« L'amour ne cherche pas son propre intérêt. » 1 Cor 13 : 5.
L'apôtre parle ici de l'amour
chrétien.
La vérité que je désire
établir maintenant est celle-ci
LA RELIGION VRAIE NE NOUS PERMET PAS D'AVOIR POUR
PRÉOCCUPATION DOMINANTE NOTRE PROPRE
BONHEUR.
Cette vérité est la première
de celles que je dois vous présenter dans
cette nouvelle série de discours,
(1) et
c'est la
première que j'aurais exposée dans la
série précédente si j'avais pu
imaginer qu'elle fût sérieusement mise
en question par un nombre considérable de
chrétiens de profession. Quand je
commençai ces discours, je regardais comme
accordé à peu près par tous
qu'une religion égoïste n'est pas la
vraie religion, aussi passai-je sur ce point sans
guère penser à le prouver. Depuis
lors j'ai constaté qu'un grand. nombre de
ceux qui font profession d'être
chrétiens maintiennent qu'on possède
la vraie religion alors qu'on fait de son propre
bonheur sa préoccupation dominante. Je vais
donc examiner ce sujet avec plus de soin que je ne
l'ai fait jusqu'ici.
1. Je ne mets pas en doute que nous
ne
puissions légitimement prendre plus ou moins
en considération notre propre bonheur.
Car je maintiens que c'est Même notre devoir
de le faire, en tenant compte de l'importance
relative de ce bonheur. Dieu nous a commandé
d'aimer notre prochain comme nous-mêmes, ce
qui nous fait évidemment un devoir de nous
aimer nous-mêmes et de regarder à
notre propre bonheur comme à celui des
autres.
2. Je ne dis pas que nous ne devions
point tenir compte des promesses et des menaces de
Dieu.
Il faut évidemment en tenir compte ;
mais qui ne voit que les menaces contre un individu
n'ont pas la même importance que les menaces
contre plusieurs ? Vous ne penseriez pas
qu'une menace faite contre votre seule personne
eût autant d'importance qu'une menace
adressée à toute votre famille ;
et que sera-ce si cette menace s'adresse à
toute votre église, à toute votre
nation, à tout le monde ?
Il est aisé de voir que, bien que d'une
grande importance, le bonheur d'un seul individu ne
doit pas nous préoccuper plus que le bonheur
d'un grand nombre.
Supposez que Dieu me dise à moi,
ministre : « Si tu ne fais pas ton
devoir, tu seras envoyé en
enfer. » Ce danger m'apparaîtra
à juste titre comme un grand mal et mon
devoir. sera de l'éviter. Mais si Dieu me
dit : « Tes auditeurs sont tous sur
le chemin de l'enfer ; mais si tu fais ton
devoir fidèlement, tu les sauveras
probablement tous ; » serait-ce bien
à moi d'être autant influencé
par la crainte du châtiment qui pourrait
m'atteindre que par la crainte de voir tous mes
auditeurs périr éternellement ?
Évidemment non.
3. Je ne mets pas en question que
nos
intérêts éternels ne doivent
être recherchés de
préférence à nos
intérêts temporels.
C'est une vérité que j'ai toujours
maintenue, et chacun sait que la Bible nous fait un
devoir de nous préoccuper infiniment plus de
nos intérêts éternels que de
nos intérêts temporels.
Jésus-Christ nous dit : « Ne
travaillez pas pour la nourriture qui périt,
mais pour celle qui demeure dans la vie
éternelle. » « Ne vous
amassez pas des trésors sur la terre,
où le ver et la rouille détruisent,
et où les voleurs percent et
dérobent ; mais amassez-vous des
trésors dans le ciel, où ni le ver ni
la rouille ne détruisent, et où les
voleurs ne percent ni ne
dérobent. » Quand le Seigneur
envoya ses disciples deux à deux pour
prêcher et opérer des miracles, ils
revinrent, pleins de joie et d'allégresse
parce que, disaient-ils, les démons
mêmes leur avaient été soumis.
