Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE

Conversion d’un pasteur néologue allemand


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(Racontée dans une lettre écrite par son frère)

Cher monsieur, je réponds avec plaisir à votre démarche, en vous envoyant un court et fidèle récit de la conversion et de l’heureuse mort de mon frère. Salomon a dit que la fin d’une chose vaut mieux que son commencement; grâce soient rendues à notre miséricordieux Seigneur, cette parole vient d'être encore une fois pleinement réalisée, et je puis la répéter ici dans la joie de mon cœur.

Le frère chéri que j’ai récemment perdu a mené une conduite honnête et irréprochable selon la loi, depuis ses plus jeunes années. Comme étudiant, il avait obtenu les témoignages les plus flatteurs et les plus honorables de la part de ses professeurs, qui le présentaient souvent à ses condisciples comme un sujet d'imitation. Ces éloges lui attirèrent l’envie du petit nombre et l’estime de tous les hommes distingués.

Mon frère n’était pas insensible aux louanges de ses maîtres; il appréciait son mérite; mais l'ignorance où il vivait sur l'état de son propre cœur, et sa confiance dans sa justice personnelle, augmentèrent avec les années.


À l'université de H....., il fit des études en théologie, mais il n'entendit et n’apprit rien de la théologie de Christ, rien de l'Homme-Dieu, qui ne nous est pas seulement donné dans l’Évangile comme un docteur de morale, mais qui s'offre surtout à nous comme la victime de propitiation pour nos péchés, et comme le Médiateur entre un Dieu saint et des créatures rebelles.

Mon frère ne trouva point en Jésus le chemin, la vérité et la vie.

Au contraire, il s’attacha spécialement aux professeurs qui avaient banni l’orthodoxie de leurs leçons, comme une vieille doctrine tombée en désuétude, et la croix de Jésus-Christ lui devint de plus en plus un scandale et une folie.

Il se jugea trop vertueux pour avoir besoin d’un Rédempteur, et trop juste devant Dieu et devant les hommes pour se revêtir de la justice d'un autre, soit dans ce monde, soit dans le monde à venir.


Lorsqu'il sortit de l'université, il était déiste, dans le plus mauvais sens de ce mot.

Sa croyance en Dieu n'était rien de plus que l'idée vague et flottante qu'il devait exister une Divinité, qui accordait quelque attention aux affaires de ce monde. Il ne confessait pas autre chose devant ses amis que l'existence de Dieu.

Du reste, il considérait la moralité et la vertu comme indépendantes de son symbole déiste; il en cherchait le principe et la règle dans la raison même de l'homme, et tenait la morale d’Épictète, de Platon et des autres philosophes de l'antiquité pour plus conforme aux lois de la nature humaine que la morale de Jésus-Christ.

Avec ces opinions qu’il n’avait pas déclarées ouvertement, il entra dans la famille du baron de P*** comme précepteur.

Il cacha soigneusement ses idées religieuses, ou plutôt irréligieuses, pendant les premières semaines, mais c'était pour lui un fardeau d'instruire ses deux élèves dans les doctrines enseignées par la Bible.

Au bout dune quinzaine de jours, son patron le délivra de cette charge pénible, et voici comment.


Le baron de P*** entra un matin dans la chambre d'études, et dit au précepteur en présence de ses fils:

«Mon cher M. S***, je suis loin de vouloir vous prescrire des règles et des méthodes pour l'instruction de mes enfants; mais je dois franchement vous avouer que je ne désire pas que vous en fassiez des piétistes, ou des fanatiques; je souhaite de trouver toujours en eux des hommes raisonnables et éclairés.

Dieu, la vertu, l’immortalité, voilà toute ma religion; le reste n'est pour les gens instruits qu’un amas de fables et de contes. Expliquez ces trois idées à mes fils, et gravez-les dans leur esprit; vous aurez alors rempli votre devoir, et je serai satisfait.»

