Voyons donc ce que c'est que la Justification.
La justification est un acte de la souveraine grâce de Dieu, par lequel il pardonne à tout pécheur repentant et croyant tous ses péchés, et le reçoit comme juste devant lui en considération de Jésus-Christ.
Être justifié, c'est donc être tenu et déclaré pour juste devant Dieu, conforme aux exigences de l'ordre divin.
La justification est un acte,
c'est-à-dire qu'elle a lieu en une seule
fois, non par degrés successifs,
progressifs. C'est un acte complet et
définitif, sur lequel il n'y a pas à
revenir. St-Paul l'attribue à la souveraine
grâce de Dieu quand il dit :
« Nous sommes justifiés
gratuitement, par sa grâce, par la
rédemption qui est en
Jésus-Christ. »
On a dit, pour expliquer la disparition
des termes : justification, justifié,
que la justification n'est pas autre chose que le
pardon des péchés que Dieu accorde
à quiconque croit en Jésus-Christ.
St-Paul lui-même la présente ainsi,
quand, voulant montrer aux lecteurs de
l'épître aux Romains la
conformité de sa doctrine avec l'Ancien Testament,
il cite ces mots
du psaume
32: « Oh !
qu'heureux est celui dont la transgression est
quittée et de qui le péché est
couvert ! Heureux l'homme à qui
l'Éternel n'impute pas son
iniquité ! »
Le pardon des péchés est
une grâce capitale, aussi c'est avec une
profusion d'images que l'Ancien Testament en montre
l'efficace et la plénitude. Dieu
éloigne de nous nos péchés
autant que l'Orient est éloigné de
l'Occident ; il met nos péchés
derrière son dos ; il les jette au fond
de la mer ; il les dissipe comme la
nuée ; et quand ils seraient rouges
comme le cramoisi, ils seront blanchis comme la
laine, et quand ils seraient comme le vermillon,
ils deviendront blancs comme la neige. Enfin Dieu
dit expressément : « Je ne
me souviendrai plus de leurs
péchés ni de leurs
iniquités. »
Mais le pardon est surtout
présenté comme se rapportant à
des actes de Commission ou d'omission et laisse un
peu dans l'ombre le péché en tant
qu'attitude générale condamnable
à l'égard de Dieu. Il a aussi quelque
chose de négatif, alors que notre rapport
normal avec Dieu n'est pas seulement de ne pas
enfreindre ce qui est prescrit, mais d'être
et de faire ce que Dieu veut que nous soyons et que
nous fassions. Le pardon de nos fautes ne
rétablirait pas encore dans son
intégrité notre relation avec Dieu.
C'est pour cela que Dieu ne se borne pas à
nous pardonner, mais nous regarde comme justes,
nous proclame justes à ses yeux, afin que
rien ne nous empêche de nous confier
pleinement à lui, de l'aimer de tout notre
coeur et de venir constamment à lui avec la
plus entière liberté.
Chacun sent qu'il y a une
différence entre un enfant à qui son
père pardonnerait
généreusement ses fautes et un enfant à qui il
dirait : « Tu réponds
pleinement à ce j'attends de
toi. » Dieu ne met pas simplement le
croyant au bénéfice du sacrifice de
Jésus-Christ, du sang qui lave de tout
péché, mais il le voit
désormais en Jésus-Christ, en celui
sur lequel a toujours pu reposer tout son
plaisir ; ou, pour employer l'image biblique,
il lui donne la robe de noce, sous laquelle
disparaissent tous les haillons de sa
misère. Le croyant peut et doit dire :
« Je ne me sens pas juste, et en effet je
ne suis pas juste, mais Dieu veut bien me tenir
pour juste et traiter avec moi sur ce
pied-là. »
M. le pasteur Tophel a très bien
montré, dans sa brochure : Christ
notre justice, l'importance pratique de
la justification comme acte souverain de la
grâce de Dieu en opposition à la
justification comprise comme une infusion de la
justice de Dieu dans l'âme et dans la vie du
croyant.
C'est l'enfant prodigue reçu
immédiatement dans les bras du père,
réhabilité, rétabli sans
transition dans sa position et dans ses droits de
fils par la restitution de l'anneau filial, tandis
que l'idée d'une justification
parallèle à la sanctification,
progressive comme elle, soumise à toute
espèce de fluctuations, aurait dû
être représentée par l'accueil
cordial sans doute, mais sous condition, de
l'enfant repentant. Le père n'a pas pris au
mot son enfant lui disant ou voulant lui
dire : - car le père ne lui en a pas
laissé le temps. - « Traite-moi
comme l'un de tes mercenaires. » Il ne
l'a pas placé dans quelque emploi subalterne
afin qu'il reconquière peu à peu son
titre de fils, au risque, pour lui, de se
décourager ou, au contraire, de se remplir
de l'esprit légal qui empoisonnait la vie
correcte du fils aîné. Il l'a
réintégré dans tous ses
privilèges.
