Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉTUDES CHRÉTIENNES.

LA FOI ET LA PRATIQUE DANS LA CARRIÈRE PASTORALE

1834


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Quand je compare ce que je crois avec ce que je fais, je deviens pour moi-même l’objet du plus douloureux étonnement.

Je crois que les milliers d’êtres qui m’entourent doivent bientôt entrer dans un état de bonheur ou de malheur éternel.

Je crois que les âmes des fidèles serviteurs de Christ seront portées, sur les ailes des anges, dans la maison de notre Père céleste, et qu’elles y jouiront d’une gloire infiniment excellente.

Je crois que les âmes de ceux qui n’ont point de repentance ni de loi seront jetées pour toujours dans cet effroyable abîme, «où il y a des pleurs et des grincements de dents.»

Je crois que le sort de chaque créature humaine dans la vie à venir est irrévocablement déterminé par les courts instants de la vie présente.

Je crois, enfin, que Dieu m’a chargé, moi, pauvre vermisseau, d’avertir le pécheur sur les grands intérêts de l’éternité, et d’employer tous les moyens possibles pour l’arracher à la perdition.

Oui, je crois à toutes ces choses aussi fermement qu’à ma propre existence. Et cependant mon cœur est presque toujours de glace, en présence de tant de malheureux qui tombent, chaque jour, dans l’abîme d’où l’on ne remonte plus! Il reste froid, stérile, inerte, comme la neige qui couvre les pôles de la terre!


Quoi donc? Mes yeux ne se fondent pas en larmes, à l’aspect de mes compagnons de voyage qui s’entassent dans la sombre vallée de la mort, sans le moindre signe de préparation!

Mon âme n’en est pas brisée! Je suis tranquille, inattentif, me livrant peut-être à de vaines conversations, à des amusements frivoles; et les heures de ma vie, ces heures si précieuses, ces heures dont la perte est si irréparable, s’en vont l’une après l’autre, dissipées dans la paresse ou même dans les rires d’une joie insensée, comme si je ne savais que faire du temps que me laisse le Seigneur!

Où donc est cette tendre compassion pour les âmes qui fit répandre des pleurs à Jésus-Christ, lorsqu’il fut proche de Jérusalem?

Où donc est-il ce zèle qui animait Saint Paul, lorsqu’il allait, jour et nuit, de maison en maison, exhortant, instruisant, prêchant avec larmes «la repentance envers Dieu, et la foi en Jésus-Christ notre Seigneur?»


TOUT CE QUE CROYAIT L’APÔTRE DES GENTILS, JE LE CROIS;

MAIS CE QU’IL FAISAIT, JE NE LE FAIS POINT.


Et que résulte-t-il, pour les pécheurs eux-mêmes, de cette déplorable contradiction entre mes croyances et mes actes?

Non seulement ils ne sont pas avertis, comme ils devraient l’être, mais ils trouvent encore, dans ma propre conduite, un motif pour continuer à dormir de leur sommeil de mort. Ils raisonnent de cette manière:

Assurément je ne suis pas dans un aussi grand danger que le disent les pasteurs; mon état d’incrédulité n’est point si effroyable; car autrement ils apporteraient plus d’efforts, ils montreraient plus de zèle et plus de persévérance pour m’en faire sortir! Si ce qu’ils nous prêchent du haut de la chaire était rigoureusement vrai, ils seraient les plus coupables des hommes d’agir envers moi avec tant d’indifférence et de nonchalance! Voilà ce que pense le monde, et il se rendort dans son affligeante sécurité; voilà ce que pensent peut-être, ce que doivent penser surtout les membres mêmes de ma propre famille, et c’est ce qui explique pourquoi il y a trop souvent des incrédules dans la maison des pasteurs dont la piété se proclame au loin dans l’Église! Oh! puissé-je m’enseigner moi-même, moi qui enseigne les autres!

Il faut prendre garde de se laisser tromper par les dehors de la vie pastorale. Les prédicateurs sont enclins à confondre la véritable compassion pour les âmes avec une sorte de chaleur sentimentale qui se reproduit à des époques périodiques. C’est là tomber dans une grave erreur. On peut, en traçant une peinture idéale des tourments de l’enfer, produire une profonde impression sur soi-même et sur ses auditeurs, sans être autrement ému que par le pathétique du discours; ces larmes factices ne sont pas encore séchées que déjà l’émotion religieuse a disparu.

L’éloquent orateur a pleuré, il a fait pleurer, et tout est dit. Ceux qui l’ont entendu vantent beaucoup, à l’issue du service religieux, le talent du prédicateur, et le prédicateur s’applaudit intérieurement d’avoir prêché avec une force et une chaleur remarquables; mais s’ils rencontrent, lui ou ses ouailles, au sortir du temple, un pauvre pécheur qui s’égare dans le chemin de l’impiété, la voix leur manque pour l’avertir.

On comparerait volontiers cette manière d’être et d’agir à celle d’un romancier qui pleure sur les tableaux déchirants de l’indigence, qui arrache des larmes à ses lecteurs, mais qui laisse un malheureux périr de faim à sa porte.

