne fussent aperçus, et ils débarquèrent entre Morges et Lausanne pour éviter la mort qui, dans ces deux villes, l’attendait pareillement.

Il arriva sous la garde de Dieu à Orbe ou, fidèle à son Maître Jésus-Christ, il recommença à prêcher l’Évangile.

Ses ennemis se réjouirent, croyant avoir banni la Réformation de Genève avec ce méchant Luther, comme ils l’appelaient; mais, Farel partant, ses paroles ne partirent pas avec lui.

Elles restèrent dans le cœur de plusieurs, qui les gardèrent soigneusement comme une bonne semence pour la répandre à propos; à cela, le grand-vicaire et son conseil ne pouvaient rien.

Le jour devait bientôt venir ou Farel, rentré dans Genève, y achèverait hardiment l’œuvre que Dieu, cette fois, l’avait envoyé commencer.


Protégé par les Bernois, Farel revint à Genève.

Le 24 mai 1534, jour de Pentecôte, les réformés purent célébrer de tout leur cœur leur belle fête, Farel prêchant et donnant la Sainte-Cène, et tous louant Dieu d’une voix. Oh! ce fut là vraiment une Pentecôte de bon présage et bénie de Dieu.

Un événement singulier vint, Dieu le voulant, accroître la fête et l'espérance des réformés. Pendant que Farel donnait la cène et que tous allaient à lui pour recevoir le pain et le vin, on vit s’approcher un prêtre couvert de ses ornements et vêtements d’église, comme pour dire la messe à l’autel. Mais devant la table sainte il jeta à bas surplis, chasuble et le reste, se déclarant serviteur de l’Évangile et réformé. Comme lui, bientôt Genève catholique presque entière devait se convertir à la réforme, jetant au rebut son vêtement papiste et sa parure sacerdotale, revêtant l'Évangile seul pour ornement et le prenant pour bannière.

La Pentecôte de 1534 en fut l’annonce évidente, et l'action du prêtre en parut l’emblème. Ainsi le comprirent les catholiques découragés et les réformes affermis.

L’année suivante, Farel voyant la réforme avancée, les prêtres honteux, le peuple pour l’Évangile, le Conseil en revanche hésitant et voulant presque qu’on le forçât à céder, se résolut à faire seul l’œuvre de Dieu. Aussi d’abord commença-t-il à prêcher dans les églises alors catholiques, quand l’occasion lui était donnée et que le peuple le demandait....

Le soleil du 10 août 1535 enfin se leva sur Genève, et en ce jour de solennelle mémoire le Conseil des Deux-Cents fut assemblé, et Farel fut entendu:

Farel, avec ses fortes et graves paroles, et son brûlant courage pour le règne de Dieu!

Farel, l'apôtre de Genève, devant les deux cents magistrats de la ville, prêts à décider, pour tout le peuple et pour les Genevois à venir, entre l’erreur et la vérité!

Alors, le cœur ému et la figure inspirée, il leur rappela la dispute, sa longueur, le silence et l’embarras des prêtres, auxquels il ne souhaitait, quant à lui, que repentance et salut. Comment hésiter encore? N’avait-on pas vu, clair comme le jour, où était la vérité de l’Évangile?

«Messieurs, s’écria-t-il, mes collègues et moi pour la vérité sommes prêts à subir la mort, et volontiers nous la recevrons, si l’on peut montrer qu’en chaire ou dans la dispute, jamais nous ayons rien dit de contraire à la Sainte Écriture.»

Puis, haussant sa voix de tonnerre, il somma les magistrats de décider enfin, et de donner gloire à Dieu. Enfin, priant à voix forte pour tous et avec tous, pour la délibération qui allait suivre, pour l’avancement du règne de Dieu et le bonheur du pays, comme il convenait à un ministre chrétien, il se retira, laissant tout le monde attentif et frappé.

En ce jour, à cette heure, la vieille Genève, rajeunie par la main de Dieu, fut, à la voix de Farel, jetée dans sa nouvelle carrière; car de cet instant Genève fut réformée.


* * * *

Au mois d'août 1536, Calvin passant par Genève, s’y arrêta sur les vives instances de Farel, et commença ses leçons de théologie dans Saint-Pierre. Calvin fut en peu de temps le professeur, le pasteur, le législateur, le conducteur et la gloire de Genève, le successeur de Zwingli en Suisse, l’égal de Luther dans le monde.

Les réformés de France, d’Italie, de Hollande, d'Écosse, d’Espagne , le reconnurent pour chef, et de lui, avec honneur, se nommèrent «calvinistes».

Régénérer Genève, voilà l’œuvre qu’il y avait à faire: œuvre difficile, que Calvin seul pouvait mettre à bout. Il s’appliqua de toutes ses forces (toutes les forces de Calvin!...) à l’œuvre que Dieu lui donnait. Il y travailla par ses enseignements et ses livres, en affermissant la réforme, en répandant l’instruction, en fondant collège et académie, en écrivant et faisant approuver par les conseils ordonnances ecclésiastiques et édits civils, enfin en faisant la guerre, une guerre assidue et terrible aux mauvaises mœurs de Genève.

Comme David, aidé de Dieu, il terrassa le géant, mais non sans rude combat et sans blessure. Bientôt, consulté sur tout et par tous, de fait il dirigea tout dans l’Église de Genève, et presque tout dans l’État.

