Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE.

QUELQUES TRAITS DE LA VIE DE CHRÉTIEN FRÉDÉRIC SCHWARTZ,

MISSIONNAIRE AUX INDES-ORIENTALES.

1834


***


Le nom de cet éminent serviteur de Christ doit être déjà connu d’un grand nombre de nos lecteurs. Plus d’une notice biographique a été consacrée, en Angleterre, en Allemagne et en France, au récit des travaux et des vertus chrétiennes de Frédéric Schwartz, et l’admiration de l’Europe a répondu à la reconnaissance des peuples de l’Inde, qui ont trouvé en lui un fidèle successeur des apôtres.

Cette vie si pleine de foi, de dévouement et de bonnes œuvres, mérite cependant d’être offerte encore en exemple à tous ceux qui veulent vivre dans la piété selon Jésus-Christ, et nous allons en détacher quelques traits principaux, en regrettant de n’avoir pas plus d’espace à leur donner.

Chrétien-Frédéric Schwartz naquit, le 26 octobre 1726, à Sonnenberg (Bavière). Aucune circonstance remarquable ne signala ses premières années. Il éprouva de loin en loin quelques impressions religieuses, en écoutant les leçons des hommes pieux qui dirigeaient son éducation; mais la légèreté du jeune âge et les mauvais penchants de la nature humaine eurent bientôt étouffé cette bonne semence de la Parole. Nous dirons seulement que sa mère, qu’il perdit dans son enfance, déclara, sur son lit de mort, à son mari et à son pasteur, qu’elle avait solennellement consacré son fils au service de Dieu.

Sans doute, elle avait prié, beaucoup prié pour lui, cette pieuse mère, et ses ferventes supplications ne furent exaucées que quinze à vingt ans après sa mort. Ne perdons pas courage et ne nous rebutons pas, quand le Seigneur semble fermer l’oreille à nos prières; ce qu’il ne fait pas aujourd'hui, il le fera demain; car il est fidèle dans ses promesses.


Les écrits de Franke, devenu si célèbre par l’établissement de La maison des Orphelins dans la ville de Halle, furent le moyen dont Dieu se servit pour toucher le cœur du jeune Schwartz, qui alla bientôt lui-même auprès de ce vénérable disciple du Sauveur. Il y étudia quelques langues de l’Orient, pour corriger les épreuves des Bibles qui s’imprimaient alors à Halle, et cette étude porta ses vues sur la vocation de missionnaire dans les Indes. Il fut consacré en 1749 et l’année suivante il partit pour la destination qu’il avait reçue.

Dès l’entrée de sa carrière, il rencontra de nombreux et puissants obstacles. À cette époque l’Évangile était encore presque généralement inconnu dans les Indes, même parmi ceux qui se réclamaient de son nom et de ses promesses.

Le Christianisme, tel qu’il avait été prêché par les missionnaires de la Propagande romaine, ne ressemblait guère plus au vrai Christianisme que l'idolâtrie des sectateurs de Brama.

Frédéric Schwartz ne tarda pas à reconnaître que les plus grands ennemis de la vérité, ce n’étaient point les Bramines, mais les Jésuites. Voici un fait, entre plusieurs autres, qui justifiera notre assertion.

La plupart des habitants d’une bourgade de l’Inde avaient manifesté le désir d’entendre la Parole, et promettaient à l’Église chrétienne une riche moisson. Mais le prêtre romain profita d’une absence de Schwartz pour déclarer aux membres de son troupeau qu’il ne baptiserait plus leurs enfants ni n’ensevelirait leurs morts, jusqu’à ce qu’ils eussent chassé le missionnaire protestant. Il donna aussi à entendre aux idolâtres que leurs pagodes tomberaient en ruines et que leurs fêtes cesseraient, s’ils faisaient accueil à ce missionnaire. Ces odieuses calomnies parvinrent aux oreilles des magistrats indigènes, et Schwartz fut contraint par la persécution à sortir de ce champ de travail.

Un autre obstacle non moins considérable paralysa longtemps ses pieux efforts. La domination anglaise venait à peine de s’établir, au milieu du dernier siècle, sur les côtes des Indes-Orientales; elle était mal assise, fréquemment troublée par des révoltes, et combattue par des guerres sanglantes. Quelle pénible mission que celle de proclamer le Prince de la paix dans le tumulte des camps et le bruit des armes!

