Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE CHRÉTIENNE

LORD TEIGNMOUTH,.

Président de la Société Biblique Britannique et Etrangère.

1834


***


«Le juste meurt, et il n’y a personne qui y prenne garde.»

Si ce reproche est souvent applicable à l’Église de Dieu, lorsque le juste a passé une vie ignorée, dans une position sociale obscure, au sein de la pauvreté, des afflictions, et n’ayant que Dieu pour témoin de ses laborieuses vertus, il ne l’est guère lorsqu’il concerne quelque grand du siècle qui tombe des sommités de l’état social dans le tombeau.

Le bruit de sa chute retentit dans tout son pays, et souvent jusqu’aux contrées les plus éloignées. Toute l’Angleterre a pris garde à la mort d’un de ses citoyens les plus distingués par son rang, son influence, ses vertus sociales et chrétiennes.

Le nom de lord Teignmouth, l’histoire de sa vie, les services qu’il rendit à son pays, ont rempli bien des colonnes de journaux, ont retenti du haut de plusieurs chaires chrétiennes. Aussi, nous qui cherchons dans la vie des hommes, non ce qui est grand aux yeux du monde, mais ce qui est grand selon Dieu et pour l’éternité, ne viendrions-nous pas ajouter notre faible parole sur la tombe d'un homme qui vivra dans l’histoire de son pays, s’il n’y avait dans sa vie bien des choses auxquelles le Chrétien doit prendre garde.

L’intérêt qu’il portait à la France comme président de la Société Biblique de Londres, les généreuses marques de charité chrétienne que nous avons reçues de cette institution, à laquelle il consacra une partie si considérable de sa précieuse vie, nous font un devoir doux et sacré de remettre sous les yeux de nos lecteurs le nom de lord Teignmouth, et de leur faire connaître à quelle source il puisait ce dévouement à la cause de son Dieu-Sauveur qu’il conserva jusqu’à sa fin.

Dans ce but, nous pourrons être courts sur ce qui concerne sa vie publique, et nous montrerons surtout le Chrétien et l’ami zélé et actif des institutions destinées à avancer le règne du Sauveur sur la terre.

Né à Londres en 1751, lord Teignmouth était l’aîné de l’ancienne famille des Shore, du comté de Derby. Son père, qui était dans la Compagnie des Indes-Orientales, mourut d’une mort prématurée, laissant deux fils en bas âge aux soins d’une mère affligée, mais qui, pour son bonheur et celui de ses enfants, connaissait les consolations véritables.

II faut placer lord Teignmouth au nombre presque incalculable d’hommes dévoués à leur Dieu, qui durent leurs premières et salutaires impressions religieuses à la pieuse sollicitude d’une tendre mère pour le bonheur éternel de ses enfants.

Après avoir achevé ses études à l’école de Harrow, le jeune Shore entra au service de la Compagnie des Indes-Orientales. Il s’y distingua par l’étendue de ses lumières, par son zèle, par la supériorité de ses vues administratives et par une infatigable activité. Il parvint bientôt jusqu’à l’éminente dignité de gouverneur général des Indes, et n’accepta ce poste quasi royal qu’après l’avoir longtemps refusé par une abnégation et une modestie peu communes.

En 1798, il revint en Angleterre, et consacra dès lors tous ses loisirs, tous ses talents et toute son influence aux institutions religieuses et philanthropiques qui font la gloire de sa patrie. Il fut l’un des fondateurs de l’excellent recueil religieux, connu sous le nom de «Christian Observer», et il enrichit cette publication de plusieurs articles sortis de sa plume.

Nous ne citerons de ses productions de lord Teignmouth qu’un article dont nous ne pouvons nous empêcher de donner l’analyse et quelques citations, persuadé qu’on nous en pardonnera la longueur en faveur de l’intérêt.

Nous avons dit que lord Teignmouth avait reçu, dans son enfance, de sérieuses impressions; ces impressions ne s’effacèrent jamais, pas même dans le tourbillon du monde, et dans un pays où, comme l’Inde, il n’y avait, à cette époque, que peu ou point de secours religieux. Cependant ces impressions se développèrent peu, et ne devinrent que plus tard des persuasions claires, positives, agissant sur le cœur et la vie. Le gouverneur général des Indes croyait, comme tant d’hommes, d’ailleurs sans vie spirituelle, que la Bible est la Parole de Dieu, et que, pour être honnête homme, il faut avoir une religion.

