Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉPROUVEZ-VOUS

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SERMON PRÊCHÉ A LA CHAUX-DE-FONDS


Le 4 Septembre 1870


G. BUREL-GIRARD, PASTEUR



1870.




Que chacun donc s'éprouve soi-même.

1re épître aux Corinthiens XI, 28

Oui, mes frères, le Seigneur est bon, et sa miséricorde est toujours la même.
Voici, tandis que la guerre couvre le sol de la France d'horribles massacres, et que la voix du sang de nos frères crie de la terre jusqu'à Dieu, le Père des miséricordes nous permet de nous réunir en pleine paix, et, loin de la guerre et des bruits de guerre, Il nous invite à nous approcher de la table sainte. Tant il est vrai que, selon la parole du Psalmiste, « l'Éternel est miséricordieux et clément, lent à la colère et riche en amour.. Il ne nous traite point suivant nos péchés, et ne nous paie point le salaire de nos crimes.. Autant l'Orient est éloigné de l'Occident, autant Il a mis loin de nous nos iniquités. » (Ps. 103, 8, 10, 12.)
O Dieu, tu es mon Dieu, et je te loue ; mon Dieu, je t'exalte ! Louez l'Éternel, car Il est bon, car sa grâce demeure à jamais. (Ps. 118, 1, 28.)

Nous sommes appelés, mes frères, à prendre part à la communion. C'est un grand bienfait, d'autant plus grand que les circonstances où nous en jouissons sont plus tristes.
Commençons par reconnaître que nous en sommes totalement indignes. Mais si la grâce est toujours la grâce, si les dons de notre Père sont' immérités, n'avons-nous rien à faire pour répondre aux témoignages de l'amour divin ?

O vous qui voulez vous rendre à l'invitation du Sauveur, prenez à cœur la parole que saint Paul adressait à son Église de Corinthe. Je viens vous la remettre en mémoire, en cherchant à la développer devant vous. Puissiez-vous faire de votre vie et de votre cœur, de vos sentiments et de vos pensées, un humble et sérieux examen.
Venez, mais avec la pleine connaissance de ce qui vous manque, et que cette table, qui est la tienne, Seigneur, ne soit entourée que de tes disciples, animés les uns envers les autres d'une charité cordiale, désireux de s'unir à Toi et décidés à dire hautement, devant les hommes et devant les anges, ce qu'ils ont trouvé en Toi d'amour et de compassions.

Que chacun s'éprouve.
C'est ainsi que l'Apôtre résume tous les devoirs du fidèle communiant.
Éprouver, c'est mettre à l'épreuve.
Cette épreuve, appliquée à un objet ou a un homme, doit constater que cet homme, que cet objet répondent à l'usage que l'on veut en faire.
L'orfèvre éprouve l'argent et l'or ; il s'assure que ce métal est sans alliage, et qu'il peut l'employer avec confiance aux ouvrages les plus magnifiques ou les plus délicats de son art.
Le chef de comptoir met à l'épreuve celui qui vient lui faire ses offres de service ; il l'observe, il le suit de l'oeil, et il ne l'admet que s'il est certain de trouver en lui un employé fidèle et capable.
Le chef de l'État met à la tête des troupes le général dont il a éprouvé l'intelligence, la bravoure et le caractère. Il l'interroge, il le voit à l'œuvre, il recueille les avis des officiers et des soldats, et ce n'est qu'après cela qu'il lui confère le périlleux honneur de mener au feu son armée.

Vous aussi, mon frère, avant de prendre part à la sainte cène, vous avez a vous éprouver, c'est-à-dire que vous devez faire la revue de vous-même, pour vous assurer que vous répondez à ce que le Seigneur exige de quiconque veut s'approcher de la communion.
Ces exigences vous sont connues, mais elles vous paraîtront plus simples et plus évidentes, si vous êtes bien pénétré du sens de cette cérémonie.

Ce sens est triple, et le voici:

En instituant la sainte cène, Jésus voulait que ses disciples conservassent vivant dans leur cœur le souvenir de sa personne et de ses souffrances. Faites ceci en mémoire de moi, leur disait-il, semblable à un père de famille, qui, avant de quitter les siens, établirait dans sa maison une coutume destinée a le rappeler constamment au souvenir de ses orphelins.

La sainte cène est un repas commémoratif, elle fait revivre dans l'Église la mémoire de notre Seigneur. Mais ce n'est pas Jésus seulement, ce sont les douleurs de Jésus, c'est sa mort, c'est son sang versé que la communion nous rappelle.
La mort du Christ est autre chose que celle d'un martyr, c'est un sacrifice, le sacrifice par excellence, qui a fait disparaître tous les autres, comme le soleil dans sa gloire efface les premières lueurs qui annonçaient son lever.

