Le lendemain, Jésus voulut se rendre en Galilée, et il trouva Philippe. Il lui dit : Suis-moi !
Philippes trouva Nathanaël et lui dit : Nous avons trouvé celui de qui Moïse a écrit dans la loi et dont les prophètes ont parlé, Jésus de Nazareth, le fils de Joseph.
Nathanaël lui dit : Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ? Philippe lui répondit : Viens et vois ! (Jean, 1 : 44-47).
MES CHERS JEUNES FRÈRES,
L'apostolat est de tous les
temps,
et il ne cessera qu'au jour, encore lointain,
où « l'empire du monde sera remis
à notre Seigneur et à son
Christ ». L'apôtre a la tâche
de fonder l'Eglise ; sa charge se continue de
siècle en siècle, aussi longtemps
qu'il y a de nouvelles provinces à annexer
au royaume de Dieu.
Cet apostolat, tel qu'il s'offre
à nous aujourd'hui, ne diffère pas
dans son essence de l'apostolat primitif. Si
celui-ci puisait une suprême grandeur dans
son émanation directe de Jésus et
dans une communication extraordinaire de son
Esprit, il n'y a pas de raison pour que l'apostolat
moderne ne reste pas en contact avec le Christ et
ne participe pas à son Esprit. Quand le
Seigneur dit aux onze : « Vous serez mes
témoins jusqu'aux
extrémités de la terre, »
il savait bien qu'ils n'atteindraient les confins
du monde habité que par leurs successeurs.
On a remarqué que le livre des Actes est un
livre inachevé, et l'on a pu de nos jours
écrire un ouvrage qui s'appelle
« les Nouveaux Actes des
apôtres ». S'il y a une fausse
succession apostolique, fruit malsain des
prétentions sacerdotales, il y en a une
vraie, qui rattache les apôtres d'aujourd'hui
à ceux d'autrefois par le lieu de la
même foi, du même amour, de la
même obéissance au même
Sauveur.
Vous appartenez, mes jeunes
frères, à cette succession-là,
qui fait de vous, non des prêtres, mais des
témoins de Jésus-Christ. Aussi je me
sens libre de vous proposer, au début de
votre ministère, l'exemple des débuts
d'un apôtre. Philippe, dont je veux
étudier avec vous la vocation, ne fut qu'un
astre secondaire dans la constellation des Douze.
Son oeuvre s'est perdue dans le rayonnement de ces
étoiles de première grandeur, qui se
nomment Pierre, Jean et Paul. Fut-il l'apôtre
des Phrygiens ou des Scythes ? fut-il martyr
ou mourut-il de mort naturelle ? La tradition
est vague et contradictoire sur ces points. Il
appartient à la grande armée des
travailleurs obscurs, que l'histoire a
oubliés et dont nous ne connaîtrons
les services que si Dieu nous permet un jour de
feuilleter le Livre de vie, afin de
compléter nos études historiques si
insuffisantes.
Ce que l'Évangile nous
apprend des débuts de l'apostolat de
Philippe est, du reste, assez beau pour
mériter de vous être proposé en
exemple, mes jeunes frères. Peu importe que
votre ministère, comme le sien, ne laisse
aucune trace dans les chroniques
ecclésiastiques et qu'il ne vous attire
aucune notoriété, pourvu qu'il
obtienne le cela va bien du divin Maître.
L'histoire de la vocation de
Philippe nous le présente sous trois aspects
intéressants : le disciple de
Jésus, qui obéit avec empressement
à l'appel : Suis-moi ; le
témoin de Jésus, qui peut dire par
une expérience personnelle : Nous avons
trouvé ; et enfin le défenseur
de Jésus, qui répond aux doutes et
aux préjugés : Viens et
vois !
Quelle scène que celle qui se passe sur
les rives du Jourdain, à l'aurore du
ministère du Seigneur ! Dès
qu'il parait, bien qu'il n'y ait rien dans son
extérieur qui le distingue des autres
pèlerins, on sent que quelque chose de grand
va se passer. L'ancienne alliance,
personnifiée dans son dernier
prophète, salue en lui l'Agneau de Dieu et
le Fils de Dieu. Ce témoignage du
Précurseur a pour résultat
immédiat de décider plusieurs de ses
disciples à se détacher de lui pour
suivre Jésus. lis ont marché à
la clarté de l'étoile du matin ;
le Soleil de justice se lève, ils se
tournent vers lui. Ce simple fait marque une grande
date dans l'histoire du monde ; ce furent
là, comme l'a dit Bengel, « les
premières origines de l'Eglise
chrétienne ».
