Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

UNIVERSITÉ DE FRANCE STRASBOURG.

FACULTÉ DE THÉOLOGIE PROTESTANTE DE STRASBOURG



LA PEINE DE MORT

EST-ELLE EN OPPOSITION AVEC LE CHRISTIANISME




THÈSE
PRÉSENTÉE

À LA FACULTÉ DE THEOLOGIE PROTESTANTE DE STRASBOURG
ET SOUTENUE PUBLIQUEMENT

Le lundi 6 août 1838, à 5 heures de l'après-midi
Pour obtenir le grade de bachelier en théologie

PAR

FÉLIX BUNGENER,

BACHELIER ES LETTRES,
DE MARSEILLE (BOUCHES DU RHÔNE)

STRASBOURG

1838



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FACULTÉ DE THEOLOGIE DE STRASBOURG

BRUCE, Doyen de la faculté

Professeurs de la faculté
MM. BRUCE
RICHARD,
FRITZ
JUNG

Président de la soutenance
M. RICHARD

Examinateurs.
MM RICHARD,
FRITZ
JUNG
La Faculté n'entend approuver ni désapprouver les opinions particulières du candidat


INTRODUCTION


CHANGER de face ou tomber dans l'oubli, tel est aujourd'hui le sort de toutes les questions des qu'elles ont occupé quelques instants l'attention publique. Il en est une cependant poursuit depuis près d'un siècle et dans l'Europe entière sa marche grave et lente.
Ni les gouvernements ni les écoles ne l'ont entraînée dans leurs chutes : on se la transmettra longtemps encore, toujours importante, toujours nouvelle. C'est celle de la peine de mort.
Les adversaires actuels de cette peine peuvent se ranger, sauf un petit nombre, en deux classes. Les uns en font une question de chiffres : tableaux de recensement, archives des tribunaux, des prisons et des bagnes, telles sont les principales et même les uniques sources de leurs arguments ; les autres veulent émouvoir plutôt que convaincre, et c'est de l'imagination, de la pitié, de l'horreur, qu'ils attendent le triomphe de leur cause.
En deux mots, la statistique et le sentiment font à peu près tous les frais de la lutte.

Il semblerait aussi, au premier abord, que le christianisme y joue un assez grand rôle : aucun auteur n'a pu l'en écarter tout à fait et la plupart lui accordent une place considérable. Mais, après des pages souvent éloquentes, souvent pleines, il faut le dire, de grandeur et de poésie, un coup d'œil plus sévère nous aura convaincus bientôt que le christianisme si riche quant à la forme, se réduit, au fond, presque à rien.
Peu d'hommes, de nos jours, en ont fait réellement une étude ; et, de même que beaucoup de gens se disent chrétiens, parce qu'ils ne tuent ni ne volent, de même, dans nos livres, le christianisme n'est souvent qu'un léger canevas de religiosité, livré à tous les caprices de la sensibilité et de l'imagination. L'on ne saurait croire combien de sophismes sentimentaux ou poétiques nous avons recueillis dans les lectures qu'exigeait ce travail.
« Vous donnez la mort, vous, disciples de celui qui est la vie !
- La justice de Dieu dépose son glaive, et la nôtre le prend !
Pourquoi dire au bourreau frappe ! quand on croit que Dieu pardonne ? »
Et cent autres idées de même force, qui risquent singulièrement de faire oublier au lecteur soit la gravité du sujet, soit le respect dû à des écrivains d'ailleurs honorables.

- Loin de nous la pensée de faire peser sur tous nos adversaires la responsabilité de semblables arguments ; mais nous avons cru qu'il ne serait pas inutile d'examiner posément et la Bible à la main une question où le christianisme semble avoir autorisé tant d'écarts.
S'il est des points que la théologie embrouille et dont nous devons soigneusement la bannir, il en est aussi où elle peut rendre de grands services, moins encore par des solutions directes qu'en nous forçant à quitter le vague.
Elle n'a cependant pris chez nous, jusqu'à ce jour, qu'une part assez peu active aux discussions sur la peine de mort. On le conçoit : une défaveur machinale, assez indépendante de la valeur des raisons, s'attache généralement aux mesures sévères ou réputées sévères.

Nous avons vu des partisans de la peine de mort déclarer que jamais ils n'écriraient une ligne en sa faveur ; d'autres allaient jusqu'à dire qu'il serait triste, odieux même, d'en trouver l'apologie dans la bouche d'un ministre de l'Évangile. Abus de sentiments et de mots !
Au pied de l'échafaud, sans doute, quand le malheureux qui va y monter se jette dans nos bras avec des larmes d'épouvante, quel ministre de l'Évangile n'aimerait à lui dire, s'il en avait le droit : « Vas en paix et ne pèche plus ! » Mais autre chose est de pleurer sur un frère va mourir, et de méditer, législateur ou philosophe, sur une peine qui fut considérée six mille ans comme le couronnement naturel et nécessaire du sombre édifice de la pénalité.
Ce n'est pas au bruit de la hache, au milieu de ces émotions déchirantes, et lorsque la sensibilité, mère de tant d'erreurs, absorbe notre âme tout entière, que de si hauts problèmes doivent être résolus.

On nous recommande en littérature, en philosophie, en politique, une scrupuleuse et sage lenteur ; mais, dès qu'il s'agit de la peine de mort et de son abolition, nos plus graves écrivains semblent monter à l'assaut : peintures effrayantes, sentiments outrés, tout est bon, tout est mis en œuvre ; on commence par nous placer en face d'un cadavre, et après cela viennent les anathèmes lancés au nom de l'humanité sur quiconque osera ne pas s'avouer convaincu.

Les partisans de la peine de mort, s'il faut en croire leurs adversaires, se réduisent à quelques hommes aveugles par les préjugés et la routine : notre cause est depuis longtemps et à jamais perdue !
Et cependant, nous oserons l'affirmer : malgré tous ces chants de triomphe et cette universelle inondation d'ouvrages écrits dans un sens qui n'est pas le nôtre, des conversations fréquentes nous ont révélé au moins autant d'amis que d'adversaires.
Prouver ce fait est impossible ; aussi ne le présentons-nous pas comme un argument : il nous suffit d'y avoir trouvé des motifs de courage et de confiance.
Voici les points que nous nous proposons de démontrer.

I. L'Ancien Testament adopte la peine de mort et ne fournit aucun argument contraire.
II. Le Nouveau Testament la suppose admise et ne la combat ni par des leçons ni par des faits.n2
III. Elle n'est pas en opposition avec l'ensemble du christianisme.
IV. Parmi les inconvénients qu'on lui reproche, les uns n'existent pas, les autres sont inhérents à toute espèce de peine ; la plupart enfin peuvent être effacés ou considérablement réduits.



Observation générale. Envisageant la peine de mort en droit et non en fait, nous la supposons toujours appliquée aussi rarement, aussi consciencieusement, aussi justement, en un mot, qu'on peut l'exiger de législateurs et de juges faillibles.
Les hommes en ont abusé, mais l'abus ne tue pas le droit.


I. L'Ancien Testament adopte la peine de mort et ne fournit aucun argument contraire.

La peine de mort est dans la loi de Moïse ; elle y est presque à chaque page. Dire pourquoi et réfuter les objections que cette rigueur a soulevées, ce serait nous écarter de notre sujet.
Remarquons seulement qu'au milieu d'une si longue énumération de cas emportant condamnation capitale, il est impossible de voir dans les mots « Tu ne tueras point » l'inviolabilité absolue de la vie de l'homme.
Nous ne comprenons pas comment des auteurs ont ainsi pu donner au sixième commandement une portée qui le mettrait en contradiction avec tout le reste du Pentateuque. On ne va cependant jamais jusqu'à nier que la peine de mort ne soit dans le Code hébreu.
Emparons-nous du fait et voyons comment on essaye d'échapper aux conséquences.