Il fallait aller plus loin; il fallait arriver à reconnaître que, si la religion n’est pas tout dans nos affections, dans les motifs de nos actions, dans toute notre vie, elle n’est rien. On croit généralement que c’est ce moment important de sa propre expérience que lord Teignmouth décrit dans l’article dont nous voulons parler, et qu’il signa Asiaticus.

Asiaticus, avant d’aller aux Indes, avait connu Théophile , son ami, comme un homme affable, généreux, humain, aux sentiments vifs et profonds, mais d’un caractère haut, impétueux.

«En 1785, je quittai l’Angleterre; je promis à Théophile de lui écrire, ce que je n’ai jamais fait, malgré la haute estime que je lui ai toujours portée. Je revins dans mon pays à la fin du siècle dernier. L’un des premiers besoins de mon cœur fut de savoir ce qu’était devenu le compagnon de mon enfance. J’appris qu’il avait hérité de terres considérables dans le comté de *** et qu’il y vivait habituellement, ne visitant la capitale que quand des affaires importantes l’y appelaient.»


Asiaticus ayant visité son ami, décrit le calme et la patience inaltérable qu’il avait observés en lui, au milieu de circonstances qui mettaient cette vertu à la plus rude épreuve, il a entendu son ami parler du Sauveur comme du modèle qu’il désirait avoir toujours devant les yeux et dans le cœur.

«Frappé de ce langage, de quelques autres expressions et de toute sa conduite, je soupçonnai Théophile d’être devenu méthodiste. La prière qu’il faisait dans sa famille le matin et le soir, sa conversation si différente de ce qu’elle était autrefois, tout contribua à me confirmer dans mon soupçon, quoique je ne visse ni en lui ni dans sa famille rien de ce langage de convention ni de ce formalisme maniéré qu’on attribue aux gens de cette dénomination. Cependant ce soupçon (je l’avoue maintenant à ma honte) glaça la cordialité avec laquelle j’étais entré dans l’intimité de mon ancien ami. Mais quelques jours suffirent pour effacer complètement cette impression, et je sentis augmenter à chaque heure mon admiration pour son caractère et mon attachement à sa personne.

Il y avait constamment dans sa manière tant de courtoisie et de bonté; sa conversation, bien que sérieuse, était si exempte de morosité, si affable, si animée, tout en lui était si engageant et si gracieux, que jamais je ne vis plus complètement réunies toutes les qualités qui annoncent un homme distingué. Il est assez ordinaire de trouver chez les personnes bien élevées ce décorum, cette politesse aisée que forme la société; mais chez lui ces choses semblaient être l’expression d’une profonde bienveillance. Sa complaisance était sans effort et le résultat d’un principe qui agissait constamment sur lui. Je savais que ses pensées étaient fréquemment occupées d’objets de haute importance qui demandaient de profondes réflexions, et, malgré cela, je ne l’ai jamais vu embarrassé ou distrait dans la conversation, à laquelle il donnait, sans paraître dominer, un ton élevé et intéressant.

En un mot, le caractère de Théophile m’avait fait aimer ses principes avant même que je susse bien quels ils étaient; car, bien que mon cœur n’eût jamais été endurci par les maximes d’une philosophie incrédule, je n’avais point encore considéré sérieusement le sujet de la révélation.

«Théophile remarqua avec joie ce changement, et il en prenait fréquemment occasion d’introduire dans nos entretiens des sujets religieux auxquels, dans les premiers jours de mon séjour chez lui, je n’eusse donné que fort peu d’attention. Insensiblement il obtint de moi que je lusse des ouvrages propres à éclairer mon esprit et à réveiller ma conscience. Quelquefois il s’étendait sur les poursuites frivoles ou vicieuses du siècle, sur les misères qui en résultent pour les individus, les familles, la nation. Dans d’autres occasions, il faisait contraster le trouble et les inquiétudes d’une vie dissipée avec le calme et la paix d’un cœur religieux, ou la stupide insensibilité ou le désespoir dévorant du pécheur sans repentance, avec la confiance pleine de sérénité qui est le partage de celui qui croit au Sauveur. Il faisait tout cela avec tant de jugement, que j’en sentais tous les effets sans en apercevoir le but.

