Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉTUDES CHRÉTIENNES

Discours prononcé par M. le pasteur G. de Félice,

dans l’Assemblée générale de la Société Biblique Française et Etrangère, le 18 avril 1834


***


Appelé à vous offrir quelques réflexions sur l’esprit et le but des travaux de la Société Biblique Française et Etrangère, j’aurais voulu, j’aurais du écrire mon discours. Je ne me suis pas dissimulé que le sujet dont je viens vous entretenir renferme des questions délicates et difficiles; je connais, d’ailleurs, mieux que personne, tout ce qui me manque pour improviser avec quelque facilité sur de si graves matières. Mais d’autres occupations ne m’ont pas laissé le temps de composer un discours, et s’il faut dire toute ma pensée, j’ai obéi à cette nécessité sans en éprouver trop de regret; car j’aime à me croire ici en famille, au milieu de mes frères, de mes sœurs, de mes amis, et l’on pourrait, il me semble, nous appliquer ce vers d’un poète, en lui donnant une nouvelle signification:

L'art n’est pas fait pour nous; nous n'en avons pas besoin!

Deux clauses du règlement de la Société Biblique Française et étrangère demandent à être expliquées:

la suppression des livres apocryphes;

la distribution universelle des Saintes-Écritures.


Les livres apocryphes.


Loin de nous toute pensée de polémique, ou même de simple contestation! Nous devons respecter la conscience d’autrui, comme nous voulons que l’on respecte la nôtre, et l’interprète d’une Société Biblique serait inexcusable, s’il oubliait ce grand précepte qu’il trouve dans la Bible: Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés.

Un seul mot, un mot avoué de tous dans la communion dont nous sommes membres, me paraît suffisant pour résoudre la question des livres apocryphes: Ce n’est pas la Parole de Dieu!

Ces livres ont été rattachés de tout temps au canon des Saintes-Écritures; les fidèles sont habitués à les y voir!

Il est vrai; mais ce n’est pas la Parole de Dieu.

Lorsqu’il existe dans l’Église chrétienne un usage nuisible aux progrès de la foi, il faut le combattre, non l’autoriser, non lui fournir chaque jour le moyen de se reproduire.

Les livres apocryphes renferment des documents historiques d’une grande valeur; ils comblent, pour ainsi dire, l’intervalle qui sépare les deux Testaments!

Soit; mais ce n’est pas la Parole de Dieu. L’histoire, telle que les hommes savent l’écrire, est toujours fausse et mensongère en quelques points.

Les livres apocryphes contiennent d’excellentes maximes de morale, et des règles de conduite empreintes d’une haute sagesse!

Nous nous garderons bien de le nier; mais ce n’est pas la Parole de Dieu.

Si la morale de certains chapitres des apocryphes est bonne, la morale de quelques autres chapitres est mauvaise, et si la vérité y trouve des appuis, l’erreur ou les passions y peuvent puiser en même temps des prétextes pour soutenir leurs mensonges et des excuses pour mal faire.

Ainsi, à toutes les qualités plus ou moins réelles que l’on attribue aux livres apocryphes, nous pouvons toujours répondre, et d’une manière victorieuse, par la même objection: Ce n’est pas la Parole de Dieu!

Il y a plus, et je puis attester, comme témoin oculaire, le fait suivant: c’est que beaucoup de personnes, dans nos églises de campagne, s’attachent de préférence à la lecture des livres apocryphes.

Et d’où vient cette prédilection, qui vous étonnera peut-être, pour des écrits que le Seigneur n’a pas inspirés?

La réponse est facile.

Les lecteurs dont je parle cherchent dans les Apocryphes... (permettez-moi d’employer cette expression vulgaire), ils cherchent des histoires, des faits curieux, des récits, des anecdotes sur Tobie, Judith, Suzanne, et autres.

Ils n’ouvrent qu’avec une sorte de crainte la Parole de Dieu, parce qu’elle condamne leurs mauvaises œuvres, et leur dénonce les jugements du Seigneur, s’ils ne se repentent et ne se convertissent; mais ils reviennent volontiers sur des narrations qui amusent leurs loisirs.