Chaque fois que je prends ce pain et que je le romps, je dis : c'est ainsi que le corps de mon Sauveur a été rompu.
Chaque fois que j'approche cette coupe de mes lèvres, pour boire quelques gouttes du vin qui y a été versé, je dis : c'est ainsi que le sang de mon Sauveur a été répandu.

J'annonce sa mort jusqu'à ce qu'il vienne, (1 Cor. 11, 26.) et devant mes frères, devant les anges qui sont ici, (1 Cor. 11, 10) avec l'Église de tous les temps et de tous les lieux, je déclare que c'est sur ce sacrifice de propitiation que mon salut repose ; que cette mort est ma délivrance, et que ce que j'ai de paix, de joie, d'espérance, d'amour, de consolation ne me vient que de cette croix, de ce Saint et de ce Juste dont la chair a été meurtrie, et le sang répandu pour moi.

Christ est mort pour mes péchés, selon les Écritures. (1 Cor. 15, 3.) Il a porté mes maladies, et s'est chargé de mes douleurs. Il a été percé pour mes péchés, et brisé pour mes crimes ; le châtiment qui me sauve est tombé sur lui, et c'est par ses plaies que je suis guéri. (Es. 53, 4-5.)

Cette explication n'est pas nouvelle ; c'est celle qu'ont toujours donnée les Églises de la Réformation, en particulier celles qui ont subi l'influence de l'enseignement de Zwingli et du génie de Calvin. Mais ces dernières ont eu le tort de s'y arrêter trop et de ne voir que des signes dans les éléments de la sainte cène.
Oui, la cène du Seigneur est un mémorial, mais n'oublions pas que ce mémorial est en même temps une communion. (1 Cor. 10, 16.)
Communion veut dire union avec ; c'est l'union de quelqu'un avec ma personne, et de ma personne avec quelqu'un.

Ce quelqu'un, qui donc est-il, si ce n'est Toi, Seigneur Jésus, qui as dit : « Celui qui demeure en moi, et en qui je demeure, porte beaucoup de fruit, parce que sans moi vous ne pouvez rien faire. » (Ev. S. Jean 15, 5.)
Ce que le Seigneur nous donne dans la sainte cène, c’est plus et mieux qu'une idée ou qu'un souvenir ; c'est une nourriture substantielle, c'est sa chair et son sang, (Ev. S. Jean 6, 53 sq.) selon ses propres expressions, c'est sa personne glorifiée, c'est Lui-même enfin.

Il ne suffit pas que Jésus-Christ soit pour nous, il doit encore être en nous, car il faut que nous soyons transformés à sa ressemblance; que, dépouillés de notre vieille nature, toute pétrie de souillures et de convoitises, nous soyons revêtus du nouvel homme qui est Christ, et que chaque chrétien soit la photographie de son Sauveur, un Christ, comme le dit avec tant de vérité la langue allemande, la plus profonde de toutes les langues des peuples modernes.
Or, cette communication de lui-même à moi, cette transfusion, osons le dire, de sa personne dans ma personne, de sa vie dans ma vie, de son être dans mon être, c'est surtout par la sainte cène que le Seigneur veut l'opérer. Les éléments matériels ne changent pas de nature, ainsi que le prétend l'Église romaine, qui veut que le pain et le vin soient changés, dans les mains du prêtre, au corps et au sang de notre Seigneur.
Le pain rompu est toujours du pain, le vin de la sainte cène est toujours du vin, mais ce fruit du froment et de la vigne, les plus simples et les plus nobles de nos aliments journaliers, Jésus, présent dans ce temple, comme il l'est partout où l'on invoque son nom, (Ev. S. Matth. 28, 20.) Jésus les a consacrés pour nous communiquer par leur moyen quelque chose de la plénitude de sa vie divine. (1)
Rien ne remplace la table du Seigneur, ni le recueillement, ni la méditation des paroles de Jésus-Christ, ni la pratique de ses commandements, ni la prière, ni la foi, quelque énergiques qu'elles puissent être. Mais dans cette communion, dont la table sainte est l'organe, c'est Jésus qui s'approche de moi et qui s'unit à moi de la manière la plus mystérieuse tout ensemble et la plus réelle.

Ses pensées descendent dans les miennes pour les renouveler ; son cœur fait naître dans mon cœur les saintes émotions de l'amour qui met sa joie dans le sacrifice ; sa volonté imprime à la mienne le sceau de sa justice et de sa sainteté ; il n'est pas jusqu'à ma chair même qui ne tressaille de joie, car Jésus-Christ dépose en elle ces germes de résurrection et de vie, qui s'épanouiront plus tard dans le corps glorieux, semblable au sien, dont je dois être revêtu. (Ev. S. Jean, 11, 26. Phil. 3. 21.)

