Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LA VOCATION DE PHILIPPE

-------

Le lendemain, Jésus voulut se rendre en Galilée, et il trouva Philippe. Il lui dit : Suis-moi !
Philippes trouva Nathanaël et lui dit : Nous avons trouvé celui de qui Moïse a écrit dans la loi et dont les prophètes ont parlé, Jésus de Nazareth, le fils de Joseph.
Nathanaël lui dit : Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ? Philippe lui répondit : Viens et vois !
(Jean, 1 : 44-47).


MES CHERS JEUNES FRÈRES,

L'apostolat est de tous les temps, et il ne cessera qu'au jour, encore lointain, où « l'empire du monde sera remis à notre Seigneur et à son Christ ». L'apôtre a la tâche de fonder l'Eglise ; sa charge se continue de siècle en siècle, aussi longtemps qu'il y a de nouvelles provinces à annexer au royaume de Dieu.

Cet apostolat, tel qu'il s'offre à nous aujourd'hui, ne diffère pas dans son essence de l'apostolat primitif. Si celui-ci puisait une suprême grandeur dans son émanation directe de Jésus et dans une communication extraordinaire de son Esprit, il n'y a pas de raison pour que l'apostolat moderne ne reste pas en contact avec le Christ et ne participe pas à son Esprit. Quand le Seigneur dit aux onze : « Vous serez mes témoins jusqu'aux extrémités de la terre, » il savait bien qu'ils n'atteindraient les confins du monde habité que par leurs successeurs. On a remarqué que le livre des Actes est un livre inachevé, et l'on a pu de nos jours écrire un ouvrage qui s'appelle « les Nouveaux Actes des apôtres ». S'il y a une fausse succession apostolique, fruit malsain des prétentions sacerdotales, il y en a une vraie, qui rattache les apôtres d'aujourd'hui à ceux d'autrefois par le lieu de la même foi, du même amour, de la même obéissance au même Sauveur.

Vous appartenez, mes jeunes frères, à cette succession-là, qui fait de vous, non des prêtres, mais des témoins de Jésus-Christ. Aussi je me sens libre de vous proposer, au début de votre ministère, l'exemple des débuts d'un apôtre. Philippe, dont je veux étudier avec vous la vocation, ne fut qu'un astre secondaire dans la constellation des Douze. Son oeuvre s'est perdue dans le rayonnement de ces étoiles de première grandeur, qui se nomment Pierre, Jean et Paul. Fut-il l'apôtre des Phrygiens ou des Scythes ? fut-il martyr ou mourut-il de mort naturelle ? La tradition est vague et contradictoire sur ces points. Il appartient à la grande armée des travailleurs obscurs, que l'histoire a oubliés et dont nous ne connaîtrons les services que si Dieu nous permet un jour de feuilleter le Livre de vie, afin de compléter nos études historiques si insuffisantes.

Ce que l'Évangile nous apprend des débuts de l'apostolat de Philippe est, du reste, assez beau pour mériter de vous être proposé en exemple, mes jeunes frères. Peu importe que votre ministère, comme le sien, ne laisse aucune trace dans les chroniques ecclésiastiques et qu'il ne vous attire aucune notoriété, pourvu qu'il obtienne le cela va bien du divin Maître.

L'histoire de la vocation de Philippe nous le présente sous trois aspects intéressants : le disciple de Jésus, qui obéit avec empressement à l'appel : Suis-moi ; le témoin de Jésus, qui peut dire par une expérience personnelle : Nous avons trouvé ; et enfin le défenseur de Jésus, qui répond aux doutes et aux préjugés : Viens et vois !


I
-

Quelle scène que celle qui se passe sur les rives du Jourdain, à l'aurore du ministère du Seigneur ! Dès qu'il parait, bien qu'il n'y ait rien dans son extérieur qui le distingue des autres pèlerins, on sent que quelque chose de grand va se passer. L'ancienne alliance, personnifiée dans son dernier prophète, salue en lui l'Agneau de Dieu et le Fils de Dieu. Ce témoignage du Précurseur a pour résultat immédiat de décider plusieurs de ses disciples à se détacher de lui pour suivre Jésus. lis ont marché à la clarté de l'étoile du matin ; le Soleil de justice se lève, ils se tournent vers lui. Ce simple fait marque une grande date dans l'histoire du monde ; ce furent là, comme l'a dit Bengel, « les premières origines de l'Eglise chrétienne ».

