Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BIOGRAPHIE RELIGIEUSE

Anecdotes sur Luther.

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Un professeur connu par ses recherches sur l'histoire romaine et par d’autres publications remarquables, M. Michelet, vient de faire paraître sous le titre de Mémoires de Luther écrits par lui-même, deux volumes qui renferment beaucoup de détails édifiants et curieux sur la biographie du grand réformateur allemand. Ces détails sont extraits des œuvres de Luther ou de celles des hommes qui ont vécu dans son intimité. Nos lecteurs prendront sans doute intérêt à lire quelques-unes de ces anecdotes qui sont peu connues, et qui méritent de l’être davantage. Nous choisirons particulièrement les faits qui nous montrent Luther dans sa vie intime et domestique.


* * * *

Martin Luther ou Luder, ou Lother, (car il signait quelquefois ainsi), naquis à Eisleben, le 10 novembre 1483, à onze heures du soir. Envoyé de bonne heure à l’école d’Eisenach (1489), il chantait devant les maisons pour gagner son pain, comme faisaient alors beaucoup d’étudiants pauvres en Allemagne. C’est de lui que nous tenons cette particularité:

«Que personne ne s’avise de mépriser devant moi les pauvres compagnons qui vont chantant et disant de porte en porte: Panem propter Deum (du pain pour l’amour de Dieu)! Vous savez comme dit le psaume: les princes et les rois ont chanté. Et moi aussi j'ai été un pauvre mendiant; j’ai reçu du pain aux portes des maisons, particulièrement à Eisenach, dans ma chère ville!»


Il trouva enfin une existence plus assurée et un asile dans la maison de la dame Ursula, femme ou veuve de Jean Schweickard, qui eut pitié de voir errer ce jeune enfant. Les secours de cette femme charitable le mirent à même d'étudier quatre ans à Eisenach.

En 1501, il entra à l’université d’Erfurth, où il fut soutenu par son père. Luther rappelle quelque part sa bienfaitrice par des mots pleins d’émotion, et il en a gardé reconnaissance aux femmes toute sa vie.


Le 17 juillet 1505, après avoir passé gaîment la soirée avec ses amis à faire de la musique, il entra, la nuit, dans le cloître des Augustins à Erfurth. Il n’avait apporté avec lui que son Plaute et son Virgile. Le lendemain, il écrivit un mot d’adieu à diverses personnes, informa son père de sa résolution, et resta un mois sans se laisser voir. Il sentait combien il tenait encore au monde. Au bout de deux ans, son père vint à Erfurth avec plusieurs de ses amis pour assister à son ordination, et donna au fils qu’il perdait ce qu’il avait pu mettre de coté, vingt florins.

Voilà Luther en Italie, délégué par l’ordre des Augustins pour y soutenir leurs intérêts. D’abord il est reçu à Milan dans un couvent de marbre. Il continue de couvent en couvent, c’est-à-dire de palais en palais. Partout grande chère, tables somptueuses. Le candide allemand s’étonnait un peu de ces magnificences de l’humilité, de ces splendeurs royales de la pénitence. Il se hasarda une fois à dire aux moines italiens qu’ils feraient mieux de ne pas manger de viande le vendredi. Cette parole faillit lui coûter la vie; il n’échappa qu’avec peine à leurs embûches.

Il entra enfin dans Rome. Il descendit au couvent de son ordre près la porte du Peuple.

«Lorsque j’arrivai, je tombai à genoux, levai les mains au ciel, et je m’écriai: Salut, sainte Rome, sanctifiée par les saints martyrs et par leur sang qui y a été versé!....»

Dans sa ferveur, dit-il, il courut vers les saints lieux, vit tout, crut tout. Il s’aperçut bientôt qu’il croyait seul. Le Christianisme semblait oublié dans cette capitale du monde chrétien.


Le belliqueux et colérique Jules II avait succédé au scandaleux Alexandre VI sur le trône pontifical; il ne respirait que sang et ruines: ses cardinaux étaient des officiers, des diplomates ou des gens de lettres qui parlaient le beau langage de Cicéron, et qui auraient craint de compromettre leur latinité en ouvrant la Bible.

Si Luther se réfugiait aux églises, il n’avait pas même la consolation d’une bonne messe. Le prêtre romain expédiait le divin sacrifice de telle vitesse, que Luther était encore à l’évangile, quand l’officiant lui disait: Ite, missa est. Ces prêtres italiens faisaient souvent parade d’une scandaleuse audace d’esprit fort.

