Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE

Robert et Baudichon Oguier

Martyrs exécutés, en 1556, à Lille en Flandre.


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L’ancienne histoire de nos Églises réformées est peu connue; les enfants ont oublié les pieux exemples et l’héroïque fermeté de leurs pères. Ce silence profond qui enveloppe tant de précieux souvenirs, d'où vient-il? Des malheurs qui ont suivi la révocation de l’Édit de Nantes!

Lorsque nos églises persécutées erraient au loin de peuple en peuple, ou cherchaient un refuge dans le désert, les antiques traditions se sont effacées et perdues. Le Seigneur nous donna des jours plus heureux, mais alors la vie même de l’église, la foi s'était presque entièrement éteinte dans les cœurs, et les fils des martyrs se détournèrent de leurs tombeaux, de peur d'avoir trop à rougir devant eux.

Aujourd'hui, cependant, la piété se ranime de toutes parts, et avec elle revient le désir d’explorer nos vieilles chroniques protestantes pour y découvrir des trésors de foi, d’amour, de dévouement et de persévérance.


Nous essaierons de répondre, dans les limites étroites de notre feuille, à ce besoin de renouer la chaîne de nos traditions, et nous insérerons de temps à autre dans ce journal, des notices biographiques empruntées à l’histoire du protestantisme français, dans le seizième et le dix-septième siècles.

Pour donner à nos récits plus d'exactitude et de fidélité, nous conserverons même, autant que faire se pourra, l’énergique et naïf langage de celle époque; il ne suffit pas de voir agir nos pieux ancêtres, il faut les entendre parler, si l’on veut comprendre toute la force de leurs convictions et toute la grandeur de leur courage. 

C’est le passé que nous voulons remettre sous les yeux de nos lecteurs, 
sans y rien ajouter de notre froide et uniforme civilisation.


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Transportons-nous, pour cette fois, à Lille en Flandre. Lille était déjà une ville florissante au seizième siècle, et elle appartenait alors à l’empereur Charles-Quint. L’Évangile y fut prêché pourtant malgré les lois de sang que le monarque espagnol avait portées contre les hérétiques.

On annonça secrètement la réforme dans les maisons, dans les bois, dans les champs, dans les cavernes de la terre, et une grande affection était au cœur de ce peuple qui, nuit et jour, courait après la nourriture de vie.

Et non seulement ce peuple allait ouïr l’Évangile, mais il le mettait en oeuvre, de sorte que

- les pauvres fidèles, qui sont les temples de Dieu, étaient sustentés et nourris;

- les pauvres malades étaient soigneusement visités et consolés;

- les pauvres prisonniers étaient secourus dans leurs tribulations:

bref, les œuvres de miséricorde y étaient exercées envers tous, tellement que plusieurs, par ces moyens, étaient attirés à la connaissance de Jésus-Christ.


Certains diacres, hommes craignant Dieu, et de qui on avait un bon témoignage, allaient toutes les semaines, par les maisons des fidèles, recevoir les aumônes, et avertissaient chacun de sa vocation et de son devoir.

Les jeunes gens y étaient si bien instruits dans la crainte de Dieu, qu’il ne se trouvait aucun désordre dans leur vie ni dans leurs paroles. Souvent ils vaquaient au jeûne afin de mieux mortifier leur chair, et ils étaient en exemple même aux infidèles. Quand il y avait entre eux apparence de chicane ou de débat, ils étaient fort soigneux à garder le lien de la paix.

En peu de temps le Seigneur eut à Lille une église florissante; de telle manière que les assemblées étaient en grand nombre, tant d’hommes que de femmes et de petits enfants, non seulement de la ville, mais aussi des villages de quatre ou cinq lieues à la ronde, qui accouraient comme affamés du désir d’entendre la Parole de Dieu.

