Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE

L'ORPHELINE.

1833

(Récit authentique.)


***


PREMIÈRE PARTIE.


Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, de ce que tu as caché ces choses aux sages et aux intelligents, et de ce que tu les as révélées aux enfants. Oui, Père, je te loue de ce que tu l’as voulu ainsi. Mat. XI, 25, 26.

Ils ne t'avaient donc point trompée, chère orpheline, ces pressentiments de mort qui te poursuivaient dès le printemps de ta vie, à cette époque où le cœur forme les plus lointaines espérances et ne rêve que des joies de la terre.

C’était donc la voix de Dieu qui daignait t’avertir de l’heure prochaine du départ; c’était I’affectueuse et puissante Parole de notre céleste Ami, qui voulait te détacher du monde avant de t’en retirer, et qui se hâtait de mûrir ton âme pour les choses du ciel, parce que la poussière dont il l’avait enveloppée s’en allait redescendre au tombeau.

La mort est venue au matin de tes jours; elle t’a enlevée du milieu de nous comme le vent d’orage emporte un fragile arbuste, et tes frères et tes sœurs en Christ se disaient avec douleur, au moment où il ne resta plus rien de toi ici-bas que ton souvenir: «Toute chair est comme l’herbe, et toute la gloire de l’homme comme la fleur de l’herbe; l’herbe sèche et sa fleur tombe.»

Mais pourquoi des regrets et des larmes?

Il faut pleurer sur le jeune homme et sur le vieillard, QUI SONT RETRANCHÉS DU MONDE AVANT D’AVOIR CONNU JÉSUS-CHRIST ET FAIT LEUR PAIX AVEC DIEU; car le sépulcre n’est alors que le portique de ce lien terrible où la croix n’a plus de promesses, ni le péché de pardon, ni le cœur d’espérance.

Il faut pleurer sur celui qui, ayant renvoyé de jour en jour l’œuvre de sa conversion, est surpris tout à coup par ce jour après lequel il n’y a plus de lendemain pour se convertir.


Mais une âme qui a travaillé pendant qu’il était jour, qui s’est réconciliée avec sa partie adverse tandis qu’elle était en chemin, qui s’est affectionnée aux choses qui sont en haut, et non à celles qui sont sur la terre; une âme qui a vécu de la vie cachée avec Christ en Dieu doit-elle inspirer à ceux qui la voient partir les mêmes regrets et la même tristesse? Non, sans doute!

Si nous avons aimé cette âme de l’amour des enfants de Dieu, nous devons plutôt nous réjouir et rendre au Seigneur d'humbles actions de grâces, lorsqu’il abrège ses combats, rapproche le terme de son voyage, et lui offre la couronne de gloire dès l’entrée de sa carrière.

N’est-ce pas un nouveau témoignage de tes compassions infinies, ô mon Dieu! que de rappeler à toi, dès ses jeunes années, celui dont Jésus-Christ a payé la rançon?

Il est moins longtemps courbé sous le poids de son corps de mort;

il a moins de pénibles souvenirs à son heure dernière;

il ne se reproche pas ces retours si coupables, ces ingratitudes si affligeantes qui suivent trop souvent les plus pures conversions;

il entre au port avant que son esquif se soit usé contre le flot des tempêtes, et les premières joies de sa nouvelle naissance ne sont pas encore flétries sur la terre qu’il partage déjà dans le ciel la félicité des élus!

Je ne livrerai point dans cette notice un nom propre à la curiosité publique; la personne dont je vais parler ne manifesta jamais aucun désir de gloire humaine, et ce n’est pas quand sa dépouille est endormie dans l’obscurité du tombeau, que j’oserai profaner l’obscurité de son nom.

Elle s’appellera ici du nom que Dieu lui a fait dans la dernière année de sa vie; elle est morte orpheline: qu’elle soit donc simplement l'Orpheline pour nos lecteurs.


***


Née dans une famille honorable et distinguée, elle reçut ce que le monde regarde comme une bonne éducation. Des maîtres habiles cultivèrent, dès son enfance, les heureux dons naturels qui lui avaient été départis. Je l’ai peu connue avant l’époque où elle fut inscrite sur la liste de mes catéchumènes; mais depuis lors je l’ai suivie dans son développement religieux avec une constante sollicitude.

L'Orpheline avait une intelligence prompte et étendue, une mémoire facile, de la pénétration dans l’esprit, et, chose si profondément innée dans le cœur de l’homme! un vif désir de se distinguer. Elle surpassa donc bientôt les autres catéchumènes; chaque fois qu’il se présentait une question tant soit peu malaisée à résoudre, c’est à elle que j’en demandais la solution, et il était fort rare qu’elle ne fît point une réponse satisfaisante.

Si le degré de foi se mesurait, comme trop de gens en ont l’habitude, sur le degré des connaissances acquises en matière de foi, il n’aurait rien manqué à l’Orpheline pour être l’un des membres les plus fidèles de l’Église.

Je me souviens, à ce propos, qu’elle développa, dans l’examen qui précède l’admission à la Sainte-Cène, les principales preuves de la résurrection de Jésus-Christ avec une étonnante justesse de raisonnement et d’expression. Combien cette jeune personne est pieuse! auraient dit ceux qui jugent de la piété par la science ,et du cœur par la tête.

Mais non, elle ne l’était pas, et j’insiste sur cette observation, parce qu’on est tombé dans plus d'une grande erreur, pour avoir négligé de le faire.