Il leur arrivait, en consacrant l’hostie, de dire: Panis es, et panis manebis (Tu es pain, et tu resteras pain). Il n’y avait plus qu’à fuir en se voilant la tête.

Luther quitta Rome au bout de quatorze jours. Il emportait en Allemagne la condamnation de l’Italie et celle de l’Église romaine.

«Je ne voudrais pas, dit-il quelque part, je ne voudrais pas pour cent mille florins ne pas avoir vu Rome (et il répète ces mots trois fois). Je serais resté dans l’inquiétude de faire peut-être injustice au Pape.»


Rien n’était plus rare que la Bible, avant que Luther l’eût traduite et mise entre les mains du peuple.

«J’avais vingt ans, dit Luther lui-même, que je n’avais pas encore vu de Bible. Je croyais qu'il n’existait pas d’autres évangiles ni épîtres que ceux des sermonnaires; enfin je trouvai une Bible dans la bibliothèque d’Erfurth. Le docteur Unsingen, moine augustin, qui fut mon précepteur au couvent d’Erfurth, me disait, quand il me voyait lire la Bible avec tant d’ardeur: «Ah! frère Martin, qu’est-ce que la Bible? On doit lire les anciens docteurs qui eux ont sucé le miel de la vérité. La Bible est la cause de tous les troubles.»

Un contemporain de Luther rapporte que les moines, voyant Luther très assidu à la lecture des livres saints, en murmurèrent et lui dirent que ce n’était pas en étudiant de la sorte, mais en quêtant et ramassant du pain, de la viande, des poissons, des œufs et de l’argent, qu’on se rendait utile à la communauté.

Voici le portrait de Luther, tracé par l’un de ses contemporains, peu de temps avant que le réformateur comparût devant l’empereur à la diète de Worms (1521):


Martin est d’une taille moyenne; les soucis et les études l’ont maigri au point que l'on pourrait compter tous les os de son corps. Cependant il est encore dans la force et dans la verdeur de l’âge. Sa voix est claire et perçante. Puissant dans la doctrine, admirable dans la connaissance de l’Écriture, dont il pourrait presque citer tous les versets les uns après les autres, il a appris le grec et l’hébreu pour comparer et juger les traductions de la Bible.

Jamais il ne reste court; il a à sa disposition un monde de choses et de paroles. Il est d’un commerce agréable et facile; il n’a jamais dans son air rien de dur, de sourcilleux; il sait même se prêter aux plaisirs de la vie.

Dans les réunions il est gai, plaisant, montrant partout une parfaite sécurité, et faisant toujours bon visage, malgré les atroces menaces de ses adversaires. Aussi est-il difficile de croire que cet homme entreprenne de si grandes choses sans la protection divine.


En 1524, Luther écrivit une exhortation charitable à tous les chrétiens, laquelle renfermait ces paroles:

«En premier lieu, je vous prie de vouloir laisser de côté mon nom, et de ne pas vous appeler luthériens, mais chrétiens. Qu’est-ce que Luther. Ma doctrine ne vient pas de moi. Moi je n’ai été crucifié pour personne. Saint Paul (1 Cor. III) ne voulait point qu’on s’appelât disciple de Paul ou d'ApolIos, mais de Christ. Comment donc me conviendrait-il, a moi, misérable sac à vermine et à ordure, de donner mon nom aux enfants du Christ?

Cessez, chers amis, de prendre ces noms de parti; détruisons-les et appelons-nous chrétiens, d’après le nom de Celui de qui vient notre doctrine.

Il est juste que les papistes portent un nom de parti, parce qu’ils ne se contentent pas de la doctrine et du nom de Jésus-Christ; ils veulent être en outre papistes. Eh bien! qu’ils appartiennent au Pape qui est leur maître. Moi je ne suis ni ne veux être le maître de personne. Je tiens avec les miens pour la seule et commune doctrine de Christ, qui est notre unique Maître.»


Luther était très pauvre, même après qu’il eut rempli l’Europe du bruit de son nom. En 1525, préoccupé des soins de son ménage et de la famille dont il devait bientôt se trouver chargé, il cherchait à se faire un métier, il travaillait de ses mains.

«Si le monde, disait-il, ne veut plus nous nourrir pour la parole, apprenons à vivre de nos mains.»