De là résulte une conséquence importante que je soumets à vos plus sérieuses méditations; ces lecteurs des Apocryphes réussissent à tromper leur propre conscience par un déplorable accommodement.

D’un coté, ils reconnaissent le devoir de lire la Bible;

d’un autre côté, ils éprouvent pour les vérités de la Bible toutes les répugnances de l’homme naturel.

Eh bien! dans cette alternative, que font-ils?

Une chose fort simple: ils lisent les livres apocryphes, sans se rendre bien compte de la différence d’origine qui existe entre ces livres et les livres canoniques; ils obtiennent ainsi le double effet de tranquilliser leur conscience par une prétendue lecture de la Bible, et de se garantir des blessures que ferait à leur mauvais cœur cette Parole qui est comme une épée à deux tranchants. Rien n’est plus commode, en vérité, que cette ruse qui anéantit un devoir, en paraissant le remplir; mais je vous le demande solennellement à tous, nous est-il permis de favoriser cette honteuse transaction entre les répugnances du vieil homme et la loi de Dieu?

Non, sans doute, et, dès lors, comment n’aurions-nous pas pris la ferme résolution de retrancher les livres apocryphes?


Aux considérations qui précèdent ajoutons un fait matériel, dont chacun pourra vérifier l’exactitude.

Les livres apocryphes occupent au moins autant d’espace que la moitié du Nouveau-Testament; chaque exemplaire des Apocryphes exige donc la moitié des frais d’impression, de papier, de tirage que demande un exemplaire du livre de la Nouvelle Alliance; d’où il suit qu’une édition de 10,000 exemplaires de la Bible, avec les Apocryphes, fait perdre 5,000 exemplaires du Nouveau-Testament à l’institution biblique!

Et si l’on songe que nous nous adressons à l’indigent comme au riche pour obtenir des dons en faveur de notre œuvre, de quel nom faut-il appeler la publication des livres apocryphes?

Quoi! je vais demander à une pauvre veuve une obole pour la Parole de Dieu; elle la prend sur son nécessaire, elle donne tout ce qu'elle a, parce qu’elle sait que l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.

Et puis, je m’en irais consacrer une partie de son obole à la publication d'écrits purement humains! Cette veuve n’aurait-elle pas le droit de me dire: Vous m’avez trompée; je vous ai remis de ma disette pour publier la Parole de Dieu, et vous avez employé ce don du pauvre à publier la parole des hommes!

Les réflexions que vous venez d’entendre sont loin d’épuiser le sujet; mais elles suffisent pour expliquer l’article de notre règlement. Nous voulons distribuer la Parole de Dieu, et rien que la Parole de Dieu; nous voulons faire connaître la vérité, et rien que la vérité.

Avant de passer à la deuxième question, j’éprouve encore le besoin de rendre un sincère hommage aux intentions des hommes pieux et honorables qui agissent autrement que nous. Ils n’ont fait que suivre l’exemple de nos bienheureux réformateurs et des vénérables pasteurs de toutes les églises réformées de l’Europe, pendant plus de deux siècles; ils ont trouvé dans nos familles la Bible avec les Apocryphes, cette Bible religieusement transmise de génération en génération, et qui avait traversé tant de fortunes diverses dans le pèlerinage du désert; ils ont craint de toucher à ce monument sacré; ils ont voulu le respecter, même dans ce qu’il a de défectueux. Nous comprenons les motifs de leur conduite; mais les raisons auxquelles nous croyons devoir obéir nous paraissent plus fortes que les leurs, et mieux appuyées sur les infaillibles déclarations des Saintes-Écritures.

Sera-t-il plus difficile de justifier le deuxième article de notre règlement, qui concerne la distribution universelle de la Bible? Je ne le pense pas.


La distribution universelle des Saintes-Écritures.