La voix de Frédéric Schwartz fut souvent étouffée par les cris de rage des indigènes, qui se débattaient avec fureur sous le joug que leur imposaient les despotes venus de l’Occident. Et les Anglais eux-mêmes voyaient avec déplaisir les travaux du zélé missionnaire, parce qu’ils craignaient de soulever contre eux, par des tentatives de prosélytisme, les passions religieuses du peuple indien.

À tant de difficultés il faut joindre celle qui se trouvait et se trouve encore aujourd’hui dans les préjugés de la population. Quiconque se convertit à la foi chrétienne dans la presqu’île en question sort par cela seul de sa caste; et ne plus appartenir à une caste chez ce peuple, c’est descendre au-dessous du dernier mendiant, c’est n'être absolument rien.

Une bête des champs a plus de valeur aux yeux des Bramines et de leurs adeptes qu’un homme hors de caste.

Il résulte de cet état de choses que les convictions les plus fortes sont loin d’amener toujours après elles des conversions; un intérêt plus grand que celui de la vie retient les habitants de l’Inde dans une religion qui se rattache à leur existence politique, civile, domestique, et ils ont besoin d’un courage plus héroïque pour se résoudre à quitter leur caste, qu’il n’en fallait aux chrétiens de l’Église primitive pour se résoudre à mourir sur l’échafaud.

On ne s’étonnera donc pas d’apprendre que beaucoup d’indiens aient répondu au missionnaire Schwartz: Nous savons que nos idoles ne sont que des statues de bois et de pierre, nous avouons que notre religion est un tissu d’absurdes mensonges, nous reconnaissons que la doctrine qui nous est prêchée par vous est infiniment plus belle, plus pure, plus élevée que la nôtre; mais la résolution et la force nous manquent pour nous déclarer publiquement disciples de Christ! Nous attendrons des temps plus heureux!

Cependant Frédéric Schwartz, assuré que ce qui paraît impossible à l’homme est possible à Dieu, soutenu par le Saint-Esprit, marchant par la foi et non par la vue, il ne se laissa point décourager par ces effrayants obstacles.

«Plusieurs milliers de Bramines et d’autres habitants, écrivait-il en 1779 à l’un de ses amis, voient clairement que leur idolâtrie est une chose vaine et coupable, mais ils craignent de l’abandonner, parce qu’ils seraient abandonnés eux-mêmes par tous les membres de leurs familles. Que le Dieu de miséricorde ait pitié d’eux pour l’amour de Christ, et qu’il leur donne à tous la force de renoncer aux choses terrestres pour se consacrer entièrement à son service! Quant à moi, bien que cette opposition m’inspire une profonde tristesse, j’ai le doux et consolant espoir que le règne de Dieu se manifestera dans ce pays d’une manière éclatante. En serai-je le témoin? Peut-être non; au Seigneur, et à lui seul, il appartient de fixer le jour et l’heure. Mais j’éprouverai une allégresse ineffable, si mon Père céleste daigne m’employer, moi misérable, à la conversion d’un seul idolâtre. La déclaration de sa Parole doit s’accomplir ici comme ailleurs; l’un sème et l’autre moissonne.»


C’est l’un des plus beaux et des plus grands spectacles qui se soient vus sous le ciel que celui de la prodigieuse activité de Schwartz et des divers moyens qu'il employait pour convertir les âmes.

Il allait de lieu en lieu, de porte en porte, annonçant Jésus-Christ crucifié. Quand les Indiens célébraient quelqu’une de leurs fêtes, il se plaçait sur la route, appelant la multitude autour de lui, montrant à chacun le crime qu’il commettait par ses pratiques idolâtres, et l’exhortant à recevoir sans délai le salut par le sang de la croix.

Le dimanche, outre ses instructions catéchétiques, il prêchait en trois langues différentes, aux Anglais, aux Portugais et aux Indiens; dans la semaine, il reprenait l’œuvre du dimanche pour lui donner de l’accroissement.

Chaque jour, disons mieux, chaque instant de sa vie amenait son genre de travail, ses fatigues et ses peines. Sa maison était une école sans cesse ouverte dans laquelle affluaient Européens et indigènes pour entendre la bonne nouvelle de la rédemption. Schwartz se faisait tout à tous, dans le vrai sens de ce mot de l’Écriture; il ne s’appartenait plus à lui-même; il se consacrait tout entier, corps et âme, pensées et paroles, au service de son divin Maître.