Mais Jésus leur répondit :
« Ne vous réjouissez pas de ce que
les démons vous sont soumis, mais
réjouissez-vous plutôt de ce que vos
noms sont écrits dans les
cieux. »
La Bible nous enseigne donc que nous devons
constamment faire infiniment plus de cas de notre
salut éternel que de tous les biens de la
terre ; mais cela ne veut pas dire que nous
devions nous proposer nos propres
intérêts éternels comme but
suprême.
4. Je ne veux pas dire que
l'espérance et la crainte ne doivent
influencer en rien notre conduite.
Je veux dire seulement que si elles l'influencent,
les choses que nous espérons, ainsi que
celles que nous craignons, ne doivent agir sur nous
qu'en raison de leur importance relative dans
l'ensemble des intérêts du royaume de
Dieu.
5. Je suis donc loin de contester
que les
saints personnages dont parle la Bible aient bien
fait de se laisser influencer en quelque mesure par
l'espérance et la crainte, « ayant
eu égard à la
rémunération » ou à
« la joie qui leur était
proposée. »
« Noé poussé par la crainte
construisit l'arche. » Mais
était-ce simplement la peur d'être
noyé lui-même ? Il craignait sans
doute pour la vie de toute sa famille ; mais
il y avait bien plus, il tremblait à la
pensée de la destruction de toute la race
humaine. Nulle part la Bible ne nous dit rien qui
permette de penser que l'espérance et la
crainte relatives à leurs
intérêts personnels aient
été la préoccupation dominante
des hommes de Dieu ; et c'est ce qu'il nous
importe de constater.
Cette proposition nie qu'il y ait de là
religion à faire de notre bonheur notre but
suprême. Elle nie que nous devions craindre
notre propre perdition plus que la perdition de
toits les autres hommes jointe au déshonneur
de Dieu. Elle nie que nous devions rechercher notre
propre bonheur plus que la gloire de Dieu et le
bonheur de tous les autres hommes et elle affirme
que si nous faisons cela, nous allons directement
à l'encontre de la loi de Dieu et de toute
vraie religion. Maintenant je vous prie de ne pas
perdre de vue un seul instant le vrai sens de la
question qui nous occupe ; il ne faut plus que
les interprétations que nous avons
repoussées viennent entraver notre marche.
Remarquons d'abord que toute vraie religion
consiste à ressembler à Dieu,
à agir suivant les mêmes principes,
par les mêmes motifs et dans les mêmes
sentiments que lui. Je ne pense pas que jamais
personne me contredise sur ce point ; en
vérité, aucun esprit raisonnable ne
pourrait le faire.
1. Celui qui fait de son propre
bonheur
sa préoccupation dominante n'agit pas selon
l'exemple que Dieu nous donne.
Il agit au contraire d'une façon
directement opposée. « Dieu
est amour, » la bienveillance
résume tous les traits de son
caractère ; tous ses attributs, sa
justice, sa miséricorde, sa
fidélité, etc., ne sont que des
modifications de sa bienveillance. Son amour se
manifeste sous deux formes : la bienveillance
qui désire le bonheur des autres et l'amour
de communion qui est une approbation donnée
à ceux qui sont saints. Il s'exerce sous la
première forme envers tous les êtres
capables de bonheur ; il est alors un amour
universel. Sous la seconde forme, il ne s'exerce
qu'envers les saints.
Dieu se conforme à la règle qu'il
nous a donnée : « Aimer son
prochain comme soi-même, » en ce
qu'il tient compte des intérêts de
chaque être (y compris lui-même)
à proportion de sa valeur réelle. Il
cherche son propre bonheur ou sa gloire comme le
bien suprême ; non parce que c'est son
propre bonheur, mais parce que c'est le bien
suprême. Le bonheur d'un être infini
est chose infiniment plus grande que la somme de
tous les autres bonheurs.