Il eût choisi, sans doute, s’il avait pu choisir, l’art d’Albert Durer et de son ami Lucas Cranach, ou la musique qu’il appelait la première science après la théologie; mais il n’avait point de maître. Il se fit tourneur.

«Puisque, parmi nous autres barbares il n’y a point d’art ni d’esprit cultivé, moi et Wolfgang, mon serviteur, nous nous sommes mis à tourner.»


Il chargea Wenceslas Lenk de lui acheter des instruments à Nuremberg. Il se mit aussi à jardiner et à bâtir:

«J’ai planté un jardin, écrit-il à Spalatin, j’ai construit une fontaine, et à l’un comme à l’autre, j’ai assez bien réussi. Viens, et tu seras couronné de lys et de roses»


Au mois d’avril 1527, un abbé de Nuremberg lui fit présent d’une horloge:

«Il faut, lui répondit-il, que je me fasse disciple des mathématiques pour comprendre tout ce mécanisme, car je n’ai jamais rien vu de pareil.»


Et un mois après:

«J’ai reçu les instruments pour tourner, et le cadran avec le cylindre et l'horloge de bois... Je suis déjà maître passé en horlogerie... Mes melons ainsi que mes courges et mes citrouilles croissent à vue d’œil. Tu vois que j’ai su bien faire venir les graines que vous m’avez envoyées.»


En 1527, Luther fut obligé de mettre en gages trois gobelets pour cinquante florins, et d'en vendre un pour douze florins. Son revenu ordinaire ne s’éleva jamais au-dessus de 200 florins par an. Les libraires lui avaient offert une somme annuelle de 400 florins, mais il n’avait pu se résoudre à les accepter.

Malgré le peu d’aisance dont il jouissait, sa libéralité était extrême. Il donnait aux pauvres les présents de baptême destinés à ses enfants.

«Je lui aurais volontiers donné de quoi faire sa route, dit-il en parlant d’un étudiant pauvre, si je n’étais accablé par la multitude des indigents qui, outre ceux de notre ville, accourent ici comme en un lieu célébré.»


(1539) Luther, se promenant un jour avec le docteur Jouas et quelques autres amis, fit l’aumône à des pauvres qui passaient.

Le docteur Jonas l'imita en disant:

Qui sait si Dieu me le rendra?

Luther lui répondit:

Vous oubliez que Dieu vous l’a donné.


Le docteur Pommer apporta un jour au docteur Luther cent florins dont un seigneur lui faisait présent; mais il ne voulut point les accepter; il en donna la moitié à Philippe Mélanchton, et voulut rendre l’autre au docteur Pommer qui n’en voulut pas.

Deux amis intimes de Luther, les docteurs Jean Bugenhagen et Jonas nous ont laissé la note suivante sur une défaillance qui surprit Luther vers la fin de 1527: ....

«L’après-midi, il tomba sans connaissance, devint froid, et ne donna plus signe de vie. Quand il fut rappelé à lui-même par les secours qu’on lui prodiguait, il se mit à prier avec grande ferveur:

Je sais, ô mon Dieu, disait-il, que j’eusse volontiers versé mon sang pour ta Parole, mais tu as voulu qu’il en fût autrement. Que ta volonté soit faite! Sans doute je n’en étais pas digne. La mort serait mon bonheur. Cependant, ô mon Dieu, si tu le voulais, je vivrais volontiers encore pour répandre ta sainte Parole et consoler ceux des tiens qui faiblissent. Si mon heure est venue néanmoins, que ta volonté soit faite! Tu es le Maître de la vie et de la mort.

O mon Seigneur Jésus-Christ, je le remercie de m’avoir fait la grâce de connaître ton saint nom. Tu sais que je crois en Toi, au Père et au Saint-Esprit; tu es mon divin Médiateur et Sauveur. Tu sais, ô mon Seigneur, que Satan m’a dressé beaucoup de pièges, pour tuer mon corps par les tyrans et mon âme par ses traits enflammés, par ses tentations infernales.

Jusqu’ici tu m’as protégé miraculeusement contre toutes ses fureurs. Protège-moi encore, ô mon Seigneur fidèle, si telle est la volonté.

Ensuite il se tourna vers nous deux (Bugenhagen et Jonas) et nous dit:

Le monde aime le mensonge, et il y en aura beaucoup qui diront que je me suis rétracté avant de mourir. Je vous demande donc instamment de recevoir ma profession de foi.

