Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE

JOSEPH MILNER.


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Hull, ville florissante et populeuse du comté d’York, devint, dans la seconde moitié du siècle dernier, le théâtre d’un événement remarquable. On y jouissait alors d’une grande tranquillité, la prospérité y régnait et les habitants avaient, dans la personne de M. Milner, un directeur zélé de l’école publique et un prédicateur universellement applaudi; on le vantait comme un honnête homme, gardant le décorum de sa profession, orthodoxe dans ses sentiments religieux, modéré dans ses sentiments politiques, d’une conduite pure de toute exagération.

Ses fonctions l’appelaient à prêcher tous les dimanches dans l'après-midi, et l’on peut dire qu’à cette heure le vaste local de l'église était toujours rempli.

Mais cet état de choses ne dura pas longtemps, et quelques années s’étaient à peine écoulées qu’un changement extraordinaire se manifesta dans le prédicateur d’abord, puis dans une portion de son auditoire, et vint mettre toute la ville de Hull en mouvement.

On s’apercevait que le ton des sermons de M. Milner n’était plus le même; à d’ingénieuses leçons de morale avaient succédé des discours d’un effet désagréable et blessant; sa bouche prononçait maintenant les mots de conversion, de régénération, de péché, qu’il avait puisés on ne savait où; son langage était plein d’expressions bibliques.

On voyait aussi avec peine que le joyeux convive, l’homme aimable dont la société était si recherchée naguère, avait disparu des théâtres et des cercles, et n’approchait plus de la table de jeu; on se sentait gêné en présence d’un censeur toujours prêt à relever les discours peu convenables, et à prendre parti pour la religion contre l’incrédulité, la raillerie et la dissipation.

Ce fut bien pis encore lorsqu’un jour il apporta en chaire un de ses sermons jadis les plus admirés, et que, commençant à en lire différents passages, il s’appliqua à montrer les erreurs qui s’y trouvaient, et s’accusa hautement d’avoir perverti les doctrines de l’Évangile.

Dès lors il n’y eut qu’un cri contre lui, parmi ceux-là du moins qui lui avaient jusqu’alors montré le plus de bienveillance, et tous se demandèrent quelle pouvait être la cause d’un semblable changement.


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Le tableau de ce qui se passait à Hull peut donner une assez juste idée de l’état religieux de l’Angleterre à cette époque, et des circonstances remarquables qui, se manifestant simultanément sur divers points du pays, en ont, pour ainsi dire, totalement changé l’aspect.

Les ouvrages de plusieurs incrédules célèbres semblaient alors y avoir ébranlé l’autorité du Christianisme; l’église nationale était devenue:

un établissement politique plutôt que religieux, où le patronage du grand et la simonie aidaient à franchir les degrés d’une hiérarchie de sinécures;

les haines de parti,

le mécontentement et l’agitation du peuple,

les moyens de dissipation favorisés de toutes manières,

le développement des vices,

le culte domestique négligé offraient un déplorable exemple des effets que peut avoir sur la société le manque d'une foi réelle et fervente.

C'est alors qu’on vit les esprits se réveiller à la voix des Wesley et de Whitfield. Il est difficile de décrire l’influence que ces apôtres ardents exercèrent sur leurs contemporains, mais c'est de fait qu’en peu d’années un immense réveil religieux se propagea sur la surface de l'Angleterre, et qu’à travers les persécutions les plus opiniâtres et les travaux les plus inouïs se trouva accomplie une œuvre admirable de conversion.

En même temps des ministres non moins dévoués furent suscités par le Seigneur dans le sein de l’Église anglicane, et contribuèrent largement à faire renaître les doctrines vitales de l’Évangile dans les âmes. Tel fut Newton, tel fut Scott, tel fut Milner.

Cependant, tandis que les classes élevées s’emportaient contre ce dernier à Hull, tandis que, selon sa propre expression, il n’y avait guère d’hommes dont l’habit fut un peu propre qui daignassent le saluer lorsqu’ils le rencontraient dans la rue, les humbles et les pauvres se pressaient autour de lui.

Si ses auditeurs n’étaient plus les mêmes, le nombre n’en avait pourtant pas diminué; on entendait maintenant de toutes parts les gens du peuple s’entretenir des intérêts de leurs âmes, chacun devenait sérieux, les ivrognes, les déréglés se réformaient, une multitude de pécheurs s’enquéraient du salut; la ville, en un mot, changeait complètement d’apparence.

Milner se réjouissait en Dieu; c’étaient là de puissantes consolations au milieu des épreuves dont il était assailli de toutes parts. En effet, ses ennemis irrités élevaient sans cesse la voix contre une piété importune qu'ils taxaient de fanatisme; les insultes, les accusations, les railleries se multipliaient contre lui et ses auditeurs; les uns le regardaient comme un hypocrite, d’autres comme un enthousiaste, d’autres comme un fou.

Cela dura longtemps, sept à huit ans peut-être: la persécution fut rude et prolongée; mais le désintéressement, le zèle et les vertus du fidèle pasteur finirent par en triompher et par se faire reconnaître et respecter.

Il eut même la joie de voir les plus hostiles revenir à lui, ou du moins leurs préjugés s’évanouir. D'ailleurs le mouvement s’était étendu au pays tout entier, l'Évangile avait pénétré dans tous les rangs, l’opposition tombait; à la vérité, le nom de méthodisme, qui, dans l’origine, avait été affecté à une secte particulière, continuait bien d’être ironiquement employé à désigner la ferveur évangélique, mais les Chrétiens s’en consolaient facilement en pensant qu’un sobriquet ne flétrit pas, qu’un nom en vaut un autre, et qu’il s’agit uniquement de s’entendre sur la valeur des mots et les idées qu’ils représentent.

