Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE.

Auguste Hermann Francke.

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Nous avons annoncé déjà la prochaine publication d’une traduction de la vie de cet homme excellent et remarquable, par le docteur Guériké. Nous nous estimons heureux de pouvoir mettre, dès aujourd’hui, sous les yeux de nos lecteurs, un fragment de cet ouvrage.

Quoique les Archives aient publié il y a huit ans une notice sur Francke, ils aimeront lui entendre raconter à lui-même avec plus de détails l’histoire de sa conversion.


«C’était vers la vingt-quatrième année de ma vie (en 1687) que je commençai à rentrer en moi-même; à être convaincu de mon esclavage spirituel et à désirer que mon âme fût affranchie.

J’ignore quelles furent les circonstances extérieures qui m’amenèrent à ce désir et à ces convictions; je ne sais qu’une chose, c’est que la grâce de Dieu m’a merveilleusement prévenu, conduit et supporté. Ma théologie n'était qu’affaire de mémoire, de raisonnement. Je compris que je me rendais coupable envers Dieu et envers les hommes, si, appelé à un emploi ecclésiastique, j'allais prêcher aux autres ce dont je n’avais pas encore moi-même la sincère expérience.

Fort répandu dans le monde, entouré de toutes parts des séductions du péché, je me sentis pourtant touché dans mon cœur, je pus implorer les compassions divines et fléchir le genou devant Dieu pour lui demander de me recevoir parmi ses enfants.

«Au lieu que vous devriez depuis longtemps être maîtres, vous avez besoin qu’on vous enseigne de nouveau les éléments de la Parole de Dieu (Hébreux V, 12)» — voilà ce que je me disais souvent.

J’avais lu et relu la Bible; je savais la commenter; mais la Parole n'était pas devenue vie en moi; je dus donc recommencer mes études bibliques, et les recommencer d’un point de vue tout nouveau; je dus chercher à devenir chrétien, et je le devins, grâces à Dieu.


«Que d'obstacles cependant je rencontrai d’abord! non que j'eusse eu des vices grossiers à combattre, mais pour être subtils, mes ennemis n'en étaient pas moins redoutables; ils se retranchaient dans mon amour-propre, dans la recherche d’une vaine gloire, dans les ménagements dont je voulais user envers le monde. J’étais comme un pauvre prisonnier qui voit une de ses chaînes tomber, mais qui sent en même temps que les autres le serrent davantage.

Dieu, le fidèle, le véritable fut mon aide! Sa main puissante enleva peu à peu toutes les entraves et dilata aussi mon cœur pour me faire aimer toujours plus Celui qui nous a tant aimés.

Je me vis enfin sur le seuil du temple de la régénération; mais longtemps mes vieilles habitudes mondaines m’empêchèrent de pénétrer plus avant dans le lieu saint. Je me mis, il est vrai, à confesser le nom du Sauveur et à entretenir mes amis de la résolution où j'étais de marcher en nouveauté de vie; mais Dieu sait combien l’amour du monde me dominait encore! Le mal était en moi comme un géant contre lequeI un enfant chercherait à se mesurer. J'eusse été bien malheureux si Dieu m’avait laissé dans cet état; état bâtard, pour ainsi dire, dans lequel je cherchais d'une main à saisir le ciel, tandis que de l’autre je retenais les idoles de la terre!

Dieu usa de patience envers moi; il subvint à ma faiblesse: je ne perdis point courage, j’espérai contre espérance! C'est chose vraiment admirable que la charité dont Dieu usa envers moi, et la douceur avec laquelle il me fit comprendre que ma conversion devait être son œuvre.»

Tout ceci se passa en Francke au commencement de son séjour à Lunebourg. Vers le même temps à peu près, on demanda à Francke de prêcher dans une des églises de cette ville. Francke promit de prêcher.

Écoutons-le rendre compte des combats qu'il eut à soutenir à cette occasion, et de la victoire que sa persévérance lui fit remporter.

«Après avoir mûrement réfléchi, je m’arrêtai à ce texte: Ces choses sont écrites afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le fils de Dieu, et qu'en croyant vous ayez la vie par son nom (Jean XX, 31).

Je comptais parler de la foi vivante, et montrer en quoi elle diffère de la foi morte. Mais, toi-même, me demandais-je bientôt, as-tu cette foi dont tu veux parler, dont tu auras à dépeindre le bonheur et à indiquer la Source?