Philippe fut l'un de ces disciples de Jean-Baptiste qui devinrent disciples du Sauveur. Et comment se fit cette rencontre qui amena un si grand changement dans l'âme et dans la vie du jeune Galiléen ? Elle ne fut pas l'effet du hasard, lequel n'étant pas une cause ne saurait avoir d'effets. Elle ne fut pas l'oeuvre de Philippe lui-même, qui ne semble pas avoir cherché Jésus. Saint Jean, qui fut témoin de cette entrevue, nous dit : « Jésus trouva Philippe et lui dit : Suis-moi ! » Il le trouva, sans doute, parce qu'il le cherchait. Il était venu, lui, le bon Berger, chercher quelques unes de ses brebis dans cette vallée du Jourdain, où étaient accourus, à l'appel du Baptiste, tous ceux qui attendaient la délivrance d'Israël. Philippe était un de ceux-là, et voilà pourquoi Jésus le trouva.

Toute vie chrétienne et tout ministère chrétien commencent ainsi. Les circonstances extérieures varient à l'infini. Tel a rencontré Jésus sur le chemin de Damas, comme Saul de Tarse ; tel autre, comme Luther, sur les escaliers de la Scala sancta, qu'il gravissait à genoux ; tel autre, comme Spurgeon, dans une petite chapelle où il était entré un jour de pluie, et où un prédicateur répéta cette parole qui pénétra dans son coeur : « Regardez, regardez à Christ ! » Vous, mes jeunes frères, c'est peut-être aux pieds d'une pieuse mère qui vous parlait du Sauveur que vous l'avez trouvé, ou bien dans votre chambre d'étudiant, ou dans les instructions de votre pasteur. Les circonstances, encore une fois, importent peu. Ce qui importe, c'est la rencontre, qui marque une date dans la vie et qui y fait toutes choses nouvelles : « Jésus trouva Philippe. » « Et il lui dit : Suis-moi ! » Ces deux petits mots sont la forme consacrée et presque unique que revêt dans l'Évangile l'appel du Maître à ceux dont il veut faire ses disciples ou ses apôtres. À Simon et à André, occupés à jeter leurs filets dans la mer, à Matthieu, assis au bureau du péage, au jeune homme riche, à Pierre relevé de sa chute, il dit également : Suis-moi ! « Si quelqu'un m'aime, dit-il, qu'il me suive ! » « Celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres. »

Suis-moi ! c'est la formule du don de soi-même, du don libre, spontané et joyeux. Ce don, nul ne peut le faire à notre place, ni notre famille, ni notre Église ; nul ne peut nous y contraindre, pas même Dieu. Ce n'est pas l'abdication forcée de l'esclave, qui suit son maître à la chaîne et sous la menace du fouet ; c'est l'acte du serviteur libre, qui limite sa liberté par un contrat volontaire qui le lie à son maître. Ou plutôt, c'est le joyeux service de l'enfant dans la maison du père.

Suivre Jésus-Christ, c'est devenir chrétien ; persévérer à le suivre, c'est demeurer chrétien. On n'accomplit pas une fois pour toutes le don de soi-même ; il faut le renouveler chaque jour, et toujours plus complètement.

