Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

HISTOIRE ECCLÉSIASTIQUE

ORIGINE ET PREMIERES ÉPREUVES DE l’ÉGLISE REFORMEE DE MEAUX


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La ville de Meaux fut l’une des premières, dans le seizième siècle, à entendre la prédication des doctrines de la réforme. Les autres villes de France étaient encore plongées dans les plus épaisses ténèbres du catholicisme, lorsque cette humble cité, qui renfermait une population d’artisans, tels que peigneurs de laine, cardeurs et foulons, embrassait déjà la pure vérité qui est en Christ.

Dieu se servit, pour y faire pénétrer la lumière, de l'évêque lui-même, nommé Guillaume Briçonnet, homme de bonnes lettres, disent les chroniques, et pour lors merveilleusement bien affectionné tant à connaître la vérité qu'à la notifier aux autres.

Singulière circonstance qui nous montre la réforme introduite par un évêque dans cette même ville où un autre évêque, Bossuet, devait être, cent quarante ans plus tard, le plus habile et le plus opiniâtre adversaire des réformés!

Quand Guillaume Briçonnet arriva, en 1546, dans le diocèse de Meaux, il y trouva un peuple complètement ignorant, livré aux plus grossières superstitions, et qui n’avait appris des Cordeliers, ses prédicateurs habituels, qu’à faire de grandes largesses aux couvents.

Le premier soin du nouvel évêque fut d’interdire la chaire à ces docteurs ignares, et d’appeler auprès de lui des gens de science et de bien. Ils travaillèrent ensemble à éclairer leurs auditeurs sur les principaux points du Christianisme; car il fallait tout reconstruire à neuf dans l’esprit de cette population, qui était presque au niveau des idolâtres, sous le rapport de la foi religieuse.

L’évêque acheta, de ses propres deniers, des livres instructifs, et les distribua dans toutes les familles où il y avait quelqu’un qui pouvait en faire la lecture. Il ordonna aussi de lire publiquement, dans l’une des églises de la ville l’épître de Saint Paul aux Romains, traduite en langue française.

Ces différentes mesures produisirent les effets les plus salutaires; l'attention du peuple se tourna vers les choses de religion, et il y eut bientôt un grand nombre de cardeurs, peigneurs et autres ouvriers qui s’entretenaient de la Parole de Dieu, tout en travaillant de leurs mains, et qui l’étudiaient avec beaucoup de zèle.

Les dimanches et fêtes étaient particulièrement employés à lire et à sonder les Écritures, ainsi qu’à s’enquérir de la volonté du Seigneur. On suivait dans les villages voisins l’exemple de la ville de Meaux, et le diocèse présentait de jour en jour une image plus fidèle de la véritable Église.

Les superstitions se retiraient devant la lumière de l’Évangile, et les mœurs se réformaient avec les croyances. Amour fraternel, charité, support, humilité, ces vertus chrétiennes commençaient à fleurir dans la plupart des maisons.


La renommée de ce changement se répandit, non seulement dans les lieux circonvoisins, mais dans une grande partie de la France. Beaucoup de gens bénissaient Dieu des excellents fruits du ministère de l’évêque Briçonnet; mais d’autres s’en irritaient, comme d’une œuvre hérétique et schismatique. Les cordeliers surtout, qui n’avaient point pardonné leur expulsion au prélat de Meaux, et qui regrettaient les redevances qu’ils levaient sur la crédulité des habitants, accusèrent l’évêque, ses docteurs et de ses chapitres devant le parlement de Paris.

Guillaume Briçonnet, intimidé par les menaces de ses adversaires, se rétracta; la crainte des hommes lui fit oublier ce qu'il devait au Seigneur. Mais d’autres, bien que dans une situation plus humble, ne montrèrent pas la même faiblesse; ils furent constants et fermes dans la foi qu’ils avaient embrassée.


L’histoire cite un jeune homme, appelé maître Jacobé, qui confessa ouvertement les principes de la réforme devant ses juges, et qui fut le premier brûlé à Paris, pour cause d'hérésie.

Plusieurs autres furent fouettés, bannis ou condamnés à des peines du même genre, et la liberté d'annoncer l’Évangile fut spécialement interdite dans le diocèse de Meaux. Les Cordeliers revinrent triomphants, et recommencèrent leurs extravagantes prédications.

Un coup terrible avait été porté à l'établissement de la réforme dans ce pays.

Les hommes faibles, les irrésolus, les avares, ceux qui tenaient avant tout au monde et aux intérêts du monde, s’étaient replacés docilement sous le joug des cordeliers. Il resta cependant un petit peuple qui ne voulut point ployer le genou devant l’idole de Baal; et comme ces fidèles n’entendaient plus la vérité purement et librement annoncée dans les temples, ils s’assemblèrent en secret, à l’exemple des prophètes du temps d’Achab et des chrétiens de la primitive église.