On s’étonne qu’une seule existence humaine ait pu renfermer tant de travaux, et notre indolence y voudrait voir un miracle, pour n’y plus trouver le sujet d’un remords. En quelques années, malgré des difficultés presque insurmontables, il ouvrit plusieurs chapelles, fonda un grand nombre d’écoles, instruisit des centaines d’évangélistes, convertit des milliers d’idolâtres; sa voix, son esprit, son action, ses prières étaient partout. Il entretenait en même temps une vaste correspondance avec l’Europe, et se voyait souvent appelé, par la confiance qu’il inspirait, à s’occuper des affaires politiques les plus importantes. Il n’y a qu’un homme des derniers siècles que l’on puisse comparer, sous ce rapport, à Frédéric Schwartz: c’est Jean Calvin, le réformateur et le législateur de Genève.

Écoutons-le pourtant quand il parle de lui-même, et son humilité nous paraîtra peut-être plus grande encore que son zèle:

«Combien de grâces, écrivait-il, le Dieu de miséricorde a répandues sur moi! et quelle reconnaissance ne devrais-je pas lui eu témoigner! Mais, hélas! je ne puis que lui dire: Pardonne, ô mon Père, pardonne-moi mes péchés sans nombre; pardonne-les-moi pour l’amour de Christ !...

Ma seule consolation est dans le salut gratuit que Christ nous a procuré par l’effusion de son sang. Que d’autres se glorifient, s’ils le veulent, ma seule gloire, à moi, c’est Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié. Si je devais ne m’appuyer que sur mes propres mérites, je n’aurais rien qui pût me garantir du désespoir. Quelque soin que j’apporte à observer les commandements de Dieu, à suivre l’exemple de mon Sauveur, et à vaincre, par le secours de son Esprit, mes mauvais penchants, je ne trouve absolument rien en moi qu’imperfection, en sorte que je ne saurais me soutenir sur ce fondement ruineux. Mais de gagner Christ, et d’être trouvé en lui, dans la vie, dans la mort et au jour du jugement, c’était le vœu de l’apôtre Paul, c’est celui de tous les vrais chrétiens, et ce sera mon désir, jusqu’à ce que mon cœur ait cessé de battre.»


Citons encore quelques passages de ses lettres sur le même sujet; i! y a de si précieuses leçons et des reproches si solennels contre notre misérable orgueil dans les paroles d’un tel homme!

«Le poids de l’âge commence à s’appesantir sur moi, disait-il en 1784 , et le rapide déclin de mes forces ne doit pas me surprendre. Pourvu que l’âme soit en santé, tout le reste est bien; car tout le reste doit descendre avec nous dans la tombe.

Je sais que je ne puis offrir à Dieu aucune justice qui me soit propre, pour espérer le bonheur éternel. S’il voulait entrer en compte avec moi, que deviendrais-je? Mais grâces et bénédictions soient rendues à son conseil de miséricorde et d’amour, qui a ouvert aux hommes coupables un lieu de refuge si assuré!

La rédemption par Jésus-Christ est le fondement de mon espérance, de ma paix, de ma vie, de mon bonheur éternel. Bien que je sois entièrement couvert de souillures, le sang de Christ me purifie de tout péché, et donne le repos à mon cœur.

Bien que je doive me reconnaître pour une créature aveugle et corrompue, je sens que l'Esprit de Christ m’éclaire, et qu’il me donne la force de détester le péché.

Bien que le jour du jugement s’approche pour moi, l’amour de Dieu me console, et je me réjouis d’aller au-devant de mon Juge; non comme si j’étais une créature innocente, mais parce que je suis reçu en grâce, lavé et purifié par le sang de Christ.

O mes chers frères! avoir part à son sacrifice expiatoire et aux dons de son Esprit, c’est cela seul qui fait le véritable chrétien, cela seul qui l’encourage et le console.

Par là, il honore son Dieu, et il peut aspirer à la félicité du ciel. Approchons-nous donc de Dieu par Jésus-Christ. Il nous est ordonné de nous réjouir au Seigneur; mais la joie au Seigneur n’existe que chez ceux qui ont été bénis de ses bénédictions spirituelles.

Pour se réjouir dans les promesses qui sont en Christ, il faut s’unir étroitement à lui par la foi, et renoncer à toutes les vanités de la vie. L’union, une intime union avec Christ, est l’unique source de la joie. On se trouve ainsi disposé à 1 aimer, à lui obéir, à le glorifier dans toutes ses œuvres.