Cette question me troubla beaucoup; je ne m’occupai plus de mon travail, je ne songeai qu’à moi. D'ineffables angoisses vinrent me saisir; loin de les calmer, mes raisonnements y ajoutèrent encore. Je cherchai à me rappeler tout ce que la dogmatique et la morale m’avaient appris, tout ce que j'avais lu si souvent dans de bons livres d'édification; je recourus même à l'Écriture, mais rien n’y fit!

Je ne trouvai aucune force, aucune lumière, ni dans la Parole de Dieu, ni dans aucun ouvrage d'homme. Toute ma vie passée fut soudain devant mes yeux; je la voyais comme quelqu’un, qui, placé sur une haute tour, verrait à ses pieds toutes les rues et toutes les maisons d’une ville; je pus compter mes péchés un à un, et je vis bientôt la cause qui les avait tous produits: L’INCRÉDULITÉ, ou, ce qui est la même chose, UNE FOI D’APPARAT ET D’APPARENCE, foi qui est sans réalité et qui n’a nul fondement dans le cœur.

Que furent grandes alors les détresses de mon âme! Je n'en parlai à personne; je restai seul; tantôt pleurant amèrement, tantôt me promenant au hasard, tantôt enfin me prosternant devant ce Dieu qui m’était encore inconnu, le conjurant de vouloir, si en effet il était fidèle, avoir pitié de moi !... Je sentis, que dans l’état où je me trouvais, je ne pourrais point prêcher; je ne voulus point charger ma conscience d’un péché nouveau en trompant ceux qui m’écouteraient: travaillé et angoissé moi-même, voyant sans cesse devant moi mon infinie misère, et me trouvant encore dénué de paix et de consolation, comment aurais-je pu offrir la consolation aux autres, comment leur parler de paix?


J’allais donc annoncer que je ne prêcherais point; j’allais peut-être renoncer au ministère lorsque je voulus faire un dernier essai; je m’agenouillai de nouveau, implorant Dieu de toutes mes forces, et le suppliant, quoique je ne le connusse point et que je ne crusse pas en lui, de se révéler à mon cœur et de me délivrer des liens dans lesquels je gémissais.

Et le Sauveur m’exauça!

Et tel fut son amour que d’un seul coup (si je puis m’exprimer ainsi) il fit tomber tous mes doutes, que dans le moment même, je fus assuré de ma grâce, de mon adoption en Jésus-Christ, que Dieu devint mon Dieu, mon tendre Père.

Plus d’inquiétude, plus de tristesse! Un torrent de joie m'inonda, et mon âme déborda des louanges de mon Sauveur. J'étais tombé à genoux accablé de douleur, et voici! en me relevant je goûtai une indicible félicité! Ma vie passée m’apparut comme un rêve, comme un temps de profond sommeil. Je ne vécus que de ce moment, et de ce moment aussi je demeurai persuadé que le monde entier avec tous ses plaisirs et toutes ses passions ne pourrait jamais créer en mon cœur une joie semblable à la joie de mon salut; je me tins pour assuré que rien sur la terre ne pourrait plus jamais me séparer de l’amour que Dieu venait de me montrer en Jésus-Christ, mon Sauveur!»

J'ai cru, c'est pourquoi j’ai parlé! (2 Corinth. IV, 13). — C'est à dater des moments dont nous avons essayé de retracer l’histoire que Francke compta sa conversion.

Quarante années plus tard, lorsque dans le jardin de la maison des orphelins à Halle, Francke mourant adressa sa dernière prière à Dieu, il rendit encore grâces de ces moments, et déclara que la connaissance qu’il acquit alors du Seigneur Jésus-Christ était devenue pour son âme, jusqu’aux derniers jours de sa vie, une source intarissable de bonheur et de paix.

Désirer sincèrement d’être délivré du péché et de ses peines; s’approprier par la foi, les mérites de la vie et de la mort de Jésus-Christ; commencer dans l’assurance de la réconciliation avec Dieu, une vie nouvelle, vie d’union avec Dieu, vie de sanctification, de charité, voilà les fondements de la conversion, et à cet égard, toutes les conversions se ressemblent.

Qui n’a pas soupiré après cette délivrance, qui n’a jamais fait effort pour rendre siennes la vie et la mort de Jésus-Christ, qui ne veut pas croire que, pour voir le royaume de Dieu (Jean III, 3), il faille entrer et persévérer dans la régénération, n’est pas, quoi qu’il dise et quoi qu’il fasse, dans le chemin du salut.

Ce chemin est un et toujours le même, mais n’oublions point que les voies qui y conduisent diffèrent à l'infini. — Ô profondeur de la richesse et de la sagesse de Dieu! Qui a connu la pensée du Seigneur ou qui a été son conseiller? (Rom. XI, 13).

Archives du christianisme 1837 04 08

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