Philippe fut l'un de ces
disciples
de Jean-Baptiste qui devinrent disciples du
Sauveur. Et comment se fit cette rencontre qui
amena un si grand changement dans l'âme et
dans la vie du jeune Galiléen ? Elle ne
fut pas l'effet du hasard, lequel n'étant
pas une cause ne saurait avoir d'effets. Elle ne
fut pas l'oeuvre de Philippe lui-même, qui ne
semble pas avoir cherché Jésus. Saint
Jean, qui fut témoin de cette entrevue, nous
dit : « Jésus trouva Philippe
et lui dit : Suis-moi ! » Il le
trouva, sans doute, parce qu'il le
cherchait. Il était venu, lui, le bon
Berger, chercher quelques unes de ses brebis dans
cette vallée du Jourdain, où
étaient accourus, à l'appel du
Baptiste, tous ceux qui attendaient la
délivrance d'Israël. Philippe
était un de ceux-là, et voilà
pourquoi Jésus le trouva.
Toute vie chrétienne et tout
ministère chrétien commencent ainsi.
Les circonstances extérieures varient
à l'infini. Tel a rencontré
Jésus sur le chemin de Damas, comme Saul de
Tarse ; tel autre, comme Luther, sur les
escaliers de la Scala sancta, qu'il gravissait
à genoux ; tel autre, comme Spurgeon,
dans une petite chapelle où il était
entré un jour de pluie, et où un
prédicateur répéta cette
parole qui pénétra dans son
coeur : « Regardez, regardez
à Christ ! » Vous, mes jeunes
frères, c'est peut-être aux pieds
d'une pieuse mère qui vous parlait du
Sauveur que vous l'avez trouvé, ou bien dans
votre chambre d'étudiant, ou dans les
instructions de votre pasteur. Les circonstances,
encore une fois, importent peu. Ce qui importe,
c'est la rencontre, qui marque une date dans la vie
et qui y fait toutes choses nouvelles :
« Jésus trouva
Philippe. » « Et
il lui dit :
Suis-moi ! » Ces deux petits mots
sont la forme consacrée et presque unique
que revêt dans l'Évangile l'appel du
Maître à ceux dont il veut faire ses
disciples ou ses apôtres. À Simon et
à André, occupés à
jeter leurs filets dans la mer, à Matthieu,
assis au bureau du péage, au jeune homme
riche, à Pierre relevé de sa chute,
il dit également : Suis-moi !
« Si quelqu'un m'aime, dit-il, qu'il me
suive ! » « Celui qui me
suit ne marchera pas dans les
ténèbres. »
Suis-moi ! c'est la
formule du
don de soi-même, du don libre,
spontané et joyeux. Ce don, nul ne peut le
faire à notre place, ni notre famille, ni
notre Église ; nul ne
peut nous y contraindre, pas même Dieu. Ce
n'est pas l'abdication forcée de l'esclave,
qui suit son maître à la chaîne
et sous la menace du fouet ; c'est l'acte du
serviteur libre, qui limite sa liberté par
un contrat volontaire qui le lie à son
maître. Ou plutôt, c'est le joyeux
service de l'enfant dans la maison du
père.
Suivre Jésus-Christ, c'est
devenir chrétien ;
persévérer à le suivre, c'est
demeurer chrétien. On n'accomplit pas une
fois pour toutes le don de soi-même ; il
faut le renouveler chaque jour, et toujours plus
complètement.