Première objection. L'ancienne loi est abrogée. -
Sans doute ; mais la question n'est pas là. Abrogée pour nous dans son ensemble, cette loi n'en a pas moins vu passer dans la nôtre une bonne partie de ses dispositions. La peine de mort est-elle du nombre ? Voilà ce qu'il faut examiner, et nous le ferons plus tard. Ou l'objection est nulle ; ou elle revient à dire que la peine de mort est abolie par la loi nouvelle.
Nous verrons si on peut le prouver.

Deuxième objection. Si le Pentateuque fait autorité, il y aura inconséquence tant que vous n'appliquerez pas la peine de mort à tous les délits qu'elle atteignait sous Moïse.
On a tiré grand parti de cette idée ; Dieu sait à combien d'amplifications et même de plaisanteries elle a donné lieu.
La réponse pourtant nous semble facile. Parmi tous ces délits punis de mort, il en est un grand nombre que nos mœurs et notre état religieux ou politiques ont amenés à n'être plus que d'imperceptibles fautes. Mais quant à l'homicide (et c'est pour l'homicide seulement que nous réclamons la peine de mort) qu'a-t-il perdu, depuis Moïse, de sa gravité et de son horreur ?
Dieu a fait l'homme à son image. Telle est la raison que Moïse allègue en demandant le sang du meurtrier. Rien de transitoire dans ce motif !
Si le crime n`a pas changé, s'il est le même vis-à-vis des individus, de la société, de la religion ; de la nature, comment aurait-elle cessé d'être juste et légitime, cette peine dont le frappait une législation inspirée ?
Ce changement, dit-on, existe en germe dans l'Ancien Testament.
On cite à l'appui des déclarations et des faits.

Psaume LI. Dieu ne prend point plaisirs aux sacrifices. Mais l'auteur ajoute : Le sacrifice agréable à Dieu, est un coeur froissé et brisé.
Il voulait donc simplement, dire que les péchés s’effacent par la repentance, et non par le sang de vils animaux.

Osée VI. Je prends plaisir à la miséricorde et non aux sacrifices.
Lisez le contexte : il s'agit encore de sacrifices cérémoniels par opposition à la repentance et à la régénération du cœur.

Ezéchiel XVIII. Prendrais-je plaisir à la mort du méchant ?

Id. XXXIII. Je ne prend aucun plaisir a la mort du méchant ; qu'il se convertisse et qu'il vive.
Nouvel abus de mots. Le prophète aurait donc voulu dire, lui ; zélé défenseur de la loi et de la nationalité juive, qu'un meurtrier, un adultère, un profanateur du temple ou de l'arche sainte, devaient être laissés parmi les vivants !
Dans tous ces passages, dans vingt autres du même genre et dont on s'est pareillement servi, il est de la dernière évidence que l'auteur n'a pas eu vue l'action des lois civiles ni le châtiment humain des criminels.
Il s'agit de fautes contre Dieu et d'un pardon qui vient de Dieu : ici, comme dans l'Évangile, la vie est l'approbation et l'amour de notre père céleste ; la mort est l'état misérable d'une âme séparée de lui ; mais la vie terrestre et la mort physique sont entièrement hors de cause.

Passons aux faits. - On n'en cite que deux, mais on les cite partout.
Sont-ils donc d'une force entraînante ? On va en juger.

Caïn tue son frère et, quoique les hommes fussent alors sous la direction immédiate de Dieu, n'est pas puni de mort ;
David a mérité le dernier supplice comme adultère et meurtrier. Il se repent et sa tête n'est pas frappée.
Conclusion : Si la peine de mort était légitime et que Dieu eût voulu l'établir à perpétuité, il n'aurait pas permis ces deux exceptions.
Mais autant vaudrait dire que, toutes les fois qu'un criminel se dérobe à la justice humaine, Dieu qui permet sa fuite proteste par cela même contre la peine qu'il allait subir.
David, adultère et meurtrier, n'est pas condamné à mort. Eh ! de grâce ! par qui aurait-il pu l'être ? Roi absolu, avait-il un tribunal au-dessus de lui ?
Dieu lui pardonne, comme Dieu, en considération de sa repentance ; mais la loi humaine était forcément sans action.
J'en dis autant pour Caïn. Qui eût été son juge ? Adam.
Et son bourreau ? Adam aussi ; Belle manière de se consoler de la mort d'Abel !

Ni Caïn ni David ne pouvaient, humainement parlant, être punis du dernier supplice ; et de ce que Dieu lui-même n'a pas jugé à propos de s'en charger, de ce qu'ils ne les a pas foudroyés, on voudrait conclure qu'il préparait de loin l'abolition de la peine de mort !
Mais Dieu défendit de tuer Caïn
Voyez la Genèse. Épouvanté de l'arrêt qu'il vient d'entendre : C'est plus que je ne puis porter ! S'écrie le fratricide ; je serai donc errant sur la terre, et quiconque me trouveras me tuera ! Non, reprend l'Éternel, celui qui tuerait Caïn serait puni sept fois davantage. »

Quiconque me trouvera, me tuera. Supposons la chose arrivée : on a rencontré Caïn ; on l'a tué. Mais est-ce bien là la peine de mort ? A-t-on jamais appelé ainsi l'immolation du coupable, sans jugement et sans procès, parla main du premier venu ? La société n'existait pas encore ; la mort de Caïn n'eût été et ne pourrait être qu'une vengeance individuelle, acte que toutes les législations ont réprouvé. Dieu s'y oppose donc et en prévient le coupable ; mais cela ne prouve pas le moins du monde qu'il l'eût soustrait au supplice, s'il y avait eu des lois, un tribunal, une société enfin pour l'y condamner.

L'isolement et l'exil furent donc la punition de Caïn. Nous avons vu que c'était la seule possible. Et cependant, qui le croirait ? il y a dans ce fait, au dire de certains auteurs, le germe du système pénitentiaire.
« Dieu se contente, disent-ils, de séparer le coupable du reste des hommes. ” Mais Dieu autorisa la mort dans une innombrable foule d'occasions, et d'ailleurs, qu'y-a-t-il de commun entre la société d'alors et celle d'aujourd'hui, entre nos lois tout humaines et ce gouvernement miraculeux ; entre nos criminels en si grand nombre et ce coupable unique déchiré de remords, connu de tous, abhorré de tous ; retenu au fond de sa solitude par la main puissante de Dieu lui-même ?

Concluons : L'Ancien Testament ne fournit, soit directement, soit indirectement, aucune arme contre la peine de mort.
Mais son autorité ne suffit pas. Allons plus loin.


II. Le Nouveau Testament ne combat la peine de mort ni par des leçons ni par des faits.

En relisant avec soin et en vue de ce travail les livres de la nouvelle alliance, deux remarques nous ont frappé.
La première, c'est que nous étions à chaque instant sur le point d'oublier le but de cette lecture, tant il était rare que nous eussions à noter quelques mots susceptibles d'entrer, même de loin, dans notre discussion ; et quoique nos adversaires prétendent avoir été plus heureux, ils nous accorderont au moins qu'un homme dégagé de toute préoccupation ne verrait dans les auteurs du Nouveau Testament ni des partisans ni des adversaires de la peine de mort. Pas un seul mot ex professo, tout le monde en convient ; pas une phrase (nous le montrerons) où l'on puisse affirmer que l'auteur avait dans l'esprit, même incidemment, l'idée de cette peine.
L'objection n'est pas sans réplique, puisque nos adversaires en appellent à l'esprit plutôt qu'à la lettre, mais, quoique l'Évangile ne nous ait pas habitués à des leçons philosophiques et nettement formulées, si la question est aussi grave qu'on le prétend, si la peine de mort est un outrage à la nature, à la religion, à l'Être suprême,

L'absence de tout enseignement positif et direct a certainement de quoi nous surprendre. Remarquez, en effet (c'est notre seconde observation), que le Sauveur et les apôtres ne se sont pas contentés de proclamer en thèse générale l'abolition de la loi : toutes les idées mosaïques de quelque importance, qui ne devaient pas rester dans la loi nouvelle, ont eu leur abolition spéciale.
Exemples.
Le sabbat de Moïse était un joug : Jésus nous en dégage ;
les cérémonies étaient presque toute la religion : Jésus les déclare inutiles ;
le divorce était permis moyennant certaines formalités : Jésus le déclare criminel, tant que les plus graves motifs ne sont pas rendu nécessaire.