Mais si, au lieu de mettre notre confiance en Christ et en sa parfaite justice, nous nous appuyons sur nos propres mérites, et que nous cherchions le fondement de notre bonheur en nous-mêmes, nous n’obtiendrons jamais la véritable paix de l’âme. Toutes nos œuvres sont imparfaites; elles le seront aussi longtemps que nous vivrons; et lors même que nous pourrions égaler un apôtre en sainteté, gardons-nous de mettre notre confiance en autre chose que dans les souffrances et dans la mort de Christ!»


Ainsi l'homme qui marquait chacun de ses jours par des œuvres de charité, de dévouement, d’obéissance, n’attendait rien de ses œuvres! et celui qui n’avait d’espérance que dans la rédemption gratuite a signalé sa carrière par des miracles de zèle et d’activité pour la cause du Sauveur! Quelle éloquente réponse à l'imputation de ceux qui prétendent que nous anéantissons la loi morale par la prédication de la croix!

L’éclatante et pure lumière que Frédéric Schwartz faisait luire devant les hommes, devait frapper les yeux des plus aveugles, et le monde lui-même, le monde incrédule ou idolâtre ne pouvait s’empêcher de rendre justice aux vertus éminentes de ce vénérable disciple du Rédempteur.

On eut des preuves signalées de la profonde estime qu’il inspirait, dans plusieurs circonstances de sa vie, entre autres, lorsqu’il fut chargé par le gouverneur anglais de se rendre auprès du prince indien Hyder-Ali, pour lui porter l’assurance des intentions pacifiques de la Compagnie des Indes. Schwartz accepta cette mission, parce qu’il y trouvait, comme il le dit lui-même, un nouveau moyen de répandre la connaissance de l'Évangile, et que d’ailleurs il importait au bien général du pays de le préserver d’une guerre qui paraissait imminente.

Les démarches de Schwartz furent couronnées d’un plein succès. Hyder-Ali eut foi à la parole d’un homme qui ne savait point mentir comme les diplomates de profession, et la paix fut maintenue.

Le missionnaire chrétien resta trois mois auprès du monarque indien, et mit ce temps à profit pour établir un culte religieux sur les remparts mêmes de la citadelle, et pour annoncer l’Évangile jusque dans le palais du prince.

À la veille de son départ, Hyder-Aly lui offrit une bourse de roupies comme une marque de sa bienveillance, et pour subvenir à ses frais de voyage; mais Schwartz refusa, en disant que le gouvernement anglais lui avait déjà fourni tout l’argent nécessaire. Sur les vives instances du monarque indien, il ne consentit enfin à recevoir cette somme que sous la condition qu’il l’emploierait à fonder une école pour les pauvres enfants anglais dans la ville de Tanjore.

Son désintéressement ne fut pas moins remarquable, quand il revint rendre compte des résultats de son ambassade. Le gouverneur, satisfait de l'heureuse issue des efforts de Schwartz, voulut lui faire accepter une gratification annuelle de 100 livres sterlings (2,500 fr. [article publié en 1834]); mais ce généreux serviteur de Christ supplia le gouverneur anglais de remettre celle somme à son collègue, le missionnaire Pohle, parce qu’il était persuadé que celui-ci l’emploierait à l’entretien d’une école et de quelques catéchistes. Sa demande fut accueillie, et l’œuvre des missions dans les Indes eut à sa disposition 2,500 fr. de plus par an.

Ces traits de désintéressement sont d'autant plus admirables, que Frédéric Schwartz était pauvre. Laissons-le parler lui-même à ce sujet, dans une lettre qu'il écrivit en 1780:

«Quant à une augmentation de salaire, disait-il, je ne me résoudrai pas facilement à en entretenir la Société des Missions. Je ne sais comment vous présenter la chose. Il est vrai que la pauvreté a ses épines; cependant je puis vous assurer qu’elle m’a été utile et me l’est encore à plus d’un égard. L’idée ne vient à aucun Anglais de venir me rendre visite pour boire et manger; on n’attend pas même de moi une tasse de thé, parce que chacun sait que je n’ai rien à donner dans les objets de luxe. Quiconque vient me voir le fait uniquement pour s’entretenir avec moi sur des sujets religieux ou pour visiter nos écoles. Ainsi, ma pauvreté me délivre de beaucoup de visites, et je regarde cela comme un très grand bienfait.»


Mais s’il n’avait rien à donner aux visiteurs parasites, Schwartz avait toujours quelque chose pour les nécessiteux, pour les pauvres veuves, pour les orphelins. Les famines étaient fréquentes, à cette époque, dans les Indes, à cause des guerres presque continuelles qui désolaient ce pays. Alors, le serviteur de Dieu déployait toutes les ressources de la plus ingénieuse charité pour subvenir aux besoins des indigents, et son zèle ne connaissait d’autre limite que celle des nécessités mêmes qu’il devait satisfaire. On l’a vu souvent se charger à peu près seul de l'entretien d’une vaste population, et le Dieu des miséricordes le soutenait puissamment dans cette œuvre difficile.