Vous surtout, jeunes serviteurs
du
Christ, souvenez-vous que tant vaudra votre
piété tant vaudra votre
ministère, et que vous n'aurez de
succès spirituels (les seuls dignes
d'être ambitionnés) qu'en suivant
Jésus. Si vous détourniez de lui
votre pensée, votre coeur ou votre
volonté, vous ne seriez plus ses serviteurs
et vous ne pourriez plus, sans usurpation, en
exercer les fonctions. Si vous ne le suiviez que de
loin, comme Pierre la nuit où Jésus
fut livré, vous trouveriez dans cette voie
plus de remords que de joie. Mais si vous le suivez
sans réserve et sans regarder en
arrière, vous trouverez sur ses pas la paix
de l'âme et l'incomparable joie
réservée aux serviteurs
fidèles « qui amèneront les
hommes à la justice et qui brilleront comme
des étoiles) à toujours et à
perpétuité. »
À peine enrôlé parmi les
suivants du Christ, Philippe devint son
témoin. Ayant rencontré son ami
Nathanaël, qui sans doute se rendait au
Jourdain pour y être baptisé par Jean,
il lui fit part du grand changement qui s'était
accompli dans l'âme de ses amis et dans la
sienne. « Nous avons trouvé, lui
dit-il, celui de qui Moïse a écrit dans
la loi et dont les prophètes ont
parlé, Jésus de Nazareth, le fils de
Joseph. » Que s'était-il donc
passé entre Jésus et lui pendant les
heures qui s'étaient écoulées
depuis leur rencontre, pour qu'il fût
déjà arrivé à la
joyeuse et triomphante certitude qu'affirme cette
parole ? Je suppose qu'il n'y avait pas eu
entre eux beaucoup de paroles
échangées : l'heure
n'était pas encore venue d'un enseignement
régulier et approfondi. Ce qu'il y avait eu,
je vais vous le dire : il y avait eu
l'ascendant irrésistible que l'âme
sainte de Jésus exerçait sur les
âmes droites ; il y avait eu, ce qu'il y
eut peu après pour Nathanaël, la prise
de possession victorieuse du coeur d'un
israélite sans fraude par le Fils de Dieu,
par le Roi d'Israël ; il y avait eu cette
soudaine illumination qui éclaire jusqu'aux
profondeurs de l'être moral et lui permet de
pousser le cri de triomphe, qui convient aussi bien
pour le moins aux certitudes de la foi qu'à
celles de la science, et à Philippe tout
autant qu'a Archimède : Eurêka,
j'ai trouvé !
Mais qu'as-tu donc trouvé,
Philippe ? Il a trouvé
« Jésus de Nazareth, le fils de
Joseph. » La formule de sa foi est
imparfaite. « Il ne peut, dit Calvin,
dire seulement quatre mots de Christ, qu'il n'y
mêle deux erreurs bien lourdes. »
« Mais, ajoute Calvin, quoique sa
doctrine fût vicieuse et embrouillée
d'erreur, elle a encore fait fruit pour ce qu'il
tendait néanmoins à ce but, que
Christ fût vraiment connu. » Il ne
connaît encore, il est vrai, ni le
mystère de la naissance surnaturelle ni le
lieu d'origine du Christ, mais il sait bien une
chose, c'est qu'il a trouvé le Messie,
« dont Moïse a écrit dans la
loi et dont les prophètes ont
parlé. » On peut lui reprocher de n'être pas un
esprit scientifique, puisqu'il affirme des faits
qu'il n'a pas vérifiés. Mais ne
vaut-il pas mieux, comme dit encore Calvin,
« bégayer grossièrement
avec Philippe, et retenir le vrai Christ que d'en
introduire un faux, en usant d'éloquence et
d'une subtile façon de
parler ? »
Voilà, mes jeunes
frères, un exemple à imiter.
Ministres de Jésus-Christ, vous devez
être ses témoins et votre
témoignage, pour avoir quelque valeur, doit
s'appuyer, comme celui de Philippe, sur une double
base : votre expérience personnelle et
les saintes Écritures.
Un témoin n'est pas un homme
qui cherche ou qui conjecture, c'est un homme qui a
trouvé et expérimenté ce dont
il parle.
Parler de Jésus Christ sans
le connaître personnellement, c'est faire
comme l'aveugle qui disserterait sur les couleurs.
L'âme qui est entrée en contact avec
le Sauveur et qui a trouvé auprès de
lui le pardon et la paix ne peut se taire : il
faut qu'elle parle, il faut qu'elle
témoigne. Ce n'est peut-être qu'une
femme ignorante et grossière comme la
Samaritaine ; elle dira à ses
voisins : « Venez voir un homme qui
m'a dit tout ce que j'ai fait ; ne serait-ce
pas le Christ ? » Ou bien c'est un
brillant disciple de la synagogue, Paul, qui
s'écrie : « C'est une chose
certaine et digne d'être reçue avec
une entière croyance, que Jésus est
venu au monde pour sauver les pécheurs, dont
je suis le premier. » Ou encore, c'est un
des plus grands génies modernes, à la
fois philosophe et mathématicien, Blaise
Pascal qui marque en des paroles de feu le souvenir
de sa première rencontre avec
Jésus : « Dieu d'Abraham,
d'Isaac et de Jacob, non des philosophes et des
savants. Certitude, certitude. Sentiment. Joie.
