Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE

PAROLES DE DUPLESSY MORNAY,

Dans les deux derniers jours de sa vie.


***


Philippe de Mornay, seigneur du Plessis-Marly, est l’une des illustrations les plus hautes et les plus pures dont se puissent honorer les églises réformées de France.

Il défendit avec autant de désintéressement que d’érudition, avec autant de persévérance que d’énergie, la cause du protestantisme contre les attaques de l’Église romaine.

Quand le catholicisme eut recours à la plume et aux écrits de controverse, Mornay sut manier l’arme de la polémique aussi bien que celle du guerrier;

quand il voulut se servir du pouvoir de la parole, Mornay parut aux conférences de Fontainebleau, et soutint les croyances de la réforme contre les sophismes de l’évêque du Perron.

En un mot, quel que fût le genre de lutte que Rome avait choisi, clic trouva toujours devant elle Philippe de Mornay pour la combattre.

Fier ennemi de Rome, dit l'auteur de la Henriade, et de Rome estimé, on l’appelait le pape des Huguenots, et les catholiques eux-mêmes avouent qu’il fut l’un des plus hommes de bien et des plus grands que le calvinisme ait produits.

C’est en vain que la politique du Vatican essaya, pour le gagner, d’une espèce de séduction contre laquelle échoua la vertu d’Henri IV; Mornay repoussa toutes ses offres de richesses et de dignités, et répondit que sa conscience n’était point à vendre.

Fidèle serviteur et ami dévoué de son roi, il refusa d’être son courtisan et son flatteur.

Il eut le courage de dire la vérité à Henri IV, et ce prince ne l’en estima que davantage; il la dit aussi à Louis XIII; mais ce monarque, si faible devant Richelieu qu’il redoutait, se montrait fort jusqu’à la tyrannie contre ceux qu’il ne craignait pas; le ressentiment contre la vérité est la passion des petites âmes, et Louis XIII dépouilla la vieillesse de Mornay du gouvernement de Saumur.

Une si belle vie devait être couronnée par la mort des justes, et il mourut, en effet, comme il avait vécu.

Le Conservateur chrétien a publié, en 1824, le récit des dernières heures de Duplessis Mornay. Nous nous proposons de recueillir seulement ses dernières paroles, et nous rapporterons, autant que possible, les expressions mêmes dont il s’est servi.

Le vieux langage du seizième siècle semble être mieux en rapport avec les profondes convictions de Mornay que notre langue si froidement correcte, et si légère dans sa molle fluidité.

Philippe de Mornay, âgé de 74 ans, signa, le 5 novembre 1623, son codicille, ce qu’ayant fait: «Me voilà, dit-il, déchargé d’un grand souci, et désormais ne me reste plus qu’à mourir.» Deux jours après il n’existait plus.

Le pasteur chargé de lui apprendre que sa fin était proche, l’ayant fait brusquement et sans les circonlocutions habituelles, à cause du trouble qu’il éprouvait:

«Oui, dit-il avec un visage plein d’assurance, est-il vrai? J’en suis très content. Et premièrement, je pardonne de bon cœur à tous ceux qui m’ont fait ou procuré du mal, et prie Dieu qu’il les pardonne et les amende.»

Puis il commença sa confession de foi; mais ne pouvant l'achever, il se leva de dessus une chaise où il était assis: «J'ai un grand compte à rendre, s’écria-t-il, ayant beaucoup reçu et peu profité.» Et comme on lui représentait qu’il avait, par la grâce de Dieu, fidèlement et heureusement employé son talent, ayant servi l’église avec fruit et avancé le règne de Christ:

«Eh! qu’y a-t-il eu du mien? dit-il; ne dites pas moi, mais Dieu par moi. Ce qu’il répéta trois ou quatre fois, y ajoutant le passage de Saint-Paul: J'ai travaillé, non point moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi.

Ensuite, il s'approcha de son lit, et s’y mettant: «Il n’y a rien plus juste et plus raisonnable, dit-il, que la créature obéisse à son créateur.»