On peut facilement se représenter combien cette explication fut agréable au précepteur, qui avait adopté les mêmes opinions. Toute sa physionomie rayonna de joie, et il s’empressa de répondre au baron de P*** qu’il entrait parfaitement dans ses vues, et qu’il se garderait bien d'enseigner à ses élèves les superstitions judaïques de l'ancienne et de la nouvelle alliance, et les rêves d'un stupide fanatisme. Il tint parole, et ses élèves ne tardèrent pas à se moquer de tout ce qui excite la reconnaissance et le respect des véritables chrétiens.

Au bout de quatre ans, mon frère entra dans la carrière ecclésiastique, et fut placé comme pasteur dans la petite ville de M*. Ses opinions n’avaient pas changé, et les motifs qui le dirigeaient étaient purement terrestres.

Pendant quatorze ans il exerça ses fonctions pastorales. Sa manière de prêcher était animée, attrayante et populaire. Il prenait pour sujet de ses discours la nature, la vertu, le devoir de s’abstenir de toute injure envers le prochain, et en général, tout ce qui concernait les relations humaines.

Il passait la plus grande partie de ses loisirs dans l'étude des livres philosophiques. Il était généreux et charitable envers les pauvres, et par ce moyen, de même que par son genre de prédication, il s’attira l'affection du troupeau.

C’est ainsi qu’il remplit ses devoirs ecclésiastiques jusqu’aux trois derniers mois avant sa mort; il n’avait que trente-sept ans quand il mourut.

Ces trois derniers mois furent infiniment plus précieux pour lui, et l’on peut ajouter pour plusieurs membres de son troupeau, que toutes les autres années de sa vie mises ensemble.

Un jour, après avoir baptisé l'enfant d’un de ses plus riches paroissiens, il fut invité avec plusieurs autres personnes à prendre part aux réjouissances du baptême. En face de lui, était suspendu un tableau représentant Jésus-Christ sur la croix, avec ces deux lignes écrites au-dessous:

Voilà ce que j’ai fait pour toi!

Fils d’Adam, qu’as-tu fait pour moi?


Ce tableau attira son attention, et lorsqu’il lut les deux vers, il fut involontairement saisi d’une émotion qu’il n’avait jamais éprouvée auparavant. Des larmes lui vinrent aux yeux; il prit peu de part à la conversation, et se retira dès qu’il lui fut possible.

Ces lignes retentissaient constamment à ses oreilles et dans son cœur. Tous ses doutes philosophiques, toutes ses vaines hypothèses rationalistes semblaient avoir disparu comme par miracle, et il ne put que se livrer entièrement aux sentiments qui le dominaient.

Durant la nuit, dans ses rêves mêmes, cette question lui était sans cesse présente:


Qu'as-tu fait pour moi?


Il se leva le matin, les yeux baignés de pleurs, et résolut d'aller voir un vieux et respectable pasteur du voisinage, qu’il dédaignait auparavant comme un enthousiaste de petite intelligence.

Le même jour il exécuta sa résolution. Le vénérable pasteur le reçut avec cordialité, et le pria de partager son dîner de famille. Il s'aperçut bientôt que les sentiments de son collègue n'étaient plus aussi hostiles au Christianisme, et dans le fond du cœur il offrit à Dieu une fervente prière pour lui.

Mon frère parla peu; mais toutes ses manières montraient beaucoup d'humilité et d'affection. Après le dîner le vieux pasteur lui lut quelques cantiques, entre autres celui qui commence par ces mots:

Une seule chose, ô mon Dieu ,

Est nécessaire à tous les hommes;

et celui-ci:

O mon Sauveur, ma lumière et ma joie!

Quand le vieillard lut ces mots:

Quel autre au ciel ai-je que toi?

Quel autre que toi sur la terre?

Victime sainte et volontaire.

Ton sang fut répandu pour moi,

Et ta mort me donne La vie.

À ces mots, dis-je, mon frère ne put retenir ses larmes, et laissa tomber sa tête entre ses mains, comme hors de lui-même. Le vénérable pasteur s’en aperçut et s'agenouillant aussitôt, il pria à haute voix pour l’esprit froissé et le cœur brisé de son pauvre frère.

