Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

MOEURS RELIGIEUSES..

DIFFÉRENTES MANIÈRES D’AVOIR DE LA RELIGION.

1834


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Je ne connais dans la langue française aucune locution plus élastique, plus malléable, plus habituellement tordue que celle-ci: avoir de la religion.

Il y eut une époque dont nos vieillards se souviennent, où ceux qui s’appellent honnêtes gens, bien qu’ils ne soient ni plus ni moins honnêtes que d’autres, ne voulaient point passer pour avoir de la religion, lors même qu’ils en avaient. On était alors fanfaron d’incrédulité, et Tartufe exploitait sa réputation de matérialiste.

Nous avons aujourd’hui changé tout cela. Les honnêtes gens prétendent avoir de la religion, quand même ils n’en ont plus.

Hors quelques vieillards opiniâtres et quelques jeunes hommes irréfléchis, interrogez qui que ce soit dans un certain ordre de la société, chacun vous dira d’une voix haute et claire: «J’ai de la religion!» C’est la mode qui l’exige ainsi!

Autrefois, beaucoup de personnes rougiraient du nom en conservant la chose; maintenant on n’a plus guère la chose, mais on revendique le nom avec une grande faveur.

Tartufe n’est plus dévot; il a relégué dans un coin obscur sa haire et sa discipline, mais il se fâcherait de n’être pas tenu pour un homme religieux!

J’ai de la religion! me disait dernièrement une personne d’âge mûr et d’un caractère estimable.

De la religion! répondis-je un peu surpris; mais je ne vous vois jamais dans le temple; vous et votre maison, vous travaillez le jour du dimanche comme tout autre jour; peut-être.... (pardonnez-moi cette supposition) vous n’avez pas ouvert la Bible depuis dix ans; peut-être même... (je vous prie toujours de m’excuser) vous ne pensez pas devoir pratiquer habituellement l’obligation de la prière!

— J’en conviens, j’en conviens, reprit avec quelque hâte mon interlocuteur; mais je vous assure que j’attache beaucoup de prix à donner une bonne éducation religieuse à mes enfants.


Ainsi toute la religion de cet homme, très-respectable d’ailleurs, se borne à faire enseigner la religion aux membres de sa jeune famille. Il vous répétera pourtant, chaque fois que vous aborderez cette matière, et sans imaginer le moins du monde que la foi religieuse est une affaire essentiellement personnelle: J’ai de la religion!

Demandez à cet autre qui ne se gène pas pour nier tout le contenu de la Bible, depuis le récit de la création fait par Moïse jusqu’à la peinture des joies du ciel tracée par Saint-Jean; demandez-lui s’il n’a plus de religion; il vous répondra sans hésiter qu’il a de la religion, et qu’il en a même beaucoup. Je suppose que vous puissiez vous entretenir familièrement avec lui, vous l’interrogerez sans doute sur l’espèce de religion qu’il prétend avoir:

Expliquez-vous en termes plus clairs; une religion se conçoit difficilement sans un culte, et vous n’en pratiquez aucun, ni dans votre maison, ni au-dehors.

Une religion, ne fût-ce que la religion naturelle, impose des devoirs qui se rapportent à Dieu, et ces devoirs-là sont les seuls auxquels (je vous ai entendu l’avouer cent fois) vous ne pensez jamais.


DE L’ABONDANCE DU CŒUR LA BOUCHE PARLE;

celui qui croit réellement en Dieu aime à parler de Dieu!


Eh bien! vous vous entretenez de toutes choses, excepté de lui; vos enfants mêmes ne se rappellent pas que vous leur ayez une fois, une seule fois, parlé de Dieu d’une manière sérieuse et suivie.

La religion naturelle, sans imposer des obligations aussi étendues que la religion chrétienne, doit cependant exercer quelque peu d’influence sur nos projets, sur nos actes, sur le but vers lequel nous marchons; mais il me semble que tout influe sur vous, l’honneur, l’ambition, le patriotisme, l’amour des richesses, tout, excepté la religion!