Mais dans ces cas et dans beaucoup d'autres, pas la moindre incertitude sur ses intentions ; les passages sont clairs, nombreux, directs ; l'auteur va même plusieurs fois jusqu'à citer les propres paroles de Moïse ; et pour la peine de mort, pour une institution si nettement reconnue et organisée dans l'ancienne loi, nous en serions réduits à l'analyse minutieuse de quelques faits, à quelques vagues et contestables allusions !

Mais on le nie ; on prétend trouver des déclarations d'une grande force. Arrêtons-nous y donc quelques instants.
Rom. XII, 17. Ne rendez à personne le mal pour le mal.
Trente-deux préceptes du même genre contenus dans ce chapitre, et tous se rapportent à la vie privée du Chrétien, condamnent suffisamment l'usage qu'on veut faire de ces paroles. D'ailleurs, prenez-y garde ; si elles prouvent quelque chose, elles prouvent infiniment trop ; car, à ce compte, il ne suffit plus d'abattre les échafauds : la prison la plus douce est aussi un mal rendu pour un mal !

Même remarque sur. Le verset 19 : Ne vous vengez point vous-mêmes car la vengeance appartient à Dieu.
Nous observons, d'un côté, que l'apôtre s'occupe évidemment des vengeances particulières ; de l'autre, qu'une peine infligée légalement et après consciencieux examen ne peut s'appeler une vengeance.
L'emprisonnement et la plus faible amende mériteraient le même nom.

Même observation encore sur le passage tant de fois cité : « Il a été dit à vos pères : œil pour oeil et dent pour dent ; mais moi je vous dis : ne résistez point au méchant, etc. »
Ces derniers mots conduisent droit à l'anarchie, si l'on veut y voir autre chose qu'un précepte de charité individuelle et les appliquer à la société.
Il est encore une foule de passages dont la réfutation serait la même. Tous ont trait à la conduite du Chrétien vis-à-vis de ses frères, tous, appliqués à la société civile, seraient la ruine de toute pénalité.

Évang. selon S. Jean. IV. L'adultère était puni de mort, et le Sauveur absout une femme coupable de ce crime.
L'importance qu'on a donnée à ce fait nous force d'entrer dans quelques détails.
Et d`abord, quant à cette accusation d'adultère, est-il bien sûr qu'elle fût sérieuse et que la femme coupable eût réellement à craindre un arrêt de mort ? nous ne le pensons pas.
Quels hommes, en effet, l'ont amenée à Jésus ? des pharisiens, dit l'évangéliste ; et ces docteurs pétris d'orgueil, habitués dès longtemps à se roidir contre les leçons les plus touchantes, un seul mot de leur ennemi leur aurait arraché leur proie !
Ils voulaient, dit S. Jean, éprouver Jésus, le mettre dans l'embarras, l'amener à contredire Moïse, et ils se désistent beaucoup trop vite pour que nous puissions croire qu'ils eussent l'intention de faire juger et condamner cette femme.
D'ailleurs (et cette remarque est décisive) les décrets de Moïse contre l'adultère étaient depuis longtemps en pleine désuétude.

Je ne te condamnerai pas non plus, dit le Sauveur. Douce parole, qui ne nous surprend point dans sa bouche, mais dont il est aussi imprudent que peu logique d'exagérer la portée.
Jésus, dites-vous, réprouve par là le châtiment terrible dont Moïse avait frappé l'adultère ; mais vous ne prétendez sûrement pas que l'absolution accordée au criminel doive s'étendre au crime. Eh bien ! s'il y a dans ces mots autre chose que l'expression pure et simple d'un sentiment d'indulgence, ils disent beaucoup plus que vous ne dites et que vous ne voudriez dire.
Un souverain peut faire grâce, et la loi reste intacte ; mais s'il abolit une peine sans en substituer une autre, il déclare par cela même que l'acte qui en était passible cessera d'être considéré comme un crime.
Jésus laisse en paix la femme adultère : si c'est un prince qui pardonne, rien de mieux ; mais si ses paroles ont une valeur législative, qu'il fixe une peine en remplacement de la mort, ou nous serons fondés à dire qu'il ne regarde pas l'adultère comme punissable.

Je ne le condamnera pas non plus. Le Sauveur pouvait-il conclure autrement ?
Les pharisiens s'étaient retirés : fallait-il donc que cette malheureuse femme, accablée de remords et de honte, trouvât en lui un nouvel accusateur ?
Et ce rôle odieux dont s'étaient lassés des pharisiens, notre adorable maître s'en serait chargé ! Que leur avait-il dit à ces hommes ?
« Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre. »
Grande et sage leçon dans la morale privée ; nouvelle source d'embarras quand on exagère la valeur du fait.
Hommes et Chrétiens, nous ne devons jeter la pierre à personne ; magistrats, où en serait la société, s'il nous fallait être des saints pour avoir le droit de condamner ? Et c'est pourtant là qu'on arrive, si l'histoire de la femme adultère est un argument contre la peine de mort.

Il s'agit d'un cas éminemment spécial : on généralise ; « il s'agit d'un pardon religieux : on en fait un acte de souveraineté temporelle. En vain répétons-nous qu'il n'y a rien de semblable dans tout le reste de la vie du Sauveur, que les nombreux pardons de nos Évangiles s'appliquent aux souillures de l'âme, et jamais, absolument jamais, aux peines terrestres que le coupable peut avoir encourues.

On franchit d'un bond toutes ces remarques ; on en revient imperturbablement à la même conclusion et le céleste ami d'une pécheresse repentante n'est plus qu'un de ces jurés imprudemment scrupuleux qui foulent aux pieds l'évidence pour déclarer l'accusé non coupable et s'épargner l'ennui de l'envoyer à l'échafaud.

Même dans ce système la conclusion finale est fausse.
Admettons que le Sauveur ait eu en vue la peine de mort ; ce sera la peine de mort pour l'adultère. Nous aussi nous pensons que ce crime ne doit pas être puni si sévèrement ; s'ensuit-il que nous réprouvons la peine de mort en général ?
Passons à d'autres faits dont on n'abuse pas moins.

Luc IX. Quelques disciples voulant appeler le feu du ciel sur une bourgade samaritaine, Jésus les reprend avec indignation. - Eussions-nous le feu, du ciel à nos ordres, nous ne croirions pas faire un grand effort de tolérance en laissant vivre une misérable bourgade qui nous aurait refusé l'hospitalité ; mais nous serions fort surpris ensuite si on venait nous dire que nous avons protesté par là contre la peine de mort.
Voilà toute notre réponse.

Qu'on nous permette à notre tour une question. Prenez le plus zélé partisan de la peine de mort : s'imaginera-t-il abandonner son système en recueillant chez lui, par exemple, un pauvre nègre déserteur bien qu'il sache que la loi condamne ce malheureux à la potence ? Non, sans doute, s'il lui reste encore quelque sentiment d'humanité.
Que signifient donc les conclusions qu'on veut tirer de ce que S. Paul (ép. à Philémon) a recueilli et protégé l'esclave Onésime ? Un supplice affreux était la peine du crime purement fictif de cet homme ; le livrer aux bourreaux eût été une action atroce, et, parce que l'apôtre ne l'a pas commise, on ose dire qu'il réprouvait également la peine de mort pour des crimes réels et inexcusables !

