Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE.

L. V. , AVEUGLE-NÉ.

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L. V. qui habitait une petite ville de la Suisse, était né aveugle. Son talent pour la musique avait été son gagne-pain dès sa jeunesse; il donnait des leçons de violon, et il était le ménétrier de toutes les fêtes. Sa renommée s’étendait au loin dans les environs de la bourgade. Il aurait pu jouir d’une honnête aisance, si la passion du vin et le libertinage n’étaient venus jeter le trouble et le désordre dans sa carrière.

Doué d’une constitution très robuste et d’une intelligence peu commune, mais impatient et mécontent de son état de cécité, il employait tous les moyens imaginables pour remplir les heures de sa vie, ou plutôt pour s’étourdir.

Quoiqu’il n’eût jamais connu les jouissances de la vue, il était poursuivi de tristes regrets et d’une ardeur inquiète qui ne lui laissaient pas un moment de repos. Il fallait, dans ses intervalles de loisir, que quelqu’un de sa famille lui fît une lecture, où qu'il s’exerçât sur son violon, ou qu’il allât chercher des compagnons pour se livrer avec eux à d’abrutissantes orgies.

Les livres qu’il préférait étaient des romans, et, chose étonnante, mais qui s’explique pourtant, la Bible.

Il savait par cœur un grand nombre de chapitres des Écritures, et pouvait indiquer les endroits où se trouvait tel ou tel passage.

Mais cette connaissance des Livres saints était demeurée stérile pour l’aveugle-né, parce qu’il lisait la Bible par curiosité et à cause des beautés qu’elle renferme,plutôt que pour se rapprocher de Dieu.

Son imagination, que l’organe de la vue ne pouvait exciter, était réveillée par les descriptions et par les tableaux de tout genre que lui offrait l’Écriture, et les émotions dont son âme avait besoin, il les ressentait en écoutant le récit des jugements du Très-Haut.

Son pasteur le censura plusieurs fois de ses désordres, mais inutilement. L. V. écoutait ses remontrances avec quelque docilité; toutefois il répondait comme quelqu’un qui prétend savoir déjà tout ce qu’on veut lui dire.

Ne pouvant nier les péchés dont il se rendait coupable, il oubliait la condamnation, pour se hâter de faire valoir ce qu’il présumait être bon dans son caractère. Ainsi l’orgueil des œuvres subsistait encore au milieu de cette vie déréglée, et l’on sortait de la maison de notre aveugle avec l'affliction de le voir obstiné à chercher la nourriture de son âme et le bonheur dont il avait soif dans des choses qui ne lui apportaient que du trouble et de l’amertume.

Sa profession de musicien l’appelant quelquefois à passer plusieurs nuits de suite, il buvait beaucoup de vin pour se soutenir, et de tels excès exaltaient souvent ses facultés au point de lui ôter, pendant plusieurs jours, l’usage de sa raison.


Parvenu à l’âge de quarante ans, son corps était toujours très vigoureux, mais sa tête s’affaiblissait, et pour retrouver un peu de force d’esprit, il avait besoin, disait-il, de liqueurs spiritueuses.

La pauvreté, compagne ordinaire d’un tel genre de vie, était venue affliger sa vie, et encore, à peine avait-il gagné quelque argent, qu’il le soustrayait aux besoins de son ménage pour le dépenser dans des lieux publics. Déplorable emportement des passions! Plutôt que de se priver de semblables orgies, il serait allé, sans guide même, à de grandes distances, pour trouver ses compagnons de désordre. C’était surtout aux époques de renouvellement de l’année que le malheureux L. V. s’abandonnait aux excès de l’ivresse, parce que les veilles multipliées le fatiguaient beaucoup et qu’il avait plus d’argent à dépenser.

La famille de l’aveugle-né appela le pasteur, vers cette époque, pour le censurer de nouveau. La tâche était difficile et offrait peu de chances de succès; car, outre les obstacles naturels qui s’opposent à la conversion du cœur de l’homme, on trouvait encore chez lui une tête échauffée, exaltée, déréglée, et une conscience que la lecture et la connaissance de la Parole de Dieu n’avaient point réveillée. Mais Dieu daigne manifester, dans des cas désespérés tels que celui-ci, la puissance de sa grâce, afin que, dans tout ce qui concerne son règne sur les cœurs, nous puissions dire, comme pour son gouvernement sur le monde visible: Rien n’est impossible à Dieu.

Durant cette visite du pasteur; L. V., bien loin de se soumettre aux remontrances, fondées sur l'Écriture, qui lui étaient adressées, répondit, en prétendant s’appuyer aussi sur quelques versets de la Bible, que sans doute il était pécheur, mais qu’on avait tort de le condamner et de le menacer des châtiments de Dieu, puisque Jésus-Christ avait affranchi les hommes du joug de la loi, et procuré le pardon des péchés à tout le monde.

Puis il dit à son pasteur de chercher divers passages, entre autres celui-ci: Ne jugez point afin que vous ne soyez pas jugés.

Il indiqua ensuite le récit relatif à la femme adultère, voulant montrer combien l’on avait tort de le reprendre de son mauvais train de vie.