En 1787 , son humilité fut mise à une grande épreuve, et il montra qu’il n’avait pas plus d’ambition que d’avarice. Le fait que nous allons rapporter est l’un des plus beaux dont se puisse honorer l’histoire des Missions chrétiennes.

Le raja ou prince de Tanjore, ayant adopté un enfant pour son héritier présomptif, fit appeler Schwartz, et lui remettant son fils adoptif:

«Ce n’est plus mon fils, lui dit-il, c’est le vôtre; je le confie entièrement à vos soins.»

«Votre Altesse n’ignore pas, répondit Schwartz, que je suis tout disposé à vous servir selon mes faibles moyens; mais la charge que vous m’imposez aujourd’hui est au-dessus de mes forces. Vous avez adopté un enfant de neuf ans; il y a plusieurs partis à votre cour; je pourrai le voir à peine une ou deux fois par mois; et quel bien serai-je dès lors capable de lui faire? Je crains aussi que la vie de l’enfant ne coure des dangers, et qu’il n’en résulte un bouleversement dans le pays. Choisissez donc quelque autre gouverneur pour votre fils.»

«Mais lequel me conseillez-vous de choisir?»

«Vous avez un frère; confiez lui cet enfant. Il sera son père, son protecteur, son guide; par là vous garantirez les jours de votre fils et le repos de votre empire.»


Après quelques heures de réflexion, le raja suivit le conseil de Schwartz, et ayant fait assembler ses principaux officiers, il leur dit:

«J’ai adopté l’avis du missionnaire Schwartz. Mon frère sera le père de cet enfant; il gouvernera le pays après moi, jusqu’à ce que mon fils soit grandi. J’espère que la Compagnie des Indes ne mettra aucun obstacle à l'accomplissement de ma volonté, dont vous êtes tous témoins et garants.»

Que l'on suppose à la place de Frédéric Schwartz, ajoute un biographe en rapportant ce fait, qu’on suppose un jésuite, et il aurait saisi de ses deux mains cette occasion d’être le premier personnage d’un vaste empire. Mais Schwartz était missionnaire dans la plus noble acception du mot, et ne perdait jamais de vue le grand motif pour lequel il était venu demeurer à l’orient de l’Asie.

Nous voudrions pouvoir accompagner ce vénérable messager de l’Évangile dans ses travaux, ses voyages, ses prières, ses succès; nous le verrions soutenu et béni du Seigneur, joyeux des progrès du règne de Christ parmi les idolâtres de l'Inde, et comptant chacun de ses jours par de nouveaux efforts pour la cause qu’il avait embrassée. Mais ces détails nous conduiraient trop loin, et nous devons nous réserver un peu d’espace pour raconter quelques-unes des circonstances qui ont précédé sa mort.

Ce fut en 1797, après environ cinquante ans du ministère le plus laborieux, que Schwartz tomba sérieusement malade. Mais au milieu de ses plus vives douleurs, il ne laissa jamais paraître le moindre signe d’impatience.

Un jour qu’il souffrait cruellement: «Si c’est la volonté du Seigneur, s’écria-t-il, de me prendre maintenant à lui, qu’il soit fait comme il le veut, et que son nom en soit glorifié!»

Bien que ses forces fussent complètement épuisées, il voulut que les élèves de ses écoles et ceux qui assistaient à son culte du soir, se réunissent comme d’usage dans sa chambre; après le chant d’un cantique, il leur expliquait dans les termes les plus touchants une portion des Écritures, et terminait le service par une fervente prière. C’était sa coutume, lorsque ce culte domestique était achevé, de se faire lire encore deux ou trois chapitres de la Bible et d’entendre chanter quelques versets par de pauvres enfants qu’il avait recueillis.

Comme les idolâtres venaient le visiter en foule pendant sa maladie, il les exhortait à quitter leurs faux dieux et à se consacrer au Sauveur. Quelqu’un lui ayant raconté un fait extraordinaire qui s’était passé dans la ville:

«Je sais quelque chose de plus extraordinaire encore, lui répondit-il, c’est que vous, qui avez entendu depuis si longtemps la Bonne Nouvelle du salut, et qui sentez que cette Nouvelle est vraie, vous refusez encore de la proclamer publiquement et d’obéir à la loi de Dieu; je vous ai souvent averti et supplié de vous donner au Seigneur, mais vous n’y avez pas pris garde; vous craignez la créature plus que le Créateur.