Satan, cependant, et ses suppôts enrageaient; et il advint, un samedi, 6e jour de mars de l’an 1556, que le prévôt de la ville et tous ses sergents se mirent en armes entre neuf et dix heures du soir, entrant dans les maisons pour voir s’il ne s’y tenait point d’assemblée.

Et ce jour-là ils vinrent se ruer impétueusement dans la maison d’un nommé Robert Oguier, homme de bien et de grande bénédiction, qui instruisait ses fils et ses filles, ses serviteurs et ses servantes, à craindre Dieu.

Après avoir pris tous les livres qui se trouvaient dans la maison, le prévôt dit aux gens de la famille: Je vous fais tous prisonniers de par l’empereur. Et tous se laissèrent lier ensemble, savoir le père, la mère et les deux fils; on laissa les deux filles pour garder le logis.

En allant sur la rue, le fils aîné, qui se nommait Baudichon, criait à haute voix: O Seigneur! non seulement d’être prisonniers pour toi, mais aussi fais-nous la grâce que nous confessions ta sainte doctrine hardiment et purement devant les hommes, et que nous la puissions sceller par les cendres de nos corps pour l’édification de ta pauvre Église!

Ils furent ainsi menés en prison où ils furent rudement traités; mais ils louaient Dieu tous ensemble pour le mal et les injures qu’ils souffraient.

Peu de jours après on les conduisit devant les magistrats de la ville.

Nous sommes bien avertis touchant votre famille, dit-on au père, que jamais vous ne vous trouvez à la messe, et que même vous empêchez chacun d’y aller. Outre cela, nous sommes informés que vous avez tenu dans votre maison des assemblées et des conventicules, et que là on prêchait une doctrine erronée, contraire à notre mère, la Sainte Église: en quoi faisant vous avez contrevenu à l’ordre de Sa Majesté Impériale. Qu’est-ce qui vous a excité à faire ces choses?

Messieurs, répondit avec douceur Robert Oguier, ni moi ni ma famille nous n’allons plus à la messe, parce que le sacrifice de Jésus-Christ y est entièrement anéanti et mis sous les pieds. Jésus a offert un seul sacrifice pour les péchés, et les prêtres disent qu’ils l’offrent tous les jours en chair et en os: certes, en faisant cela, ils renient le Seigneur qui les a rachetés. Lisez, Messieurs, les Écritures; et vous verrez s'il est jamais fait mention de messe: au contraire, elle a été inventée par les hommes. Quant au second point, je ne nie pas que nous ayons tenu des assemblées de gens de bien et craignant Dieu; mais ce n’a été au dommage de personne, mais plutôt pour l'avancement de la gloire de Jésus-Christ.

Il est bien vrai que je savais que l’empereur l’avait défendu; mais quoi? Je savais, d’un autre coté, que Jésus-Christ l’avait commandé; ainsi je ne pouvais obéir à l’un sans désobéir à l’autre, et j’ai aimé plutôt obéir à mon Dieu qu’à un homme: c’est ce que m’enseigne saint Pierre dans le livre des Actes.

Mais qu’est-ce qu’on y faisait dans vos assemblées? demanda un magistrat.

S’il vous plaît de m’ouïr, Messieurs, répondit le fils de Robert, je vous le déclarerai tout au long. Quand nous sommes assemblés au nom de Notre-Seigneur pour entendre sa sainte Parole, nous nous prosternons tous ensemble à deux genoux en terre, et en humilité de cœur nous confessons nos péchés devant la majesté de Dieu. Après cela, nous prions pour que la Parole de Dieu soit purement prêchée.

Nous faisons aussi des prières pour notre sire l’empereur et pour tout son conseil, afin que la chose publique soit gouvernée en paix, à la gloire de Dieu; et vous aussi, vous n’y êtes pas oubliés, Messieurs; nous prions afin que Dieu vous maintienne en tout bien. Vous semble-t-il, Messieurs, que nous ayons commis un si grand crime, en nous assemblant ainsi?... Au reste, s’il vous plaît d'écouter les prières que nous y faisons, je suis prêt à vous les réciter.