Leur lieu de réunion était une maison écartée, un bois ou une caverne; là, ils chantaient les louanges de Dieu, s’entretenaient dans l’espoir du prochain triomphe de l’Évangile, se nourrissaient de la lecture des saintes lettres, et le plus exercé d’entre eux leur adressait quelques édifiantes exhortations.

Ils se contentèrent longtemps de ces simples assemblées, qui n’offraient pas encore le caractère d’une nouvelle église proprement dite. Mais lorsqu’ils virent que la religion romaine, au lieu de se réformer, se plongeait chaque jour davantage dans la corruption et dans des pratiques idolâtres, ils résolurent de se constituer en forme d’église, comme on l’avait fait à Strasbourg et en d’autres lieux.


Après avoir vaqué plusieurs jours au jeûne et à la prière, ils élurent pour leur pasteur Pierre Leclerc, cardeur de son métier, mais très instruit dans la connaissance de la Bible, exercé à l'explication des doctrines chrétiennes, et rempli de zèle.

Pierre Leclerc accepta cette charge, et dès lors la congrégation se réunit, les dimanches et fêtes, dans la maison d’un vénérable vieillard, Étienne Mangin. Ils y célébrèrent tous ensemble la sainte cène, selon l’institution de notre Seigneur Jésus-Christ, après avoir solennellement protesté qu’ils renonçaient à toutes les superstitions de l’Église romaine. Ceci se passait dans l'été de 1546.

Le Seigneur daigna bénir ces petits commencements, et les assemblées devinrent bientôt beaucoup plus nombreuses. Il s’y trouva jusqu’à trois à quatre cents personnes qui accouraient, non seulement de la ville, mais des villages de cinq ou six lieues à la ronde. Cette affluence considérable ne permettait plus de tenir les réunions secrètes, et quelques amis avertirent les chrétiens de se mettre en garde contre les persécutions de leurs ennemis, mais ils répondirent que les cheveux de leur tête étaient comptés, et qu’il en arriverait ce qui plairait au Seigneur.


Le 3 septembre de l’an de grâce 1546, jour où les Catholiques célèbrent la nativité de la vierge Marie, les poursuites commencèrent. Officiers, sergents, archers, avec le lieutenant et le prévôt de lu ville, entrèrent dans le lieu de réunion des fidèles à sept, heures du matin. Pierre Leclerq expliquait un passage de la première épître aux Corinthiens, et les persécuteurs s'arrêtèrent sans dire un seul mot.

Enfin, le lieutenant s’écria:

Pourquoi êtes-vous ici tant de personnes assemblées, au lieu d’aller dans vos paroisses, et que faites-vous là?

Ce que vous voyez, répondit tranquillement. Leclerc, mais prenez patience jusqu’à ce que nous ayons fini.

Non, en prison, en prison!

Allons où il plaît au Seigneur, dit Pierre Leclerc.

Ils se laissèrent tous lier, au nombre de soixante-deux, sans faire aucune résistance. Il était digne de merveille, dit un ancien auteur, de voir tant de bonnes personnes de tout sexe et âge qui, de bon gré; se laissaient mener en prison par peu de gens. Car il ne faut douter que, s’ils eussent voulu se rebecquer, facilement ils eussent été secourus de leurs parents et amis qui étaient là présents; mais tant s’en fallait qu’ils pensassent rébellion, qu’au contraire ils passaient par les rues, tout joyeux, et chantant des psaumes, principalement le septante-neuvième.

On rassembla contre eux toutes les accusations et toutes les charges qu il était possible de trouver ou d’inventer; puis on les attacha sur des charrettes pour les conduire à Paris. L’affaire fut portée devant le parlement, qui rendit un arrêt de condamnation. Cette pièce ce mémorable est une curieuse révélation sur l’esprit de cette époque, et nous l’analyserons en quelques mots.

Le parlement établit plusieurs classes de coupables. Quatorze d’entre eux sont condamnés à être brûlés vifs sur la place du Marché de Meaux, pour crime d’hérésie et blasphèmes exécrables, conventicules privés et assemblées illicites, etc.

- Les deux principaux accusés, Pierre Leclerc et Étienne Mangin, devront être traînés sur la claie jusqu’au lieu du supplice, et les autres seront portés dans des tombereaux. Leurs livres seront brûlés avec eux et leurs biens confisqués; mais, avant l’exécution, ils seront mis à la torture extraordinaire, pour les contraindre à déclarer leurs fauteurs, alliés et complices, et autres personnes suspectes. Voilà pour les quatorze.

- En outre, quatre coupables assisteront à l’exécution la corde au cou, et ils seront battus de verges par trois ou quatre fois dans les carrefours de la ville, après quoi ils sortiront du royaume pour cinq ans, sous peine d’être pendus.