Supposez qu'un homme aimant beaucoup les animaux
tombe avec son cheval dans une rivière. La
vraie bienveillance demandera-t-elle que cet homme
se noie lui-même afin de sauver son
cheval ? Non. La bienveillance
véritable et
désintéressée demandera qu'il
sauve sa personne, et que pour cela il sacrifie son
cheval si cela est nécessaire. Il doit en
être ainsi parce que le bonheur d'un homme a
une valeur incomparablement plus grande que le
bonheur d'un cheval. Il n'y a personne qui n'en
juge ainsi. Considérez maintenant que la
différence entre Dieu et toutes les
créatures est infiniment plus grande que la
différence entre un homme et un
cheval ; elle dépasse même
infiniment celle qui existe entre le plus
élevé des archanges et le dernier des
insectes.
Si nous sommes semblables à Dieu, nous
envisagerons son bonheur et sa gloire de la
même manière qu'il les envisage
lui-même ; c'est-à-dire que nous
y verrons le bien, suprême de l'Univers.
Celui qui désire son propre bonheur plus que
la gloire de Dieu, est infiniment dissemblable
à Dieu.
2. Avoir pour but suprême notre
propre bonheur est contraire à la vraie
religion, puisque c'est contraire à l'esprit
de Jésus-Christ.
Il nous est dit que si quelqu'un n'a pas l'esprit
de Christ, il n'est point à lui. Or
Jésus-Christ n'a point cherché son
propre intérêt, ni sa propre gloire,
ni son propre bonheur. Il vint par pur amour
chercher la gloire de son Père et le bien de
l'Univers dans le salut des hommes. C'était
là « la joie qui était mise
devant lui » et pour laquelle
« il endura la croix et méprisa
l'ignominie. »
3. Faire de notre propre bonheur
notre
but suprême est contraire à la loi de
Dieu.
Je le répète pour que ma
démonstration soit complète, toute la
loi est comprise dans ce commandement :
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout
ton coeur, de toute ton âme, de toute ta
pensée et de toute ta force ; et tu
aimeras ton prochain comme
toi-même. » La grande chose requise
de nous est donc de désirer le bonheur et la
gloire de Dieu par-dessus toutes choses, parce que
ce bonheur et cette gloire sont infiniment
désirables, n'étant autres que le
bien suprême. On a objecté que notre
devoir n'était pas de rechercher le bonheur
de Dieu parce que ce bonheur ; dit-on, est
déjà assuré. Le
président de notre république est
tout à fait indépendant de moi, et
son bonheur, supposons-le, est assuré
indépendamment de tout ce que je puis
faire ; s'en suit-il que je sois moins tenu de
vouloir son bonheur et sa gloire et de me
réjouir de tous les biens dont-il
jouit ? Et nous ne serions pas tenus d'aimer
le bonheur et la gloire de Dieu, de les rechercher
et d'en faire notre joie !
La loi nous ordonne encore d'avoir pour Dieu
l'amour d'adoration, parce que Dieu est infiniment
saint.
Elle requiert aussi que nous ayons pour les autres
la même bonne volonté, le même
amour de bienveillance que pour
nous-mêmes ; c'est-à-dire que
nous recherchions leurs intérêts aussi
bien que les nôtres, à proportion de
leur valeur relative. (Qui d'entre vous pratique ce
commandement ?)
La loi veut enfin que nous ayons l'amour de
sympathie pour ceux qui sont bons et saints.
En résumé, le sommaire de la loi veut
que nous ayons pour Dieu et pour tous les
êtres, l'amour de bienveillance ; pour
Dieu et pour tous les saints, l'amour de
sympathie ; et cela en ayant égard
à la valeur relative des objets de notre
affection. Il est donc manifeste que faire de notre
propre bonheur notre but suprême est
contraire à la lettre à l'esprit de
la loi.
4. Cela est contraire à
l'Évangile comme à la loi.