La vraie compassion pour les âmes est un principe continuel d’action; elle ne se montre pas seulement dans la chaire sacrée ou dans des occasions extraordinaires; elle se manifeste partout, hors du sanctuaire comme dans le sanctuaire, dans un salon comme sur le bord d’une fosse, devant sa femme et ses enfants comme en présence d’un vaste auditoire, «en temps et hors de temps.»

Qu’il me soit permis, à cette occasion, de présenter quelques remarques à mes frères en Christ. Je viens leur parler, non avec aigreur, mais avec douleur.

Combien de fois arrive-t-il qu’un ministre du Saint-Évangile, au lieu de se demander quel est le poste où il pourra servir le plus utilement son divin Maître, ne s’informe que des avantages temporels, des objets d’agrément ou de goût littéraire, des sociétés et des distractions dont il jouira dans telle église plutôt que dans telle autre!

Qu’est-ce que cela, sinon sacrifier à ses propres intérêts les intérêts infiniment plus grands du règne de Jésus-Christ? 


Quiconque subordonne la cause de l’Évangile à la sienne

n’a pas le droit d’espérer

que son travail sera accompagné de bénédictions spirituelles!


Il y a aussi différentes manières de remplir ses fonctions pastorales. Sans doute, le devoir d’un ministre chrétien n’est pas d’abréger ses jours par un travail excessif. Les heures de relâche et de repos lui sont nécessaires comme aux autres hommes. Mais il doit veiller avec la plus scrupuleuse fidélité sur l’emploi de son temps, pour ne pas frustrer son Maître de ce qui lui est dû. Il peut avoir la tentation de perdre une heure aux dépens de la cause de Christ dans un entretien frivole, dans la lecture d’un livre agréable, ou dans quelque autre dissipation du même genre.

Il peut ne prendre aucune part aux travaux des Sociétés de religion et de bienfaisance, bien qu’il ait le temps et les forces nécessaires pour y être utile, par cela seul qu’elles exigent des soins et des sacrifices, ou qu’elles soulèvent l’injurieuse opposition du monde.

Ambassadeurs de Christ, prenez garde, en suivant cette voie de paresse et d’indulgence pour vous-mêmes, que vos vêtements ne soient souillés du sang des pécheurs!

Quelques-uns de nos troupeaux sont habitués à entendre, annoncer du haut de la chaire les grandes doctrines du salut, l’entière corruption du cœur, la nécessité de la repentance, de la foi et de la régénération par le Saint-Esprit, la vanité de la vie, le devoir de se préparer à la mort, et autres sujets semblables; mais en dehors de ces généralités, dont je ne conteste point l’extrême importance, il existe, dans chaque troupeau, certains vices particuliers qu’on ne peut combattre avec énergie sans produire l’une de ces deux choses, ou «la tristesse qui est selon Dieu», ou la haine.

Eh bien! portons-nous courageusement la main sur ces idoles favorites, pour les arracher du coeur des membres de nos Églises?

Ce n’est pas tout: la fidélité d’un pasteur ne se connaît véritablement que hors du temple. Enseigner dans la chaire chrétienne tout ce qu’on y doit enseigner, c’est un point; c’en est un autre d’avertir le pécheur dans sa maison, surtout lorsqu’il s’agit de gens riches, élevés, puissants, de nos protecteurs, de nos amis.

Oh! comme il est essentiel d’avoir une sainte et inépuisable compassion pour les âmes, si nous voulons frapper à la porte de la conscience des pécheurs de telle manière que nous puissions nous le rappeler avec joie sur notre lit de mort!

L’égoïsme, l’amour du repos, la voix de parents timides nous crient en pareil cas: «Épargne-toi toi-même!»

L’avarice, l’ambition, le goût des plaisirs du siècle nous disent «Épargne l’homme riche, l’homme puissant!»

Mais Dieu dit: N’épargnes personne, ni toi, ni le pécheur!

Or, nous devons obéir à Dieu, non aux hommes; chercher à plaire à Dieu, non à nous-mêmes. Nous devons annoncer au pécheur «tout le conseil de Dieu,» avec charité, sagesse et mesure, on en convient, mais sans détour, sans lâche accommodation.

Si vous êtes tentés, chers frères (comme je l’ai été maintes fois) de reculer devant une tâche si pénible, songez bien que ce pécheur vous accusera, au dernier jour, avec des cris de douleur et de désespoir, d’avoir perdu son âme par votre coupable faiblesse.

«Quoi! parce que j’occupais un rang élevé sur la terre, et que j’avais une grande fortune; parce que mon sourire vous était agréable et que vous redoutiez ma colère, vous m’avez laissé tomber, sans avertissement, sous une sentence irrévocable de condamnation! Allez! je suis coupable, mais vous l’êtes plus que moi!»

À ces terribles reproches d’une âme éternellement maudite, que répondre?

Ministres de Jésus-Christ, n’oublions jamais qu’il n’y a pas de cruauté plus atroce que de flatter le péché, ni de compassion plus véritablement fraternelle que de le reprendre avec amour et fidélité.

Archives du christianisme 1834 04 12

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