En principe, nous sommes tous d'accord. Quel est le serviteur de Christ, le disciple de la réforme qui n’avoue pas que la Bible appartient, non à une église, mais à toutes les églises; non à une classe d’hommes, mais à tous les hommes; non à une contrée, mais à toutes les contrées du globe? Allez, disait Jésus-Christ à ses Apôtres, instruisez toutes les nations, et cette voix de notre divin Maître, elle a traversé dix-huit siècles sans pouvoir être étouffée par le bruit de nos passions égoïstes; elle retentit encore au milieu de nous; elle nous crie: Donnez les Saintes-Écritures à tous! donnez-les à toutes les nations!

Mais si nous sommes d’accord sur ce principe, nous cessons de l’être sur les moyens de le réaliser, il est téméraire, dit-on, d’entreprendre une œuvre au-dessus de ses forces, et de promettre plus qu’on ne peut tenir.

Au-dessus de nos forces! nous ne le contestons pas: toute œuvre quelconque, même la plus petite, est au-dessus de nos forces.

Les forces de l’homme, de tous les hommes ensemble, ne sont rien, et nous n’appuyons point sur ce fragile fondement la moindre de nos espérances. Mais nous sommes forts, quand nous marchons avec Dieu; ce que nous ne pouvons pas faire, il l’accomplit pour nous et par nous; son bras est puissant pour briser toutes les barrières qui s’opposent à l’avancement de son règne.

Nous n’avons besoin de savoir qu’une seule chose: que veut-il de nous?

Ce qu’il veut, il le fera. Eh bien! il veut que l’Évangile éternel soit annoncé à ceux qui habitent sur la terre, à toute nation, à toute tribu, à toute langue et à tout peuple. Enfants de Dieu, rachetés de Christ, que nous faut-il de plus?

Mais oserez-vous promettre au-delà de ce qu’il vous est possible de tenir?

Ah! si j’éprouve une crainte, ce n’est point celle qu’on nous oppose; la mienne est complètement différente. Je ne crains guère que les demandes viennent à surpasser nos ressources; mais je crains beaucoup que les besoins ne se fassent pas sentir d’une manière aussi étendue et aussi rapide que nous le voudrions.

Je crains d’avoir longtemps encore trop de bibles à placer, non d’en avoir trop peu.

Plut à Dieu que la France tout entière se levât comme un seul homme, pour nous demander la Parole Sainte!

Plut à Dieu que la voix de ces trente-trois millions de créatures immortelles ne formât qu’une seule voix, pour nous dire: donnez-nous, donnez-nous la Bible!


Que feriez-vous, cependant, si vos vœux étaient réalisés?

Ce que nous ferions! nous irions, après avoir prié le Dieu de l’Évangile, le Père de Jésus-Christ et notre Père, nous irions frapper à la porte de tous les chrétiens, nous viendrions vers vous, enfants de Dieu, et vous nous verriez tendre la main sur le seuil de vos maisons, en criant: faites-nous l’aumône au nom du Seigneur! pour l’amour de ces millions d’âmes qui ont faim et soif de la Parole de vie, faites-nous l’aumône! et cette aumône, qui de vous la refuserait? Qui de vous ne sacrifierait pas avec empressement, avec joie, une partie de ce qu’il possède pour accomplir une œuvre qui nous serait imposée par une manifestation si éclatante de la volonté de Dieu?

Sans avoir besoin de vous interroger, sans vous connaître, je me porte garant de votre charité, vous tous qui êtes à Christ! vous donneriez, s’il le fallait, tout ce que vous avez: j’en atteste votre foi, l’Esprit qui est en vous; l’en atteste plus que votre vie; j’en atteste l’héritage qui vous est promis dans l’éternité!

Supposerait-on, d’ailleurs, que nous resterions seuls en face de cette œuvre colossale?

Non, non; tous les peuples chrétiens joindraient leurs efforts aux nôtres, pour combler par des millions d'exemplaires des Saintes-Écritures l’abîme de l’incrédulité. Ils se réjouiraient de voir enfin revivre de la vie religieuse un pays qui trop longtemps à répandu sur le monde une contagion de mort, et reconnaîtraient le doigt du Seigneur dans cette dispensation de miséricorde, qui ferait croître le bon grain à côté de l’ivraie, le baume à côté du poison!