Vous surtout, jeunes serviteurs du Christ, souvenez-vous que tant vaudra votre piété tant vaudra votre ministère, et que vous n'aurez de succès spirituels (les seuls dignes d'être ambitionnés) qu'en suivant Jésus. Si vous détourniez de lui votre pensée, votre coeur ou votre volonté, vous ne seriez plus ses serviteurs et vous ne pourriez plus, sans usurpation, en exercer les fonctions. Si vous ne le suiviez que de loin, comme Pierre la nuit où Jésus fut livré, vous trouveriez dans cette voie plus de remords que de joie. Mais si vous le suivez sans réserve et sans regarder en arrière, vous trouverez sur ses pas la paix de l'âme et l'incomparable joie réservée aux serviteurs fidèles « qui amèneront les hommes à la justice et qui brilleront comme des étoiles) à toujours et à perpétuité. »


II
-

À peine enrôlé parmi les suivants du Christ, Philippe devint son témoin. Ayant rencontré son ami Nathanaël, qui sans doute se rendait au Jourdain pour y être baptisé par Jean, il lui fit part du grand changement qui s'était accompli dans l'âme de ses amis et dans la sienne. « Nous avons trouvé, lui dit-il, celui de qui Moïse a écrit dans la loi et dont les prophètes ont parlé, Jésus de Nazareth, le fils de Joseph. » Que s'était-il donc passé entre Jésus et lui pendant les heures qui s'étaient écoulées depuis leur rencontre, pour qu'il fût déjà arrivé à la joyeuse et triomphante certitude qu'affirme cette parole ? Je suppose qu'il n'y avait pas eu entre eux beaucoup de paroles échangées : l'heure n'était pas encore venue d'un enseignement régulier et approfondi. Ce qu'il y avait eu, je vais vous le dire : il y avait eu l'ascendant irrésistible que l'âme sainte de Jésus exerçait sur les âmes droites ; il y avait eu, ce qu'il y eut peu après pour Nathanaël, la prise de possession victorieuse du coeur d'un israélite sans fraude par le Fils de Dieu, par le Roi d'Israël ; il y avait eu cette soudaine illumination qui éclaire jusqu'aux profondeurs de l'être moral et lui permet de pousser le cri de triomphe, qui convient aussi bien pour le moins aux certitudes de la foi qu'à celles de la science, et à Philippe tout autant qu'a Archimède : Eurêka, j'ai trouvé !

Mais qu'as-tu donc trouvé, Philippe ? Il a trouvé « Jésus de Nazareth, le fils de Joseph. » La formule de sa foi est imparfaite. « Il ne peut, dit Calvin, dire seulement quatre mots de Christ, qu'il n'y mêle deux erreurs bien lourdes. » « Mais, ajoute Calvin, quoique sa doctrine fût vicieuse et embrouillée d'erreur, elle a encore fait fruit pour ce qu'il tendait néanmoins à ce but, que Christ fût vraiment connu. » Il ne connaît encore, il est vrai, ni le mystère de la naissance surnaturelle ni le lieu d'origine du Christ, mais il sait bien une chose, c'est qu'il a trouvé le Messie, « dont Moïse a écrit dans la loi et dont les prophètes ont parlé. » On peut lui reprocher de n'être pas un esprit scientifique, puisqu'il affirme des faits qu'il n'a pas vérifiés. Mais ne vaut-il pas mieux, comme dit encore Calvin, « bégayer grossièrement avec Philippe, et retenir le vrai Christ que d'en introduire un faux, en usant d'éloquence et d'une subtile façon de parler ? »

Voilà, mes jeunes frères, un exemple à imiter. Ministres de Jésus-Christ, vous devez être ses témoins et votre témoignage, pour avoir quelque valeur, doit s'appuyer, comme celui de Philippe, sur une double base : votre expérience personnelle et les saintes Écritures.

Un témoin n'est pas un homme qui cherche ou qui conjecture, c'est un homme qui a trouvé et expérimenté ce dont il parle.