Ainsi, de foi, en foi, et d'une communion à l'autre, se développe en moi cette vie nouvelle « du corps, de l'âme et de l'esprit » en Dieu, qui n'est autre que la vie du Christ. (1 Thess. 5, 23.) « Et nous tous qui, le visage découvert, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés de gloire en gloire, à son image, par l'Esprit du Seigneur. » (2 Cor. 3, 18.)

Enfin, mes frères, Jésus-Christ n'a pas voulu que chaque chrétien fût seul à prendre part a la sainte cène.
C'est à ses disciples réunis qu'il a rompu le pain et tendu la coupe. Faites ceci, leur a-t-il dit, faites-le tous ensemble, et non pas chacun pour soi, où il le veut, et comme il l'entend.
La table du Seigneur n'est pas un marbre solitaire ; c'est un rendez-vous de foi, d'espérance et de charité. (Act. 2, 42.)
Rien de plus varié que le spectacle que le monde nous offre, et celui que nous présentent les fidèles eux-mêmes au milieu des occupations et des agitations de la vie. Il y a l'homme vêtu de bure et l'homme vêtu de drap neuf ; il y a le pauvre et il y a le riche ; il y a le manoeuvrier et il y a l'homme de cabinet ; il y a l'ignorant et il y a le savant ; il y a l'homme obscur et il y a l'homme illustre ; il y a le faible en la foi et il y a l'homme d'expérience.
Ici, toute différence s'est évanouie.

En présence de « ces touchants symboles, qui retracent du Christ le sanglant sacrifice au souvenir de ses enfants, » il n'y a plus ni jeune ni vieux, « ni esclave, ni libre, ni Juif, ni Grec, ni homme, ni femme, nous sommes un en Jésus-Christ. » (Gal. 3. 28.) La parole du Maître retentit seule avec une force nouvelle : « Vous êtes tous frères. » (Ev. S. Matth. 23, 8.)
Arrière les misérables préjugés de la vanité. Arrière les vieilles haines et les coupables rancunes. Arrière tout désir d'ambition personnelle. Arrière la froideur, l'égoïsme et les faux airs de grandeur. Arrière les jugements téméraires et la médisance. Arrière, arrière..., je ne vois qu'une famille de frères et de sœurs, enfants du même Père, rachetés par le même Sauveur, sanctifiés par le même Esprit, nourris par la même Parole, consolés par la même espérance, et héritiers de la même gloire. (Ephés. 4, 4 sq..)
Comme il y a un seul pain, nous qui sommes plusieurs, nous sommes un seul corps, parce que nous avons tous part au même pain. (1 Cor. 10, 17.) Oui, le Maître l'a dit, à cette table plus qu'ailleurs, nous sommes tous frères.

J'avais besoin, mes frères, de vous rappeler toutes ces choses, trop peu familières, nous le craignons, aux fidèles de nos Églises. Et maintenant je suis en mesure de vous dire : Qui que vous soyez, descendez en vous-mêmes.
Que chacun de vous s'éprouve soi-même.

La sainte cène est un mémorial, elle rappelle au croyant ce que Jésus a fait pour lui.
Êtes-vous convaincu, mon cher auditeur, que c'est pour vous que Jésus est mort ?
Est-ce en Lui que vous mettez toute votre confiance pour vous présenter devant Dieu ?
Avez-vous dépouillé, comme un vêtement en lambeaux, toute prétention de vous justifier par vos seuls efforts ?
Êtes-vous tranquille, non parce que vous n'êtes pas pire qu'un autre, que vous n'avez ni tué, ni volé, et que vous vous abstenez de mentir tant que votre intérêt bien entendu ne vous engage pas à dissimuler, mais parce que vous avez auprès du Père un avocat, un vivant intercesseur, auquel vous avez remis votre cause ? (1re Ep. S. Jean. 2, 2.)

Je ne vous demande pas, remarquez-le, si vous êtes au clair sur tous les points de la doctrine chrétienne, si vous avez bien compris l'unité d'amour qui existe entre le Père et le Fils, entre le Fils et le Père, si vous ne rencontrez dans les Écritures aucun miracle, aucune parole, aucune page, aucun livre qui vous étonne, si aucune incertitude, si nul doute, oiseau sinistre, ne traverse votre cœur ; les disciples eux-mêmes étaient fort ignorants et bien chancelants, quand Jésus leur fit don de la sainte cène. (Ev. S. Luc. 22, 38. S. Matt. 26,43. S. Jn, 16, 12.) Mais je demande : Sentez-vous que vous avez besoin d'un Sauveur, et que ce Libérateur ne saurait être que Celui qui nous a été fait, de la part de Dieu, sagesse, justice, sanctification et rédemption ? (1 Cor. 1, 30.)
Voyez, jugez, sondez-vous ; que chacun s'éprouve.