Paix... Joie, joie, pleurs de joie... »
et, ailleurs : « Je bénis
tous les jours de ma vie notre Rédempteur qui, d'un
homme plein de
faiblesse, de misère, de convoitise,
d'orgueil et d'ambition, a fait un homme exempt de
tous ces maux, par la force de sa grâce,
à laquelle toute gloire en est dite, n'ayant
de moi que la misère et
l'erreur. »
C'est cette expérimentation
directe du salut qui fait l'originalité et
la puissance du ministre de l'Évangile.
Fût-il le plus savant des théologiens
et le plus brillant des prédicateurs, il
n'est rien s'il n'est pas l'homme qui a
trouvé Jésus, s'il n'est le
témoin de Jésus.
Mais, ne l'oubliez pas, mes
chers
amis, si ferme et si joyeuse que soit la certitude
qui naît de l'expérience personnelle,
il ne faut jamais la séparer du
témoignage de l'Écriture.
Jésus ne l'en séparait pas, lui qui,
sur le chemin d'Emmaüs,
« commençant par Moïse et
continuant par tous les prophètes,
expliquait à ses disciples ce qui le
concernait dans toutes les
Écritures. »
Ce fut la méthode des
apôtres, ce fut celle des
réformateurs, ce fut celle des pères
du Réveil. Laissez-moi vous citer sur ce
point le témoignage d'un apôtre des
temps modernes, qui ne fut ni un mystique
élevant son sentiment intime au niveau des
Écritures, ni un esclave de la lettre, ne
tenant aucun compte des faits spirituels.
« J'ai besoin, dit
Wesley,
de connaître le chemin qui mène au
ciel. Dieu lui-même a daigné nous
enseigner ce chemin, et il a écrit dans un
livre ce qui en est. Oh ! donnez-moi ce
Livre ! À tout, prix, donnez-moi le
Livre de Dieu ! Je le possède ;
dans ses pages est contenue la science qui me
suffit. Que je sois homo unius libri ! Je
m'éloigne des routes bruyantes où
passent les hommes. Je m'assieds seul en la
présence de Dieu. Devant lui j'ouvre et je
médite son livre, en vue d'y trouver le
chemin du ciel. Quelque chose me
paraît-il obscur et difficile ?
J'élève mon coeur vers le Père
des lumières : « Seigneur,
n'as-tu pas dit : « Si quelqu'un
veut faire la volonté de Dieu, il
connaîtra. » Je veux la
faire ; fais-la moi
connaître. »
C'est là, mes chers
frères, la bonne méthode protestante
et apostolique de la connaissance et de la
certitude religieuses : l'Écriture
sainte contrôlant l'expérience,
l'expérience confirmant l'Écriture,
et l'une et l'autre aboutissant à
Jésus-Christ, qui est le centre des
Écritures et l'objet de l'expérience.
Mais il ne suffit pas à Philippe d'avoir
trouvé le Christ ; il veut le servir.
il ne lui suffit pas d'être son disciple, il
veut lui gagner des disciples. Or, l'esprit humain
est ainsi fait qu'il ne se laisse pas gagner sans
résistance à suivre des voies
nouvelles et qu'il répond volontiers par un
sourire ou une parole d'incrédulité
aux enthousiastes qui viennent lui dire :
« Nous avons
trouvé ! » Dans la
déclaration de Philippe, un détail
arrête Nathanaël : le Messie, qu'il
déclare avoir trouvé, vient de
Nazareth. Or, « peut-il venir quelque
chose de bon de Nazareth ? » cette
localité insignifiante, d'où aucun
prophète n'est sorti ? L'objection ne
porte pas sur le Messie lui-même, ni sur les
prophéties messianiques, auxquelles Philippe
vient de faire allusion. En sa qualité de
véritable Israélite, Nathanaël
attend le Messie, et il est sans doute de ceux qui
croient que les temps sont mûrs pour sa
venue. Mais, encore une fois, « peut-il
venir quelque chose de bon de
Nazareth ? » Cotte question, ce
n'est pas l'incrédulité qui la pose,
c'est le préjugé.