Quelques magistrats lui firent signe de les dire. Alors, ce fidèle serviteur de Christ, s’agenouillant en terre devant eux, prononça ses prières d’un tel zèle, qu’il a confessé que jamais il n’avait éprouvé une si grande ardeur d’esprit. Plusieurs des magistrats fondaient en larmes.

Voilà, Messieurs, dit-il en se relevant, les choses qui se font dans nos assemblées.

Le père et le fils déclarèrent franchement leur foi, et furent ramenés en prison. Peu après, on les livra à la torture pour les forcer à révéler les noms de ceux qui hantaient leurs assemblées; mais ils ne le firent point.

Comme ils avaient été condamnés à mort, et que le jour du supplice approchait, des Cordeliers vinrent les voir dans leur prison.

Voici l’heure venue, mes amis, dit l’un de ces cafards, en laquelle vous devez finir vos jours.

Nous le savons bien, répondirent les deux Oguier; mais béni soit la bonté de notre Dieu, qui veut aujourd’hui nous délivrer de cette prison obscure pour nous faire entrer dans son glorieux royaume!

Mais toi, père Robert, tu es un homme d’âge, reprit un cordelier de la voix la plus doucereuse; je te prie de vouloir, en cette dernière heure, sauver ton âme; et si tu veux m’écouter, retourne-toi vers moi, et ton affaire ira bien.

O homme! répliqua Robert avec indignation; comment oses-tu dérober si vilainement l’honneur qui appartient au Dieu éternel? Car, à t’entendre, il semble que tu veuilles être mon Sauveur. Non, non, j'ai un seul Sauveur qui bientôt me retirera de ce pauvre monde; j'ai un seul docteur que le Père céleste m’a ordonné d’écouter, et je n’en veux point d’autre.

Je t’ai connu si longtemps, interrompit un deuxième prêtre, pour un véritable enfant de notre Sainte Église, et tu es devenu maintenant le fils de perdition. Ah! pendant qu’il eu est temps encore, aie pitié de ta pauvre âme que Jésus a rachetée!

Tu m’exhortes d’avoir pitié de mon âme; je t'en remercie. Or, j’ai si grand soin de mon salut que, pour le nom de mou Dieu, j’abandonne mon corps au feu, et j’espère être bientôt devant lui dans sa gloire. Toute ma confiance est en lui; toute mon espérance est en la mort de son Fils; il me donne la vraie foi pour aller au ciel. Je crois tout ce qu’ont écrit les saints prophètes et les apôtres; je veux vivre dans cette sainte foi, et y mourir.

Va, chien, s’écria le pater avec fureur, tu es indigne de porter le nom de chrétien !... C’est une grande pitié de te voir, toi et ton fils, vous jeter ensemble, corps et âme, aux enfers et à tous les diables.


On sépara le fils d’avec le père, avant de les conduire au dernier supplice.

Mes amis, dit le fils en sortant, je vous prie de supporter mon pauvre père, et de ne le plus troubler. C’est un homme d’âge et fort débile de corps; ne l’empêchez point de recevoir aujourd'hui la couronne du martyre.

Va, misérable, répliqua l’un des cordeliers, c’est à cause de toi que ton père est ainsi perdu.Allons, fais ton office, ajouta-t-il en se tournant vers le bourreau; car aussi bien nous y perdons nos peines: ils sont endiablés, et il est impossible de les gagner.


Baudichon fut déshabillé dans une chambre à part, et comme on lui mettait de la poudre sur la poitrine, il y avait là un quidam qui lui dit: Si,tu étais mon frère, je vendrais tout mon bien, afin d’avoir des fagots pour te brûler: on te fait bien trop de grâce.

Je vous remercie, mon ami, répliqua le martyr; le Seigneur veuille vous faire miséricorde!