La sainte cène est une communion, c'est le moyen dont Jésus se sert pour s'unir à nous. Voulez-vous vraiment, mon cher auditeur, vous unir à Christ ?
Luttez-vous contre vos défauts, contre les travers de votre caractère ?
Surtout luttez-vous contre votre péché favori ?

Le péché favori ! Ah ! c'est ici qu'il importe de redoubler d'attention. Chacun de nous a son péché, qui répond mieux qu'un autre aux mauvais côtés de sa nature dépravée, et d'où sortent, comme les rameaux d'un même tronc ; toutes les convoitises qu'il entretient. Pour l'un, l'orgueil ; pour un autre, l'avarice ; chez celui-ci, la colère ; chez celui-là, la sensualité.

Et le vôtre ? ..... faites-vous la guerre à cet ennemi, une guerre loyale, une guerre à mort, celle d'Israël contre les tribus dégénérées de Canaan ? Je ne vous demande pas, remarquez-le, si vous êtes bien avancé déjà dans cette communion avec Jésus-Christ, si vos pensées sont les siennes, si votre cœur est rempli de l'amour dont le sien était débordant, si votre vie reproduit la sienne de tout point. Je ne vous dis point : Êtes-vous parvenu à cette hauteur où la vie propre est étouffée, et où l'on ne trouve plus dans le fidèle que la vie du Christ ? (Gal. 2, 20.)
Les disciples eux-mêmes n'avaient fait que bien peu de pas dans la sanctification, quand Jésus leur rompit le pain. Mais je demande : Votre cœur est-il droit devant Dieu ?
Éprouvez-vous le besoin d'être revêtu d'une nouvelle nature, et avez-vous compris que l'image à laquelle vous devez être transformé, ne peut être que celle de Jésus-Christ, toute de pureté, de lumière et de vérité ?
Voyez, jugez, sondez-vous, éprouvez-vous ; que chacun s'éprouve.
La sainte cène est une agape, c'est-à-dire un repas d'amour fraternel. Est-ce dans cet esprit que vous y venez ?
Si l'un de vous a quelque sujet de plainte contre l'autre, vous souvient-il que « Dieu vous a pardonné en Christ, » (Ephes. 5, 32.) et vous sentez-vous pressé d'en agir de même ?
Savez-vous pardonner sans arrière-pensée ?
Vous abstenez-vous de tout mensonge, de toute infidélité, de toute médisance ?
Évitez-vous avec soin ces colères, ces mouvements d'humeur, ces paroles amères, qui pourraient faire couler des larmes dans les yeux de votre père, de votre mère, de votre mari, de votre femme, de votre enfant, de votre frère, de votre sœur, de votre ami ?
Êtes-vous jaloux de profiter de chaque occasion qui vous est offerte de faire le bien ? Savez-vous donner de votre superflu, et prendre, s'il le faut, sur votre nécessaire ?
Est-ce avec joie que vous versez sur les plaies de votre prochain l'huile et le vin du Samaritain ?

Je ne vous demande pas, remarquez-le, si votre vie est un modèle d'amour et de dévouement ; si vous êtes parfait, - parfait en charité, - comme notre Père qui est dans les Cieux est parfait ?
Les disciples eux-mêmes, au soir du dernier repas, étaient encore dominés par une ambition aussi mesquine que jalouse. (Ev. S. Luc. 22, 24.)
Mais je demande : Sentez-vous que la charité vaut mieux que l'égoïsme, et faites-vous la guerre à votre égoïsme ? Sentez-vous que la miséricorde vaut mieux que le jugement, et prenez-vous à tâche d'étouffer tous les mouvements impitoyables qui se produisent en vous ?
Sentez-vous que la parole d'amour vaut mieux que la médisance, et vous appliquez-vous, selon la parole du Psalmiste : « à mettre un frein à vos lèvres ? » (Ps. 39, 2.)

En un mot, vous revêtez-vous, comme un élu de Dieu, son saint et son bien-aimé, d'entrailles de miséricorde, de douceur et de compassion ? (Col. 3, 12.)
Vous êtes bien loin du sommet, je vous crois sans peine, - la charité, c'est l'éternité, - mais y tendez-vous ?
Voyez, jugez, sondez-vous, éprouvez-vous ; que chacun s'éprouve.

