Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE.

Antoine Court et Paul Rabaut

Pasteurs à Nismes dans le dix-huitième siècle.

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(Nous venons de recevoir un opuscule intitulé: Notice historique sur l’Église chrétienne réformée de Nismes, par M. A. Borrel, l’un des pasteurs de cette Église. La plus grande partie du livre est consacrée à des matières d’un intérêt purement local. Nous nous bornerons à en extraire quelques détails biographiques sur les deux vénérables pasteurs Antoine Court et Paul Rabaut, sans y apporter d’autre changement que des abréviations et de légères modifications de style.)

Antoine Court, le père du savant Court de Gébelin, auquel on doit l'Histoire de la guerre des Camisards était né à Nismes en 1696. Il conçut, à l’âge de dix-sept ans, le projet de se consacrer au service du Seigneur, et s’y prépara par la lecture de la Parole de Dieu dans les assemblées religieuses.

Elles se tenaient alors au milieu des bois, dans d’immenses cavernes, loin de toute habitation, et le plus souvent à des heures avancées de la nuit. Un grand danger menaçait la pureté de la foi, par suite de cet isolement, et par l’absence de pasteurs éclairés et fidèles. Ce silence des nuits où tout est mystère, ces torches dont la clarté vacillante projetait au loin les ombres comme des géants, ces chants lugubres et plaintifs, remplissant d’émotion des cœurs livrés à une crainte continuelle, à cause des précautions qu’il fallait prendre pour se cacher, et des dangers réels qu’il y avait à courir si l’on était découvert, avaient tellement exalté l’imagination de ces chrétiens malheureux que quelques-uns d’entre eux se prétendaient inspirés.

Court comprit toutes les funestes conséquences de cette erreur; et, sans se laisser arrêter par des considérations qui auraient forcé au silence des hommes moins éclairés et moins courageux que lui, il entreprit de la détruire en la combattant.

Mais que pouvait un si jeune athlète pour obtenir la couronne du succès dans une arène où la persécution et l’ignorance qui en était la suite avaient introduit la superstition? Il tenta tout ce dont un cœur généreux est capable en fait de sacrifices et de dévouement, et ses efforts, par la grâce de Dieu, ne furent pas stériles.


À l’âge de vingt ans, le 21 août 1715, il convoqua, aux approches de la ville et dans un lieu désert, les membres de l’Église qu’il connaissait comme les plus instruits et les plus pieux. Ils étaient en fort petit nombre; car il ne s’en trouva que neuf capables de le comprendre et de l’aider. Il fut nommé président de cette réunion improvisée, qui, par son but, sa constitution et ses travaux, fit revivre les synodes qui n’existaient plus depuis trente ans. Elle prescrivit, en effet, pour règle de croyance la confession de foi des Églises réformées de France, remit en vigueur la discipline ecclésiastique, organisa des consistoires dans les villages voisins, et interdit la prédication aux membres de la secte des Inspirés.

Il n’y avait alors en France qu’un seul ministre qui fut régulièrement consacré(?), M. Roger, qui avait reçu l’ordination apostolique dans le royaume de Wurtemberg. Antoine Court, ainsi que ses collaborateurs à Nismes, Cortez et Maroger, n’avaient d’autre titre que celui de proposants ou prédicateurs, et ne pouvaient par conséquent ni administrer les sacrements ni bénir les mariages. Pour obvier (remédier) à cet inconvénient, le plus âgé d’entre eux, Pierre Cortez, se rendit à Zurich, et ce ne fut qu’à son retour, en 1718, qu’il conféra l’imposition des mains à Antoine Court, après l'avoir reçue lui-même en pays étranger.


Devenu pasteur de Nismes, Antoine Court se voua à l'enseignement théologique; il comprenait mieux que personne toute l’importance qu’il y avait, pour le maintien de la foi chrétienne dans toute sa pureté primitive, de placer à la tête des troupeaux errants et fugitifs des pasteurs dont la science égala le zèle. Mais il était difficile de trouver des candidats pour embrasser une carrière qui ne présentait, sur la terre, d’autre issue que le gibet ou le bûcher.

Court voulut les chercher lui-même. Il parcourut, dans ce but, plusieurs provinces, arracha des ateliers ou de la charrue ceux à qui il trouva assez d’aptitude pour apprendre, et assez de force d’âme pour souffrir. De ce nombre furent Paul Rabaut et Pradel. Il se fit leur instituteur, et versa avec abandon dans leur âme les leçons de son expérience et les lumières de sa foi.