Entre les lumières de l’esprit et la conversion de l’âme, il y a un abîme que Dieu seul peut combler.

C’est une œuvre d’homme que d’expliquer l’Évangile et d’instruire l'intelligence à en retenir les doctrines fondamentales; mais d’amener le cœur à les recevoir, à se les assimiler comme une nouvelle nature morale, à les sentir comme esprit et vie dans les profondeurs de la conscience, C’EST UNE ŒUVRE DIVINE.

La foi n’est pas fille de la science théologique, mais du Saint-Esprit, et l’on s’expose à de tristes mécomptes, lorsqu’on apprécie la fidélité des jeunes gens que l’on admet à la Sainte-Cène d'après un examen plus ou moins brillant sur les sections du catéchisme.

La mémoire fait souvent tous les frais de ces épreuves, et pendant qu’elle répète des phrases laborieusement apprises, l’âme s’en va, comme une étrangère, loin du sentier de l’Évangile, sans prendre aucun souci des idées qui se logent dans l’esprit.

Je reviens. L’Orpheline, ayant satisfait aux règles établies, s’approcha de la table sacrée. Habituellement tout finit là pour les catéchumènes; mais c’est là, au contraire, que tout commença pour elle. Jusqu’alors elle n’était entrée que dans l'Église visible, dans cette Église où l’ivraie s’élève à côté du bon grain et l’étouffe parfois; mais le Seigneur avait des vues de miséricorde sur l’Orpheline, et se servit de la communion même qu'elle avait faite sans discernement pour l’introduire dans l’Église invisible.

Elle fut travaillée et angoissée par la conviction qu’elle avait trompé le pasteur et le troupeau, en déclarant qu’elle croyait ce que pourtant elle ne croyait point; sa conscience ne cessait de la frapper du souvenir de ce mensonge, et elle ne pensa pouvoir trouver un peu de repos qu'en me révélant, quelques mois après, le véritable état de son cœur.

On me saura gré de citer une partie de la lettre qu’elle m’écrivit à cette occasion; c’est un précieux monument de franchise, quand on réfléchit à la position de cette jeune fille, et l’on y peut entendre, pour ainsi dire, le premier cri d'une âme qui se réveille.

«Je vous remercie beaucoup, Monsieur, de toutes les bontés que vous avez eues pour moi; mais combien peu je les mérite! Combien j'en suis indigne! car après toutes les peines que vous vous êtes données pour me faire faire une bonne communion, j’ai communié indignement, et je vous ai trompé.

Pardonnez-moi, je vous en supplie, et priez Dieu de me faire sentir vivement toute l’énormité de ce péché, ainsi que tous ceux que j’ai eu le malheur de commettre, oh! si je mourais, quel serait mon partage! de quels tourments serais-je jugée digne, moi qui ai péché contre mon Sauveur lui-même, malgré mes lumières et les reproches de ma conscience, et qui ai été sourde à tous les appels pleins d’amour que Dieu m’a fait entendre!

Il me semble que je n’éprouve plus autant d’inquiétudes touchant mon âme. Oh! si Dieu allait m’abandonner entièrement, que deviendrais-je? Priez-le pour moi, je vous en conjure, et ayez la complaisance de me donner quelques conseils.»


Certes, il fallait un genre de courage que le monde ne donne pas, pour se résoudre à un pareil aveu, pour crier, en gémissant et en pleurant: J’ai menti à la face de l’Église!

Que la renommée exalte le courage du guerrier qui affronte la mort; pour moi, je place bien plus haut le courage d’une jeune fille qui brave la honte et le mépris, parce qu’elle sent qu’elle ne doit pas renfermer dans son cœur le secret d’un mensonge.

Le Saint-Esprit, dans ses moindres manifestations, surpasse les plus héroïques efforts de l’homme naturel. Je n’ai pas sous les yeux la réponse que je fis à l'Orpheline, et après un intervalle de deux ans et demi, on conçoit que j’en aie perdu le souvenir. Mais chacun imaginera facilement ce que j’ai pu répondre.

Cet aveu même, lui ai-je probablement écrit, est le meilleur témoignage d’une sincère et véritable repentance. «Jésus-Christ n’est pas venu pour sauver des justes, mais des pécheurs» et «il ne met dehors aucun de ceux qui vont à lui.»

L’Orpheline fut cependant longtemps encore étrangère à l’espérance et à la paix qui sont en Christ; elle éprouva toute l’amertume de ce cruel enfantement qui précède et accompagne la nouvelle naissance; durant plusieurs semaines, elle fut courbée et comme écrasée sous le poids de ses péchés.

Point de sommeil alors pour l'Orpheline, mais des nuits entières passées à genoux, consumées dans les pleurs et les supplications.

Point de sourire alors sur les lèvres de la jeune fille, mais un austère et morne silence au milieu de sa famille; elle n’avait de voix, ne trouvait de paroles que pour gémir et pour prier.

Sa Bible ne la quittait plus; elle la lisait d’un regard avide, cherchant le baume qui guérit les blessures de la conscience, le remède qui apaise les douleurs de l'âme; et l’aube du jour la revoyait, cherchant encore, et prosternée devant la face de Dieu.