Ses idées étaient si fortes et si claires, qu’il entraînait tout le monde à son avis. Aussi, en peu de temps, pasteurs, professeurs, conseillers et citoyens de Genève, furent-ils ses admirateurs et ses disciples en grand nombre; excepté ceux-là seulement qui, mécontents de son influence et ne voulant rien de ses réformes, devinrent ses violents adversaires et vingt ans luttèrent contre lui.

Chargé d’occupations énormes, correspondant avec beaucoup d’hommes et d’églises de l’étranger, qui lui demandaient lumières et conseil, il travaillait tout le jour, ne faisant, par faiblesse d’estomac, qu’un seul petit repas; et quoique toujours souffrant, il se mettait au lit plus pour lire et dicter que pour dormir.

Jamais il n’oubliait rien de ce qu’il avait su, jamais il n’écrivait ses leçons ou ses sermons, prêchant et enseignant, pour ainsi dire, tout le long de la semaine, d’une manière pourtant admirable par la profondeur et la netteté.

Calvin avait lié son cœur au collège; c’était pour lui comme une semence de gloire et de piété déposée dans sa patrie d’adoption, laquelle il avait préparée et labourée de ses fortes mains, comme un terrain fertile.

Quand il mourut, il partagea son petit bien, cent cinquante écus (meubles vendus et tout compris), entre ses neveux qui étaient comme ses enfants, et mettant du nombre le collège, il lui donna dix écus, gros legs pour sa fortune et pour le temps.


La fin de nos histoires approche, et Calvin descend au tombeau.

Amis et frères, rangeons-nous avec respect vers ce lit de mort où est couché le puissant serviteur de Christ, le père et le fondateur de la Genève nouvelle.

Calvin meurt. Tout ce qu’il fait et dit à l’heure suprême doit sans doute nous instruire; car c’est l'homme de génie qui finit son œuvre sur la terre; c’est le chrétien d’élite qui va commencer celle du ciel.... Calvin, atteint depuis longtemps de plusieurs maux, en fut plus fortement accablé au commencement de 1564.

En février il fit son dernier sermon et sa dernière leçon de théologie et dès lors il ne remonta plus en chaire, ne pouvant parler de suite, toujours souffrant et fort oppressé. Il ne se plaignait guères; seulement, regardant vers le ciel, il disait souvent ces mots: «Seigneur, jusqu’à quand?»

Malgré toutes les douleurs et fatigues de la maladie, il travaillait toujours aux affaires des églises, voulant, disait-il, que Dieu le trouvât occupé de son œuvre au dernier soupir.

Le 2 d’avril, jour de Pâques, il se fit encore porter au temple, assista au prêche tout du long, reçut la cène que Bèze lui donna, et même chanta le Psaume avec ses frères, son visage étant serein, et sa physionomie montrant la joie de son cœur.

Trois semaines après, le mal s’accroissant beaucoup, Calvin voulut retourner au Conseil prendre solennellement congé des magistrats, et leur dire, avant de mourir, diverses choses qu’il avait dans l’esprit; mais eux résolurent d’aller plutôt chez lui. Ainsi firent-ils....

Calvin leur adressa d’excellentes remontrances sur leurs devoirs, leurs divers défauts et sur les bienfaits de Dieu, ajoutant pour la fin ces propres mots;

«Or, je prie ce bon Dieu qu'il vous conduise et gouverne toujours, et augmente ses grâces sur vous, les faisant valoir à votre salut et à celui de tout ce pauvre peuple.»

Ces paroles sont solennelles; c’est la bénédiction de Calvin mourant sur le peuple de Genève...

Le lendemain, les ministres de la ville et de la campagne s’assemblèrent tous aussi dans sa chambre, et, de même il les exhorta à bien faire leur devoir après sa mort, s’assurant sur Dieu qui maintiendrait et la ville et l’Église, bien qu’elles fussent menacées de plusieurs endroits. Finalement il donna la main à tous l'un après l'autre, «ce qui fut avec telle angoisse et amertume de cœur de chacun, dit Théodore de Bèze, que je ne saurais même me le ramentevoir (m'en souvenir) sans une extrême tristesse.»

Depuis ce temps il fut toujours en douleurs et en prières, ayant souvent en la bouche ces mois du Psalmiste: Je me tais, Seigneur, parce que c'est toi qui l'as fait; ou ceux-ci: Je gémissais comme la colombe.

Le 19 mai, jour des censures, où les ministres avaient coutume de faire un repas ensemble en signe d'amitié, il consentit à ce que le souper se fit dans sa salle, et s'y étant fait porter dans, un fauteuil, il dit en entrant:

«Mes frères, je vous viens voir pour la dernière fois; car hormis ce coup, je n’entrerai jamais à table.»

Puis, il fit la prière, s’efforça d’égayer ses convives attristés, et prit même quelque léger aliment. Mais bientôt il se fit reporter en sa chambre, disant avec douceur et gaîté:

«Cette paroi ne m’empêchera pas d’être de cœur avec vous

Il se recoucha, et dès lors ne se releva plus, étant fort affaibli; toujours étendu sur les reins, mais laissant connaître, au milieu de ses douleurs aiguës, la force de son espérance et de sa foi par la sérénité de sa physionomie.

Il vécut ainsi, de plus en plus exténué, jusqu’au samedi 27 mai; à huit heures du soir les signes de la mort parurent tout à coup sur son visage, et il rendit l'esprit tranquillement, sans râlement ni convulsions, âgé de cinquante-cinq ans seulement, et encore non accomplis, mais vieux de travail, d’œuvres et de pensées.

Archives du christianisme 1835 11 28


 

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