Et c'est le plus souvent, en
effet,
au préjugé que nous avons à
faire, dans nos efforts pour amener les hommes
à Dieu. Ces préjugés qui
éloignent les âmes de
Jésus-Christ sont innombrables
aujourd'hui ; ils proviennent de
l'éducation, du milieu, du caractère
national, des habitudes de l'esprit, et surtout de
l'infirmité de la volonté. Ils se
manifestent tantôt sous la forme de l'une de
ces objections courantes qui ne
résisteraient pas un moment à un
examen sérieux, si l'on se donnait la peine
d'examiner ; tantôt, et le plus souvent,
sous la forme d'une résistance silencieuse,
d'une réserve froide et polie, qui oppose
une fin de non-recevoir aux appels les plus
pressants et aux arguments les plus convaincants du
prédicateur.
Vous les rencontrerez souvent
devant
vous, mes frères, ces préjugés
enracinés, ces objections frivoles, cette
résistance passive, et l'un des devoirs de
votre ministère sera de les regarder en
face, de les contraindre à s'affirmer et de
leur opposer, sans vous lasser, les solutions de la
foi. Disciples et témoins de
Jésus-Christ, vous devrez être aussi
ses défenseurs. Tout prédicateur de
l'Évangile doit être, aujourd'hui
surtout, doublé d'un
apologète.
Permettez-moi de vous conseiller
la
méthode apologétique dont Philippe
usa envers Nathanaël. Sa science, qui
n'était pas longue, était à
bout, et l'objection de son ami l'eût peut
être désarçonné si sa
foi n'eût été qu'une croyance.
Ce qu'un argument eût produit, un autre
argument eût pu le défaire. Mais sa
foi était née du contact personnel
avec Jésus, et il n'y a pas de raisons qui
puissent avoir raison d'une telle
expérience. L'objection de Nathanaël,
eût elle été plus
sérieuse qu'elle ne l'était,
n'eût pas troublé la foi de Philippe,
ni enlevé aucune force probante à sa
méthode apologétique, contenue dans
ces mots ; Viens et vois !
Ne négligez aucun des secours
précieux que la science chrétienne
met à votre disposition pour la
défense de votre foi. La piété
n'a rien à redouter des recherches de la
science. Mais n'oubliez pas que, de même que
le soleil ne peut être étudié
qu'à la lumière du soleil, la
vérité chrétienne ne peut
être perçue que pur un coeur
chrétien. Après avoir tenté de
réfuter les objections de l'adversaire en
vous plaçant sur son terrain, amenez-le sur
le vôtre. en lui disant : Viens et
vois.
Les hommes auxquels vous aurez
à faire ne sont pas de pures intelligences,
disposées à se laisser convaincre par
des arguments. Ce sont des consciences obscurcies
par le péché, des coeurs
troublés par les passions, des
volontés débilitées par la
pratique du mal, des vies dévastées
par toutes les misères morales et
matérielles. Ce sont, pour tout dire d'un
mot, des malades qui ont besoin de guérison.
Guéris vous-mêmes, invitez-les,
pressez-les, et, pour employer le mot de saint
Paul, suppliez-les de venir à celui qui est
le divin Médecin des âmes et des
sociétés malades. Viens et
vois ! C'est bien l'appel fraternel qu'il
convient de faire entendre, aujourd'hui plus que
jamais. On est las de systèmes et de
doctrines : on demande des faits. Le
christianisme n'a rien à redouter de la
méthode expérimentale : il a
tout à gagner au contraire à
être jugé par ses oeuvres. Le
prédicateur ne demande pas à
être cru sur parole : il n'est pas un
prêtre parlant au nom d'un sacerdoce et d'une
tradition. ni même un docteur parlant au nom
d'un corps de doctrine. C'est un homme parlant
à des hommes parce qu'il les aime et parce
qu'il a trouvé celui qui peut seul les
sauver.