Ce changement, dont on n’avait vu que peu d’exemples dans la ville qu’elle habitait; ce profond sentiment d’angoisse qui n’était connu ni dans sa source ni dans ses résultats; cet amour de la solitude, ces prières continuelles, ces pleurs qui ne se pouvaient cacher; tout produisit la plus pénible surprise dans la famille de l’Orpheline. On la crut atteinte de folie, et le monde alla répétant: Elle est folle! Elle est folle!

Folle, oui, et vous parlez vrai; elle est folle de cette folie qui est plus sage que la sagesse des hommes; elle est folle pour vous, aveugles et insensés, comme vous appelle l’Écriture, pour vous qui dites: «Je suis riche, je me suis enrichi, et je n’ai besoin de rien, et qui ne connaissez pas que vous êtes malheureux, et misérables, et pauvres, et aveugles, et nus!»

Elle est folle; mais sachez bien qu’aux yeux du souverain Maître de l’univers, une telle folie est infiniment plus digne d’attention que toutes les gloires réunies de tous les philosophes, que toutes les grandeurs entassées les unes sur les autres de tous les conquérants, depuis Sésostris jusqu’à Napoléon. Vous m’accuserez aussi de folie pour avoir écrit ces dernières lignes, et je ne m’en étonnerai point.

Le moment était venu où l’Orpheline, après les longues souffrances de son âme, devait naître à une vie nouvelle.

Un pieux ministre de l’Évangile me remplaça un jour dans la chaire chrétienne et prit pour texte les paroles de Christ: «Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés et chargés, et je vous soulagerai; chargez-vous de mon joug, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos de vos âmes.»

Ce texte et les développements dont il fut accompagné devinrent, sous la bénédiction de Dieu, le moyen de faire goûter à l’Orpheline la joie du salut; il lui sembla qu’elle entendait alors pour la première fois cette tendre invitation de Jésus-Christ. C’est que le Seigneur lui ouvrit le cœur pour la comprendre, comme il ouvrit autrefois le cœur de Lydie, pour faire attention aux choses que Paul disait. Paul plante, Apollos arrose, mais Dieu seul donne l’accroissement.

Faut-il montrer l’Orpheline possédant cette paix qui surpasse toute intelligence, et cette allégresse ineffable et glorieuse des nouveau-nés en Christ, et cette espérance vive de posséder l’héritage qui ne se peut corrompre, ni souiller, ni flétrir?

Après avoir dit toutes ses douleurs, dirai-je toutes ses joies?

Hélas! le langage humain sait mieux exprimer les peines de l’âme que ses ravissements, et si l’on essaie de creuser au fond de cette félicité pure, paisible, immense, qui marque les premiers temps de la conversion, les mots inventés par l’homme refusent de vous suivre.

Tous les rachetés de l’Agneau connaissent l’étendue de ce bonheur; leurs expériences intimes sont les mêmes, quel que soit leur degré de culture intellectuelle, de gloire ou d'abjection, de fortune ou de pauvreté, comme le spectacle extérieur de la nature est le même pour tous les hommes, grands ou petits, qui l’observent sous le même horizon et sous la lumière du même soleil.

Qu'est-ce donc que je pourrais apprendre aux chrétiens? et ceux qui ne le sont pas, que pourraient-ils comprendre?

Dès que l’Orpheline fut convertie au Seigneur, elle confessa hautement Jésus-Christ dans ses discours, et surtout dans ses actes. Ni la vive opposition qui se manifesta bien près d’elle, ni la crainte des hommes, ni leurs injures, ni leurs moqueries plus cruelles encore, ni la perspective de compromettre un avenir terrestre qu’elle pouvait rêver brillant et prospère, ne l’empêchèrent d’être au dehors ce qu’elle était au dedans, chrétienne.

Elle sut porter l’opprobre de Christ, et se réjouir de le porter, ce qui est toujours rare, même parmi les plus fidèles disciples du Dieu-Sauveur. Elle ne demanda point ce qu’elle devait au monde, pour vivre en bon accord avec lui, mais ce qu’elle devait au Seigneur, pour lui témoigner son amour.

N’allez pas présenter à l’Orpheline cette longue liste de considérations temporelles que l’on tient dans les sociétés humaines pour la seule et vraie sagesse; elle a pesé ces considérations dans la balance de l’éternité, et elle les a trouvées trop légères. Elle sera tournée en dérision par les incrédules, calomniée par les méchants; qu’est-ce que cela lui fait, à elle qui possède les consolations du Dieu fort? Elle recueillera votre pitié, vos dédains, tout au plus votre haine; que lui importe, à elle? ou plutôt, il lui importe beaucoup, car elle goûte une douce joie à vous aimer, vous qui la haïssez, à vous bénir, vous qui l'outragez!

Elle ne songeait pas même à se défendre contre la calomnie; jamais les personnes de sa connaissance la plus intime n’ont entendu sortir de sa bouche une seule parole d’aigreur ou d’amertume; elle excusait, elle justifiait ceux dont elle aurait pu trop justement se plaindre. «Ils sont meilleurs pour moi que je ne le mérite, disait-elle, et j’en dois rendre grâces à Dieu.»

Oh! qu’elle est admirable et sublime, cette charité chrétienne, «qui est pleine de bonté, qui ne s'aigrit point, qui ne soupçonne point le mal, qui excuse tout, croit tout, espère tout, supporte tout!»