Mais en France il ne pouvait instruire qu’en courant. Il forma donc le projet d'établir un séminaire à Lausanne; beaucoup de chrétiens évangéliques l'aidèrent de leurs prières et de leurs secours. Il se rendit dans cette ville en 1727, et là, pendant le reste de sa vie, qui se prolongea plus de trente ans encore, il donna par son activité et sa vigilance de l’éclat à cet établissement religieux, qui, pendant quatre-vingts ans, a donné des pasteurs à la France, et n’a cessé d’exister qu’en 1810, époque de la création d’une Faculté de théologie A Montauban.


Antoine Court avait rencontré Paul Rabaut, âgé alors de dix-huit ans, chez son père, marchand de draps à Bédarieux; il remarqua les pieux sentiments et les heureuses facultés intellectuelles de ce jeune homme, et l'amena à Lausanne pour lui faire suivre ses études théologiques.

Paul Rabaut consacra tout le cours de son long et pénible ministère à l’Église de Nismes; ce fut dans son sein qu’il trouva une épouse assez courageuse pour partager ses fatigues et s’associer à ses dangers.

Quoique ses études théologiques se ressentissent de la précipitation avec laquelle elles furent faites, il ne s'en distingua pas moins, et d’une manière remarquable, par son zèle, et surtout par la connaissance parfaite qu'il avait de la Parole de Dieu, qui fut pendant sa vie tout entière l’objet constant de ses méditations les plus sérieuses. Son cœur brûlant d’amour pour Jésus-Christ, le Sauveur des âmes, lui inspirait des improvisations touchantes, et les élans de sa foi pure et simple s’exhalaient en des prières si onctueuses que ceux qui les entendaient ne pouvaient retenir leurs larmes. Sa voix sonore arrivait claire et distincte jusqu’au dernier rang de l’assemblée la plus nombreuse, et il prononçait auprès du lit des malades de douces exhortations, empreintes de l’esprit du plus pur Évangile.

Il était de petite taille; son regard était doux, son maintien grave, son caractère affable, ses mœurs simples, sa patience admirable, et sa nourriture frugale. Tant de qualités personnelles le rendirent recommandable, non seulement auprès des membres de son troupeau qui l’aimaient comme un père et le vénéraient comme un bienfaiteur, mais encore auprès des catholiques éclairés, à la tête desquels il faut placer M. de Becdelièvre, évêque de Nismes, qui saisit toutes les circonstances pour se concerter avec lui, afin de travailler à un rapprochement entre les habitants de la ville, si cruellement divisés par leurs croyances religieuses.

Sa réputation devint dans tout le royaume si haute et si générale qu’il se forma à Nismes, sous sa direction, un centre de correspondance pour tous les réformés français, qui, depuis la révocation de l’Édit de Nantes, étaient sous le joug de l’intolérance et vivaient dans les angoisses perpétuelles du malheur.


Paul Rabaut travailla plus que personne à leur affranchissement. Il rédigea un Mémoire en leur faveur, simple dans ses formes, mais aussi énergique dans ses raisons que respectueux dans son langage, et il se chargea en outre de le faire parvenir sous les yeux du roi Louis XV. L’entreprise était difficile autant que périlleuse; mais si le danger lui conseilla la prudence, il n’eut pas le pouvoir d’arrêter son dévouement. Accompagné d’un seul de ses frères en la foi, il se rendit à Uchaud, pour y attendre le passage du marquis de Paulmi, qui se dirigeait vers Montpellier. Lorsqu’il fut arrivé, il s’approcha seul de la voiture, la contenance modeste, mais le regard assuré, déclina avant tout son nom, sa qualité, déclara en termes concis le but de son message, et présenta respectueusement l’écrit.

Ce général, dont les pouvoirs militaires étaient immenses, et qui, d’un seul geste, pouvait le faire arrêter et pendre sans jugement, touché de son courage, se découvrit devant lui, répondit à sa confiance par la plus parfaite loyauté, accepta le Mémoire, promit de le remettre lui-même au roi, fit plus que promettre, tint religieusement parole, et dès ce moment, les poursuites contre les réformés commencèrent à perdre, dans le royaume, de leur consistance et de leur sévérité.