Dans notre contexte, l'apôtre Paul nous
dit ; « Quand je parlerais la langue
des hommes et des anges, si je n'ai pas l'amour, je
suis un airain qui résonne, ou une cymbale
qui retentit. Et quand j'aurais le don de
prophétie, la science de tous les
mystères et toute la connaissance, quand
j'aurais même toute la foi jusqu'à
transporter des montagnes, si je n'ai pas l'amour
je ne suis rien. Et quand je distribuerais tous mes
biens pour la nourriture des pauvres, quand je
livrerais même mon corps pour être
brillé, si je n'ai pas l'amour, cela ne me
sert de rien. »
Il n'était pas possible d'exprimer plus
fortement la pensée que l'amour est
essentiel à la vraie religion. Et quel
est-il, cet amour ? Le voici :
« L'amour est patient, il est plein de
bonté ; l'amour n'est point
envieux ; l'amour ne se vante point ; il
ne s'enfle point d'orgueil, il ne fait rien de
malhonnête, il ne cherche point son
intérêt, il ne s'irrite point, il
ne soupçonne point le mal, il ne se
réjouit point de l'injustice, mais il se
réjouit de la vérité ; il
excuse tout, il croit tout, espère tout, il
supporte tout. » Vous le voyez, un des
caractères du vrai amour c'est qu'il ne
cherche point son intérêt.
Ceux d'entre vous qui ont des Bibles avec
références peuvent trouver
immédiatement, en allant d'une
référence à l'autre, une
multitude de passages qui enseignent clairement la
même vérité. Rappelez-vous, par
exemple, les citations de notre dernière
conférence, entre autres cette parole :
« Quiconque veut sauver sa vie, la
perdra » Ces mots formulent une des lois
fondamentales du royaume de Dieu, à savoir
que quiconque fait de son propre
intérêt son but suprême, va
contre son propre intérêt.
L'apôtre Paul rappelle aux Corinthiens cette
même loi sous une autre forme :
« Que personne, leur dit-il, ne
cherche son propre intérêt, mais que
chacun cherche celui d'autrui. » (1
Cor X : 24). Et peu après, il
ajoute : « Moi aussi je m'efforce en
toutes choses de complaire à tous, cherchant non mon avantage,
mais celui du plus
grand nombre, afin qu'ils soient
sauvés. »
Il est donc parfaitement évident que celui
qui fait de son propre avantage son principal but,
se conduit d'une manière. aussi contraire
à l'Évangile qu'à la loi.
5. Cette conduite est également contraire
à la conscience.
C'est l'arrêt universel de la conscience
humaine elle-même. L'homme sait que son
égoïsme est vil et méprisable,
aussi prend-il beaucoup de peine pour le cacher et
paraître bienveillant.
Prenez le premier venu, et à moins que sa
conscience ne soit tout-à-fait obscurcie par
le péché ou pervertie par de fausses
instructions, il saura tout ce que je vous dis
là.
6. Cette conduite est contraire
aussi
à la saine raison.
La raison veut, en effet, que nous nous
préoccupions des. choses en proportion de
leur valeur réelle. Cette faculté
nous a été donnée de Dieu pour
peser, comparer les choses et donner à
chacune son importance relative ; et c'est
l'outrager que de nier la thèse que nous
soutenons.
7. C'est encore aller à l'encontre
du sens commun.
Voyez comment juge le sens commun quand il s'agit
de patriotisme, par exemple. Le soldat qui n'a
cherché que ses propres
intérêts n'est jamais regardé
comme un vrai patriote. Il n'a pensé
qu'à parvenir lui-même au pouvoir,
aussi ne voit-on en lui qu'un égoïste
et un ambitieux. Qu'un soldat, au contraire, n'ait
d'autre pensée, en combattant, que le bien
de son pays, comme Washington, par exemple, et tout
le monde sera d'accord pour voir en lui un bon
citoyen, un vrai patriote.
8. L'égoïsme, que nous
réprouvons, est contraire à la
constitution même de notre être.
Je veux dire que nous sommes constitués de
telle façon qu'il nous est impossible
d'arriver au bonheur si nous faisons du bonheur
notre but suprême.
Le devoir de la bienveillance
désintéressée est écrit
dans la constitution même de notre
être, puisque c'est seulement dans la mesure
où nous l'accomplissons que nous pouvons
être heureux. Nier ce devoir, ce serait
dénier à Dieu la sagesse, car se
serait prétendre qu'il n'a pas su nous
créer tels que le bonheur fût pour
nous dans l'obéissance à ses
lois.