Parler de Jésus Christ sans le connaître personnellement, c'est faire comme l'aveugle qui disserterait sur les couleurs. L'âme qui est entrée en contact avec le Sauveur et qui a trouvé auprès de lui le pardon et la paix ne peut se taire : il faut qu'elle parle, il faut qu'elle témoigne. Ce n'est peut-être qu'une femme ignorante et grossière comme la Samaritaine ; elle dira à ses voisins : « Venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait ; ne serait-ce pas le Christ ? » Ou bien c'est un brillant disciple de la synagogue, Paul, qui s'écrie : « C'est une chose certaine et digne d'être reçue avec une entière croyance, que Jésus est venu au monde pour sauver les pécheurs, dont je suis le premier. » Ou encore, c'est un des plus grands génies modernes, à la fois philosophe et mathématicien, Blaise Pascal qui marque en des paroles de feu le souvenir de sa première rencontre avec Jésus : « Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, non des philosophes et des savants. Certitude, certitude. Sentiment. Joie. Paix... Joie, joie, pleurs de joie... » et, ailleurs : « Je bénis tous les jours de ma vie notre Rédempteur qui, d'un homme plein de faiblesse, de misère, de convoitise, d'orgueil et d'ambition, a fait un homme exempt de tous ces maux, par la force de sa grâce, à laquelle toute gloire en est dite, n'ayant de moi que la misère et l'erreur. »

C'est cette expérimentation directe du salut qui fait l'originalité et la puissance du ministre de l'Évangile. Fût-il le plus savant des théologiens et le plus brillant des prédicateurs, il n'est rien s'il n'est pas l'homme qui a trouvé Jésus, s'il n'est le témoin de Jésus.

Mais, ne l'oubliez pas, mes chers amis, si ferme et si joyeuse que soit la certitude qui naît de l'expérience personnelle, il ne faut jamais la séparer du témoignage de l'Écriture. Jésus ne l'en séparait pas, lui qui, sur le chemin d'Emmaüs, « commençant par Moïse et continuant par tous les prophètes, expliquait à ses disciples ce qui le concernait dans toutes les Écritures. »

Ce fut la méthode des apôtres, ce fut celle des réformateurs, ce fut celle des pères du Réveil. Laissez-moi vous citer sur ce point le témoignage d'un apôtre des temps modernes, qui ne fut ni un mystique élevant son sentiment intime au niveau des Écritures, ni un esclave de la lettre, ne tenant aucun compte des faits spirituels.

« J'ai besoin, dit Wesley, de connaître le chemin qui mène au ciel. Dieu lui-même a daigné nous enseigner ce chemin, et il a écrit dans un livre ce qui en est. Oh ! donnez-moi ce Livre ! À tout, prix, donnez-moi le Livre de Dieu ! Je le possède ; dans ses pages est contenue la science qui me suffit. Que je sois homo unius libri ! Je m'éloigne des routes bruyantes où passent les hommes. Je m'assieds seul en la présence de Dieu. Devant lui j'ouvre et je médite son livre, en vue d'y trouver le chemin du ciel. Quelque chose me paraît-il obscur et difficile ? J'élève mon coeur vers le Père des lumières : « Seigneur, n'as-tu pas dit : « Si quelqu'un veut faire la volonté de Dieu, il connaîtra. » Je veux la faire ; fais-la moi connaître. »

C'est là, mes chers frères, la bonne méthode protestante et apostolique de la connaissance et de la certitude religieuses : l'Écriture sainte contrôlant l'expérience, l'expérience confirmant l'Écriture, et l'une et l'autre aboutissant à Jésus-Christ, qui est le centre des Écritures et l'objet de l'expérience.


III
-

Mais il ne suffit pas à Philippe d'avoir trouvé le Christ ; il veut le servir. il ne lui suffit pas d'être son disciple, il veut lui gagner des disciples. Or, l'esprit humain est ainsi fait qu'il ne se laisse pas gagner sans résistance à suivre des voies nouvelles et qu'il répond volontiers par un sourire ou une parole d'incrédulité aux enthousiastes qui viennent lui dire : « Nous avons trouvé ! » Dans la déclaration de Philippe, un détail arrête Nathanaël : le Messie, qu'il déclare avoir trouvé, vient de Nazareth. Or, « peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ? » cette localité insignifiante, d'où aucun prophète n'est sorti ? L'objection ne porte pas sur le Messie lui-même, ni sur les prophéties messianiques, auxquelles Philippe vient de faire allusion. En sa qualité de véritable Israélite, Nathanaël attend le Messie, et il est sans doute de ceux qui croient que les temps sont mûrs pour sa venue. Mais, encore une fois, « peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth ? » Cotte question, ce n'est pas l'incrédulité qui la pose, c'est le préjugé.