Et lors même qu’on raisonnerait selon les idées étroites du monde, l'Orpheline fut encore plus sage que les enfants du siècle; car elle mourut jeune, et cet avenir terrestre qu’on lui montrait flétri et brisé ne devait pas se réaliser pour elle. Mais le Seigneur daigna lui tenir compte de son courage et de sa fidélité, dans les moments où le monde entier ne pouvait plus rien faire pour elle; il y parut bien à l’heure triomphante de sa mort!

Cependant une cruelle affliction vint l’atteindre, avant qu’elle reçût la grâce de mourir en paix au Seigneur. La mère de l’Orpheline (qu’on me permette cette contradiction de mots que j’ai expliquée) tomba dangereusement malade. Si ce malheur eût frappé la pauvre enfant lorsqu’elle était encore angoissée par le sentiment de ses misères, la peine eût été plus grande qu’elle n’aurait pu la porter.

Mais on découvrit ici la sagesse et la miséricordieuse prévoyance de Dieu; il n’envoya point les deux épreuves ensemble. Il releva d’abord le cœur de l’Orpheline par le témoignage de son Esprit qui lui parlait de paix et d’amour; et puis, quand elle fut assez forte, il brisa le plus doux lien qui la rattachait à la vie, il lui ôta sa mère.

L’Orpheline pleura et pria; et que savait-elle autre chose que pleurer et prier? Elle passa de nouveau des nuits d’insomnie, non plus pour obtenir la conversion de son âme, mais pour supplier le Seigneur de bénir l’âme de sa mère, avant qu’elle fût appelée à lui. Puissent-elles avoir trouve un libre accès au trône des miséricordes, ces prières de la piété chrétienne et filiale!

Je vis l’Orpheline le jour où l’on ensevelit sa mère; elle était profondément triste, mais d’une tristesse calme et résignée. Il y a dans une âme convertie, comme dans la nature, des hauteurs où ne montent point les orages d’ici-bas et que la foudre ne frappe jamais.

Il s'élève pourtant d’autres orages dans les âmes chrétiennes, des orages formés par notre grand adversaire et par le vieil homme qui en est le complice.

L’expérience de la plupart des fidèles atteste que de terribles combats suivent les joies de la conversion; et il en arrive ainsi avec la permission de Dieu, qui sait tirer le bien du mal; car ces nuages qui voilent notre foi, ces luttes qui la font gémir humilient notre cœur et servent à le garantir de l’orgueil spirituel, le plus coupable et le plus funeste de tous les orgueils.

L’Orpheline, malgré le peu d’intervalle qui sépara sa nouvelle naissance de sa fin terrestre, ne fut pas entièrement affranchie du combat de la chair contre l’Esprit, et comme je ne pourrais expliquer l’état de son cœur aussi bien qu’elle-même, je choisirai, entre plusieurs lettres qu’elle écrivit à ses amies, les lignes suivantes:

«Le Seigneur est bien bon pour moi, car je ne souffre pas beaucoup (elle était malade alors), et je puis lire sans que cela me gêne. Il a fait pour moi plus que pour aucune autre; et moi, je suis si ingrate, et je ne sens encore cela que fort confusément. Ma vie ne sera peut-être pas longue à présent. Oh! priez le Seigneur d’éclairer mon âme, afin qu’il me donne une foi véritable; car je sens que je suis bien faible, et je crains, dans des moments, de n’être pas prête à mourir.

Combien Dieu est bon pour moi de m’envoyer une maladie si douce, dans laquelle je peux penser à mon âme et à l’éternité! Et il y a si longtemps qu’il m’avertit par le mauvais état de ma santé!

Mon cœur est dans ce moment couvert de ténèbres, et je ne sens point l’amour dont le Sauveur m’a aimée. Mais si je suis ainsi, c’est de ma faute, toute la honte en est à moi; car le Seigneur m’a appelée de tant de manières à lui, et mon cœur s’est toujours détourné de lui! Ce qui me manque, c’est la foi. Je le prie de me faire connaître Jésus-Christ, et de me faire sentir combien il m’a aimée.

Dites à mon cher monsieur ** qu’il prie Dieu de me changer entièrement, de me rendre véritablement chrétienne, de sauver mon âme, et de la préparer à mourir.»


Ses prières et les nôtres furent exaucées, comme on le verra dans la seconde partie de cette notice.


SECONDE PARTIE.


Alors j'entendis une voix du ciel qui me disait Ecris: Heureux sont dès à présent les morts qui meurent au Seigneur! Oui, dit l'Esprit car ils se reposent de leurs travaux, et leurs oeuvres les suivent.

Révélation de Saint-Jean XIV, 12.

Tous nos lecteurs ont pu connaître, soit par de tristes exemples dans leurs propres familles, soit par des récits non moins douloureux, cette maladie longue et cruelle qui possède aujourd'hui une puissance qu’elle n’avait pas autrefois, et qui semble accroître ses ravages en même temps que la civilisation multiplie les moyens d’aisance et de mollesse.

Le mal dont nous parlons est regardé comme héréditaire; il réalise, dans l’ordre physique, un phénomène analogue à celui que l'expérience et l'Écriture nous révèlent dans l’ordre moral, c’est-à-dire que les infirmités des pères, de même que le péché, se transmet de génération en génération. Il s’attaque surtout aux jeunes gens, et se plaît à briser la vie dans sa fleur.