Luc XXIII. Jésus prie pour ses bourreaux. Mais en quels termes ?
« Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. »
Nous aussi, avec tous les codes raisonnables, nous demandons la vie du criminel quand il n'y a pas eu chez lui discernement. N`est-il pas, d'ailleurs, assez évident ; que Jésus n'avait point en vue la punition. temporelle de ses ennemis ?
Le sanhédrin avait prononcé la sentence ; le gouverneur en avait permis l'exécution ; les bourreaux ne faisaient que remplir leur charge : tous étaient légalement en règle, et on ne voit pas trop d'où aurait surgi un tribunal pour expier le sang du Christ par celui des accusateurs et des juges. Ce n'est donc pas leur vie que Jésus demande.

Matth. XXVI. Pierre a voulu tuer un des complices de Judas, et le Seigneur condamne cette violence. - Rien, dans ce fait, ne se rattache à la question de la peine de mort.

1° Malchus n'est pas un assassin, puisqu'il vient seulement arrêter Jésus ;
2° même, en le tuant il serait légalement sans reproche, puisqu'il ne ferait qu'obéir à ses chefs ;
3° fut-il digne de mort, ce n'est pas à Pierre qu'il appartient de le juger ni de le punir ; Voilà plus de raisons qu'il n'en faut pour nous convaincre que le Seigneur a bien pu sauver la vie à cet homme sans blâmer la peine de mort. ...

« Tous ceux qui auront pris l'épée, dit-il, périront par l'épée. » On a voulu voir dans ces paroles la condamnation absolue de l'homicide ; on les a tordues jusqu'à leur faire signifier que tuer un meurtrier, c'est être un meurtrier soi-même.
Nous ne pouvons affirmer ; il est vrai, que périra par l'épée signifie périra par le glaive de la loi ; mais si ce passage n'est pas pour nous, il est encore moins pour nos adversaires ; et nous nous en remettrions volontiers, sur ce point, à la décision du premier venu.

Enfin, I Cor. V. Un inceste a été commis dans l'Église de Corinthe, et S. Paul ne demande pas la mort du coupable, bien que ce crime fût capitale chez les Juifs. Mais,

1° il n'est pas sûr que le coupable fût Juif ;
2° l'Église n'avait sur lui aucune autorité légale et ne pouvait que l'exclure de son sein ;
3° eût-elle demandé sa mort, les tribunaux de Corinthe ne l'auraient pas accordée ;
4° l'apôtre n'envisage que le scandale causé dans l'Église : la question du châtiment civil reste complètement en dehors.

Tels sont les arguments scripturaires qu'on nous oppose ; nous affirmons n'en avoir omis sciemment aucun.

Il est temps de passer aux nôtres : chaque pas va nous ramener à cette idée que les auteurs sacrés n'ont songé ni à attaquer ni à défendre la peine de mort, et ne paraissent pas s'être doutés qu'on dût jamais l'attaquer ni la défendre.

On nous arrête ici. L'esclavage, dit-on, est absolument dans le même cas, et qui oserait pourtant soutenir l'esclavage ?
Nous répondons :

1° que l'esclavage n'a pour lui, de l'aveu même de ses partisans, aucun argument rationnel ;
2° que son illégitimité a presque l'évidence d'un axiome ;
3° qu'il est nettement et formellement incompatible avec le principe de l'égalité des hommes ; base de la morale chrétienne. l'esclavage est né d'un abus ; le prétendu droit de conquête : la peine de mort a été souvent un abus ; mais elle repose sur deux sentiments naturels et irréprochables : l'horreur du crime et le besoin de le voir puni. Nos auteurs sacrés peuvent donc n'avoir admis l'esclavage que comme un fait, sans que nous devions nécessairement conclure qu'il en est de même de la peine de mort. Reprenons.

- Notre attention s'est naturellement portée avant tout sur le fameux chapitre Ve de S. Mathieu, où le Sauveur passe en revue divers articles de l'ancienne loi ; et en particulier le sixième commandement. V. 21. Vous savez qu'il a été dit aux anciens : « tu ne tueras point, et qui tuera sera punissable par le jugement (Ces derniers mots ne sont pas dans le Pentateuque. Par le jugement est assez vague ; mais comme la loi que le Sauveur résume ici n'admet pour le meurtre qu'une seule peine, qui est la mort, nous traduisons : qui tuera sera puni de mort).
Mais moi je vous dis, continue le Sauveur, que lorsque, pour un sujet frivole, se met en colère contre son frère, sera punissable aussi par le jugement. Ce qui ne veut point dire (et personne n'en a eu l'idée) qu'il faille punir un accès de colère comme un meurtre ; le Sauveur entend simplement qu'il existe une liaison intime, une espèce de parenté entre la colère et l'homicide.

Mais, quelque sens qu'on donne à ce verset, il est impossible d'y découvrir un seul mot qui tende à abroger ou même à restreindre la loi rapportée dans le précédent.
« Moïse demande le sang du meurtrier ; mais moi je vous dis que celui qui s'emporte contre son frère est sur le chemin qui conduit au meurtre. Jugez de là combien il faut se garder de la colère !
Telle est évidemment la pensée du Maître, et nous ne saurions y voir, même en germe, l'abrogation ni la censure de la peine de mort.

Pourtant (qu'on nous permette de le dire) c'était le moment, ou jamais, de laisser entrevoir ce blâme. Quatre autres préceptes de Moïse sont examinés peu après : le Sauveur se fait-il scrupule d'en contredire trois ?
Pourquoi donc ne pas dire au moins un mot de ce qu'on a appelé l'inviolabilité de la vie de l'homme ?
On répondra qu'il s'occupe de morale plutôt que de législation ; mais un des préceptes qu'il attaque ensuite, celui où il est parlé du divorce et des lettres de divorce, touche autant à la législation qu'à la morale ; d'ailleurs, n'eût-il que des lois morales en vue de cette inviolabilité pouvait et devait même trouver place dans son discours : le mépris des formes cérémonielles, l'amour des ennemis ; la charité universelle que Jésus demande quelques lignes plus bas, avaient pour les Juifs. quelque chose de bien plus étrange en théorie et de bien plus difficile en pratique.

Deux paraboles se lient, quoique d'assez loin, à notre sujet.
Dans la première (Luc XIX) un roi fait mourir des sujets rebelles ; dans la seconde (Marc XII et Luc le maître de la vigne punit de mort les assassins de son fils.
On objectera que ces circonstances, purement accessoires, ne concourent pas à l'enseignement final des deux paraboles. Nous en convenons ; mais il est peu probable que le Sauveur eût attribué ; même incidemment, au personnage principal et qui représente Dieu ; un acte qu'il aurait regardé comme illégitime.

Voyons maintenant Jésus en action et menacé de cette même peine que, dit-on ; sa doctrine repousse.
Jean XIX .Pourquoi ne me réponds-tu pas ? lui dit Pilate ; ne sais-tu pas que j'ai le pouvoir de te crucifier et celui de te délivrer ? alors Jésus : Tu n'aurais aucun pouvoir sur moi, si tu ne l'avais reçu d'en haut.
Il ne conteste donc pas le droit terrible que Pilate s'arroge, il se borne à rappeler au gouverneur » celui par qui règnent les rois, et ces paroles, dans un moment surtout où il n'avait plus de ménagements à garder, ne permettent pas de croire qu'il regardât le droit de vie et de mort comme illégitime et abusif.