Milner vécut encore plusieurs années après le changement qui s’opéra en lui et dans l’état religieux de ses paroissiens; ardent à répandre la parole de vérité et de vie, il ne comptait pas les fatigues et partageait son temps entre la prédication, la direction des écoles, divers soins pastoraux et la composition de plusieurs ouvrages intéressants par la piété qui les anime.

Dans le nombre de ces derniers on remarque surtout «l'Histoire de l’Église» dont on publie actuellement une traduction en France, et qui a été successivement continuée par son frère Isaac Milner et par le révérend J. Scott.

Du reste, sa vie active, mais douce et uniforme, n’offre que peu ou point de ces événements que la biographie s’attache d'ordinaire à rappeler. Ses premières impressions religieuses dataient de l’âge de quinze ans: c’était, sous la bénédiction divine, à l’exemple et aux exhortations de sa mère qu’il les devait; tant est grande cette influence qu'il nous arrive si souvent d’avoir à signaler! Cependant d’un autre côté son père, plus favorable à l’indifférence qu’à l’enthousiasme, s’était attaché à calmer cette ferveur et n’y avait que trop bien réussi; le jeune Milner, avide d’une réputation littéraire que ses talents semblaient lui promettre, se contentant d’un formalisme orthodoxe, poursuivit ses études avec ardeur et succès, et s’il se consacra au ministère de l’Évangile, il faut sans doute attribuer cette démarche bien moins au besoin de rendre témoignage à la vérité qu’au désir de se ménager une certaine indépendance de fortune et de position.

De son propre aveu, ce n’était pas Jésus-Christ qu’il prêchait alors, mais il se prêchait lui-même, et les applaudissements dont il était l’objet ne parlaient pas en faveur de sa fidélité, car, ainsi qu’il le disait dans la suite, une semblable approbation ne se montre jamais, dans un auditoire nombreux et varié, lorsque le prédicateur expose avec énergie et précision la vérité telle qu’elle est en Jésus.

Quoi qu’il en soit, Milner, tout en faisant bon marché des doctrines vitales de l’Évangile, ne se lassait pas de l’étudier, soit par routine, soit par sentiment de devoir; il apportait dans l’accomplissement des obligations de sa charge une sincérité, une droiture qui furent bénies selon cette parole: «Si quelqu’un veut faire la volonté de Dieu, il reconnaîtra si ma doctrine est de Dieu.»


Ajoutons qu’il fut vivement frappé de voir ses travaux rester absolument sans fruits; comparant les effets uniformément attribués dans l’Évangile à la prédication de la croix, avec les effets de ses sermons sur son auditoire, et de ses propres convictions sur son cœur.

il commença à soupçonner qu’un arbre si stérile ne pouvait être bon;

il s’effraya également de n’apercevoir parmi les habitants de la ville aucune réforme morale,

et de ne sentir dans son âme ni cette joie, ni cette liberté, ni ces affections familières au christianisme vital.


De semblables réflexions ne pouvaient manquer de porter leurs fruits: car tel est, en effet, le véritable critérium d’une foi et d’un ministère éclairés.

Milner passa dès lors de la sécurité à l’angoisse, de la paix à une extrême agitation; accablé du sentiment de sa responsabilité pastorale et de la découverte de sa propre misère spirituelle, il s’appliqua sans relâche et avec beaucoup de prières à la lecture de la Bible; bientôt il y vit tout un ordre de vérités que jusqu’alors il n’avait pas connues, et son âme reçut enfin avec transport la bonne nouvelle d’un pardon tout gratuit.

On a vu comment il porta ces nouvelles convictions dans la chaire, et combien la profession qu’il en fit excita d’animosité parmi les uns, et produisit de fruit et de joie parmi les autres.

Il faut admirer l’énergie, la persévérance, la fermeté avec lesquelles Milner ne cessa plus d’offrir à la méditation de ses auditeurs ces doctrines qu’il avait été conduit à embrasser comme la vérité de Dieu. De précieux détails nous ont été conservés sur sa manière de les exposer; on y voit le secret de son triomphe sur les consciences.

Constamment soigneux d’insister avant tout sur l’état de chute et de condamnation de l’homme, ainsi que sur l’offre du pardon gratuit par la foi, il s’appliquait néanmoins en même temps, suivant la méthode des écrivains sacrés et du Sauveur lui-même, à exposer la nature et la nécessité des fruits de cette foi, exhortant à la sanctification sans laquelle nul ne verra le Seigneur, et déclarant que le don de Christ ne consiste pas seulement dans le pardon et la paix, mais aussi dans UN CŒUR NOUVEAU ET DANS LA DÉLIVRANCE DU PÉCHÉ.

Il savait assigner aux œuvres leur place légitime dans le système évangélique, montrant qu’elles sont l'évidence et la conséquence nécessaire d’une union réelle avec Jésus, et non pas la cause de la miséricorde qui nous est faite.

C’est dans l’exposition de ces points fondamentaux que Milner mettait toute la force et la clarté dont il était capable; c’est par la prédication de ces vérités si importantes, mais si odieuses à l'orgueil humain , qu’il souleva la persécution et réveilla les consciences.

Sans se laisser aller à l’esprit de système il s’attachait constamment à la lettre des enseignements scripturaires, et ne se perdant point dans de subtiles distinctions, il résolvait ainsi au point de vue pratique d’apparentes difficultés.

Milner ne quitta point le champ de ses premiers labeurs apostoliques, et mourut à Hull en 1797, âgé de cinquante-quatre ans, joyeux de déloger pour être avec Christ, et généralement regretté des habitants qui le regardaient comme leur père dans la foi.

Archives du christianisme 1834 09 13


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