9. Il est donc contraire à notre
propre bonheur que nous fassions de ce bonheur
notre but suprême.
Celui qui agit ainsi peut recueillir une sorte de
plaisir, mais le vrai bonheur. Tout plaisir, en
effet, qui n'est pas la satisfaction d’un
désir vertueux ne peut être qu'une
illusion décevante ; il est impossible
qu'il en soit autrement.
La raison pour laquelle les hommes ne trouvent
point le bonheur, alors qu'ils en sont si avides,
c'est qu'ils le cherchent. Que chacun cherche la
gloire de Dieu et le bien de tous comme le but de
son existence, et le bonheur le poursuivra et
s'attachera à lui.
10. L'erreur que nous combattons est
contraire au bonheur général.
Si chacun prend pour but son propre bonheur, la
collision des intérêts est
inévitable ; on aura la guerre et la
confusion universelles dans l'égoïsme
universel.
11. Elle est condamnée par
l'expérience de tous les vrais
chrétiens.
J'affirme que tout vrai chrétien sait que le
bonheur suprême consiste à sortir de
soi-même et à regarder à la
gloire de Dieu et au bien des autres. Si quelqu'un
ne sait pas cela, il n'est point un
chrétien.
12. Elle est condamnée par
l'expérience de tous ceux qui ont eu une
religion égoïste et qui, ayant
découvert leur erreur, sont parvenus
à la vraie religion.
Ce cas n'est pas rare ; j'en ai connu plus de
cent exemples. Ici même, au sein de
l'église qui nous reçoit, plusieurs
personnes ont récemment reconnu qu'elles
avaient fait fausse route jusqu'alors, n'ayant eu
d’autre religion qu'un christianisme
égoïste ; et maintenant elles
peuvent attester qu'elles savent par
expérience qu'il n'y a de vraie religion que
dans la bienveillance
désintéressée.
13. Elle est condamnée par
l'expérience de tous les
impénitents.
Tout pécheur inconverti sait qu'il a pour
but suprême son propre
intérêt ; il sait qu'il n'a pas
la vraie religion ; et ce que sa conscience
lui reproche surtout, c'est qu'il recherche son
propre intérêt au lieu de rechercher
la gloire de Dieu.
Retournons maintenant la question ; admettons
pour un instant que la vraie religion consiste
à rechercher avant tout notre propre
bonheur, et voyez alors ce qui s'en
suivra :
1° Dieu ne sera plus saint Dieu recherche sa
gloire, son bonheur, non parce que c'est sa propre
gloire et son propre bonheur, mais parce que c'est
le bien suprême, le plus grand bien de
l'Univers. Il est amour, c'est-à-dire
bienveillance
désintéressée ; si donc
la bienveillance désintéressée
n'est pas la vraie religion, la nature même
de Dieu doit être changée.
2° La loi de Dieu doit être
changée aussi. Il faut y lire :
« Tu t'aimeras toi-même de tout ton
coeur, de toute ton âme, de toute ta
pensée et de toute ta force ; et tu
aimeras Dieu et ton prochain moins que
toi-même. »
3° L'Évangile aussi doit être
changé. Au lieu de ce précepte :
Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, soit
que vous fassiez quelque autre chose, faites tout
pour la gloire de Dieu ; » il faut
lire celui-ci « Faites tout en vue de
votre propre bonheur. » Au lieu de :
« Celui qui veut sauver sa vie la
perdra ; » il faut lire :
« Celui qui s'angoisse et se tourmente
pour sauver sa propre vie, la sauvera ; mais
celui qui est rempli d'une bienveillance
désintéressée, heureux de
perdre sa vie pour le bien des autres, la
perdra. »
4° La conscience doit être
changée aussi ; il faut qu'elle
témoigne en faveur de
l'égoïsme.
5° De même pour notre raison, il faut
qu'elle change et qu'elle avoue que notre petit
intérêt personnel a plus de valeur que
les grands intérêts de Dieu et de
l'univers.