Cet examen de vous-même, cette épreuve, pour parler la langue de saint Paul, est indispensable. « Qu’ainsi, dit-il, et ainsi seulement, il mange de ce pain et boive de cette coupe. »
Mais l'épreuve dont nous parlons, j'ai besoin de le dire, doit être toute personnelle. À chacun de vous de la pratiquer sur lui-même ; « que chacun, poursuit l'Apôtre, s'éprouve soi-même. »

Il en doit être ainsi, surtout dans l'état actuel de nos Églises de multitude ; car quel autre que vous-même vous connaît assez pour prononcer le jugement que nous réclamons ? Sont-ce vos pasteurs ?
Il est vrai que le ministère que nous exerçons au nom du Seigneur, nous en impose l'obligation, et qui pourrait nier qu'il y ait eu des cas où cette intervention, qui n'était qu'un acte de fidélité, a été bénie ?

Un jour, il y a 174 ans de cela, un jeune homme entre dans un des temples de Genève. Il se joint a la foule qui s'approche de la table sainte. Mais ce jeune homme a dès longtemps quitté la voie de piété et de chasteté que ses professeurs lui avaient tracée. Il a servi pendant quatre ans dans les troupes du duc de Savoie, et mené, loin de son pays, cette vie facile et insoumise qui s'apprend bien vite au milieu de la licence des camps. Cependant, il s'avance dans l'intention de communier.
Le pasteur le remarque : « Jeune homme, lui dit-il, va comme ton cœur te mène et selon le regard de tes yeux, mais souviens-toi que pour toutes ces choses, Dieu te fera venir en jugement. »
Le jeune homme hésite, il se recueille, - son parti est pris.
Dans un de ces instants qui décident d'une vie, parce que la conscience est atteinte dans ses profondeurs, il a jeté un cri qui n'est arrivé qu'a l'oreille de Dieu. Il s'est dit : je veux changer.
Il était changé, et quand il retourna à son banc, après avoir pris la coupe, ce n'était plus le jeune homme léger de naguère, c'était Jacques Saurin, l'une des gloires du protestantisme, et l'un des plus grands orateurs religieux que l'Église de tous les siècles ait jamais produits.

Ah ! certes, si nous savions que quelqu'un de ceux qui vont s'approcher de la table du Seigneur, y vient dans une intention coupable ; s'il y venait un homme, une femme vivant dans le désordre d'une manière ouverte, nous aurions le droit, ce serait un devoir pour nous de lui dire : n'approchez pas ; qu'avez-vous de commun avec Jésus-Christ ?
Mais, ici même, que notre vue est bornée !
Nous n'avons pas la prétention de connaître chacun, hélas ! Qui sait si la démarche que fait cette personne n'est pas le signe d'un repentir qui s'éveille en elle ?
Qui sait si, en la repoussant, je ne risque pas de la désespérer ?
Autant de questions qui vous montrent que nous ne sommes pas assez perspicaces pour juger « des pensées et des intentions du cœur, » et qu'entre la table sainte et vous, il ne peut y avoir de place que pour vous.

Est-ce l'Église que vous voudriez charger de cet examen ?
C'est ce qui a eu lieu chez nous pendant près de trois siècles. L'esprit austère de la Réforme avait institué dans chacune de nos paroisses une discipline rigoureuse, exercée par les consistoires, et qui devait interdire pour un temps quiconque s'était écarté de la saine doctrine ou avait offensé les bonnes mœurs. On ne peut nier que cette institution n'ait rendu de grands services ; mais si j'en crois le témoignage d'hommes graves et consciencieux, il en a été de ceci comme d'une foule d'autres choses : la pratique est demeurée en deçà de la théorie.

Aujourd'hui, l'Église n'a plus à son usage qu'un moyen de discipline tout spirituel dans cette portion de la liturgie qui ouvre le service de la Sainte-Gène. (2) Vous connaissez cette page ; mais il y aura, je crois, quelque avantage à la rappeler ici, car il me semble que bien des personnes, et des plus sincères, ne l'ont pas encore entendue dans son véritable sens.

Laissons tomber, je le veux bien, la phrase qui excommunie en particulier ceux qui ont été exclus de la participation du sacrement soit dans cette église soit dans quelque autre. Elle se rapporte à un état qui n'est plus le nôtre ; oublions-la, et prenons le reste. « Nous voyons, dit la liturgie, qu'il n'y a que les vrais chrétiens qui doivent y être admis. »
Il n'est personne ici, je m'assure, qui songe à le contester, pourvu qu'il soit bien entendu que ces vrais chrétiens ne sont pas ceux qui déjà ont atteint le but, mais ceux qui, selon la parole de saint Paul, « font leurs efforts pour y parvenir. » (Phil. 3, 12.) Ainsi, suivant la règle que nous en avons dans l'Écriture, à l'exemple et d'après les lettres des apôtres, (1 Cor. 5, 4-5.) au nom et en l'autorité de notre Seigneur Jésus-Christ, qui ne vient « ni de moi, ni des hommes, ni d'aucun homme ; » (Gal. 1, 1.) mais de ce ministère de la parole que le Seigneur m'a conféré dans sa miséricorde, j'excommunie.