«Un mois s’était écoulé de cette manière, lorsque, un soir, après avoir lu à sa famille un discours qui donna lieu à notre conversation, s’adressant à moi d’un air solennel et avec un sérieux dont je fus pénétré, il me dit en termes que je n’oublierai jamais:

«Je vous aime, Édouard, et je veux vous donner une preuve solide de mon affection. Notre amitié date de notre enfance; elle fut fondée sur une ressemblance de goûts qui nous porta aux mêmes occupations et aux mêmes plaisirs: que notre amitié, dans un âge avancé, soit cimentée par un désir digne d’êtres raisonnables, celui de contribuer au bonheur éternel l’un de l’autre.

Je considère maintenant le temps où nous passions ensemble nos journées dans la folie et les plaisirs, comme un temps de délire. Et tandis que je frémis encore à la pensée des dangers dans lesquels nous fûmes ainsi plongés, j’adore avec une inexprimable reconnaissance la miséricorde divine qui m’en a sauvé.

«Dix-huit ans, le tiers de ma vie, se sont écoulés depuis que nous ne nous sommes vus; ils ont passé comme un rêve. Le reste, plus ou moins long, de notre existence terrestre aura bientôt disparu de la même manière; une question se présentera, à laquelle nous ne pourrons échapper:

Comment avons-nous employé notre vie?

Avons-nous vécu pour la gloire de Dieu ou pour nous-mêmes?

Qu’elle est effrayante cette question adressée à DES ÊTRES RESPONSABLES, CRÉÉS POUR UNE ÉTERNITÉ DE BONHEUR OU UNE ÉTERNITÉ DE MISÈRE, à des êtres qui ont par nature une inclination au mal, une aversion pour le bien, et qui sont incapables, sans la grâce, de plaire à Dieu!

Mais notre Père céleste n’a pas laissé ses enfants dans une misère sans remède. Il ne leur a pas imposé des obligations dont ils soient incapables de s’acquitter; si nous ne pouvons pas nous sauver nous-mêmes, il a accompli pour nous un salut.

Lisez le Livre de la vie éternelle qu'il nous a donné pour notre instruction, là vous trouverez clairement révélé le grand mystère de la Rédemption de l’homme, que l’imagination n’aurait jamais conçu.

Ruiné par le péché, l'homme aurait péri pour jamais, si le Fils de Dieu n’était descendu du ciel afin de faire expiation pour le péché.

Il a porté le fardeau de nos iniquités, et nous a rouvert les sentiers de l’immortalité.

Par la foi en lui, nous avons accès aux demeures de la félicité éternelle; car il est le chemin, la vérité, la vie. Mais il nous est impossible d’y avoir accès avec des désirs et des penchants charnels, avec des passions corrompues.

Il faut que nos désirs deviennent spirituels, que nos affections soient sanctifiées, que notre nature entière soit purifiée, que nous devenions de nouvelles créatures, avant que nous puissions avoir aucune part à l’héritage des saints dans la lumière.

Pour le rendre capable d’atteindre ce but, Dieu offre à l’homme les secours de l'Esprit-Saint, qui répand ses influences sanctifiantes sur ceux qui invoquent sincèrement le nom du Sauveur. Ainsi rachetés et sanctifiés, quelle scène de gloire s’ouvre à nos yeux! La terre, et ses trônes, et ses dignités, et ses grandeurs pâlissent devant cette perspective, comme les ombres de la nuit disparaissent devant les rayons resplendissants de l’astre du jour. C’est un sujet trop vaste pour une langue mortelle, une vue trop brillante pour des yeux humains.»


Théophile montre ensuite à son ami la nécessité de la repentance:

«Le premier pas dans la religion, lui dit-il, est la conviction profonde, humiliante, que vous êtes pécheur, que vous avez offensé un Dieu Saint dont les yeux sont trop purs pour voir le mal.

Cette conviction vous fera songer aux moyens de fuir la colère à venir, et vous amènera à la grâce de Jésus, qui s’interpose entre le pécheur et son Juge. Puisse le Seigneur imprimer cette conviction profondément dans votre cœur!

Demandez-le au nom de Jésus; demandez aussi qu’il vous soit donné de comprendre le mystère de la Rédemption par un Sauveur crucifié. Je joindrai mes supplications aux vôtres pour que l’Esprit de vérité répande sur vous sa lumière et son Influence de sanctification, et qu’il vous renouvelle en cette justice et cette sainteté sans laquelle nul ne verra le Seigneur.»