Peu d'instants après, son sang coulait sur le calvaire. Mais quoique cette mort, gage éternel du salut des hommes, soit rappelée à chaque page dans tous les livres du Nouveau Testament, nous ne voyons pas qu'aucun des apôtres, tout en proclamant l'innocence divine du Maître ; ait attaqué en droit la peine qu'il avait subie ; Le style vif et sans art de nos saints livres est fréquemment coupé de digressions tout aussi lointaines ; et si les apôtres avaient recueilli des entretiens de Jésus quelques enseignements, quelques doutes contre la peine de mort, on ne conçoit pas qu'ils n'en eussent rien laissé voir à propos du supplice de Jésus lui-même.

Écoutez S. Paul, lui qui attaque avec tant de, franchise et de force, quand la vérité le commande, les plus chères idées de ceux qu'il instruit. Ce n'est pas en vain, dit-il (Rom. XIII), que le prince porte l'épée. Or l'épée, symbole du droit de punir, a toujours été plus spécialement celui du droit de vie et de mort. Cependant l'apôtre n'ajoute aucune restriction : Le prince est ministre de Dieu, dit-il. Et que trouvons-nous un peu plus bas ? Tu ne tueras point ! Rapprochement qui démontre jusqu'à l'évidence une idée à laquelle tout nous ramène, savoir que ce commandement concerne l'individu et non la société ou ses magistrats. »

La peine de mort n'est donc pas en opposition avec la lettre du Nouveau Testament.
La lettre tue, dira-t-on : aussi ne voulons-nous pas nous en tenir là.
Observez cependant une chose. La lettre tue ; mais c'est quand on en abuse, quand on presse le sens des mots, quand on s'obstine à ne voir dans une loi ou dans un livre que quelque phrase isolée dont on fait son profit.
Rien de semblable dans tout ce qui précède. Loin d'éplucher des déclarations isolées, c'est toujours par des rapprochements que nous avons attaqué celles qu'on nous objectait. Nous avons pris le livre tout entier ; nous avons dit et essayé de montrer qu'il ne renferme rien de contraire à notre thèse : si cela doit encore s'appeler la lettre, on conviendra, que cette lettre se rapproche singulièrement de l'esprit.

Quoique l'autorité des Pères et de l'Église. n'ait aucune valeur à nos yeux si elle ne nous semble d'accord avec l'Écriture, il ne sera pas sans utilité de nous transporter quelques instants sur ce terrain. On l'a fait avant nous.

On affirme,

1° que l'inviolabilité de la vie de l'homme fut proclamée de très bonne heure par les auteurs chrétiens ;
2°que l`Église en fit un des points fondamentaux de sa discipline. Examinons.

Augustin demande la vie des Donatistes ; Chrysostôme défend d'assommer les hérétiques.
Conclusion Augustin et Chrysostôme réprouvent la peine de mort. Nommer l'auteur de cet étrange raisonnement, ce serait presque faire une satire.
On cite Origène : Que Je meure plutôt que de donner la mort, et Lactance : Le vrai sage aime mieux périr que de faire souffrir.
Mais quel est ce juste, quel est ce sage ? Voyez le contexte : il s'agit du Chrétien persécuté. Le législateur n'a donc rien à faire ici.

On cite Basile : Tout homme qui en tue un autre, l'eût-il fait involontairement et en voulant se défendre, est un meurtrier. »
L'exagération de cette idée lui enlève toute valeur.

On cite Tertullien (apol. 57). Les Chrétiens ont pour maxime de souffrir eux-mêmes la mort plutôt que d'y condamner personne.
Mais les Chrétiens n'avaient alors aucune espèce d'autorité légale ; et ce n'est point de condamnations légales que parle l'auteur.
Il vient de retracer les insultes auxquelles ses frères sont exposés de la part du peuple : on les poursuit comme des bêtes sauvages ; on brûle leurs maisons et leurs temples ; mais, quelque nombreux qu'ils soient, ils n'opposent à leurs ennemis que la douceur et la prière. Voilà le sens du morceau.

On cite encore Augustin : Ne nous hâtons pas de tuer les criminels, de peur qu'en quittant cette vie par le supplice ils n'aillent en enfer.
Nous ne pouvons mieux répondre que par une autre citation du même auteur ; elle est tirée, non pas d'une simple lettre comme la première, mais du plus soigné de ses ouvrages. (Voyez De Civit. Dei ; I, 21.)
Quasdam vuerô, etc. - Ceux qui en vertu d'un pouvoir légal ont de mort des scélérats, n'ont point péché contre le précepte, tu ne tueras point.

Voyez aussi Lactance, De irâ Dei, XVII. =Norn exiguo ; etc.) Il vient de réfuter une idée fausse et il ajoute : autant voudrait dire que nos lois et que nos juges sont coupables, parce que nos lois établissent la peine capitale et que nos juges l'appliquent aux scélérats.

On peut dire des Pères, comme des auteurs inspirés que la peine de mort était pour eux une de ces choses dont on ne parle pas vu que personne ne les met en question.
Ambroise seul (de Caïno et abelé) discute brièvement le droit de mort, et paraît se décider contre ; mais comme il s'appuie principalement sur l'histoire de Caïn et sur des conséquences dont nous avons démontré la fausseté, son opinion ne saurait être pour nous d'un grand poids.

Peu à peu, il est vrai, se manifesta dans l'Église une tendance qui paraît combattre la peine de mort. On connaît le fameux adage : l'Église a horreur du sang. Si nous nous bornions à observer que tous les bûchers ou échafauds qui s'élevèrent de Théodose à Louis XIV diminuent prodigieusement la valeur de ces mots, on ne manquerait pas de répondre que peu importent les infractions au principe et que l'essentiel est ici le principe lui-même.
Eh bien ! nous l'accordons : l'Église a horreur du sang.
Mais n'a-t-elle pas constamment reconnu, à ce sujet, une distinction importante que vous laissez dans l'ombre ? Ce droit de mort qu'elle se faisait scrupule d'exercer elle-même (peut-être par une tradition du paganisme romain), elle ne le refusa jamais aux souverains temporels. Un prince-évêque eut, tout comme un autre prince, son tribunal et son bourreau. Le pape, chef de l'Église, a horreur du sang comme elle ; mais cela n'empêche point le même pape, souverain temporel, de faire conduire à la mort les coupables que ses tribunaux y ont condamnés.

Il n'est donc pas exact, que les anciennes, traditions chrétiennes et ecclésiastiques soient contraires à la peine de mort.


III. La peine de mort n'est pas en opposition avec l'ensemble du christianisme.

Rien de plus vague que les objections tirées de l’esprit du christianisme. Quelques auteurs les développent longuement ; la plupart se contentent de les énoncer et regardent comme une espèce d'axiome l'incompatibilité de la peine de mort avec la doctrine et la morale chrétiennes.
Tous les arguments dans ce sens reposent sur trois idées, dont-ils nous suffit de dire quelques mots :

1° rigueur de la peine mort ;
2° patience et douceur prescrites à tous les Chrétiens ;
3° soin que nous avoir du salut de nos frères.