Arrêtons-nous, il en vaut la peine. Quel rôle terrible ce mot a joué !
Il fut un temps où ce seul mot, tombant tout a coup sur un homme ou sur un pays, était l'équivalent d'une sentence de mort.
Excommunier, c'est mettre en dehors de la communion ; la communion dont il s'agit, c'est l'assemblée des vrais fidèles ; j'excommunie signifie donc, je déclare indigne de se réclamer de l'Église de Jésus-Christ, et par conséquent indigne de s'approcher du saint sacrement.
Suit une longue énumération, dans laquelle les péchés les plus grossiers sont désignés sans ambages, et qui a eu plus d'une fois, - nous l'avons constaté, - le mérite de secouer des consciences endormies, et d'éloigner de la sainte cène des hommes qui l'auraient prise sans sérieux.
Cette nomenclature vous semble déplacée. Où trouver un homme, vous écriez-vous, qui ne porte point en lui le germe de plusieurs ou même de tous les vices dénoncés par la liturgie ?
Il est vrai, mais là n'est pas l'important. Dieu ne vous demande pas de venir sans aucun péché (vous ne le pouvez, et Il le sait bien), mais ce qu'Il est en droit d'exiger, c'est que vous sentiez vos fautes et que vous en gémissiez. Aussi la liturgie ajoute-t-elle expressément ces mots : pendant qu'ils ne s'amendent point, c'est-à-dire aussi longtemps qu'ils demeurent dans leur voie mauvaise, montrant avec assez d'évidence, ce me semble, que ce qui forme l'accès à la table sainte, ce ne sont pas les fautes passées, mais le refus actuel, obstiné de les reconnaître.

Je sais bien ce qu'on va répondre : « Votre liturgie, me dit-on, est une lettre morte ; vous avez beau répéter : je déclare exclu quiconque est indigne de porter le nom de chrétien, on ne vous croit pas. Ce ne sont là que des mots sonores, vous n'avez aucun moyen de les mettre à exécution ; vous tirez trop haut, et personne ne se trouve atteint.

Moins que vous ne pensez, mon cher contradicteur.
La liturgie est la voix de l'Église, rendue par celle du pasteur. Le passage que je viens de lire n'est donc pas l'affirmation d'un livre, c'est la protestation de l'Église, qui tient à honneur de mettre la table de son Seigneur à l'abri des profanateurs, et si, comme on peut le croire, ces derniers ont diminué, c'est après Dieu, à cette protestation répétée que nous le devons.
Mais je veux croire que nous prêtons à la liturgie une influence exagérée : mes frères, nous avons parlé ; si quelque loup vient à se glisser parmi le troupeau, c'est son affaire, et non plus la nôtre, il est averti. Oui, j'ose le dire, c'est avec assurance que nous pouvons répéter cette parole que les anciens ont si souvent prononcée : Je leur ai parlé, et en leur parlant, j'ai sauvé mon âme.

Il est un fait, souvent constaté, c'est que le nombre des communiants n'est plus ce qu'il était autrefois. Si ce fait à son côté triste, il en est un autre qui nous réjouit : il est passé, le temps des communions pour la forme. Mais si restreinte que soit aujourd'hui « la petite famille » de ceux qui participent à la sainte cène, tout communiant a besoin de s'entendre dire, aussi bien que les Corinthiens du temps de saint Paul ; « Que chacun s'éprouve soi-même. »

Car savez-vous, mes frères, à quoi s'expose celui qui néglige cet examen de lui-même ? Il s'expose à manger de ce pain, à boire de cette coupe indignement, c'est-à-dire avec des dispositions contraires à celles que le Seigneur réclame ; « or, celui qui en mange et qui en boit indignement, mange et boit sa condamnation ; parce qu'il ne discerne pas le corps du Seigneur, » (1 Cor. 11, 29.) ou, si vous voulez, qu'il méprise, qu'il outrage le corps glorifié du Seigneur, avec lequel le pain et le vin de la sainte cène devaient le mettre en communion. Manger et boire sa condamnation ! (1 Cor. 11, 30.) Cela vous surprend ?
Ignorez-vous donc que les meilleures choses peuvent, dans tel cas donné, se changer en leur contraire ?
Quoi de plus pur que l'air du printemps ? Avec quelle avidité nous le respirons ! Mais cet air est mortel pour le poitrinaire.
Quoi de plus excellent que le pain ? « O Père, donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien. » Mais une bouchée de pain peut déterminer chez un homme malade la crise qui l'emportera.
Quoi de plus précieux que les éléments de la sainte cène ? O pain rompu, ô vin versé dans les coupes, vous êtes vraiment « un pain du ciel, » une « source d'eau jaillissant pour la vie éternelle. » Mais si le respect, si l'amour, si l'humilité, si le vrai repentir manquent au communiant, c'est son jugement, sa condamnation, la maladie et la mort qu'il y trouvera.