Et c'est le plus souvent, en effet, au préjugé que nous avons à faire, dans nos efforts pour amener les hommes à Dieu. Ces préjugés qui éloignent les âmes de Jésus-Christ sont innombrables aujourd'hui ; ils proviennent de l'éducation, du milieu, du caractère national, des habitudes de l'esprit, et surtout de l'infirmité de la volonté. Ils se manifestent tantôt sous la forme de l'une de ces objections courantes qui ne résisteraient pas un moment à un examen sérieux, si l'on se donnait la peine d'examiner ; tantôt, et le plus souvent, sous la forme d'une résistance silencieuse, d'une réserve froide et polie, qui oppose une fin de non-recevoir aux appels les plus pressants et aux arguments les plus convaincants du prédicateur.

Vous les rencontrerez souvent devant vous, mes frères, ces préjugés enracinés, ces objections frivoles, cette résistance passive, et l'un des devoirs de votre ministère sera de les regarder en face, de les contraindre à s'affirmer et de leur opposer, sans vous lasser, les solutions de la foi. Disciples et témoins de Jésus-Christ, vous devrez être aussi ses défenseurs. Tout prédicateur de l'Évangile doit être, aujourd'hui surtout, doublé d'un apologète.

Permettez-moi de vous conseiller la méthode apologétique dont Philippe usa envers Nathanaël. Sa science, qui n'était pas longue, était à bout, et l'objection de son ami l'eût peut être désarçonné si sa foi n'eût été qu'une croyance. Ce qu'un argument eût produit, un autre argument eût pu le défaire. Mais sa foi était née du contact personnel avec Jésus, et il n'y a pas de raisons qui puissent avoir raison d'une telle expérience. L'objection de Nathanaël, eût elle été plus sérieuse qu'elle ne l'était, n'eût pas troublé la foi de Philippe, ni enlevé aucune force probante à sa méthode apologétique, contenue dans ces mots ; Viens et vois !

Ne négligez aucun des secours précieux que la science chrétienne met à votre disposition pour la défense de votre foi. La piété n'a rien à redouter des recherches de la science. Mais n'oubliez pas que, de même que le soleil ne peut être étudié qu'à la lumière du soleil, la vérité chrétienne ne peut être perçue que pur un coeur chrétien. Après avoir tenté de réfuter les objections de l'adversaire en vous plaçant sur son terrain, amenez-le sur le vôtre. en lui disant : Viens et vois.

Les hommes auxquels vous aurez à faire ne sont pas de pures intelligences, disposées à se laisser convaincre par des arguments. Ce sont des consciences obscurcies par le péché, des coeurs troublés par les passions, des volontés débilitées par la pratique du mal, des vies dévastées par toutes les misères morales et matérielles. Ce sont, pour tout dire d'un mot, des malades qui ont besoin de guérison. Guéris vous-mêmes, invitez-les, pressez-les, et, pour employer le mot de saint Paul, suppliez-les de venir à celui qui est le divin Médecin des âmes et des sociétés malades. Viens et vois ! C'est bien l'appel fraternel qu'il convient de faire entendre, aujourd'hui plus que jamais. On est las de systèmes et de doctrines : on demande des faits. Le christianisme n'a rien à redouter de la méthode expérimentale : il a tout à gagner au contraire à être jugé par ses oeuvres. Le prédicateur ne demande pas à être cru sur parole : il n'est pas un prêtre parlant au nom d'un sacerdoce et d'une tradition. ni même un docteur parlant au nom d'un corps de doctrine. C'est un homme parlant à des hommes parce qu'il les aime et parce qu'il a trouvé celui qui peut seul les sauver.