Je déclare, en conscience, avoir enseigné la vraie Parole de Dieu, comme le Seigneur me l’a commandé et m’y a conduit. Oui, je le déclare, ce que j’ai prêché sur la foi, la charité, la croix, le saint sacrement et autres articles de la doctrine chrétienne, est juste, bon et salutaire.

Beaucoup m’accusent d’avoir été trop violent et trop dur. Je l’avoue, j’ai quelquefois été violent et dur envers mes ennemis. Cependant je n’ai jamais recherché le préjudice de qui que ce soit, bien moins encore la perdition d’aucune âme. Je m’étais proposé d’écrire sur le baptême et contre Zwingli, mais, à ce qu’il semble, Dieu en a décidé autrement.

Ensuite il parla des sectes qui viendront pervertir la Parole de Dieu, et qui n’épargneront pas, disait-il, le troupeau que le Seigneur a racheté de son sang. Il pleurait en parlant ainsi.... Jésus-Christ me rassure pourtant, disait-il; car il est plus fort que Satan et toutes ses armes; il est le Seigneur de Satan.

Quelques temps après, quand on l’eut un peu réchauffé par des frictions et l’application de coussins bien chauds, il demanda à sa femme: Où donc est mon petit cœur, mon bien-aimé petit Jean? Quand l’enfant fut apporté, il sourit à son père qui se mit à dire les larmes aux yeux: O cher pauvre petit enfant, je te recommande bien à Dieu, toi et ta bonne mère, ma pauvre Catherine. Vous n’avez rien, mais Dieu aura soin de vous. Il est le Père des orphelins et des veuves. Conserve-les, ô mon Dieu, instruis-les, comme tu m’as conservé et instruit jusqu’à ce jour!

Ensuite il dit quelques mots à sa femme au sujet de quelques gobelets d’argent: Tu sais, ajouta-t-il, que nous n’avons rien que cela. — Un sommeil profond lui rendit des forces, et le lendemain il se trouva beaucoup mieux. — Luther vécut encore pendant dix-neuf ans.


* * * *

Il est touchant de voir comment tout ramenait Luther à des réflexions pieuses sur la bonté de Dieu, sur l’état de l’homme avant sa chute, sur la vie à venir. Ainsi, une belle branche de cerises que le docteur Jonas met sur sa table, la joie de sa femme qui sert des poissons du petit étang de leur jardin, la simple vue d’une rose, tout élève son âme aux choses qui sont en haut.

Le 9 avril 1539, le docteur se trouvait dans son jardin, et regardait attentivement les arbres tout brillants de fleurs et de verdure. Il dit avec admiration:

«Gloire à Dieu qui de la créature morte fait ainsi sortir la vie au printemps! Voyez ces rameaux, comme ils sont forts et gracieux; ils sont déjà tout gros de fruits. Voilà une belle image de la résurrection des hommes.»


Un autre jour, sur la route de Leipsich, le docteur voyant la plaine couverte de blés superbes, se mit à prier avec ferveur. Il disait:

«O Dieu de bonté, tu nous donnes une année heureuse! Ce n’est pas à cause de notre piété; c’est pour glorifier ton nom. Fais, ô mon Dieu, que nous nous amendions, et que nous croissions dans ta Parole! Tout en toi est miracle. Ta voix fait sortir de la terre, et même du sable aride, ces plantes et ces épis si beaux qui réjouissent la vue. O mon Père, donne à tous tes enfants leur pain quotidien.»


Un soir, le docteur Martin Luther voyait un petit oiseau perché sur un arbre, et s’y posant pour passer la nuit. Il dit:

«Ce petit oiseau a choisi son abri, et va dormir bien paisiblement; il ne s’inquiète de rien; il ne songe pas au gîte du lendemain; il se tient bien tranquille sur la petite branche, et laisse Dieu songer pour lui.»


Les jeunes enfants du docteur se tenaient debout devant la table, en regardant avec bien de l’attention les pêches qui étaient servies; Le docteur se mit à dire:

«Qui veut voir l'image d’une âme qui jouit dans l’espérance, la trouvera bien ici. Ah! si nous pouvions attendre avec autant de joie la vie à venir!»


* * * *

«J’ai beaucoup lu la Bible dans ma jeunesse, pendant que j’étais moine, disait Luther. Mais cela ne me servait à rien, parce que je faisais simplement de Christ un Moise. Maintenant nous l’avons retrouvé, ce cher Christ. Rendons grâces et tenons-nous-y fermes, et souffrons pour lui ce que nous devons souffrir.»