La maladie, la mort !
Écoutez encore saint Paul : « C'est pour cela, » s'écrie-t-il, avec un accent de profonde tristesse, » que parmi vous il y a beaucoup d'infirmes et de malades et qu'un grand nombre sont morts. »
Les termes employés par l'apôtre, ne sauraient s'entendre du corps, bien que des théologiens fort pieux et très autorisés l'aient pensé. Il se peut faire, je ne le nie pas, que Dieu frappe dans leur chair les profanateurs de sa table ; plus d'un malade, repassant tous les détails de sa vie, a dû se convaincre que sa dernière communion n'était pas étrangère aux souffrances qu'il endurait. Toutefois, le Dieu de la nouvelle alliance, le Dieu de patience et de consolation, (Rom. 15, 5.) n'a pas coutume de frapper immédiatement et d'une manière visible celui qui fait de ses dons un mauvais usage.

Il y a quelque chose de plus terrible que la phtisie, que le marasme (atrophie progressive des organes, aimaigrissement extrême), que tous ces maux qui minent sourdement, et causent d'autant plus de ravages qu'ils font moins de bruit.
Il y a une mort plus terrible que celle qui vient nous prendre au lit de la fièvre, et qui tarit l'une après l'autre les sources de nos forces vives ; c'est de sentir qu'au lieu d'avancer, on suit un mouvement de recul, qu'on reste stationnaire en sainteté, et que les mauvaises habitudes gagnent toujours plus de terrain ; c'est d'être forcé de s'avouer que l'on dépérit et que l'âme se meurt, lentement, tout doucement, mais infailliblement.

Or, c'est précisément là ce qui arrive au communiant infidèle : ce n'est pas la paix qu'il trouve à la table sainte, c'est une amère tristesse ; ce n'est pas la force, c'est la défaillance ; ce n'est pas une nourriture, c'est un poison ; ce n'est pas la vie, c'est la mort.

Pas n'est besoin d'aller bien loin pour en trouver la preuve dans la piété si languissante d'un grand nombre.
Ils ont communié, et ils ont dépéri ;
ils communient et ils dépérissent ;
ils communieront et ils dépériront.
Et toujours en sera-t-il ainsi, jusqu'à ce que revenant comme l'enfant prodigue, ainsi que lui ils s'écrient : « Père, j'ai péché, je ne suis pas digne » de m'approcher de ta table. C'est pour cela, oui, c'est pour cela que parmi nous il y a beaucoup d'infirmes et de malades et qu'un grand nombre sont morts. « Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende. (Ev. s. Matth. 13, 9.) »

Mais vous, qui vous êtes éprouvés vous-mêmes, vous qui pouvez répondre par un oui humble et sincère aux trois ordres de questions que nous vous avons posées, ô âmes éprouvées, approchez avec une sainte joie. Voici la fête de l'amour de Dieu ; si ce n'est pas encore « le banquet des noces de l'Agneau, » ( Apoc. 19, 1) c'est le repas de ses fiançailles.
Cœurs brisés, venez, il y a ici du baume pour toutes vos blessures. Âmes affamées et altérées, venez, « prenez, mangez, car ceci est mon corps, ceci est mon sang. »
Consciences troublées, venez, voici l'assurance de votre pardon : « Paix, paix, pour celui qui est près et pour celui qui est loin, a dit mon Dieu. »
Agneaux meurtris, brebis errantes, venez, le bon Berger n'a jamais été si près de vous.
O Dieu, mon Dieu, que tu es bon ! car celui qui en mange et qui en boit dignement, mange et boit la vie éternelle.

Mes frères, il me reste un poids sur le cœur, et puisque je parle, laissez-moi tout dire.
Je ne me suis adressé qu'aux communiants ; mais il y a ici bien des personnes, - des hommes surtout, - qui ont comme désappris le chemin de la table sainte. Ils viennent au culte, ils écoutent la prédication ; leurs voix se mêlent à nos actions de grâces ; d'où vient - j'ai besoin de vous le demander et de me décharger - que vous pouvez demeurer si longtemps sans éprouver le besoin de participer à la sainte cène ?
Serait-ce que le sens de cette cérémonie vous est obscur ? Je me suis efforcé de vous l'éclaircir de mon mieux.