1. Quant à la première, nous n'hésitons pas à la croire fausse. Comment essaye-t-on de la prouver ?
Voyez. ce condamné, dit-on, qui se roule dans son cachot au milieu des angoisses du désespoir, et demandez-lui si un demi-siècle de prison ou de bagne ne lui semblerait pas préférable à l'imperceptible souffrance qui l'attend.
Il s'en faut bien, remarquerons-nous d'abord, que tous les condamnés soient de cet avis. Mais, acceptons le fait : un condamné à mort, est-il un bon juge de la peine de mort ?
Voyez ce malade il qui l'on va couper un bras : malgré toutes les consolations dont il est environné, il voudrait renvoyer le chirurgien ; des mois, des années de dépérissement et de souffrance l'épouvanteraient moins qu'une opération de quelques minutes.
Un combat plus violent encore, mais tout à fait du même genre, agite l'âme du condamné : sa raison est presque anéantie ; toutes ses facultés se concentrent sur un seul point ; l'échafaud dérobe à sa vue tout ce qu'il y a par derrière de souffrance et d'ennui pour ceux à qui l'on accorde la triste faveur de ne pas y monter : s'il pouvait l'envisager de sang-froid, il le préférerait à quelques années de simple détention.
Mais on retourne l'argument :
« Si la prison est plus dure que la mort, de simples vols sont plus punis que l'assassinat. ”
Nous retournons aussi notre réponse. La peine de mort agissant sur les âmes par l'imagination bien plus que par la raison, l'horreur imaginaire dont on l'entoure compense suffisamment la rigueur qu'elle n'a pas en réalité : plût à Dieu qu'il en fût de même de toutes les peines !
Où trouver, d'ailleurs, dans ce monde, une peine strictement proportionnée au délit ? Tel passera gaîment dix ans au bagne ou plaisantera avec le bourreau ; tel autre sera consumé de désespoir et d'ennui, avant d'avoir achevé. Deux ans de prison.

Nos lois portent bien : pour tel crime, dix ans ; pour tel autre, réputé double ; vingt ans ; mais il est une foule de cas où dix ans sont plus que vingt, et une seule année plus que dix. Entamer la question sous ce point de vue, c'est se jeter dans d'inextricables difficultés.

2. Quoi qu'il en soit, s'il est vrai que la peine de mort n'est point exorbitante et que nous en infligeons de plus sévères, que deviennent tous ces appels à la douceur évangélique ? On a vu plus haut que toutes ces règles de support et de tolérance ne peuvent concerner que la morale privée, puisque, appliquées à la morale publique, elles n'iraient à rien moins qu'à anéantir toute pénalité. En quoi donc peut-on dire que la charité chrétienne combat la peine de mort ?

Savez-vous à quoi il est vrai que l'esprit du christianisme s'oppose ?
Premièrement, à tout supplice pour opinions religieuses ; car la société, dans ce cas, peut s'appliquer aussi bien que l'individu et sans nul inconvénient réel les règles de tolérance dont nous parlions ; secondement, à toute espèce de torture physique ou morale qui aggraverait les angoisses du condamné.
Celui qui va périr, en effet, c'est encore un homme et un frère ; juges, nous l'aurons condamné : hommes et Chrétiens, nous adoucirons autant que possible l'horreur de ses derniers instants.
Il dépend presque toujours de nous que le criminel ne maudisse ni la loi qui dicte l'arrêt, ni les juges qui le prononcent, ni la société qui le réclame ; faisons-le convenir lui-même (et on réussit fréquemment) que sa condamnation est juste ; et alors, de ce que la religion est encore pour lui une tendre mère, il n'ira pas conclure avec nos imprudents philanthropes que sa mort est un outrage à la religion.

3. Mais, après la mort le jugement. Si donc vous livrez au souverain juge des coupables qui n'ont eu le temps ni de s'amender ni même de se repentir, vous donnez à la peine une effroyable portée. ”
L'objection est forte ; elle agit puissamment sur la plupart des esprits. Voyons ce qu'elle a de réel.

Sans doute c'est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant. Mais un seul jour se passe-t-il sur notre pauvre terre sans que plusieurs centaines d'hommes, plusieurs milliers quelquefois, soient appelés tout à coup à comparaître devant Dieu ? Nous ne parlons pas des batailles : on dirait que nous excusons un abus par un autre abus ; mais que les accidents de toute espèce, que de maladies trop violentes ou trop courtes pour que le patient ait pu songer à son âme ! Tel a eu dix années pour se réconcilier avec Dieu ; tel autre n'a pas eu dix minutes.
Et pourtant, sommes-nous en peine de la manière dont toutes ces diversités se concilieront un jour dans les décrets de Dieu, avec les lois de son éternelle justice ? Nous ne comprenons pas, mais nous espérons

Cela posé, rien n'empêche de considérer la mort d'un coupable comme un de ces nombreux accidents qui hâtent chaque jour, pour un si grand nombre d'âmes l'heure du jugement dernier. L'identité, au fond n'est pas complète, puisque la volonté des lois se substitue dans ce cas à celle de Dieu ; mais, par rapport au criminel et à l'état de son âme, la chose est la même : qu'il périsse foudroyé en commettant son crime, ou qu'il monte sur l'échafaud quelques semaines après, l'Évangile nous permet et la raison nous commande de croire que son juge lui tiendra compte des occasions de repentance dont il est privé.

À Dieu ne plaise que nous nous autorisions de cette idée pour condamner fréquemment et à la légère ! Mais elle nous paraît d'une grande force contre tous les scrupules tirés de l'avenir du criminel. Ne disons pas avec des paysans stupides : “autant de guillotinés, autant de damnés »
C'est nier la miséricorde et la justice ; c'est adopter, dans ses conséquences du moins, l'idée superstitieuse que l'avenir éternel d'une âme dépend de l'état où elle se trouve à l'instant précis du départ.

Cette idée elle-même, dans un sens, est plutôt favorable que contraire à la peine de mort. S'il est des condamnés qui refusent les secours de la religion meurent dans une affreuse impénitence, la plupart se réfugient avec une docilité profonde dans les bras du seul homme qui leur parle encore de grâce et d'espoir.
Ce repentir, hélas ! est bien loin d'avoir le mérite d`une conversion spontanée et d'un solide amendement ; mais c'est déjà beaucoup pour de grands coupables, et on peut affirmer que la plupart ne retrouveraient pas dans tout le cours d'une longue vie des élans semblables de componction et de foi.
Ce pénitent. de quelques heures dont vous ne pouvez vous empêcher d'espérer le salut peut-être aurait-il croupi tout le reste de sa vie dans un état d'indifférence et de piété machinale. Peut-être même (et quoi de plus fréquent) ce retard n'aurait servit qu'à le rendre plus criminel. Vous trouvez horrible qu'on tranche les jours d'un homme qui commence à se repentir ; mais vous oubliez qu'il n'eût jamais commencé peut-être, si l'échafaud et ses terreurs ne s'étaient dressés devant lui.

On va nous arrêter sur ce mot peut-être ; on dira que la plus faible chance de conversion réelle et durable doit suffire pour écarter la hache. Mais,

1° que l'on se rappelle ce que nous disions tout à l'heure de l'équité du juge suprême, et l'objection aura déjà perdu la plus grande partie de sa force ;
2° l'idée, en elle-même, est très contestable : est-il bien vrai que l'espoir de régénérer quelques criminels doive suffire pour leur sauver la vie de tous ? Nous ne le pensons pas ;
3° trancher une vie qui serait peut-être devenue honorable, c'est un mal sans doute ; mais si la peine de mort a d'ailleurs pour elle des arguments directs et positifs ; si la religion ne la combat point, comme nous croyons l'avoir démontré ; si elle est légitime et nécessaire, comme nous pensons qu'on peut le prouver : le mal dont on parle s'efface et ne montre plus qu'une chose, savoir que la peine de mort, comme toutes les institutions humaines, n'est pas absolument exempte de tout inconvénient.