Vous le voyez, mes chers amis,
la
vocation du ministre de l'Évangile, comme
celle de l'apôtre Philippe, émane de
Jésus-Christ et aboutit à
Jésus-Christ. Il est celui qui adresse
à l'âme l'appel décisif :
Suis-moi ! Il est celui en qui elle
reconnaît son Sauveur et son Maître, et
dont elle peut dire avec une joyeuse
certitude : Nous l'avons trouvé !
Il est celui qu'elle aime et qu'elle sert, celui
auquel elle a l'ambition d'amener quiconque doute
et pleure, en lui disant : Viens et
vois !
Vous serez, à partir
d'aujourd'hui et, je l'espère,
jusqu'à votre mort, les serviteurs, les
envoyés, les témoins de Jésus
Christ. C'est-à-dire qu'il doit être
tout pour vous. Christ au commencement, Christ au
milieu, Christ à la fin ! Christ,
l'Alpha et l'Oméga ! Lui partout !
Lui toujours ! Voilà, ramenés
à leur principe, toute la vie
chrétienne et tout le ministère
chrétien ! À vous aussi, il
dit : « Comme le Père m'a
envoyé, je vous envoie ! Recevez le
Saint-Esprit. »
Et où vous
envoie-t-il ?
En France, dans le pays qui a eu la plus noble
lignée de confesseurs du Christ. depuis les
héroïques martyrs de Lyon au second
siècle, l'évêque Pothin,
Blandine, saint Irénée, jusqu'aux
martyrs huguenots du XVIe, du XVIIe et du XVIIIe,
Jean Leclerc, Louis de Berquin, Anne Du Bourg,
Gaspard de Coligny, Claude Brousson, Louis Ranc,
Désubas, Roger, Rochette, les frères
de Grenier, et une
« nuée » d'autres
témoins ; - un pays qui a eu des
docteurs chrétiens, tels que Abélard,
Bernard de Clairvaux, Gerson, Calvin, Th. de
Bèze, Blaise Pascal, Amyrault, Basnage,
Bochart ; - un pays qui a eu des
évangélistes tels que Valdo et les
Pauvres de Lyon, Guillaume Farel,
les cardeurs de laine de Meaux, les porte-balles du
XVIe siècle, ces vaillants
précurseurs de nos colporteurs bibliques qui
furent souvent brûlés sur le
même bûcher que leurs Bibles, et, au
XVIIIe siècle, les Antoine Court, les Paul
Rabaut et leurs collègues, les
héroïques pasteurs du désert,
qui sauvèrent le protestantisme
français d'une totale extinction.
Cette tradition de foi
conquérante a été
renouée au XIXe siècle par nos
pères, les hommes du Réveil, qui,
eux, ont sauvé le protestantisme de
l'enlisement dans les marécages d'un
pâle rationalisme, allié et complice
de l'indifférence religieuse. Notre
Église a eu une belle part dans le
Réveil français, et nos pères,
les Mahy, les du Pontavice, les Charles Cook, les
Jean Lelièvre, les Rostan, les Hocart, les
Gallienne, pour n'en nommer que quelques-uns, ont
été d'admirables pionniers de
l'Évangile en France.
C'est à leur suite que vous
vous enrôlez, chers jeunes frères. Ne
l'oubliez pas, la raison d'être du
méthodisme en France se résume en
trois mots :
Fidélité inviolable au vieil Évangile de la croix ;
Réveil permanent des chrétiens ;
Évangélisation intensive des masses.
En devenant pasteurs méthodistes, vous
acceptez ce programme. Vous seriez infidèles
aux engagements que vous allez contracter, si vous
preniez votre parti d'être de
médiocres pasteurs, sans puissance et sans
succès. Oh ! nous vous en supplions,
nous, vos aînés qui allons
bientôt disparaître, soyez émus
de compassion envers ce grand pays de France, que
tant d'autres travaillent à corrompre et
à perdre. Allez vers les masses, portant sur
votre front la paix d'une âme
réconciliée, et sur vos lèvres
les paroles de l'Évangile
éternel ; allez leur dire d'abord Nous avons
trouvé ! et ensuite : Venez et
voyez !
Et puissiez-vous un jour,
après avoir semé avec larmes, revenir
en chantant vers le Maître de la moisson, les
bras chargés de gerbes ! Et qu'alors il
vous dise : « Cela va bien, bon et
fidèle serviteur. »
AMEN !
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