La prière finie, le jeune homme se jeta dans les bras du vieillard.

Oh! comment, lui dit-il avec des sanglots, comment daignez-vous m'appeler votre frère? Qui êtes-vous? et qui suis-je?

Vous êtes, répliqua mon ami, vous êtes ce que je suis; il n’y a qu’une seule différence entre nous: c’est que Dieu, dans sa miséricorde infinie, m’a révélé son Fils, et il vous le révélera de même.

Si vous me permettez, comme à un homme instruit par l’expérience, de vous donner un conseil, je vous dirai: Ne tournez pas les yeux en arrière; ne consultez ni la chair, ni le sang, ni les raisonnements humains; Celui qui a commencé en vous cette bonne œuvre l'achèvera.

Les deux amis se quittèrent avec les sentiments les plus affectueux. Mon frère passa le reste de la semaine à lire les Écritures, à méditer, à prier, demandant au Seigneur de lui donner la connaissance de la vérité, la conviction de sa misère et du salut qui est en Christ, et le Seigneur daigna écouter ses supplications.

Le dimanche suivant, le pasteur converti avoua sans détoura ses auditeurs qu’il ne les avait pas conduits jusque là sur la route qui mène à la vie éternelle. C’était pour la première fois qu’il avait senti lui-même ce que c’est que la vraie repentance et la vraie foi en Christ, le Sauveur des pécheurs; et il déclara solennellement à son troupeau que notre propre justice est comme un linge souillé, que notre salut est un don gratuit de la miséricorde de Dieu en Jésus Christ, qui s’est livré à la mort pour nous, afin de nous faire vivre dans la justice et dans la sainteté sur la terre, et de nous rendre éternellement heureux.

Ce sermon, qui avait pour texte la parabole des dix vierges, fut très touchant et produisit sur ceux qui l'entendirent une impression profonde, et même une impression bénie pour quelques-uns.

Mon frère prêcha huit ou neuf semaines consécutives dans le même esprit; mais le jour après qu'il eut prononcé son dernier sermon, il fut atteint d’une maladie grave, et mourut au bout de trois semaines.

Le jour où il tomba malade, il m’écrivit une lettre remplie de choses consolantes et réjouissantes:

«J’ai pris pour jamais congé, me dit-il, de toutes les opinions philosophiques qui ne sont pas appuyées sur le témoignage de la Bible, seule source de toute vérité certaine et incontestable. La Bible est maintenant mon seul livre, et elle est pour moi d’un prix qu'on ne peut estimer.

O mon cher frère, tout dans l’Évangile est aussi nouveau pour moi que si je n’en avais jamais entendu parler. Comme tout y est plein d’instruction, de consolation, de rafraîchissement pour mon esprit, de joie pour mon cœur!

Chaque parole de Jésus-Christ et des apôtres est pour moi une source d’eaux vives, et ces eaux coulent d'autant plus abondamment, elles me sont d'autant plus douces, que je m’arrête plus longtemps à les puiser pour étancher ma soif.

Oh! comme mon âme prononce un joyeux amen à toutes les promesses de miséricorde qui sortent des lèvres de mon Rédempteur!»

Son lit de mort présentait le parfait accomplissement du proverbe de Salomon que j’ai cité au commencement de ma lettre; et jamais, de toute sa vie, mon frère n’avait prêché un sermon aussi instructif, aussi scripturaire et béni que celui-là.

Je ne le quittai point durant sa maladie, et le vénérable pasteur, son voisin, lui faisait de fréquentes visites qui contribuaient puissamment à le soutenir.

Pendant les quinze premiers jours, il parla peu; mais sa physionomie, son regard et tout son extérieur manifestaient la douce paix dont il jouissait au-dedans.

Une semaine environ avant sa mort, sa bouche commença à parler de l'abondance de son cœur. Il exprimait tout à la fois, une vive repentance, une profonde confusion à cause de ses péchés, et une pieuse admiration, des louanges ferventes pour l'inexprimable amour, le long support et les compassions de son Rédempteur.