Qu’est-ce donc, s’il vous plaît, que cette religion qui ne se manifeste en rien, qui ne modifie rien dans votre existence, qui ne vous commande rien, qui ne vous inspire pas même une seule conversation vraiment religieuse dans le cours d’une année entière?

Qu’est-ce que cette religion qui est froide, glacée, morte jusque dans les profondeurs de votre conscience? Car si elle vivait dans votre conscience, elle se montrerait par un signe quelconque. J’ai bien peur que votre religion ne soit qu’un mot vil et mensonger; mieux vaudrait laisser le mot quand on a quitté la chose!


À cette harangue, s’il l’écoute patiemment jusqu’au bout, ce qui est fort douteux, votre ami répliquera qu’il ne doit de compte à personne de sa religion, et que celle qu’il a lui suffit.

Si vous le suppliez de définir au moins en quoi consiste sa religion, il pourra bien se mettre en colère, et vous traiter de jésuite ou de méthodiste. C’est le dernier argument de ceux qui n’en trouvent pas de meilleurs; avec une pareille épithète on tranche aussi aisément le nœud gordien que le faisait Alexandre avec son épée.

L’abus de mots par lequel on s’attribue des principes de religion dont on n’a pas même l’enveloppe, n’est qu’une manie passablement ridicule; mais quand on pénètre plus loin dans le sujet, ce point de vue de nos mœurs religieuses présente un côté bien affligeant.

À force de se dire «j’ai de la religion,» beaucoup de personnes finissent par le croire, et s’endorment tranquilles, sur la foi de cette déplorable imposture.

Elles se persuadent qu’il ne leur manque rien, qu’elles sont riches, selon l’expression de l’apôtre, et que le flambeau de la vérité brille devant leurs pas. Séduites par cette illusion si commode et en même temps si fatale, elles ne sentent nullement le besoin de travailler à s’instruire sur les véritables doctrines de la foi religieuse, et le tombeau les couvre de ses ténèbres, avant qu’elles aient songé sérieusement a se demander si elles ont fait l’œuvre qu’il leur était prescrit d’accomplir ici-bas.

Tel homme reculerait de douleur et d’effroi, en se voyant face à face devant l’impiété; l’aspect de son manque de religion le frapperait comme le remords d’un crime;

il ne pourrait jouir d’aucun repos jusqu’à ce qu’il eut acquis des convictions religieuses;

il se sentirait le cœur défaillir, s’il continuait à marcher vers la tombe, sans avoir d’autre guide, d’autre appui que le matérialisme.

Mais s’il réussit à se persuader, comme il arrive, hélas! trop souvent:

qu’il croit ce qu’il ne croit pas,

qu’il éprouve ce qu’il n’éprouve pas,

qu’il a une religion qu’il n’a pas,

toutes ses craintes s’évanouissent, et cette funeste erreur l’entraîne vers l’abîme avec un bandeau sur les yeux.

En terminant, nous supplions chaque lecteur de se demander: ai-je réellement de la religion? ou n’en ai-je que l’ombre?

Si j’ai une religion vraie et positive, elle ne saurait être simplement un mot, une formule banale, une locution convenue et qui n'oblige à rien; mais elle doit, au contraire, se manifester dans mes sentiments, dans mes paroles, dans ma conduite, dans mon être tout entier.

Puissions-nous répondre à cette question avec bonne foi, en présence de Dieu; car notre bonheur éternel y est suspendu!


Si quelqu’un croit être religieux,

sans tenir sa langue en bride, mais en trompant son coeur,

la religion de cet homme est vaine.

La religion pure et sans tache, devant Dieu notre Père, consiste:

à visiter les orphelins et les veuves dans leurs afflictions,

et à se préserver des souillures du monde.

Jacques 1: 26-27


Archives du christianisme 1834 04 12



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