«J’étais trop affecté par ce discours, continue Asiaticus, pour goûter beaucoup de repos pendant la nuit suivante; car, quoique mon cœur fût, en quelque degré, préparé à l’impression de ces paroles, elles produisirent en moi une foule de pensées auxquelles je ne m’étais jamais arrêté, ou que je n’avais jamais approfondies. Si tout cela est vrai, me disais-je:

quelle est la condition où je me trouve?

N’ai-je pas vécu sans Dieu dans le monde, me conformant aux dehors de la religion, sans en connaître l’esprit,

Que deviendrait mon âme si, cette nuit, elle m’était redemandée?

Ces réflexions et une foule de pensées semblables occupèrent mon esprit. Je sentis le besoin de prier; mais je pus à peine élever vers le ciel quelques soupirs.

«Le matin, quoiqu’abattu, je me trouvai plus calme. Je fis alors confession de mes péchés à Dieu et j’en implorai le pardon, au nom de Christ, avec une ferveur que je n’avais jamais éprouvée.

Je n’hésitai pas à faire part à Théophile de tout ce qui se passait en moi. Il en fut réjoui, et, tout en s’efforçant de me mettre en garde contre l’abattement, il me parla avec ardeur du devoir de profiter de la grâce de Dieu qui m’était offerte et du danger de la négliger. Mon digne ami, après avoir ainsi répandu dans mon cœur la bonne semence, ne cessa de l’arroser et d’en demander à Dieu l’accroissement.

Nous lisions chaque jour ensemble les Écritures. Théophile me montrait l’harmonie qui existe entre l’Ancien et le Nouveau-Testament, me faisait observer les prophéties les plus remarquables qui ont été accomplies, surtout celles qui concernent le Messie. Il m’expliquait les passages difficiles, et me rendait attentif à ceux qui offrent les plus importants sujets de méditation. Il lisait la Bible avec une dévotion si profonde, si animée, qu’il semblait partager l’inspiration qui l’a dictée.


«Que je me trouve différent de ce que j’étais en entrant dans la maison de Théophile! Je ne puis sans horreur rappeler à mon souvenir certaines scènes de ma vie sur lesquelles j’arrêtais avec complaisance mes pensées. Et cependant, au sein même de cette douloureuse repentance, je me sens plus heureux que je ne l’aie jamais été dans cette dissipation où je croyais follement avoir trouvé le bonheur. Malgré le sentiment humiliant des péchés de ma vie passée, je trouve dans mes méditations des délices que j’étais incapable de concevoir il y a six mois. Je porte en mon cœur l’humble espérance de mon pardon et de ma rédemption par le sacrifice d’un Sauveur crucifié. Plaçant toute ma confiance dans le secours de la grâce de Dieu, et m’efforçant de travailler à mon salut avec crainte et tremblement, j’éprouve, en croyant, une joie, une paix, que jusqu’ici je n’avais jamais connues.»


Tel est l’esprit dans lequel lord Teignmouth travaillait à l’avancement du règne du Sauveur dans les autres, après y avoir lui-même soumis son cœur; tels sont les principes féconds qui nourrissaient ce zèle infatigable et excitaient cette coopération active dans toutes les œuvres bonnes et utiles auxquelles son nom était constamment associé.


***


Nous avons déjà dit qu’après son retour des Indes, lord Teignmouth donna tout son temps, aussi bien qu’une grande partie de sa fortune, aux nombreuses institutions de bienfaisance et de piété dont s’honore l’Angleterre. Mais c’est surtout la Société Biblique, qu'il présida pendant plus de trente ans, qui fut l’objet de ses soins et de ses travaux.

Lord Teignmouth ne fut pas du nombre de ceux qui associèrent leur nom à cette institution après qu’elle eut acquis cette glorieuse célébrité qui en a fait l’objet de l’admiration du monde entier, et qui s’en éloignèrent lorsque l’esprit de parti s’efforça de la couvrir d’opprobre.

Lord Teignmouth l’embrassa dans son enfance, lui resta constamment attaché à travers toutes les épreuves et tous les orages, et lorsque, affaibli par l’âge et les infirmités, il ne fut plus capable d’assister à ses comités ni de prendre une part active à ses travaux, il n’avait pas de plus grande consolation ici-bas que d’être instruit de ses succès et de faire monter vers le ciel ses supplications pour que Dieu continuât à répandre sa bonne Parole sur toute la terre.