«Je veux que l’on enseigne bien au peuple le catéchisme; je me fonde sur lui dans tous mes sermons, et je prêche aussi simplement que possible. Je veux que les hommes du commun, les enfants, les domestiques me comprennent. Ce n'est point pour les savants qu’on monte en chaire, ils ont les livres.»


Le docteur Erasmus Alberus, prêt à partir pour la Marche, demandait au docteur Luther comment il fallait prêcher devant le prince.

«Tes prédications, dit-il, doivent s'adresser, non aux princes, mais au simple et grossier peuple. Si, dans les miennes, je songeais à Mélanchton et aux autres docteurs, je ne ferais rien de bon; mais je prêche tout simplement pour les ignorants, et cela plaît à tous....

Albert Durer, le fameux peintre de Nuremberg, avait coutume de dire qu’il ne prenait aucun plaisir aux peintures chargées de couleurs, mais à celles qui étaient faites avec le plus de simplicité. J’en dis autant des prédications.»


• Lorsqu’il perdit sa fille Magdalena, âgée de quatorze ans, la femme du docteur pleurait et se lamentait.il lui dit:

«Chère Catherine, songe pourtant où elle est allée. Elle a certes fait un heureux voyage. La chair saigne, sans doute, c’est sa nature; mais l’esprit vit et se trouve selon ses souhaits. Les enfants ne disputent point; comme on le leur dit, ils croient.

Chez les enfants tout est simple. Ils meurent sans chagrin ni angoisses, sans disputes, sans tentations de la mort, sans douleur corporelle, tout comme s’ils s’endormaient.»


Sa fille étant fort malade, il disait:

«Je t'aime bien! Mais, ô mon Dieu! si c’est ta volonté de la prendre d’ici, je veux la savoir sans regret auprès de toi.»

Et comme elle était au lit, il lui disait:

«Ma chère petite fille, ma petite Madeleine, tu resterais volontiers auprès de ton père, et tu irais pourtant volontiers aussi à ton autre Père;»

Elle répondit:

«Oui, mon cher père, comme Dieu voudra.»

«Chère petite fille, ajouta-t-il, l’esprit veut, mais la chair est faible.»

Il se promena en long et en large, et dit:

«Oui, je l'ai aimée bien fort. Si la chair est si forte, que sera-ce donc de l’esprit .»


.... Lorsque la jeune Magdalena était à l’agonie et allait mourir, le père tomba à genoux devant son lit, pleura amèrement, et pria Dieu qu’il voulût bien la sauver. Elle expira et s’endormit dans les bras de son père. La mère était bien dans la même chambre, mais plus loin du lit, à cause de son affliction. Le docteur répétait souvent:

«Que la volonté de Dieu soit faite! Ma fille a encore un Père dans le ciel»


Alors maître Philippe (Mélanchton) se mit à dire:

«L’amour des parents est une image de la divinité imprimée au cœur des hommes. Dieu n’aime pas moins le genre humain que les parents leurs enfants.»


Lorsqu’on la mit dans la bière, le père dit:

«Pauvre chère petite, te voilà bien maintenant!»

Il la regarda ainsi étendue et dit:

«O chère enfant, tu ressusciteras, tu brilleras comme une étoile! oui, comme le soleil! Je suis joyeux en esprit, mais dans la chair je suis bien triste. C’est une chose étonnante de savoir qu’elle est certainement en paix, qu’elle est bien, et cependant d’être si triste.»


Et lorsque le peuple vint pour aider à emporter le corps, et que, selon le commun usage, ils lui disaient qu’ils prenaient part à son affliction, il leur dit:

«Ne vous chagrinez pas; j’ai envoyé une sainte au ciel! Oh! puissions-nous avoir une telle mort! Une telle mort, je l’accepterais sur l’heure!»


* * * *

Luther aimait les plaisirs simples. Mélanchton dit de lui:

«Quiconque l’aura connu et fréquenté familièrement, avouera que c’était un excellent homme, doux et aimable en société, nullement opiniâtre ni ami de la dispute. Joignez à cela la gravité qui convenait à son caractère. S’il montrait de la dureté en combattant les ennemis de la vraie doctrine, ce n’était point malignité de nature, mais ardeur et passion pour la vérité.... Bien qu’il ne lut ni d’une petite stature ni d’une complexion faible, il était d’une extrême tempérance dans le boire et le manger. Je l’ai vu, étant en pleine santé, passer quatre jours entiers sans prendre aucun aliment, et souvent se contenter, dans une journée entière, d’un peu de pain et d’un hareng pour toute nourriture.... Je l’ai souvent trouvé, moi-même, pleurant à chaudes larmes, et priant Dieu ardemment pour le salut de l'Église. Il consacrait, chaque jour, quelque temps à dire des psaumes et à invoquer Dieu de toute la ferveur de son âme.»