6° De même pour le sens commun ; il
faut qu'il dise que le plus grand patriote est
celui qui est le plus habile à mettre son
intérêt privé au-dessus du bien
de tous.
7° La constitution même de notre
être doit être renversée de fond
en comble. Elle est telle que l'homme ne peut
être heureux qu'en étant amour,
bienveillance
désintéressée ; or si
l'égoïsme devient, vertu, si la
religion consiste à prendre notre, propre
bonheur pour but suprême, plus nous aurons de
vertu et de religion, plus nous serons
malheureux.
8° Les sciences sociales sont
bouleversées. On avait cru jusqu'ici que
chacun devait rechercher avant tout le bien
général ; mais il se trouve que
ce bien général sera d'autant plus
grand que chacun se cramponnera plus
obstinément à intérêt
privé, au mépris de
l'intérêt des autres.
9° L'expérience des saints sera
proclamée nulle et non avenue. Ils ont
expérimenté jusqu'ici que plus ils
avaient de bienveillance
désintéressée, plus ils
avaient de religion et de bonheur ; il faut
changer tout cela, ils doivent dire maintenant que
plus ils s'occupent de leur propre personne et
recherchent leurs propres intérêts,
plus ils ont de religion et ils jouissent de la
faveur de Dieu.
Je ne poursuis pas cette démonstration, cela
paraîtrait puéril. Je pense que s'il y
a une chose qui soit pleinement
démontrée, c'est cette
vérité que la recherche de notre
propre bonheur comme but suprême est
contraire à toute vraie religion.
1° Nous découvrons ici la
raison pour laquelle, tous les hommes
désirant le bonheur, si peu de gens le
trouvent : Le fait est sous nos yeux. La
raison est celle-ci : La plupart des hommes ne
savent pas en quoi consiste le vrai bonheur, et le
demandent à ce qui ne pourra jamais le leur
donner. C'est parce qu'ils le cherchent qu'ils ne
le
trouvent pas. S'ils voulaient changer de direction
et chercher la sainteté, ils rencontreraient
le bonheur par surcroît. S'ils devenaient
désintéressés, s'ils
s'employaient à faire le bien, ils ne
pourraient pas autrement que d'être heureux.
La seule classe de gens qui ne trouvent jamais
bonheur, ni dans ce monde, ni dans celui qui est
à venir, sont ceux qui le poursuivent comme
fin suprême.
2. Nous voyons ici éclater la sagesse
de Dieu dans la manière dont il a
constitué l'âme humaine.
Supposons que chacun puisse être heureux en
poursuivant son propre bonheur. En ce cas, chacun
n'aura que bonheur qu'il aura acquis ; et la
somme totale du bonheur dans l'univers ne sera que
la somme des bonheurs des individus,
déduction faite de toutes les peines et de
toutes les souffrances résultant du conflit
des intérêts. Mais Dieu a
constitué les choses de façon
à ce que si chacun s'adonne à la
recherche du bonheur des autres, son propre bonheur
sera réalisé et rendu parfait. De
cette façon, la somme totale du bonheur qui
est dans l'univers est infiniment plus
grande que la somme de tous les
misérables plaisirs que
l'égoïsme eût pu produire.
Beaucoup de gens disent : « Qui
pourvoira à mon bonheur, si je n'en prends
pas soin moi-même ? Si chacun ne
s'occupe que de son voisin, négligeant ses
propres, affaires, personne ne sera
heureux. » Ce serait vrai si le soin de
bonheur d'autrui nuisait au nôtre ; mais
si notre bonheur consiste justement à
travailler au bonheur d'autrui, plus nous ferons
pour les autres, plus nous serons heureux.
3. Quand j'annonçai le sujet de mon
discours de ce soir, j'évitai de me servir
du terme d'égoïsme, craignant ce qu'il
avait d'irritant ; mais maintenant je dois
l'affirmer : la conduite de celui qui prend
son propre bonheur pour but suprême, n'est
pas autre chose que de l'égoïsme. Et
quiconque soutient que la vraie religion consiste
à rechercher par-dessus tout notre propre
bonheur, soutient que l'égoïsme est la
vraie religion.