Légitime et nécessaire, avons-nous dit. Ces mots nous transportent au centre de la question, et, bien que ce point de vue ne soit pas le nôtre quelques idées plus générales auront ici leur place.
Punir, c'est priver d'un bien ; et à l'idée de punir s'allie naturellement celle d'une proportion entre la peine et la faute. Cette proportion varie, suivant les pays et les temps, pour tous les degrés intermédiaires de l'échelle ; mais il est un point où toutes les législations se rencontrent :
Punir les plus grands des crimes par la perte du plus grand des biens, (et le plus grand de tous les biens, à tort ou à raison, aux yeux de l'immense majorité des hommes, c'est la vie). La question de droit disparaît ; il 'n'y a plus qu'une question de logique.
Entre la peine de mort et la plus légère amende existe une relation intime. Si vous accorder. Au législateur le droit de vous punir dans votre fortune et votre liberté, il est irrésistiblement conduit à vous punir aussi dans votre vie. Voilà notre question réduite à ses termes les plus simples ; longtemps elle n'en a pas eu d'autres. La peine de mort n'était que le complément naturel et logique de tout système de pénalité.
Cette remarque est importante, mais la difficulté n'est que reculée. Nous allons y venir directement.

Posons d'abord en principe, que toute sanction connue à l'avance de celui qui l'encourt est par cela même légitime. Un objet à vendre, en effet (qu'on nous permette cette comparaison), a beau être taxé un prix exorbitant : s'il n'existe pour l'acheteur ni nécessité ni contrainte ; le vendeur est dans son droit ; il blessera la délicatesse peut-être, mais non la justice.
La peine de mort (comme toutes les peines) n'est autre chose que le prix auquel on achète, non pas la permission, mais la possibilité de certains actes. Tant qu'il n'y a pas contrainte, commettre ces actes, c'est accepter la sanction. Punissez de mort le plus simple vol vous aurez des exécutions sans nombre et d'atroces injustices ; et cependant, s'il est universellement connu dans le pays, que tout vol mène à l'échafaud, on ne pourra point appeler ces horreurs illégitimes : summa injuria n'empêchera point summum jus.

Mais voici la grande objection. « Pour que le marché fût valable, il faudrait que l'homme eût des droits sur sa propre vie : nul ne peut céder ce qu'il n'a pas. »
Nous nous garderons bien de répondre avec quelques auteurs que, si le marché est vicieux, la faute en est tout entière au criminel, puisqu'il se met dans le cas d'un homme payant ses dettes avec un bien dont il n'est que le dépositaire.
Cette réponse a deux inconvénients, elle admet le fait que l'individu n'a aucun droit sur sa vie, et elle suppose la société prenant en payement une valeur dont elle sait que le débiteur n'est pas propriétaire. Nous répondons en niant le principe : il n'est pas vrai que l'homme n'ait aucun droit sur sa vie.
Ces paroles vont peut-être surprendre et choquer ; nous supplions qu'on nous entende jusqu'au bout.

Une somme importante m'est confiée : je la dépense. Que ce soit pour une mauvaise action ou pour une bonne, je suis coupable : j'ai usé d'un droit que je n'avais pas.
Une autre somme m'appartient ; je la dépense.

Mon but est-il bon ou mauvais ? Peu importe ; on pourra blâmer l'usage que j'ai fait de ma fortune ; mais, tant qu'il ne s'agit que de droits, si j'ai celui de l'employer à des actes honorables, j'ai aussi celui de l'employer à quoi que ce soit.
Cela dit, nous demanderons s'il n'est pas un certain nombre de cas où l'homme dispose de sa vie sans que nos plus scrupuleux moralistes aient l'idée de lui en contester le droit. Payer de sa personne dans une guerre défensive et juste, dans un incendie ou dans une inondation, a toujours été regardé, non seulement comme une chose permise, mais encore comme un devoir. Eh bien ! si je n'avais réellement aucun droit sur ma vie, l'action la plus héroïque ne serait pas moins que le suicide un attentat aux droits de Dieu ; et s'il m'est permis de dire à la société : « dispose de moi pour ton salut, quand les hommes ou les éléments te menacent, » je puis aussi lui dire : « prends ma vie quand j'aurai commis telle ou telle action. »

Ma vie est à moi comme l'eau qui me désaltère, comme la maison qui m'abrite, comme les mets de ma table, comme la fortune que j'ai acquise ou reçue, comme tous les biens, en un mot, dont la religion nous apprend à remercier la Providence : il n'en est aucun dont je ne puisse faire un usage criminel ; mais, si j'en suis blâmé ici-bas et puni dans l'autre vie, ce n'est pas pour avoir usé de ces biens, puisque j'en étais le maître ; c'est pour en avoir mal usé.
Et qu'on ne dise pas que nous infirmons ici la culpabilité du suicide ; nous ne faisons que la changer de place, et la fonder sur une considération plus claire et plus positive. J'ai le droit de me suicider, tout comme celui de jeter à la mer l'argent ou les objets précieux qui constituent ma fortune. Mais cette fortune ainsi détruite, c'était le patrimoine de mes enfants ; c'était au moins celui d'un certain nombre de parents et de pauvres à qui je me devais : je suis donc coupable de l'avoir anéantie ; mais j'avais le droit de l'anéantir. Dans le suicide, même droit, et, en même temps, culpabilité du même genre quoique infiniment plus grande.
Je quitte lâchement le poste que m'avait assigné la Providence ; je donne à mes concitoyens un funeste exemple ; je dérobe à mes proches un appui qui leur était du ; à la société un membre qui pouvait et devait lui être utile ; en un mot, j'anéantis un bien dont j'aurais dû tirer parti pour mon avantage et celui de mes frères : voilà où est mon crime, et il est grand.
Que les hommes et Dieu me condamnent ! mais leur réprobation ne sera pas une preuve que le droit dont j'ai abusé ne m'appartînt pas.

« La vie est un don de Dieu. » Sans doute ; mais ne peut-on pas en dire autant de toutes les choses dont on use ou dont on abuse ici-bas ? Vous ;objectez que les autres biens peuvent nous venir des hommes, tandis que la vie ne peut venir que de Dieu ; mais, de ce que Dieu seul peut nous la donner, s'ensuit-il que Dieu seul ait droit de nous la ravir ? La raison des deux idées est loin d'être évidente, et nous doutons fort que tous ceux qui les associent aient préalablement examiné en quoi la seconde découle de la première.

Quant à la nécessité de la peine de mort, on en a fait un sujet immense ; qu'il serait possible, selon nous, de réduire considérablement.
On s'évertue à prouver (ce qui n'est pas difficile) qu'un criminel est aussi incapable de nuire entre quatre bons murs que dans la fosse ; on démontre sans plus de peine, que Rousseau va trop loin quand il dit, en parlant de la société et du criminel : il faut que l'un des deux périsse.
Mais, si nous avions à traiter cette question, ce n'est pas sur ce terrain que nous accepterions la lutte. De ce que la société peut vivre, à la rigueur, sans que le criminel périsse, il ne résulte pas nécessairement que la vie du criminel doive être conservée. Non, ce n'est pas simplement de vivre et de se garantir qu'il s'agit ; ce n'est même pas non plus de punir un misérable ; c'est de donner aux lois et à la nature outragées une haute et solennelle satisfaction, satisfaction dont la convenance et la nécessité n'en sont pas moins réelles bien qu'on ne puisse les démontrer par des chiffres.
Un emprisonnement n'atteindra jamais ce but. Vous aurez beau y joindre, comme on le propose, l'exposition publique et la cérémonie du glaive passé sur la tête : le pouvoir des cérémonies va diminuant de jour en jour, et quand même (ce qui est plus que douteux) vous parviendriez à faire de la vôtre quelque chose de sérieux et d'effrayant, jamais vous ne nous ôterez l'idée pénible, que votre législation ne met aucune véritable différence entre le meurtrier et le délinquant de police correctionnelle ; « Pour moi., disait un bon vieillard, en parlant de l'exécution d'un parricide ; je n'ai jamais été voir guillotiner, et je n'irai jamais ; mais je respire plus à l'aise quand je sens que de pareils monstres sont morts. »
Ces paroles, nous les avons entendues, et le sentiment qu'elles expriment, un plus naturels et des plus universels qui existent, nous paraît la plus forte preuve de la nécessité d'une sanction capitale.