Mon Seigneur et mon Dieu! s'écriait-il dans un transport de joie, toute une éternité ne suffira pas pour raconter ton incompréhensible amour envers les pêcheurs!

O amour éternel, insondable! si tu as tant fait pour un ennemi, un blasphémateur tel que moi, que ne feras-tu point pour ceux qui te cherchent de bonne heure, et qui te restent fidèles!

Moi, indigne créature, je viens à toi, comme un nouveau-né tardif, parce que tu m’as appelé, et le pardon que j’ai reçu sera le sujet de mes louanges, en même temps que la manifestation de ta gloire et le monument de ta grâce toute puissante, lorsque j’irai me joindre à la multitude des rachetés devant le trône de Dieu.

Une autre fois il dit:

Combien me sont précieuses maintenant toutes les paroles de ma bonne et pieuse mère, et pourtant je m’en moquais autrefois dans mon cœur! Ah! sans doute, elle n’a cessé de prier pour son pauvre aveugle fils devant le trône de grâce, et le Sauveur infiniment bon a exaucé sa prière!

O miracle de miséricorde! Pour toi, mon frère, tu es bien; tu as cherché le Seigneur dès tes jeunes années, et tu l’as trouvé et moi je viens tard, comme le larron sur la croix, et comme un tison retiré du feu.

Trois jours avant sa mort, vers le soir, il passa une heure dans un profond recueillement, et ses regards exprimaient, tantôt la douleur, tantôt la joie; il ouvrit enfin la bouche, et dit:

O Jésus! que n’as-tu pas fait pour moi!

Un quart d'heure après, il me dicta pour son troupeau une lettre d’adieu, qui respirait une foi et un courage apostoliques, un amour plein de confiance et de reconnaissance envers le Sauveur, un vif regret de sa précédente inimitié contre Christ et de sa prédication anti évangélique; la lettre se terminait par de sérieuses exhortations et par une onctueuse prière.

La nuit suivante fut la plus pénible de sa maladie, et les souffrances de son corps étaient augmentées par les angoisses de son âme. Le grand adversaire de notre salut essaya pour la dernière fois de l'arracher, s'il était possible, à la voie du ciel et de le reconduire dans la voie large. Cette épreuve dura jusqu’à trois heures du matin. Alors sa contenance changea tout à-coup, et il s’écria d’une voix triomphante:

Alléluia! L’amour de mon Sauveur a remporté la victoire! L’Agneau qui a été immolé est digne de recevoir la puissance, les richesses, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire et la louange!

Le jour suivant se passa dans une communion silencieuse avec son Rédempteur. Il répéta seulement à diverses reprises cette expression qui lui était chère: Que n’as-tu pas fait pour moi!

Vers minuit, il me prit la main, et celle du vieux pasteur, les serra contre sa poitrine, et dit à haute voix: Alléluia à l’Agneau qui a été immolé pour moi!

Lorsque nous vîmes que ses yeux se fermaient, nous chantâmes un verset du cantique:

Jésus, à mon heure dernière,

Daigne prendre mon âme à toi!

Et lorsque nous eûmes achevé, son âme s’était endormie en Jésus.

Telle fut la fin d'un homme qui, né de parents pieux, avait été élevé dans la crainte du Seigneur, mais qui avait renié la foi pendant ses études académiques; d’un homme qui était sans reproche et honorable devant le monde, mais qui, au terme de sa carrière, sentit et reconnut, par la grâce de Dieu, sa misère, sa pauvreté, son aveuglement, sa nudité, et regarda toute sa science, toutes ses vertus comme de l'ordure, en comparaison de l’excellence de la connaissance de Jésus-Christ son Seigneur!

Et lui, qui avait autrefois repoussé, renié, haï, méprisé Christ, se jeta à ses pieds, et l’adora de toute son âme, comme le Sauveur des pécheurs.

O amour! amour éternel! qui peut te mesurer?

Nous ne pouvons que t’adorer; et les séraphins, et les élus devant ton trône, ne peuvent non plus que t’adorer!

Archives du christianisme 1836 07 23



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