Énumérer les services rendus par lord Teignmouth à la Société Biblique serait faire l’histoire de cette institution. Il n’est aucune de ses entreprises à laquelle il soit resté étranger. Sa coopération ne consistait pas seulement, comme celle de quelques patrons des institutions utiles, à donner son nom, son influence et quelque argent. Lord Teignmouth entrait dans les détails des travaux bibliques, présidait les comités et les assemblées annuelles, où il prononçait des discours d’ouverture aussi remarquables par le talent que par la vive piété qui les dictait, et soutenait lui-même, comme président, une correspondance fort étendue.

Dans les premières années de la Société les rapports annuels étaient entièrement écrits par lui. Le comité de cette institution, en annonçant aux membres de la Société, la mort de leur vénérable président, a payé à sa mémoire un juste tribut d’admiration et de regret, en votant à l'unanimité une adresse dans laquelle la piété de lord Teignmouth, ses vertus chrétiennes, les services qu’il a rendus à la société, sont retracés par une plume éloquente et pleine de sentiment. La grande humilité de lord Teignmouth, et le besoin qu’il éprouvait sans cesse de rendre à Dieu toute la gloire, le préserva, dans ses rapports avec la Société Biblique, de deux pièges auxquels un trop grand nombre de Chrétiens, d’ailleurs excellents, se laissent prendre, surtout si leur rang, ou leur fortune, ou leurs talents leur donnent une grande influence sur l’œuvre à laquelle ils consacrent leurs soins.

L’un de ces pièges, c’est la tentation de s’élever au-dessus des autres, de vouloir dominer et être tout au moins «primus inter pares». Que les Chrétiens ne s’y trompent pas; il y a dans notre cœur une malheureuse disposition qui, pour avoir été réprimée par notre renoncement au monde, ne cherche pas moins à revendiquer ses droits dans la nouvelle sphère où nous sommes entrés: les disciples de Jésus, après avoir tout quitté pour l’amour de lui, n’en demandaient pas moins: «Seigneur, qui est-ce qui sera le plus grand dans le royaume de Dieu?»

C’est de ce principe d’orgueil et de séduction qu’est née la papauté, et les papes ne sont pas tous au Vatican. Il peut y avoir dans des affaires spirituelles bien plus pures que l’Église de Rome, tel meneur (qu’on nous passe l’expression) qui, sans se l’avouer à lui-même, se trouve tout étonné lorsqu’on doute de son infaillibilité.

L’autre danger auquel nous sommes sans cesse exposés, en étant activement et principalement occupés d'une œuvre religieuse, c'est de nous identifier tellement avec cette œuvre, que, cessant d’y voir uniquement la gloire de Dieu, oubliant que nous travaillons uniquement pour Dieu, comme de faibles et indignes instruments, nous arrivons insensiblement à y voir notre affaire, notre gloire, notre satisfaction, si l’œuvre est couronnée de succès, ou notre désappointement, si elle ne réussit pas.

Cette disposition, d'autant plus dangereuse que nous l’apercevons difficilement, et que nous nous l’avouons rarement à nous-mêmes, nous ôte ces vues larges et généreuses avec lesquelles nous devons considérer les progrès du règne de Dieu dans leur ensemble, et diminue cet intérêt cordial que nous devons prendre à toute œuvre vraiment bonne, lors même qu’elle est faite dans une autre sphère, par d’autres mains, et avec des vues en quelques points différentes des nôtres.

Ah! il est triste de penser que nous pouvons communiquer à tout ce que nous touchons, même aux choses les plus saintes, nos nombreuses infirmités!

Mais puisque l’expérience parle, pourquoi se taire?

Et puisqu’une plaie profonde peut exister là où l’on aimerait tant à ne voir que la santé et la vie, pourquoi ne pas la découvrir, afin que quiconque se sent malade s’en aille au Médecin?

Aussi heureux que Wilberforce qui, après environ cinquante ans de travaux, d’attente et de prières, a vu, avant de mourir, l'émancipation des esclaves, lord Teignmouth, après avoir présidé trente ans la Société Biblique, l’a vue couronnée de succès tels que l’imagination la plus enthousiaste n’aurait pu les concevoir à la naissance de cette institution.