Deux peuples surtout se hâteraient de nous offrir, comme ils l'ont déjà fait avec tant de zèle, une généreuse coopération dans nos travaux.

Chacun de vous à nommé la Grande-Bretagne, qui mesure à sa prodigieuse fortune l’abondance de ses charités chrétiennes, et l'Amérique du Nord, qui n’a pas oublié que nous l’avons aidée à conquérir sa liberté politique, et qui serait heureuse de nous faire jouir d’une autre liberté, d’une liberté bien plus haute et plus désirable, de la liberté des enfants de Dieu.

Qu’elle se taise donc, cette crainte que rien ne justifie, la crainte de promettre plus que nous ne saurions tenir! À défaut de notre confiance en Dieu et des garanties que nous offrent les disciples de Christ, j’en appellerais aux grandes leçons de l’expérience.

Les fondateurs de la Société Biblique de Londres, il y a trente ans, combien étaient-ils?

Cinq ou six hommes presque entièrement inconnus de leur siècle, mais connus du Seigneur dont ils avaient embrassé la cause. Ils ont marché par la foi, non par la vue; ils ne se sont pas demandé: Que pouvons-nous faire? Mais: Que devons-nous faire?

Et leurs ressources ont augmenté plus rapidement encore que leurs besoins; les miracles de la charité ont répondu aux miracles de la foi, et la Société Biblique Britannique et étrangère étend aujourd’hui jusqu’aux deux pôles ses bras gigantesques.

Où étaient naguère les Sociétés des Missions?

Nulle part; mais la pieuse confiance de leurs fondateurs dans l’appui du Très-Haut les a fait naître, grandir, se multiplier comme par un prodige, et la terre idolâtre s’est étonnée d’apercevoir l’aurore d’un jour qu’elle ne connaissait pas. Les travaux des Sociétés de Missions ont été si vastes que l’Évangile a pénétré dans des contrées auxquelles la géographie n’avait pas encore eu le temps de donner un nom, et qu’on a vu des chrétiens là où la philosophie pouvait à peine trouver des hommes.

Mais pourquoi chercher des exemples ailleurs que dans la Société dont nous célébrons en ce moment le premier anniversaire?

Si proche qu’elle soit de son berceau, elle a déjà recueilli de nombreuses souscriptions, qui lui promettent pour l’avenir une heureuse et bienfaisante carrière. C’est pour elle surtout, c’est pour l’œuvre biblique de notre siècle que s'accomplira cette parole d’un pieux écrivain:


Attendons de grandes choses,

essayons de grandes choses,

et nous verrons de grandes choses!


Il nous est doux, à nous pasteurs de l’Église réformée de France, et nous bénissons Dieu de pouvoir distribuer la Bible à toutes les communions religieuses de notre patrie. Nous ne sommes sortis que d’hier des retraites où nous avaient ensevelis les rigueurs de la puissance humaine, et cependant il nous est déjà donné de porter au-dehors de notre communion la bannière de l’Évangile. Nos longs malheurs, au lieu de nous abattre, semblent avoir multiplié nos forces et retrempé notre courage.

Nous ne gardons le souvenir des infortunes de nos pères que pour nous exciter à répandre des bienfaits sur tous nos concitoyens. C’est ainsi qu’un vaisseau, longtemps battu du flot de là tempête, et à peine entré dans le port, ne se souvient des dangers qu’il a courus que pour se hâter d’envoyer au loin des nacelles hospitalières, chargées de recueillir ceux qui sont errants çà et là, au gré des ondes, sur les débris du naufrage.

O mes frères en Christ, marchons en avant, appuyés sur des promesses qui ne peuvent nous faillir. Suivons courageusement la route où nous sommes entrés; c’est le chemin de la foi et de l’amour; il conduit à la vie éternelle. La force et l’avenir sont à nous; ne manquons pas à Dieu, et Dieu ne nous manquera pas!

Archives du christianisme 1834 05 24



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