Vous le voyez, mes chers amis, la vocation du ministre de l'Évangile, comme celle de l'apôtre Philippe, émane de Jésus-Christ et aboutit à Jésus-Christ. Il est celui qui adresse à l'âme l'appel décisif : Suis-moi ! Il est celui en qui elle reconnaît son Sauveur et son Maître, et dont elle peut dire avec une joyeuse certitude : Nous l'avons trouvé ! Il est celui qu'elle aime et qu'elle sert, celui auquel elle a l'ambition d'amener quiconque doute et pleure, en lui disant : Viens et vois !

Vous serez, à partir d'aujourd'hui et, je l'espère, jusqu'à votre mort, les serviteurs, les envoyés, les témoins de Jésus Christ. C'est-à-dire qu'il doit être tout pour vous. Christ au commencement, Christ au milieu, Christ à la fin ! Christ, l'Alpha et l'Oméga ! Lui partout ! Lui toujours ! Voilà, ramenés à leur principe, toute la vie chrétienne et tout le ministère chrétien ! À vous aussi, il dit : « Comme le Père m'a envoyé, je vous envoie ! Recevez le Saint-Esprit. »

Et où vous envoie-t-il ? En France, dans le pays qui a eu la plus noble lignée de confesseurs du Christ. depuis les héroïques martyrs de Lyon au second siècle, l'évêque Pothin, Blandine, saint Irénée, jusqu'aux martyrs huguenots du XVIe, du XVIIe et du XVIIIe, Jean Leclerc, Louis de Berquin, Anne Du Bourg, Gaspard de Coligny, Claude Brousson, Louis Ranc, Désubas, Roger, Rochette, les frères de Grenier, et une « nuée » d'autres témoins ; - un pays qui a eu des docteurs chrétiens, tels que Abélard, Bernard de Clairvaux, Gerson, Calvin, Th. de Bèze, Blaise Pascal, Amyrault, Basnage, Bochart ; - un pays qui a eu des évangélistes tels que Valdo et les Pauvres de Lyon, Guillaume Farel, les cardeurs de laine de Meaux, les porte-balles du XVIe siècle, ces vaillants précurseurs de nos colporteurs bibliques qui furent souvent brûlés sur le même bûcher que leurs Bibles, et, au XVIIIe siècle, les Antoine Court, les Paul Rabaut et leurs collègues, les héroïques pasteurs du désert, qui sauvèrent le protestantisme français d'une totale extinction.

Cette tradition de foi conquérante a été renouée au XIXe siècle par nos pères, les hommes du Réveil, qui, eux, ont sauvé le protestantisme de l'enlisement dans les marécages d'un pâle rationalisme, allié et complice de l'indifférence religieuse. Notre Église a eu une belle part dans le Réveil français, et nos pères, les Mahy, les du Pontavice, les Charles Cook, les Jean Lelièvre, les Rostan, les Hocart, les Gallienne, pour n'en nommer que quelques-uns, ont été d'admirables pionniers de l'Évangile en France.

C'est à leur suite que vous vous enrôlez, chers jeunes frères. Ne l'oubliez pas, la raison d'être du méthodisme en France se résume en trois mots :

Fidélité inviolable au vieil Évangile de la croix ;
Réveil permanent des chrétiens ;
Évangélisation intensive des masses.

En devenant pasteurs méthodistes, vous acceptez ce programme. Vous seriez infidèles aux engagements que vous allez contracter, si vous preniez votre parti d'être de médiocres pasteurs, sans puissance et sans succès. Oh ! nous vous en supplions, nous, vos aînés qui allons bientôt disparaître, soyez émus de compassion envers ce grand pays de France, que tant d'autres travaillent à corrompre et à perdre. Allez vers les masses, portant sur votre front la paix d'une âme réconciliée, et sur vos lèvres les paroles de l'Évangile éternel ; allez leur dire d'abord Nous avons trouvé ! et ensuite : Venez et voyez !

Et puissiez-vous un jour, après avoir semé avec larmes, revenir en chantant vers le Maître de la moisson, les bras chargés de gerbes ! Et qu'alors il vous dise : « Cela va bien, bon et fidèle serviteur. »

AMEN !

- Table des matières -