Voici quelques faits à ce sujet présentés à l’assemblée anniversaire qui a eu lieu le 7 mai dernier, et qui a été des plus intéressantes.

La Société Biblique de Londres fut fondée en 1804. Dès lors plus de cinq mille Sociétés ayant également pour but de répandre la Parole de Dieu, ont été formées en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique. De ce nombre d’associations trois mille quatre cents appartiennent à la Grande-Bretagne.

La Société de Londres a directement ou indirectement, en tout ou en partie, imprimé et disséminé les Écritures en cent vingt et une langues ou dialectes différents, dont soixante-douze n’avaient jamais encore exprimé la Parole de vie.

Cette Société s’occupe maintenant de faire traduire la Bible en trente-six nouvelles langues, dans lesquelles elle n’est pas traduite.

Huit millions d’exemplaires de la Bible ou de portions de la Bible sont sortis des magasins de la Société, outre les riches secours qu’elle a accordés à d’autres Sociétés pour le même objet; en sorte que, depuis 1804 , elle a distribué, dans diverses parties du monde, plus de treize millions d’exemplaires des Saintes Écritures, en entier ou par fragments. Quelles preuves de la bénédiction de Dieu sur cette institution! Que toute la gloire lui en soit rendue!

La longueur de cet article nous empêche de montrer lord Teignmouth employant l’influence de ses talents et de sa profonde connaissance des peuples de l’Inde, pour obtenir du Gouvernement britannique et de la Compagnie des Indes l'autorisation d’introduire le Christianisme dans ces vastes possessions anglaises.

Dans ce temps, on en était encore à s'en laisser imposer par les clameurs de quelques politiques intéressés, qui prétendaient qu’attaquer la religion, les mœurs et les coutumes des Indiens, serait la ruine des colonies anglaises de l’Est. Les efforts réunis de tous les amis de l'Évangile en Angleterre furent couronnés de succès, et les années ont prouvé combien peu étaient fondées les sinistres prédictions des adversaires de la croix du Sauveur!

Lord Teignmouth publia, à cette époque, décisive pour le sort des Indiens, une brochure dans laquelle il établissait avec une évidence sans réplique la possibilité et la nécessité de faire luire la lumière de l’Évangile au sein des épaisses ténèbres dans lesquelles étaient plongés tant de millions de sujets de la Grande-Bretagne. Nous ne citerons de cet écrit qu’un seul paragraphe, qui montre dans quel esprit l’auteur entendait que l’Évangile fût annoncé aux Indiens.

Ce que lord Teignmouth dit ici de l’évangélisation des peuplades de l’Est, est applicable à la prédication du Christianisme dans tous les temps et dans tous les lieux:

«Pour nous, nous sommes convaincus que l'influence d'une église épiscopale sur la civilisation des Indous dépendra essentiellement de l’esprit dont seront animés les chefs et les membres de cette église.

Supposez-les animés du zèle apostolique et de la profonde et pure piété des Schwartz et des Brainerd, et nous pouvons nous livrer aux plus hardies espérances quant au succès de leurs travaux parmi les natifs de l'Inde.

Au contraire, s’il arrive que vous envoyiez des hommes tièdes et indifférents quant à la conversion des indigènes, si la régénération des païens n’est pas le premier objet de leur sollicitude, notre attente serait misérablement trompée.

La même disposition qui les rendrait inactifs leur ferait voir d’un œil de jalousie et de haine les pieux efforts des missionnaires appartenant à d’autres communions.»


Les mêmes principes qui animaient lord Teignmouth dans sa vie publique, exerçaient leur puissante et douce influence sur toutes les relations de sa vie privée. Dans le sein de sa famille et de ses nombreux parents et amis, il était aimé et vénéré comme père, comme frère, comme ami. Ses domestiques mêmes le regardaient comme un père.

Ses nombreuses occupations ne l’empêchèrent jamais de mettre à part ces heures de recueillement et de prière qui nourrissent la foi et la vie de l’âme, en la retrempant dans la communion et l’amour de Dieu, et en la rafraîchissant à la source des eaux vives.