Reprenez cette explication, vous ne la trouverez hérissée ni de difficultés épineuses ni de mystères incompréhensibles.
Serait-ce que la sainte cène vous paraît trop simple ?
Une table, une nappe, du pain, du vin, manger et boire, qu'est-ce que cela ? Il vous faut mieux.
Prenez garde, mon cher auditeur ; ce n'est pas nous qui avons créé tout cela, - quoi qu'en disent ceux qui nous accusent d'avoir ajouté tant de choses à l'Évangile de Jésus, - c'est Jésus lui-même qui nous l'a légué.
Ce repas d'amour est trop humble ? Je vous plains d'être si grand que son humilité vous offusque ! C'est le signe que vous n'avez rien compris encore à l'esprit de la nouvelle alliance ; car le Dieu de l'Évangile n'est pas le grand Solitaire qui reste assis sur son trône, - libre à nous d'y monter, si bon nous semble et comme nous le pourrons, - c'est le Père de l'enfant prodigue qui s'abaisse vers les misérables pour les élever jusqu'à Lui.

Mais non, vos raisons sont plus élevées : « Je fais acte de foi, en venant au culte, dites-vous ; je puis le faire sans hypocrisie ; quant à la cène, c'est autre chose, je ne sens en moi ni la foi, ni l'amour, ni l'humilité qu'il faudrait ; je serais un hypocrite, si j'y prenais part. »

Votre réponse est d'un homme sérieux, mon frère, et je suis tout disposé à la respecter. Cependant, considérez bien que ce n'est pas à des parfaits que Jésus-Christ adresse son invitation, mais à des hommes qui s'acheminent vers la perfection, et que le moindre germe de foi, d'amour et d'humilité ne sera point étouffé, pourvu que ce germe soit vraiment un germe, je veux dire le point de départ d'une croissance plus forte et plus décidée.
Mais je crains bien que pour plusieurs de ceux qui sont ici, toutes ces excuses ne soient que des prétextes, et que votre refus de communier ne soit, pour le bien nommer, qu'un refus de vous convertir. Vous ne voulez pas communier ? dites plutôt que vous n'avez pas besoin d'un Sauveur.
Vous ne voulez pas communier ? dites plutôt que vous ne voyez pas la nécessité d'une transformation.
Vous ne voulez pas communier ? » Dites plutôt que vous voulez vivre et mourir dans votre égoïsme, dans votre sécheresse de coeur, dans vos refus de pardonner et d'aimer. Mais s'il en est ainsi, je vous le déclare, vous n'êtes pas prêt à mourir ; vous ne n'êtes pas à paraître devant Dieu, vous ne l'êtes pas à affronter le regard du Juge et la lumière du Saint des Saints. Songez-y bien, je vous en prie. Vous aussi, jugez-vous, examinez-vous, éprouvez-vous.

Où en êtes-vous ? Que chacun s'éprouve soi-même.

Mes frères, nous marchons tous au-devant du jour où « Dieu fera venir en jugement tout ce que l'on aura fait, avec tout ce qui est caché, soit bien, soit mal. » Examen solennel, auprès duquel toutes les épreuves que nous avons passées dans l'enfance, et qui tant de fois ont fait courir le frisson dans nos membres, n'étaient que des jeux d'enfants.
Qui sont ceux qui trouveront grâce ?
Ceux-là, ceux-là seulement qui, mettant en pratique la recommandation de l'Apôtre, se seront éprouvés eux-mêmes.
Malheur à qui néglige de le faire !
Il se trouvera devant le tribunal, avec le lourd bagage de ses péchés, de ses misères et de ses souillures, et la sentence qu'il entendra le surprendra d'autant plus qu'il aura fermé les yeux plus obstinément.
Soyez sages, oui, soyez-le. Plus le jugement que vous aurez porté sur vous-mêmes sera rigoureux, plus le jugement de Dieu sera empreint de miséricorde.
Moins vous vous serez jugés, plus l'arrêt suprême sera redoutable.
Ah ! veuille Dieu que, dans cette grande journée, - la journée de l'éternité, - vous soyez de ceux qui n'auront pas craint de passer leur vie par le crible, et que la vue de leurs défaillances aura jetés « tout meurtris, mais vainqueurs » dans les bras de l'amour éternel.

« Si nous nous jugions nous-mêmes, le Seigneur ne nous jugerait point. »

Amen.

 




(Source: Google)


1) J'ignore si, selon l'expression favorite de Luther. le corps du Seigneur est avec le pain, sous le pain et dans le pain ; Je sais seulement que mon Sauveur veut se donner à moi, et cela me suffit.

2) Une Église de professants ne saurait s'en contenter ; mais cette discipline est la seule possible dans une église de multitude.