Dès qu’il a choisi une victime, avec la permission du Dieu qui l’envoie comme un ange de mort, il ne l'abandonne plus jusqu’à ce qu'il l’ait couchée au tombeau; toute la science des hommes est impuissante pour conjurer ou pour suspendre ses coups. Le malade, au lieu de respirer la vie, respire la mort; et l’on pourrait presque compter le nombre des aspirations après lesquelles sa poitrine desséchée exhalera son dernier soupir.

Mais l'effet ordinaire de ce mal est dédoubler dans la sensibilité; le cœur éprouve des impressions plus profondes et de plus vives affections à mesure que le corps s'affaiblit; et l’âme, conservant jusqu’à la fin la conscience d’elle-même, semble ramasser toutes ses forces dans un suprême adieu, et se tenir debout comme un voyageur qui s’apprête à partir!

Telle est la maladie dont l’Orpheline fut frappée. La charité du monde, charité misérable et funeste, cache ordinairement au malade le danger de sa position et le terme inévitable qui s’approche de lui; on se fait un visage qui le trompe et des sourires qui le flattent d’une vaine espérance; on s’épuise en mensonges pour le détourner de «la seule chose nécessaire,» DE LA PENSÉE DU SALUT; et le malade lui-même, ingénieux complice de ces impostures, s’obstine à croire que son amour de la vie le garantira de la mort, et ne se sert des derniers restes de sa raison que pour combler la mesure de sa folie.

Il n’en fut pas ainsi de l’Orpheline. Elle reconnut, la première, que tous les remèdes seraient inutiles pour la guérir d’une maladie qui avait déjà emporté les auteurs de ses jours; elle ne détourna point la tête ni ne ferma les yeux pour garder quelques instants de plus une perfide illusion, mais elle regarda venir la mort, sans la craindre comme sans la braver, ne s’occupant d’autre chose que d’achever ce grand travail qui subsiste au-delà du tombeau.

Je me souviens que des parents qui croyaient devoir agir envers elle comme ils l’eussent fait auprès d’une personne étrangère aux promesses de l’Évangile, s’efforçaient de lui persuader qu’elle ne mourrait pas encore. À ces discours l’Orpheline souriait sans répondre; car elle craignait d’attrister ceux qui s’effraient de la mort comme du «roi des épouvantements.» Mais lorsqu’elle pouvait s’entretenir avec ses frères et ses sœurs en Christ, elle épanchait dans leur âme sa pensée tout entière; elle revenait avec une sorte de joyeux empressement sur la perspective de sa fin prochaine; et, par un admirable effet des espérances qui se trouvent dans la foi au Rédempteur, ce n’était pas la personne mourante qui demandait à être consolée, mais elle-même consolait ses amis, en leur annonçant que Dieu se disposait à la rappeler de ce monde.

Dans de semblables occasions, l’Orpheline savait employer des paroles tendres, affectueuses, chrétiennes surtout; elle nous montrait le ciel comme le lieu de réunion des rachetés de Christ; elle nous parlait du bonheur qu’elle éprouverait à nous revoir parmi «cette grande multitude que nul ne peut compter;» et les accents de sa voix étaient si doux, son attente si ferme, ses exhortations si pressantes, que nos pleurs, des pleurs de tristesse et de regret, se changeaient en pleurs de joie.

On lui demanda (c’était peu de jours avant sa fin) si elle choisirait de vivre plutôt que de mourir, en supposant que Dieu lui rendît une parfaite santé; elle répondit qu’elle choisirait de mourir.

Pourquoi s’en étonnerait-on?

L’Orpheline avait réglé depuis longtemps ses comptes avec les choses de la terre; elle avait dénoué les liens qui la retenaient ici-bas, sans attendre qu’ils fussent brisés par la main de la mort, et le dernier qui restait à rompre, la séparation de l’âme et de son enveloppe, lui paraissait le plus faible de tous.


Il y a un grand secret pour savoir mourir!


C’est de mourir d’avance de mourir au monde, en «s’affectionnant aux choses qui sont en haut, où Christ est assis à la droite de Dieu.»

Pour les nouvelles créatures, «qui ne sont point nées du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais qui sont nées de Dieu,» la mort est une amie fidèle qui les délivre de leur «chair vendue au péché», et qui leur apporte les réalités de la foi; ou, comme parle un Père de l’Église, Ambroise , évêque de Milan, «la mort ne finit pas la vie des Chrétiens, elle ne finit que leurs péchés.»

Toutefois, le Dieu dont les pensées ne sont pas nos pensées réservait encore à l’Orpheline une saison de ténèbres et de sécheresse, avant de l’introduire dans la gloire des élus. Voulait-il lui faire encore mieux sentir par là qu'elle devait s’estimer heureuse de quitter sitôt le monde, et que la mort lui était un gain?

L’Orpheline lutta courageusement avec les armes de Dieu contre ces retours d'endurcissement et d’incrédulité; elle s’humilia profondément devant la face du Seigneur, elle lut la Parole jour et nuit, et pria sans cesse le Père des miséricordes d'avoir pitié de son âme. Ce qui l’affligeait le plus, c'était de ne pas aimer assez, de ne pas aimer du tout, s’écriait-elle quelquefois, le Sauveur qui l’avait rachetée au prix de son sang.

Mais nous apercevions avec joie, dans ces plaintes mêmes, les signes d’une foi vivante; car notre cœur ne reconnaît bien son peu d’amour pour Christ que lorsqu’il découvre la grandeur de l’amour de Christ pour lui; entre notre amour si froid et cet ardent amour, nous voyons alors une si énorme différence qu’il nous semble que nous sommes complètement glacés.