Mais Paul Rabaut, en contribuant à adoucir le sort de ses coreligionnaires, rendit le sien et plus triste et plus malheureux. Le gouverneur de la province, irrité de ce qu’il avait réussi à faire parvenir ses doléances au pied du trône, mit sa tête à prix, et ses agents reçurent l'ordre de redoubler de violence, et de s’emparer de tous les ministres du désert pour les bannir du royaume. Ils ne purent cependant en saisir un seul, à cause des nombreux amis qui veillaient à leur sûreté, et des cachettes introuvables que tous avaient fait construire dans leurs demeures, et dans lesquelles ils les recélaient tour à tour.


Paul Rabaut n’avait point de demeure fixe; il se retirait, la nuit, dans les grottes des montagnes, ou dans les bergeries isolées qui se trouvent en assez grand nombre aux environs de Nismes. Poursuivi sans relâche, il n'échappait aux gendarmes qu’à la faveur des déguisements; la présence d’esprit ne l’abandonnait jamais, et son sang-froid devenait imperturbable à mesure que les moyens de s’évader devenaient plus difficiles et plus incertains.

Au milieu de ces dangers imminents, les travaux spirituels auxquels il se livrait sans relâche étaient aussi nombreux que délicats. Il assistait à tous les synodes; il soutenait par son exemple et par ses prédications les âmes abattues et découragées, et il savait réprimer surtout par sa fermeté inaltérable les actes imprudents qui auraient pu aggraver la position fâcheuse de son troupeau.

C’est ainsi que, le 11 décembre 1745, il empêcha des jeunes gens de Nismes d’enlever le ministre Désubac, qui avait été provisoirement déposé dans la prison de la ville pour être conduit à Montpellier, où il devait être jugé, et par conséquent pendu.

C’est ainsi encore que, sur la recommandation du prince de Beauveau, dont la mémoire sera longtemps bénie en Languedoc, à cause de ses actes de justice et de compassion généreuse pour les malheurs de tant de proscrits, il décida les réformés des environs de Castres à démolir eux-mêmes leur temple, que le comte de Saint-Florentin devait détruire par la force et avec éclat; ce qui épargna de nouveaux troubles et surtout l’effusion du sang.

Cependant en 1762, le prince de Beauveau, avec le comte de Périgord et l’intendant de Balainvillers, adoucirent, autant que leur autorité pouvait le permettre, le sort jusqu’alors si déplorable des réformés de Nismes. Paul Rabaut obtint de leurs dispositions bienveillantes que les assemblées du désert fussent rapprochées de la ville.

Ce fut alors que, sur le chemin d’Alais et au bord du torrent du Cadereau, on choisit pour les réunions d’hiver ce vaste amphithéâtre, nommé l'Hermitage, où sur des sièges construits avec des pierres amoncelées se plaçaient, chaque dimanche, six à huit mille personnes. La place d’été était au fond d’une ancienne carrière, nommée Lecque , environnée de rochers perpendiculaires, où l'on n’arrivait que par deux sentiers étroits. Le soleil ne dardait jamais ses brûlants rayons dans cette sombre cavité, et l’on s’y trouvait au frais pendant la chaleur du jour, comme à l’abri du vent pendant les temps d’orage. Ce fut là que la voix éclatante de Paul Rabaut se fit souvent entendre, et qu’elle eut du retentissement dans les cœurs, pour les amener à cette tristesse salutaire dont on ne se repent jamais

Paul Rabaut vivait encore lorsque Louis XVI rendit aux protestants français leurs droits civils par son édit de 1787. Il put donc quitter sa retraite du désert, et paraître publiquement dans la ville. II se fit construire une maison et beaucoup de fidèles s’empressèrent de concourir à l'érection de cette demeure pastorale.

Après les jours de la terreur, pendant lesquels le vénérable Rabaut perdit son illustre fils, Rabaut-Saint-Etienne, la liberté des cultes fut consacrée dans la Constitution de l’an III; et le vieillard qui, depuis plus d’un demi-siècle, évangélisait le midi de la France voulut célébrer lui-même la réintégration du culte protestant à Nismes. Il composa pour cette circonstance un dernier discours, dans lequel il rappela tant de douloureux souvenirs, que le seul récit fit verser d’abondantes larmes. Mais ce fut la dernière fois qu’il parut en chaire; car peu de temps après il s’endormit au Seigneur, à l’âge de près de quatre-vingts ans, le 4 vendémiaire an III.

Archives du christianisme 1837 07 08

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