Le raja de Tanjore étant aussi venu le visiter, il lui dit:

«S'il plaît à Dieu de me retirer du monde, la seule prière que je vous adresse, c’est de traiter avec douceur les chrétiens qui sont dans votre empire. S’ils se conduisent mal, ils sont dignes de punition; mais s’ils se conduisent bien, soyez leur père et leur protecteur..... Et combien ne désirerais-je pas que vous-même vous abandonnassiez le culte des idoles pour servir le seul vrai Dieu! Qu’il vous donne, dans ses compassions infinies, le désir et la force de vous convertir au Rédempteur!»

Il lui demanda ensuite s’il lisait la bible, et le congédia en l’avertissant solennellement de penser au salut éternel de son âme.

Il désira le 3 décembre 1797, de prendre la sainte Cène avec les deux missionnaires qui travaillaient dans le même champ que lui.

«Avant de recevoir les symboles de la communion, écrivit l’un des témoins oculaires, il répandit toute son âme en longues et ferventes supplications. Ce fut pour nous la meilleure de toutes les leçons d’humilité, lorsque nous l'entendîmes, lui, cet éminent serviteur de Christ, lui qui avait servi avec fidélité, depuis un demi-siècle, son divin Maître, renoncer à tout mérite propre, et s’abaisser devant le trône des miséricordes comme l’un des plus grands pécheurs, comme un criminel justement condamné, et qui fondait toute son espérance du salut sur les compassions de sou Dieu et sur le sacrifice expiatoire de s6u Rédempteur.»

La veille de sa mort, il dit au médecin qui essayait de soulager ses souffrances:

«Mon cher docteur, dans le ciel nous ne souffrirons plus.»

«Il est vrai, répondit le médecin, mais nous devons prendre soin de vous conserver ici-bas aussi longtemps que nous le pourrons.»

Schwartz garda un moment le silence, puis il s’écria avec émotion:

«O cher docteur, il y a une chose dont nous devons prendre bien plus de soin, c’est de nous préparer à obtenir une place là haut, près de notre Père qui est dans les cieux.»

Le 13 février 1798, jour de sa mort, ses amis priaient et chantaient des cantiques autour de sa couche de douleur, lorsqu’il éleva tout à coup la voix:

«O mon Dieu! tu m’as soutenu jusqu’ici, tu m’as amené jusqu’ici, et j’ai été comblé de tes innombrables bénédictions; qu’il soit fait maintenant comme tu le désires! Je remets mon esprit entre tes mains; daigne le purifier et le revêtir de la justice de mon Rédempteur, et reçois-moi dans tes bras paternels!»

Il demanda ensuite qu’on le plaçât dans un fauteuil; mais tandis qu’on le levait, il baissa la tête sans faire entendre le moindre gémissement, ferma les yeux, et mourut âgé de 72 ans. Son visage portait l’empreinte auguste de la paix chrétienne.

Le raja de Tanjore vint saluer encore une fois son ami; il baigna de larmes sa dépouille mortelle, et la couvrit d’un magnifique vêtement. «Nous nous proposions, écrit l’un des missionnaires, de chanter un hymne funèbre, en transportant son corps jusqu’à la chapelle, mais les pleurs, les sanglots, les cris douloureux d’une multitude innombrable de pauvres étouffèrent notre voix.»

Quelle sublime oraison funèbre! et qui ne la préférerait à celle qui se prononce avec pompe autour du cercueil des grands de la terre? Deux ans après, le raja de Tanjore fit élever à celui qu’il appelait son père Schwartz, un monument de marbre, au pied de la chaire où il prêchait Christ crucifié; et ce qui était plus honorable encore pour la mémoire de son ami, il institua, dans un village voisin de la capitale, un établissement en faveur de cinquante enfants chrétiens.

Oui, le juste laisse après lui des souvenirs qui sont des bénédictions pour le peuple de Dieu, et quoique mort, il parle encore par l’exemple qu’il a donné!

Aussi longtemps que la religion chrétienne subsistera dans les contrées orientales de l’Asie, le nom de Schwartz y vivra, environné de la reconnaissance des peuples; et les dernières générations s’inclineront avec respect, en écoutant le récit des vertus du moderne apôtre des Indiens.


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Archives du christianisme 1834 07 12



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