On lira sans doute avec intérêt quelques mots écrits à la hâte par l’Orpheline, dans ces moments de lutte intérieure:

«Chère amie, disait-elle, remerciez bien M.** pour moi de toutes les bontés qu’il me témoigne. Il me semble que vous avez, ainsi que lui, une bien meilleure opinion de moi que je ne le mérite; car je ne sens point en moi cette vie spirituelle, cet amour pour Christ, cette confiance entière en lui. Cependant il me semble que je désire avancer; mais mes efforts pour cela sont si lents! je fais des chutes si lourdes! Dieu est bien bon pour moi, et c’est à peine si je le sens.

Mon cœur s’éloigne toujours de lui, et cependant n’est-ce pas là une grande folie? n’est-ce pas de lui que dépend mon bonheur? et je sens bien que je ne puis être heureuse qu’en lui!»


À travers ces regrets d’une âme agitée et combattue, pourrait-on ne pas découvrir un vif sentiment des compassions infinies de Christ, et une ferme assurance que le vrai bonheur ne se trouve qu’en lui?

L’Orpheline nous révèle une profonde vie chrétienne dans la lettre même où elle se plaint de n’avoir pas de vie. C’est précisément l’opposé de ce que font les membres extérieurs de l’Église, qui se croient et se proclament vivants, tandis qu’ils sont morts.

Je fus appelé auprès de l’Orpheline pour lui porter, dans ses derniers jours, les consolations du saint ministère. Elle était extrêmement faible et souffrante; on pouvait lire sur tous ses traits les caractères inexorables d’une consomption parvenue à son dernière période; mais, contre l'usage de la plupart des malades qui réclament les prières d’un pasteur, elle ne me dit pas un seul mot des douleurs qu’elle éprouvait; elle me parla uniquement des inquiétudes et des combats de son âme.

Je ne rapporterai point les détails de notre conversation, ni de celles qui suivirent, parce que ma mémoire, après un espace de plus de six mois, ne m’en a laissé qu’un souvenir confus. Une circonstance pourtant me frappa, et je me la rappelle parfaitement bien.

L’Orpheline, après quelques moments d’entretien sur son état spirituel, me pria de lui lire, au chapitre septième de l’Évangile selon saint Luc, les versets qui suivent le trente-sixième jusqu’à la fin du chapitre. L’Évangile raconte, dans ce passage, qu’une femme de mauvaise vie oignit les pieds de Jésus, dans la maison d’un Pharisien, et les arrosa de ses larmes; que le Pharisien en fut scandalisé; que Jésus, prenant la défense de la pécheresse, prononça la parabole des deux débiteurs, et qu’il dit enfin à la femme: «Ta foi t’a sauvée, va-t-en en paix.»

Lorsque j’eus achevé la lecture de cette portion de chapitre, je demandai à l’Orpheline s’il s’y trouvait quelque chose qui lui parût difficile à comprendre, et j’offris de le lui expliquer, s’il m’était possible.

Oh! me répondit-elle, je comprends bien ce passage; mais je vous ai prié de le lire, pour vous entendre parler de l’amour de Jésus. Parlez-moi de son amour; dites-moi combien il nous a aimés, combien il nous aime! Parlez-moi de ses compassions infinies pour les pauvres pécheurs! C’est la seule chose qui puisse relever, rafraîchir mon âme; oh! parlez-moi de l’amour de Jésus!...


Et moi, triste consolateur, qui ne pensais qu’à la science, tandis qu’il fallait venir auprès de l’Orpheline mourante avec les promesses de l’Évangile, j’essayai de balbutier quelques faibles paroles sur cet amour dont les anges eux-mêmes ne peuvent sonder l’immense profondeur.

Une autre particularité dont je n’ai pas perdu le souvenir, c’est que l'Orpheline me répétait sans cesse, à chacune de mes visites pastorales: Combien le Seigneur est bon pour moi! qu’il est bon, infiniment bon!

Il semblait qu'elle ne trouvait point d’expressions assez fortes pour peindre cette bonté qui la pénétrait de la plus vive reconnaissance. En l’entendant glorifier avec tant d’effusion la bonté de Dieu, je ne pouvais m’empêcher de réfléchir sur le contraste apparent qui existait entre son langage et sa position extérieure:

Quoi donc? me disais-je alors malgré moi, voici une pauvre jeune fille qui a été frappée des plus douloureuses épreuves; elle a perdu son père, lorsqu’elle était encore en bas âge; sa mère, le meilleur soutien qu’elle eut au monde, lui a été ravie, il y a bientôt une année; elle-même est en proie maintenant aux souffrances les plus cruelles; son front, couvert d’une livide pâleur, se penche vers la tombe; elle s’en va partir, l’Orpheline, dans la plus belle saison de la vie terrestre, après avoir compté jusqu’à présent chaque nouveau jour par des larmes nouvelles; et pourtant elle ne se lasse pas de rendre témoignage à la bonté de Dieu! et elle ne peut assez redire combien le Seigneur a été bon, patient, miséricordieux pour elle!