M. Anderson, chapelain et parent de lord Teignmouth, remarque, dans un sermon funèbre prêché à sa mémoire, que cet homme pieux avait la coutume de se retirer, tous les jours, à cinq heures du soir, pour se livrer à ces secrets exercices de dévotion, afin de ne pas attendre que la fatigue de la soirée vînt appesantir son corps et nuire à l’élévation de son âme vers son Père céleste. Après ces douces heures de communion avec Dieu, il rentrait au milieu des siens avec un visage plein de sérénité, qui annonçait la paix et le calme de son cœur. Puis, la tendance spirituelle de toute sa conversation montrait combien ses prières l’avaient rapproché de son Dieu et pénétré de son Esprit.

M. Anderson nous apprend encore que le trait caractéristique de la piété de lord Teignmouth était une douce confiance, un abandon entier à la Providence de Dieu. Jusqu’à la fin de sa vie il aimait à se rappeler les dispensations de cette bonne Providence envers lui. Il a même laissé une preuve écrite de ce sentiment. C’est un Traité sur la Providence qu’il avait composé il y a plusieurs années, et qu’il a dernièrement autorisé M. Brandram, secrétaire de la Société Biblique, à publier. Ce petit, mais excellent ouvrage a paru peu de semaines avant la mort de l’auteur, et reste dans les mains de ses nombreux amis comme un doux souvenir de lui et de sa piété.

Les derniers jours de lord Teignmouth furent, comme toute sa vie, pleins de Dieu et de la pensée de l’éternité. Peu de jours avant sa mort, il exprimait à M. Anderson quelque anxiété sur la réalité de sa foi, parce qu’il ne pouvait plus se livrer avec la même ferveur à la prière, ni obtenir le même recueillement de ses pensées et de ses affections en la présence de Dieu. Son chapelain lui fit observer que la faiblesse de son corps était la cause évidente du manque de ferveur qu’il croyait remarquer dans ses exercices de piété.

«Demandez-vous,» ajouta M. Anderson afin de mettre le pieux malade à même de distinguer la faiblesse physique de la faiblesse de la foi, «demandez-vous à vous-même comment vous avez jusqu’ici et habituellement considéré l’état de votre cœur, la sainteté de Dieu et l’amour infini qu’il vous a montré dans le mystère de la Rédemption.»

En réponse à ces questions, lord Teignmouth parla avec beaucoup d’énergie de la profonde misère de notre nature déchue, de la puissance du péché qui habite en nous, de son désir ardent d’en être délivré, pour être fait participant de la sainteté, qui est en elle-même le bonheur.

«Ma prière continuelle, ajouta-t-il d’un ton solennel, est que je puisse, jusqu’à mon dernier soupir, regarder à Celui qui m’a été fait de la part de Dieu sagesse, justice, sanctification et rédemption. Puissé-je, délivré du péché par son sang de propiciation, revêtu du manteau de sa justice, sanctifié par les influences de l'Esprit-Saint, recevoir la grâce de m’unir au chœur des anges et des archanges pour magnifier le saint nom de Dieu, et m’écrier avec eux: Saint, saint, saint est l'Éternel des armées! Les cieux et la terre sont pleins de sa gloire!»


Quelques jours après, il dit à ceux qui l'entouraient:

«Je hais, je déteste le péché, de quelque nature qu’il soit, à quelque degré qu’il existe. J'espère que je me repens de toutes mes transgressions. Mais ce n’est pas sur ma repentance que je m'appuie. Non! je ne cherche le pardon et la paix que dans le sang de Christ!»

Le dimanche qui précéda sa mort, lord Teignmouth était entouré de sa femme et de ses enfants qu’il s’efforçait de consoler:

«Je sens, leur dit-il, que je repose sur le bon fondement; je puis vous quitter en paix et avec joie.»

Heureuse la famille à laquelle un père mourant peut donner une telle consolation!

Heureuse l'Âme qui peut ainsi consoler ceux qu’elle aime, lorsqu’elle les laisse sur les flots agités de la vie pour entrer dans le port éternel!

Ceci n’a pas été écrit pour la louange d’un homme, mais pour l'encouragement de plusieurs.

Quant à la place que lord Teignmouth a laissée vide dans le fauteuil de la Société biblique, il a plu à Dieu, qui ne se laisse jamais sans témoignage, d’y faire asseoir un autre de ses fidèles serviteurs, un humble disciple de Christ, lord Bexley.

Archives du christianisme 1834 07 26

Archives du christianisme 1834 08 09




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