4. Si l'égoïsme est vertu,
l'amour désintéressé est
péché ; l'un est directement
opposé à l'autre, ils ne peuvent
être vertu l'un et l'autre. Qui oserait dire
que Jésus-Christ ait péché en
ne recherchant que le bien de
l'humanité ?
5. Les chrétiens qui ont pour objet
suprême leur propre bonheur et qui pensent
avoir la vraie religion, sont dans l'illusion. Je
le dis solennellement, parce que je sais que c'est
la vérité, et je le dirais quand ce
serait le dernier mot que je devrais prononcer
avant de comparaître devant le tribunal de
Dieu.
Chers auditeurs, qui que vous soyez, si votre
propre, bonheur est votre but suprême, vous
n'êtes pas chrétiens.
Ne dites pas que j'ai un esprit de jugement, je ne
veux juger personne ; mais je dois vous dire
la vérité ; aussi certainement
que Dieu est vrai et que votre âme doit
comparaître en jugement, cette religion
égoïste n'est pas celle de la
Bible.
6. Quelques-uns d'entre vous me
diront : « Prétendez-vous que
nous n'ayons aucun souci de notre propre
bonheur ? Et si ce souci doit exister chez
nous, commuent saurons-nous s'il est ou non
dominant ? » J'ai déjà
dit que vous pouvez et devez avoir égard
à votre bonheur personnel à
proportion de sa valeur relative. Quant à la
seconde question que vous me posez, elle n'offre
aucune difficulté pratique. Je fais appel
à vos consciences. Si vous êtes
sincères, vous ne pouvez pas ignorer quelle
est votre suprême préoccupation.
Prétendrez-vous que, dans votre esprit, d'un
côté la considération de votre
intérêt personnel, d'un autre
côté celle de la gloire de Dieu et du
bien général de l'Univers ; se
fassent si exactement équilibre ; qu'il
vous est impossible de dire de quel
côté penche la balance ? Cela ne
se peut. Si vous n'êtes pas aussi sûrs
de préférer la gloire de Dieu
à votre intérêt personnel que
vous l'êtes de votre propre existence, tenez
pour certain que votre état moral est des
plus fâcheux.
7. Vous découvrez ici le secret
des hauts et des bas de tant de chrétiens de
profession. Leur joie s'accroît ou diminue en
raison des signes de la grâce qu'ils croient
apercevoir ou qu'ils n'aperçoivent plus chez
eux. Ils sont toujours à la recherche de ces
signes. Or il est clair que s'ils regardaient
vraiment à la gloire de Dieu et au bien de
l'humanité, leur joie ne dépendrait
pas de ces fluctuations
de leur sentiment personnel. Les
égoïstes peuvent, à leur
manière, jouir beaucoup de leur religion,
mais ce n'est que par anticipation ;
l'idée d'aller au ciel leur plaît
beaucoup. Mais quant à ceux qui sortent
d'eux-mêmes et qui sont pleins d'une
affection vraie et
désintéressée, le ciel est
présentement dans leurs coeurs.
8. Vous voyez maintenant votre erreur, vous
dont la paix et la joie dérivent uniquement
de vos espérances personnelles.
Peut-être puis-je retracer à grands
traits l'expérience que vous avez faite.
Vous avez été
réveillés, puis angoissés,
à juste titre, à la pensée de
l'enfer que vous méritiez. Et, peu à
peu, pendant que vous étiez en
prière, ou pendant que quelqu'un vous
exhortait ; votre angoisse s'est
dissipée, et vous avez pensé que vos
péchés étaient
pardonnés. Une lueur d'espérance et
de joie traversa vôtre esprit et
réchauffa votre coeur ; vous la
prîtes pour une preuve de votre pardon et
votre joie s'en accrut Mais combien est
différente l'expérience du vrai
chrétien ! Sa paix et sa joie ne
dépendent pas de ses
espérances ; elles sont un fruit de la
vraie soumission à Dieu et de l'amour
désintéressé qui remplit son
coeur.