- Vingt autres sont condamnés à assister à l’exécution, les hommes ayant la tête nue, et les femmes dans un endroit où l’on pourra aisément les voir; de plus, ils feront amende honorable, tète et pieds nus et en chemise, devant la principale porte de l’église cathédrale de Meaux, ayant, chacun d’eux, en leurs mains, une torche de cire ardente du poids de deux livres; et ils déclareront, chacun d’eux, à haute voix, que follement, témérairement et indiscrètement, ils se sont trouvés dans des conventicules pour ouïr des lectures en français, dont ils demandent pardon à Dieu, au roi et à la justice; enfin ils assisteront, ayant leur torche en main, à une procession générale, à une grande messe, et à la prédication d’un docteur en théologie, qui aura lieu dans l’église de Meaux.

- Le reste des accusés est condamné à des peines semblables, et le parlement ordonne à tous les habitants de la ville et du diocèse de Meaux d’apporter, dans la huitaine, sous peine de confiscation de corps et de biens, tous les livres qu’ils auraient en français de la Sainte Écriture, ou sur la doctrine chrétienne.

- L’arrêt se termine par la recommandation d’appeler dans le diocèse de Meaux des docteurs et des savants expérimentés pour combattre la malheureuse secte luthérienne (c’est ainsi qu’on appelait alors les protestants). Cet arrêt fut rendu le 4 octobre 1546.

On essaya pourtant de séduire encore les quatorze par de belles paroles, et on les plaça dans différents monastères; mais comme ils demeuraient fermes, ils furent définitivement livrés à l’exécuteur des hautes œuvres. Or, pour les plus fâcher et désoler, dit la chronique, deux docteurs de Sorbonne, Maillard et Picard, étant sur des mules, côtoyaient les chariots, et ne cessaient de leur rompre la tête, pour les détourner de la vérité, jusqu’à ce que Pierre Leclerc dit à Picard; Retire-toi de nous, Satan! laisse-nous penser à notre Dieu!

Cependant il arriva, tandis qu’on les conduisait de Paris à Meaux, quelque chose de bien remarquable, et qui affermit beaucoup, par la grâce de Dieu, les pauvres patients.

Comme, ils traversaient la forêt de Livry, un homme, tisserand de toile de son métier, et qui était d’un village voisin, se mit à suivre les charrettes et à exhorter tous les fidèles à persévérer dans la vérité.«Prenez courage, mes frères et amis,» leur disait-il, «et ne vous lassez point de rendre témoignage à la vérité de l’Évangile.»

Or, comme les chariots allaient vite et qu’il ne pouvait être entendu de tous, il cria de toutes ses forces, en levant les mains au ciel: «Mes frères, souvenez-vous de celui qui est là-haut.» Les archers du prévôt soupçonnèrent que cet homme était luthérien comme les autres, et sans plus ample information ils le prirent, le garrottèrent et le jetèrent dans la charrette des plus criminels.

Le tisserand, qui n’avait pas été épuisé par les privations et par les tortures, contribua puissamment à relever le courage de ses compagnons par les édifiants discours qu'il leur adressait. On eût dit que c'était un ange envoyé de Dieu pour les affermir, et ils commencèrent tous à se réjouir par le Saint-Esprit. Ils entrèrent bientôt après dans le village de Livry , et la multitude qui était répandue sur la route, reconnut l’homme dont il vient d’être parlé.

Au luthérien! au luthérien! criaient les spectateurs; il a mieux mérité le feu que tous les autres. Et les archers, entendant cela, le serraient de plus près.

Arrivés à Meaux, les quatorze furent mis à la torture, mais ils ne nommèrent personne de ceux qu’ils savaient avoir reçu l'Évangile. L’un d’entre eux, plus fort que les autres, cria même aux bourreaux, pendant qu’ils lui brisaient les membres: Courage, mes amis! n’épargnez point ce misérable corps qui à tant résisté à l’Esprit, et qui a été si longtemps contraire à la volonté de son Créateur.

Huit des quatorze eurent la langue coupée avant le supplice, et ne cessaient, même après cette cruelle opération, de louer Dieu. Ils furent tous brûlés, tandis que les prêtres chantaient les hymnes de leur église.

Le lendemain on fit une grande et magnifique procession; et quand le cortège fut parvenu à l’endroit où le feu des bûchers jetait encore quelques étincelles, on y fit reposer le saint-sacrement.

Alors le docteur Picard monta dans une chaire élevée sur la place publique, et déclama avec une extrême violence contre les suppliciés, en disant qu’il importait au salut de croire que ces gens-là étaient damnés, et que si un ange du ciel venait lui dire le contraire, il ne le croirait pas.

Mais quoi qu’il pût faire, les femmes qui sortirent de prison refusèrent de reconnaître que leurs maris fussent damnés; car nous avons longtemps demeuré avec eux, disaient-elles, et nous les avons toujours vus marcher dans la crainte de Dieu et dans l’observation de ses commandements.

Archives du christianisme 1835 01 24



 


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