IV : Parmi les inconvénients que l'on reproche à la peine de mort, les uns n'existent pas ; les autres sont inhérents à toute espèce de peines ; la plupart enfin peuvent être effacés ou réduits.

La peine de mort n'admet pas de degrés.
Vice monstrueux quand elle est prodiguée ; en Angleterre, par exemple, où elle frappe également le vol d'un mouton et l'homicide. Mais, sur un nombre quelconque de criminels, si le moins coupable l'est encore assez pour mériter clairement et de l'aveu de tout le monde la peine qu'il va subir, où est l’injustice ? D’ailleurs, là détention perpétuelle (ou tout autre maximum de peine en remplacement de la mort) présenterait le même inconvénient : là aussi, il n'y aurait plus de degré.

C'est une arme terrible entre les mains d'un mauvais prince ou un peuple en révolution.
Mais de quoi n'abuse-t-on ? Toutes les lois, tous les préceptes ont enfanté des injustices et des folies.
On parle de tyrans : les cachots de la Bastille sous Louis XI ; les plombs de Venise, les oubliettes de l'inquisition, tant d'autres lieux ; d'où on eût été heureux de sortir pour aller au supplice, montrent assez qu'un despote aura toujours les moyens d'être cruel, quand même (ce qui est peu probable) il ne relèverait pas l'échafaud.
On parle de peuples en démence ; mais le supplice, dans ces moments affreux. ne peut plus s'appeler la peine de mort : c'est un assassinat.
L'arme est dangereuse, comme vous le dites ; mais, quoi qu'on fasse, la main qui voudra s'en servir saura bien toujours la retrouver sous une forme ou sous une autre. Ce n'est pas en l'arrachant des mains de la loi que vous rendrez désormais impossibles les horreurs qui ont souillé notre histoire ; c'est en éclairant, en moralisant les peuples, et surtout en leur faisant accepter peu à peu le joug salutaire d'un christianisme pur et relevé ;

Convenez cependant, nous dit-on, que la peur de mort crée ou entretient chez les peuples un certain instinct sanguinaire.
Ne confondez pas le fond et la forme, la peine de mort et l'exécution publique. Il n'est certes pas besoin d'une sensibilité bien vive ni d'une haute noblesse de sentiments pour comprendre ce qu'a de hideux l'empressement de la foule autour d'une tête qui tombe ; mais presque tous les partisans de la peine de mort se prononcent aujourd'hui contre la publicité de l`exécution.
Il y a longtemps que l'on propose une demi-publicité, qui, sans augmenter les angoisses du patient, frapperait les esprits d'une religieuse terreur. La foule pourrait contempler au milieu de son lugubre cortège le malheureux qui marche à la mort ; mais elle ne verrait pas tomber sa tête. Elle se presserait autour d'une enceinte funèbre ; ses yeux ne seraient frappés ni des horribles frayeurs de certains coupables, ni de l'effronterie cynique de certains autres ; mais son imagination, violemment ébranlée, assisterait au drame sanglant, et le tintement d'une cloche, ou seulement un drapeau noir, lui en annoncerait le dénouement.

Nous pensons, du reste, qu'on exagère les mauvais effets de l'exécution publique. Autour de l'échafaud, nous l'avouons, se presse toujours un cercle plus ou moins épais de gens qui viennent là comme au théâtre ; mais l'immense majorité des spectateurs est profondément émue, car ils sont accourus presque tous, bien moins par curiosité réelle, que pour pouvoir dire qu'ils ont vu. Autre chose est, d'ailleurs, de s'habituer à voir de sang froid tomber une tête, et de prendre soi-même du goût pour l'assassinat. Depuis l'abolition de la torture, la cruauté des bourreaux est un mot vide de sens ; leur ministère se réduit à lâcher une détente, et encore n'est-il pas rare qu'on les voit détourner les yeux.

L'exécution, dîtes-vous, est au fond un meurtre, et la vue d'un meurtre ne peut être que funeste. Mais si le peuple sait que ce meurtre expie un meurtre, si le condamné ne périt que pour avoir fait périr, le remède n'est-il pas à côté du mal ?
Et quant à la monomanie homicide, cette horrible folie qui fait commettre le meurtre sans intérêt, sans haine et par un déplorable instinct d'imitation, ce n'est en général pas la vue du sang des criminels, mais le récit ou la vue des crimes qui la fait naître

Nous avons trouvé partout de singulières exagérations sur le compte du bourreau. Qu'une populace ignorante l'abhorre, cela se conçoit, il serait fâcheux même qu'un bourreau fût complètement à nos yeux. un homme comme les autres.
Mais que des gens nous en fassent un Paria et une espèce de monstre, c'est ce qui a droit de nous surprendre dans un siècle où l'on dit. tant que la profession n'avilit pas l'homme, La sienne est de tuer quand on lui dit : tue ; n'est-ce là aussi celle du Soldat ? et pourtant, malgré leur juste horreur pour la guerre, ces mêmes hommes qui attaquent si vivement le bourreau sont bien loin d'appeler infâme tel soldat ou officier qui a tué dans sa vie plus d'hommes, peut-être, que tous les bourreaux du royaume.
On ferait un livre des contradictions amassées sur ce sujet et sur bien d'autres dans la question de la peine de mort.

La justice humaine peut se tromper, et la peine de mort est irréparable.
On nomme des victimes. Plût à Dieu qu'il y en eut moins ! Mais qui nommerait, qui pourrait compter tous les criminels dont la culpabilité ne souffre pas le plus imperceptible doute ! Deux sur mille (on l'a calculé), tel a été en France, depuis le commencement de ce siècle ; le nombre des condamnés dom l’innocence a été reconnue ou soupçonnée trop tard. Au lieu de deux, mettons quatre ; ajoutons six pour ceux dont l'innocence n'aura pu se faire jour ; nous aurons dix sur mille, ou un sur cent, et les progrès de l'administration judiciaire, joints à l'inspection toujours plus rigoureuse du public sûr les magistrats, diminuent de plus en plus les chances d'erreur.
Reste donc à savoir si une proportion aussi minime (et nous croyons l'avoir amplement exagérée), doit balancer tout ce que nous avons dit et tout ce qu'on peut dire en faveur de la peine de mort. Nous déplorons autant que personne les erreurs sanglantes de la justice humaine, mais nous ne pensons pas qu'elles doivent entrer en compte dans l'examen rationnel et théorique de cette peine ; car, au moment que la société la croit nécessaire et l'adopte, un innocent frappé par hasard au milieu de tant de coupables, c'est un citoyen qui périt pour les lois et la paix de sa patrie. « Mais son dévouement n'est pas volontaire, et sa mort est affreuse. »
Oui ; mais si vous admettez l'âme immortelle et une compensation future des maux de la vie, qu'est-ce qu’un supplice non mérité, sinon une épreuve plus dure, il est vrai, que beaucoup d'autres, mais dont le plus juste des juges saura bien dédommager la victime ?

Malheur, sans doute, mille fois malheur au juge dont la sacrilège insouciance laisserait à Dieu le soin de corriger dans l'autre vie des arrêts témérairement prononcés l Mais s'il y apporte autant d'attention et autant d'humanité que possible, qu'il prononce sans crainte :
irréparable sur la terre, la peine de mort ne l'est pas dans le ciel.


CONCLUSION.


La peine de mort doit être maintenue.
Puissent les progrès de l'instruction morale et religieuse des peuples rendre de plus en plus rares les occasions de ces terribles exemples ?
Puissent-ils disparaître un jour avec les crimes qui les appellent !

Voilà comment nous entendons l'abolition de la peine de mort. Dans ce sens, c'est le plus ardent de nos vœux, et nous sommes heureux et fiers d'un ministère qui nous appelle à y contribuer.


FIN.