Supposez le cas d'un homme en prison,
condamné à être pendu le
lendemain. Il est dans la plus grande
détresse ; mais voici un messager qui
lui apporte un papier qu'il dit être sa
grâce, Le condamné saisit le papier,
le tourne et retourne à la faible lueur qui
lui vient de la petite grille pratiquée au
haut du mur, et soudain il découvre le mot
de PARDON. Il bondit de joie. Il croit, en effet,
le papier authentique et vrai.
Mais supposons qu'après l'avoir bien
examiné, il s'aperçoive que c'est une
contrefaçon ; sa joie disparaît
soudain. Tel est le cas du chrétien qui se
séduit lui-même. Il a
été fort effrayé à la
pensée d'aller en enfer, aussi sa joie
a-t-elle été grande quand il a cru
qu'il était pardonné. Que ce soit
Satan qui le lui dise, sa joie n'en est pas
moindre, aussi longtemps qu'il tient la chose pour
réelle. Mais la joie de vrai chrétien
ne dépend pas des preuves qu'il a
d'être sauvé de l'enfer. Il
s'abandonne entre les mains de Dieu avec une telle
confiance que cet acte même le remplit de
paix : « Tout ce que Dieu fait est
bien, se dit-il, la volonté de Dieu soit
faite ! » Il prie, il obéit,
son coeur « se fond » devant
Dieu et se remplit d'une joie douce, calme et
céleste ; sans que peut-être il
ait seulement pensé à ses
espérances à venir. Il peut passer
ainsi des heures, et même des journées
entières, sans penser à son salut. Sa
joie vient de ce qu'il acquiesce de toute son
âme aux lois du gouvernement de Dieu.
Si vous avez la vraie religion, vous pourrez dire
que la pensée même d'aller en enfer ne
vous épouvanterait pas, à condition
de pouvoir toujours aimer Dieu de tout votre coeur
et votre prochain comme vous-même.
Les chercheurs d'espérances seront toujours
déçus ; mais ceux qui cherchent
la sainteté seront remplis de paix et de
joie.
Mes bien-aimés, votre religion est-elle
amour de la sainteté, amour de Dieu et des
âmes, ou n'est-elle qu'une
espérance ?
9. Vous voyez pourquoi les pécheurs
angoissés ne trouvent pas la paix.
Ils regardent toujours à leur
culpabilité et au danger qu'ils courent. Ils
ne voient en Dieu qu'un Dieu vengeur dont il faut
fuir la colère ; aussi leur est-il
impossible de l'aimer.
S'il y a des pécheurs impénitents
ici, je les conjure de ne pas continuer à
considérer Dieu de cette façon, ce
qui ne pourrait les conduire qu'au
désespoir. Qu'ils considèrent le
caractère de Dieu dans son ensemble, qu'ils
voient les raisons qu'ils ont de l'aimer et qu'ils
se jettent à ses pieds sans défiance,
s'abandonnant à lui sans réserve.
Qu'ils lui disent : « O Père,
qui es dans les cieux, tu n'es pas inexorable, tu
es souverain, tu es bon ; je me soumets
à ton gouvernement, je me donne à toi
avec tout ce que j'ai et tout ce que je suis, corps
et âme, pour
l'éternité. »
La question qui nous a occupés dans ce
discours est de la plus grande importance. Nous
devons considérer avec le plus grand soin
les arguments qui nous
sont présentés et conclure dans
le sens de la Parole de Dieu.
Bientôt nous comparaîtrons tous devant
le tribunal de Dieu. Prenez maintenant un
parti : voulez-vous y comparaître avec
l'égoïsme dans le coeur ou avec cette
charité désintéressée
qui ne cherche point son propre
intérêt ? Répondez avec
une entière sincérité. Aussi
certain que Dieu est vrai, aussi certain est-il
que, si vous cherchez votre propre
intérêt, vous serez bientôt en
enfer, à moins que vous ne vous repentiez.
Oh ! soyez droits devant Dieu ! laissez
de côté tout préjugé et
agissez en vue de sa gloire, ainsi que votre
conscience vous ordonne de le faire.
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