Luther s’était rendu à Eisleben, le 28 janvier 1546 pour y remplir la tache pénible de réconcilier les comtes de Mansfeld, et quoique déjà malade, il assista aux conférences jusqu’au 17 février. Il prêcha aussi quatre fois, et révisa le règlement ecclésiastique du comté de Mansfeld.

Le 17, il fut si malade que les comtes le prièrent de ne pas sortir. Au souper, il parla beaucoup de sa mort prochaine, et quelqu’un lui ayant demandé si nous nous reconnaîtrons les uns les autres dans l’autre monde, il répondit qu’il le pensait.

En rentrant dans sa chambre avec maître Cœlius et ses deux fils, il s’approcha de la croisée, et y resta longtemps en prières. Ensuite il dit à Aurifaber qui venait d’arriver: «Je me sens bien faible, et mes douleurs augmentent.»

On lui donna un médicament, et on tâcha de le réchauffer par des frictions. Il adressa quelques mots au comte Albrecht qui était venu aussi, et se mit sur un lit de repose en disant: «Si je pouvais seulement sommeiller une petite demi-heure, je crois que cela me soulagerait.»

Il s’endormit en effet, et ne se réveilla qu’une heure et demie après, vers onze heures. En se réveillant, il dit aux assistants: «Vous voilà encore assis à côté de moi; ne voulez-vous pas aller reposer vous-mêmes?»

Il se remit alors à prier, et dit avec ferveur: «In manus tuas commendo spiritum meum ; redemisti me, Domine, Deus veritatis (je remets mon esprit entre tes mains; tu m’as racheté, Seigneur, Dieu de vérité)

Il dit aussi aux assistants:

«Priez tous, mes amis, pour l’Évangile de notre Seigneur, pour que son règne s’étende; car le concile de Trente et le pape le menacent grandement.»

Il dormit ensuite jusque vers une heure, et quand il se réveilla, le docteur Jonas lui demanda comment il se trouvait:

«O mon Dieu, répondit-il, je me sens bien mal; mon cher Jonas, je pense que je resterai ici, à Eisleben, où je suis né.»

Il marcha pourtant un peu dans la chambre, et se remit sur son lit de repos, et on le couvrit de coussins, deux médecins et le comte avec sa femme arrivèrent ensuite. Luther leur dit:

«Je meurs; je resterai ici à Eisleben.»

Le docteur Jonas lui ayant exprimé l’espoir que la transpiration le soulagerait peut-être, il répondit:

«Non, mon cher Jonas; c'est une sueur froide et sèche; le mal augmente.»

Il se remit alors à prier, et dit:

«O mon Père! Dieu de notre Seigneur Jésus-Christ, toi qui es le Père de toute consolation, je te remercie de m’avoir fait connaître ton Fils bien-aimé en qui je crois, que j’ai prêché et confessé, que j’ai aimé et célébré, et que le Pape et les impies persécutent.

Je te recommande mon âme, ô mon Seigneur Jésus-Christ! Je quitterai ce corps terrestre; je vais être enlevé de cette vie; mais je sais que je resterai éternellement auprès de toi.»


Il répéta encore trois fois: «In manus tuas commendo spiritum meum ; redemisti me, Domine, Deus veritatis»

Soudain, il ferma les yeux, et tomba évanoui. Le comte Albrecht et sa femme, ainsi que les médecins, lui prodiguèrent leurs secours pour le rendre à la vie; il n’y parvinrent qu’avec peine.

Le docteur Jonas lui dit alors:

«Révérend père, mourez-vous avec constance dans la foi que vous avez enseignée?»

Il répondit par un oui distinct, et se rendormi.

Bientôt il pâlit, devint froid, respira encore une fois profondément, et mourut.


Son corps fut transféré dans un cercueil d'étain à Wittemberg, où il fut inhumé le 22 février avec les plus grands honneurs. Il repose dans l’église du château, au pied de la chaire.

Archives_du_christianisme 1835 10 10

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