Puis, élevant les mains sur sa tête il s'écria par trois fois: «Miséricorde!» ajoutant qu’il «le faisait pour montrer que c’était la seule miséricorde de Dieu où il avait tout son recours, et où nous devions avoir le nôtre; qu’il avait autrefois désiré de vivre en espérance de voir la délivrance de l'église, mais que, n’y ayant aucune repentance au monde, il n’y trouvait plus rien qui l'y retînt.»

Et de là, composant son visage et son maintien, il donna, d'une voix ferme et grave, sa bénédiction à tous les membres de sa famille, leur recommandant la paix, «laquelle, dit-il, je vous laisse, priant Dieu de ratifier cette bénédiction par la sienne très sainte.»

Il bénit aussi le pasteur qui l’assistait. Il se souvint du pasteur de Saumur, priant Dieu qu’il le bénit, et des églises les plus proches de son habitation, remarquant «qu’il y avait dans l’église de Saint-Jouin des gens de bien et affectionnés à la parole.de Dieu.»

Enfin, il pria Dieu pour toute l’église, en général,«qu’il la délivrât et relevât d’oppression, et la remit en bon état.»

Cela fini, il protesta «qu’il avait eu, durant sa vie, la gloire de Dieu pour but, et que ceux qui l’avaient connu savaient assez que s’il eût voulu s’en proposer d’autre, il lui eût été aisé de parvenir à de grands biens et honneurs.»

Là-dessus, le pasteur l’y invitant, il déclara;

«qu’il persistait constamment dans la foi en laquelle il avait vécu, et qu’il avait même par la grâce de Dieu, défendue, par exemple, paroles et écrits; que quand il aurait à recommencer sa vie, il voudrait reprendre le même chemin, la même route par laquelle il avait passé, à savoir de persévérer en l’Évangile malgré les défaveurs qu’il avait souffertes pour la profession de sa foi; que cette sienne foi était toute appuyée sur la bonté et miséricorde de Dieu en Jésus-Christ, qui lui avait, et à tous ceux qui croient en lui, été fait de par le Père, sapience, justice, sanctification et rédemption.»

«Et vos œuvres, Monsieur, lui dit le pasteur, ne leur attribuez-vous aucun mérite?»

«Arrière, répondit-il, arrière tout mérite, et de moi, et de quelconque autre homme que ce soit! je ne réclame que miséricorde, miséricorde gratuite.»

Sur quoi le pasteur lui annonçant, pour l’acquit de sa charge, la rémission de ses péchés et l’héritage de la vie éternelle: «Je vous en remercie, dit-il, et le prends pour gage de la bonté de Dieu envers moi»

Comme on priait Dieu de le fortifier: «Priez Dieu, dit-il, qu’il dispose de moi; — je ne suis pas ennemi de la vie, mais j’en vois une beaucoup meilleure que celle-ci.»

Et l’une de ses filles lui disant qu'elle espérait que Dieu le rendrait aux prières de ses enfants: «Ma fille, lui dit-il, il fera ce qu’il lui plaira; j’attends sa volonté.»

Mornay se retirait de la vie, selon l’expression de son historien; il n’en fuyait pas.

Cinq heures avant sa mort, comme déjà le mouvement et le sentiment commençaient à lui manquer, on remarqua qu’il tâchait d’une main de dégager l’autre de dessous la couverture pour les tenir jointes et levées pendant qu’on prierait. Et le pasteur lui parlant ensuite de l’immortalité bienheureuse, il cita lui-même, à ce propos, les mots de Saint-Jean en sa première épître, au troisième chapitre:

Bien aimés, nous sommes maintenant enfants de Dieu; mais ce que nous serons n'est point encore apparu. Or, nous savons qu'après qu'il sera apparu, nous serons semblables à lui.

Comme on l’entretenait du péché, il dit que «sa puissance était la loi, abolie par Christ pour ceux qui croient en lui.»