Un philosophe, si éclairé qu’il soit, aurait peine à expliquer cette grande énigme, parce qu’il s’arrêterait à la surface des choses; mais l’Évangile en donne aisément la solution. Quand l'Orpheline comparait l’énormité de ses offenses et de ses révoltes contre Dieu avec les épreuves qu’elle avait subies, elle ne trouvait aucune proportion entre ses fautes et ses douleurs.

Puis il lui avait été donné de reconnaître, par une constante expérience, que «toutes choses,» même les plus poignantes afflictions, même la perte des plus proches parents, «concourent ensemble au bien de ceux qui aiment Dieu.»

N’avait-elle pas goûté, d’ailleurs, l'ineffable joie du salut par Christ? Et, tandis que le monde la croyait malheureuse, ne jouissait-elle pas d’un bonheur et d’une paix «au-dessus de toute intelligence?»

Et lorsqu’elle élevait enfin ses regards au-dessus des objets périssables, que découvrait-elle? Un lieu de repos, une couronne de gloire, une éternelle félicité.

Oui, tu ne saurais trop le sentir, trop le rappeler à ceux qui entourent ta couche de douleur, oui, Dieu a été bon, infiniment bon pour toi, humble et pieuse Orpheline!


Mais son dernier jour était venu. On m’appela vers le soir, et je me hâtai d’aller auprès d’elle. En arrivant, je la trouvai calme et paisible; elle avait conservé toute sa présence d’esprit. Il était facile de voir, cependant, qu’il ne lui restait plus que bien peu de temps à vivre; elle ne respirait qu’avec un pénible effort; ses mains étaient déjà froides, et les avant-coureurs de la mort avaient gravé sur son visage leur terrible empreinte. Je ne la quittai plus jusqu’à ce que Dieu l’eut retirée du monde.

Nous étions dans la nuit du 6 au 7 mai de l’année dernière, nuit triste et sombre. Un silence profond régnait autour de nous. D’intervalle en intervalle, je m’agenouillais au pied de la couche de l’Orpheline avec les autres personnes présentes, et nous demandions à notre Père céleste de venir bientôt la délivrer du fardeau de son corps.

La prière achevée, je répétais à l’Orpheline quelques passages de la Bible, particulièrement ceux qui renferment les promesses du

salut gratuit en Christ. «Tous ceux qui croient, lui disais-je, sont justifiés gratuitement par grâce, par la rédemption qui est en Jésus-Christ. Cette parole est certaine et digne d’être entièrement reçue, c’est que Jésus-Christ est venu au monde pour sauver les pécheurs: il est venu appeler à la repentance, non des justes, mais des pécheurs.»

Ces précieuses déclarations de l'Écriture semblaient ranimer la jeune fille mourante; un doux sourire effleurait ses lèvres; son regard brillait d’une joie tranquille et pure; toutes les espérances de son âme se révélaient en sublimes caractères sur son front déjà obscurci par les ténèbres de la mort, et l’Orpheline prononçait à chaque instant le nom de Christ, «LE SEUL NOM PAR LEQUEL NOUS DEVIONS ÊTRE SAUVÉS.»

Je lui rappelai, entre autres, un passage qui produisit sur elle une bien vive impression; c'était la déclaration du roi-prophète: «Quand même je marcherais par la vallée de l'ombre de la mort, je ne craindrais aucun mal, car tu es avec moi; c’est ton bâton et ta houlette qui me consolent.»

Ainsi se passèrent quelques heures. Mais tout à coup l'Orpheline parut prendre de nouvelles forces; elle souleva la tête, joignît les mains, et se mit à prier d’une voix lente et solennelle. Nous tombâmes à genoux.

Silence! l’Orpheline prie! son hymne de départ, son chant d’adieu, c’est une prière! Elle rassemble tout ce qui lui reste de vie et de voix pour bénir, en quittant ce monde, le Dieu qui l'a créée, le Dieu qui l’a sauvée, le Dieu qui la rappelle a lui!

L’Orpheline exprima d’abord les plus ardentes notions de grâces; elle bénit le Seigneur de ce qu’il lui avait fait annoncer, et comprendre et recevoir la bonne nouvelle du salut; elle bénit Jésus de ce qu'il avait daigné mourir pour elle et la racheter au prix de son Sang; elle le supplia de venir promptement détacher les liens qui la retenaient encore au monde, et de l’accueillir, malgré ses indignités, dans les tabernacles éternels.

Puis, l’Orpheline pria pour ceux qu’elle laissait ici-bas; elle avait achevé son œuvre, mais sa charité n’oublia point que d’autres avaient encore une œuvre pénible a accomplir. Elle pria pour une jeune sœur qui allait être doublement orpheline, pauvre enfant à qui elle servait de mère, depuis que toutes deux avaient perdu celle qui les avait portées dans son sein. L’avenir de cette jeune sœur lui inspirait de vives inquiétudes, non pour les choses matérielles qui ne lui manquaient point, mais pour son âme. Elle lui avait souvent parlé déjà du devoir de la repentance envers Dieu et de la foi en Christ; elle lui avait raconté ce que le Sauveur a fait pour nous dans son amour; elle espérait que cette bonne semence n'avait pas été répandue sans effet... Mais un enfant d’un âge si tendre! un enfant qui n’aurait plus son bras pour la guider sur les chemins tortueux du monde  !....

La voix de l'Orpheline s’altéra profondément pendant cette partie de sa prière.