Il développa avec force cette maxime qui faisait horreur à Saint Paul: Péchons afin que la grâce abonde. Cette discussion s’étant prolongée sans amener aucun résultat satisfaisant, le pasteur sortit de la maison de L. V., convaincu de l'insuffisance de ses exhortations, et s’adressant à Dieu qui pouvait, si tel était son bon plaisir, briser ce cœur de pierre sans l’intermédiaire d'aucun homme.

Les larmes et les prières du serviteur de Christ furent recueillies dans les vaisseaux du Seigneur, et le Père des miséricordes qui a dit: Demandez et on vous donnera, daigna agir selon ses compassions envers le pauvre aveugle-né.

Quinze jours après l'entretien que nous venons de rapporter, L. V. appela le pasteur: pour la première fois il sentait le besoin de secours spirituels.

Il fit d’abord des excuses sur l’obstination et la résistance qu’il avait montrées dans la précédente conversation, il reconnut ses torts, et déclara qu'il voulait désormais suivre les conseils qui lui seraient donnés.

On aurait pu craindre que la maladie qui l’affligeait depuis quelques jours ne fût la seule raison qui lui inspirât ce langage, et qu’aussitôt après son rétablissement, il ne reprît ses mauvaises habitudes et sa conduite désordonnée. Mais, grâces à Dieu, il s’était déjà montré plus sérieux, plus réfléchi durant les premiers jours qui avaient suivi l’entretien où son opposition s’était manifestée avec tant d'orgueil; et malgré les occasions qu’il avait eues de satisfaire sa passion pour les dérèglements, il ne s’y était point livré.

Il serait trop long de répéter ici toutes les conversations qu’il eut avec son pasteur, pendant cette première et seule maladie qui le conduisit au tombeau. Il suffira de dire que, malgré les douleurs si cruelles d’une inflammation d’entrailles, il se fit instruire, comme un petit enfant, de ces mêmes doctrines évangéliques qu’il avait entrevues auparavant, mais qu’il avait tordues à sa perdition.

Les douleurs et l’angoisse que lui causait sa maladie semblaient disparaître dans le cours des fréquentes visites de son conducteur spirituel; et même, durant ses longues insomnies, c’était la lecture de la Bible qu’il demandait avant toute autre chose.

Combien le précieux trésor déposé dans la mémoire de cet aveugle lui devint alors utile et salutaire! Comme il ne pouvait lire lui-même, et qu’il se trouvait souvent entouré de personnes qui n'étaient pas en état de lui faire des lectures, il repassait dans son esprit et appliquait à sa conscience tout ce qu’il avait écouté autrefois pour passer le temps et pour intéresser sa curiosité.

C’était une chose bien remarquable, dans ses derniers jours, que de voir en lui, à côté de quelques impatiences que provoquait la vivacité de ses maux, et de quelques traces de ses anciennes habitudes, une vive reconnaissance pour les soins qu’on lui rendait, une humilité qui le portait à prier fréquemment sa femme de lui pardonner, et une affection paternelle qui ne pensait pas seulement aux besoins terrestres de son enfant, mais à ses besoins spirituels. Il semblait même être déjà mort pour toutes les conversations qui n’avaient pas un but édifiant.

La veille de sa fin, le pasteur étant venu, on lui dit que le malade avait totalement perdu connaissance. Et, en effet, ce fut en vain qu’on essaya de lui remuer les bras et la tête, pour le faire sortir de ce triste état, ou l’âme ne semble plus avoir conscience de ce qui se passe autour d’elle et de ce qui frappe les sens, en sorte qu’on a des yeux pour voir et l'on ne voit plus.

Le pasteur s’approcha néanmoins du malade, et prononça quelques paroles tirées de l’Écriture. Aussitôt l’aveugle mourant se ranime; il écoute, il comprend, il veut lui-même parler, et avec une langue déjà embarrassée par les liens de la mort, il fait la confession de ses fautes en même temps qu’il donne gloire à Christ, et il épuise le peu de forces qui lui restent, en racontant les grandes miséricordes du Seigneur envers lui.

Sa langue ne put bientôt plus le servir; sa tête se perdit de nouveau; il retomba dans sa léthargie jusqu’à l'heure qui précéda celle de son délogement. Alors, ayant demandé dans quel moment de la nuit il se trouvait, sur la réponse qu’on lui dit, il ajouta:

«Je ne pourrai plus revoir mon cher pasteur, car je vais mourir. Dites-lui combien je le remercie de ne pas m’avoir abandonné. J’aurais bien aimé le voir encore; mais je n’ose pas le déranger pendant la nuit. Dites-lui bien qu’avant de mourir, j’ai encore pensé à lui et à ses conseils.»

Puis, ayant fait ses adieux à sa femme et à son enfant, il s’endormit avant que l’aube du jour vînt de nouveau éclairer la terre. Mais un soleil plus brillant, le soleil de justice, s’était levé pour l’aveugle-né, et ses yeux, désormais ouverts, contemplaient face à face le Dieu de gloire et d’amour!

Archives du christianisme 1834 08 23



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