Quant à la mort, «que c’était un trait bien redoutable, à la vérité, à ceux qui sont hors de Christ, niais non à ceux qui meurent au Seigneur, en la croix duquel elle a été désarmée

Puis il ajouta: «Tes dons, ô Dieu, et ta vocation sont sans repentance.» Qui est-ce qui intentera accusation contre les élus de Dieu? Dieu est celui qui justifie.

Vers le soir, sur le discours de la vanité du monde: «Qu’est-ce, dit-il, que le monde?» Et ayant été dit que le monde n’est qu’une figure: — «Qui passe,» ajouta-t-il avec Saint-Paul.

Et peu après, il allégua en grec le mot de Pindare, que l’homme est le songe d’une ombre. Puis, laissant ce propos, il insista fortement sur la confession de ses péchés, disant «qu’il était un très misérable pécheur, voire l’un des plus grands pécheurs qui fût; qu’en soi il avait les semences de tous maux et les y reconnaissait; MAIS QU’EN JÉSUS-CHRIST IL OBTENAIT MISÉRICORDE.»

Et là-dessus il demanda avec grand désir qu’on lui parlât de la passion et de la mort du Sauveur. Ce qu’ayant été fait, il ajouta: «Amen par Jésus-Christ notre Seigneur, en qui toutes les promesses de Dieu sont oui et amen.»

Voyant ses chers enfants s’approcher de son lit, il commença une prière par ces mots: «Seigneur, ouvre mes lèvres, et j’annoncerai ta louange! Seigneur, donne-moi de connaître mes péchés, de les pleurer, de les détester, de les avoir en exécration!»

Et son pasteur lui ayant demandé s’il n’était pas assuré d’être fait participant de cette gloire d’un poids éternel dont parle l’apôtre, il répondit «qu’il en était entièrement persuadé par la démonstration du Saint-Esprit, plus puissante, plus claire et plus certaine que toutes les démonstrations d’Euclide.»

Et, proférant ces mots, il ajouta «qu’il avait vu le salut de Dieu, les choses magnifiques de Dieu, partant qu’il disait avec Siméon: Tu laisses maintenant aller ton serviteur en paix.»

Après-midi, on l’entendit priant à part, et disant en mots entrecoupés:

«Je vole, je vole au ciel!.. Les anges m’emportent au sein de mon Sauveur... Seigneur, tu as été d’âge en âge notre retraite... Devant que les montagnes fussent nées, tu es le Dieu fort... Je sais que mon Rédempteur est vivant, je le verrai de mes yeux... Nous pouvons tout en Christ qui nous fortifie.»

Or, il allait toujours en s’affaiblissant, de sorte que vers le soir il ne pouvait plus prononcer que des mots brefs, et à de longs intervalles. Comme on lui demandait s’il ne sentait pas dans son âme la force du Saint-Esprit, lui scellant les promesses de Dieu, et la remplissant d’une vive consolation, il répondit avec une façon toute contente, et qui même montrait je ne sais quoi de joyeux: «Oui, certes.» Et une autre fois: «Je suis assuré.» Et quelque temps après, avec beaucoup d’effort: «L’amour de Dieu est en mon cœur. Toutes les fois que le pasteur lui demanda comment il se trouvait, il répondit toujours: «Très bien

La parole lui manqua vers minuit, l’ouïe deux heures après, le souffle entre les six et sept heures du matin, qui fut le moment auquel il rendit son esprit à Dieu, son Créateur.

Il avait eu quelques rêveries avant qu’on l'eût averti que sa fin approchait; mais dans les quarante-huit heures qui précédèrent sa mort, dès qu’il sut qu’il allait quitter ce monde, il n’eut pas un seul instant de délire. Les médecins en furent étonnés; mais on ne s’en étonne point, quand on réfléchit à la puissance d’une âme fidèle sur ce corps de poussière!

Dieu nous donne de profiter du récit de cette fin chrétienne, pour sa gloire et pour notre salut!

Amen.

Archives du christianisme 1834 09 27



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