Oh! qu’elles soient bénies ces ferventes supplications! que la sœur de l’Orpheline se souvienne du pieux exemple que lui a donné la compagne de son jeune âge! qu’elle s’en souvienne pour le suivre, avec la bénédiction d’en haut, jusqu’à la fin de sa vie!

L’Orpheline pria pour son pasteur; elle supplia le Très-Haut de le combler de toutes ses bénédictions spirituelles et de multiplier les fruits de son travail.

Mon Dieu! «la prière du juste, faite avec ferveur, a une grande efficace!» La prière de l’âme fidèle qui remonte à toi n’a-t-elle pas un caractère encore plus sacré? Accomplis les vœux de l'Orpheline mourante en faveur de ton indigne serviteur; accomplis-les, ô mon Dieu! pour l’amour de Christ et pour la gloire de ton nom!

Inspirée par la mémoire du cœur, qui subsiste longtemps après la mémoire de l’esprit, l’Orpheline pria pour ses proches, pour les personnes converties du troupeau, et surtout pour la pieuse et respectable femme qui était venue lui donner des soins dans les derniers jours de sa maladie Elle pria pour tous, et pour toutes les choses qui regardent le règne de Dieu.

Mais tandis qu’elle élevait jusqu’au trône des miséricordes ses ferventes supplications, un obstacle vint l’arrêter.

Sa langue, à demi glacée par la mort, refusa de prononcer les paroles de la prière, ses lèvres se fermaient, et ne laissaient échapper qu’avec peine des sons brisés. Elle s’en aperçut, et recueillant le peu de forces qu’elle avait encore: Seigneur! Seigneur! s’écria-t-elle, délie ma langue, ouvre mes lèvres afin que je rende témoignage à ton Évangile,

à ton amour! dégage ma parole embarrassée, afin que je puisse prier, prier jusqu’à ce que je meure!

Langage sublime, qui nous fait tressaillir d’une profonde joie chrétienne! Oh! je me sentis alors pressé d’un désir ardent de mourir, s'il m’était accordé de mourir comme l’Orpheline. J’aurais voulu partager ses douleurs, me voir avec elle aux portes du tombeau, s’il m’eût été permis d’avoir aussi part à ses joies, à son triomphe, à sa gloire dans la mort. «Que je meure de la mort des justes, et que ma fin soit semblable à la leur!»

Nous n’entendîmes plus que quelques mots confus de la prière de l’Orpheline. Le nom de Christ était le seul qui parvînt distinctement jusqu’à nous. La prière de cette âme qui sortait de son enveloppe ne se révélait plus à l'homme que par la muette éloquence d’un regard tourné vers les cieux; c’était déjà un entretien commencé aux limites du monde à venir entre Dieu et l’un de ses enfants.

L’Orpheline laissa tomber enfin ses mains jointes et cessa de prier; elle avait cessé de vivre: l'Orpheline n’était plus.

Non, tu n’étais plus sur cette terre, âme chrétienne! Combats de la chair contre l’esprit, afflictions, souffrances du corps, amertumes de la conscience, tout ce que le péché a rassemblé de maux sur notre tête et dans nos cœurs, tout ce qui est pesant et misérable, tout ce qui est vil et mortel, tout avait péri pour toi!

Mais ce que la rédemption nous donne de privilèges, ce qui est noble et grand, ce qui est pur et saint, ce qui nous remplit d’une allégresse inénarrable, la réconciliation avec Dieu, son adoption en Christ, la paix, l’amour, la communion avec le Père et le Fils, aucun de ces biens n’était perdu pour toi!

Tu avais placé ton trésor dans le ciel, «où les vers ni la rouille ne gâtent rien, où les larrons ne percent ni ne dérobent point,» et tu l’as retrouvé.

On ne te nommera plus orpheline dans le séjour des rachetés; car tu es entrée dans une famille innombrable, dont l'Éternel est le père, dont Jésus-Christ est le frère aîné. Là, vêtue «d’une robe blanchie dans le sang de l'Agneau,» tenant «des palmes à la main,» tu te reposeras pour toujours à l’ombre du Seigneur.

La dépouille mortelle de l’Orpheline fut portée, le 8 mai 1833, dans sa dernière demeure.

En prononçant le discours funèbre qui précède la sépulture, je ne pus trouver d’autres paroles que des expressions de joie et de triomphe. Tout ce deuil lugubre dont la mort est accompagnée s'effaçait à mes yeux dans la gloire d'une fin qui avait été comblée de tant de bénédictions, et qui attestait si hautement la fidélité de Dieu.

Quelques jours après, à l’anniversaire d’une fête où le monde s’enivre de vains plaisirs, je m’en allai saluer la tombe de l'Orpheline.

Des fleurs semées par la main de l’amitié chrétienne me permirent de la reconnaître. Je savais que cette tombe ne renfermait plus rien qu'une froide poussière; et cependant, lorsque je vins à m’en approcher, la puissance des souvenirs qui se rattachent à une vie chrétienne, me pénétra d’un sentiment de respect que n’auraient pu m'inspirer les plus magnifiques mausolées de l’orgueil humain.

Le front découvert, je m’inclinai devant la tombe de l’Orpheline, et une voix intérieure me dit:


Si tu veux mourir comme elle est morte,

tu dois vivre comme elle a vécu.


N’aie point honte de l’Évangile de Christ;

persévère jusqu’à la fin, et tu seras sauvé!


Archives du christianisme 1834 01 25 & 02 06


- Table des matières -