Pendant ce temps, d’autres cordeliers étaient auprès du père, lui persuadant de prendre au moins un crucifix, afin que le peuple, disaient-ils, ne murmure point. Et, en prononçant ces paroles, ils lui lièrent l’image de bois entre les mains. Or, le fils aîné descendait en ce moment.

O mon père, que faites-vous? s’écria-t-il; serez-vous idolâtre à votre dernière heure? Disant cela, il lui ôta des mains la croix qu’on lui avait liée, et la jetant en arrière: Que le peuple, ajouta-t-il, ne s’offense pas de ce que nous ne voulons point d’un Jésus-Christ de bois; car nous portons Jésus-Christ, le Fils du Dieu vivant, en nos cœurs, et nous sentons sa sainte Parole écrite au profond de nos cœurs en lettres d’or.

On ne permit pas aux deux martyrs de confesser leur foi devant le peuple. Mais lorsque le fils fut attaché au poteau, il commença à chanter le Psaume XVII;


Plaise-toi d’assurer mes pas,

En tes sentiers où je chemine!

Fais tant, que point je ne décline.

Et que mon pied ne glisse pas! Etc.


Écoutez, Messieurs, interrompit un moine, les méchantes erreurs qu’ils chantent pour tromper le peuple.

O pauvre homme! cria le martyr en se tournant vers lui, dis-tu que les Psaumes du prophète David sont des erreurs?... Mais c’est toujours votre coutume d’injurier le Saint-Esprit.

En attachant le père, le bourreau lui frappa le pied d’un coup de marteau.

Mon ami, tu m’as blessé, répondit le vieillard; pourquoi me traites-tu si inhumainement?

Ah! voyez donc! vociféra un cordelier; ils veulent avoir le nom de martyrs, et quand on les touche un peu, ils crient comme si on les meurtrissait.

Pensez-vous, répondit avec calme le fils de Robert, que nous craignons les tourments et les peines de la mort? Non, non; car si nous les eussions craints, nous n'aurions pas ainsi abandonné nos corps à cette mort cruelle. O Dieu, Père éternel! poursuivit-il, aie pour agréable ce sacrifice de nos corps, au nom de ton Fils bien-aimé!

Tu as menti, malheureux, répliqua l’un des prêtres; Dieu n’est pas ton père; tu as le Diable pour père.

Ce témoin de la vérité ne fit aucune attention à cette insulte, mais levant les yeux au ciel, et parlant à son père, il dit: Mon père, regardez! Je vois les cieux ouverts, et mille millions d’anges autour de nous, joyeux de la confession que nous avons faite devant les hommes. Réjouissons-nous, mon père; car la gloire de Dieu nous est révélée.

Et moi, je vois, interrompit un moine en ricanant, je vois les enfers ouverts et mille millions de diables ici présents, pour vous emporter aujourd’hui aux enfers.


Et à cette heure-là, chose admirable! Dieu qui jamais n’abandonne les siens, émut le cœur et ouvrit la bouche d’un inconnu qui était dans la foule, et qui se mit à crier à haute voix: Courage, Oguier! tiens bon: ta cause est bonne! je suis des tiens! Après quoi, il se fit passage dans la multitude, et se sauva.

Le feu fut mis incontinent à la paille et au bois, et comme leurs pieds étaient déjà brûlés: Mon père, disait le jeune homme, prenez courage! mon père, encore un instant, et nous entrerons dans la maison éternelle!

C’est ici la dernière parole qu’on les entendit prononcer: Jésus-Christ, Fils de Dieu, nous te recommandons nos esprits! Telle fut la fin de ces bienheureux martyrs!

La mère et le fils cadet périrent aussi, de même que d’autres gens de bien, dans la ville de Lille en Flandre. Nous vous raconterons peut-être une fois la mort édifiante de ces confesseurs de Jésus-Christ.

Archives du christianisme 1834 12 27



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