Les relations recommencent en effet par
une grande fête à
laquelle toute la maison prend part. Cela n'a rien
d'une admission à l'essai.
« C'est, dit M. Tophel, la
différence entre le salut gratuit,
absolument gratuit de Dieu et le salut, qui, en
donnant trop de part à l'homme, tend, d'un
côté, à lui ôter
l'élan de la joie et de la confiance ;
de l'autre, à le ramener à
lui-même pour que, tantôt il se
glorifie et tantôt se décourage
à la vue de ses plaies. »
M. le professeur Ch. Porret a
écrit également :
« Toute vie chrétienne doit
reposer sur la certitude du pardon et de la
réconciliation. Sinon, la joie et l'amour
sont à la merci des souffles qui passent, et
la vie de sanctification se trouve
paralysée. Pour vivre saintement, il faut
être enfant de Dieu, adopté par sa
grâce, inondé par son amour, rempli de
son Esprit. Et tout cela ne devient une
réalité que dans la justification.
Une prédication qui relève
l'obéissance à Dieu avant d'avoir mis
en évidence l'affranchissement qui nous est
donné dans la croix, aboutit tôt ou
tard, d'une façon plus ou moins
déguisée, au légalisme, au
moralisme. La doctrine de la justification donne
seule satisfaction à la vie religieuse en
nous plaçant au centre même de la vie,
qui est la communion avec le Dieu vivant. Aussi la
justification doit-elle être maintenue au
foyer de la vie chrétienne. Nous ne
prétendons pas qu'elle soit toujours le
commencement de la conversion. Les voies de Dieu
sont trop variées pour cela. Mais tôt
ou tard, il faut que la rencontre avec le Dieu
vivant s'opère et que le mystère de
la croix et de l'oeuvre rédemptrice se
dévoile à nos yeux. Et c'est alors
que la vie chrétienne a trouvé sa
vraie base et peut s'élever solide dans un
esprit filial (1). »
Saint Paul envisage cet état de
paix avec Dieu comme un
état « dans lequel le
chrétien se tient ferme » ;
dans lequel il se glorifie déjà de la
gloire, saisissant la consommation de son salut
dans ce qui n'en est que le point de
départ ; se glorifiant aussi au milieu
des afflictions à cause des progrès
spirituels qu'elles lui feront faire, ce qui lui
sera une confirmation de son assurance ; se
glorifiant même en Dieu, en ce Dieu dont il
était jadis l'ennemi et dont il avait peur.
Il y a vraiment là le commencement d'une vie
nouvelle.
Le catholicisme a une tout autre manière
de comprendre la justification par la foi. Thomas
d'Aquin, le grand docteur du moyen âge, si
recommandé par Léon XIII, expose que
la justification est bien la rémission de la
coulpe, le pardon des péchés, mais
seulement à la condition d'une communication
préalable de la grâce,
déterminant un mouvement de la
volonté libre vers Dieu et en même
temps contre le péché. La
justification embrasse donc le pardon et le
changement intérieur. De plus, la foi est
conçue surtout comme un acte de soumission,
comme une acceptation docile des doctrines
formulées par l'Eglise, mais qui n'a de
valeur que dans son union avec l'amour ; la
foi devient méritoire. Le pardon se trouve
donc être la récompense de la foi
infusée à l'âme. Enfin, comme
la justification est liée au baptême,
que le baptême ne couvre que le
péché originel et inconscient, le
croyant est renvoyé pour le pardon de ses
péchés personnels à l'Eglise
qui dispose des moyens de grâce, qui
répète dans la messe le sacrifice de
Jésus-Christ pour les péchés
commis après le baptême ; aussi
son devoir essentiel est-il l'attachement docile
à la sainte Église.
Le concile de Trente, qui a
précisé la doctrine romaine en face
de celle des réformateurs, dit :
« La justification n'est pas seulement la
rémission des péchés, mais
aussi la sanctification et la rénovation de
l'homme intérieur par l'acceptation
volontaire de la grâce et des dons de Dieu,
en sorte que l'homme d'injuste qu'il était
devient juste, d'ennemi, ami ; et qu'ainsi il
est en espérance héritier de la vie
éternelle. » La justification
n'est plus distincte de la sanctification et, dans
la foi, l'activité de l'homme est fortement
relevée. Aussi comprend-on que le
catholicisme soit incapable d'amener les âmes
à l'assurance de leur salut.
Je crains que l'on n'en revienne tout
doucement et sans même s'en douter à
la conception catholique de la justification. Le
protestantisme contemporain y est poussé par
l'effacement, dans sa conception de Dieu, de
l'idée de justice au profit de celles de
sainteté et d'amour. Dans la conception de
la misère de l'homme, l'idée de
culpabilité disparaît derrière
celle de sa maladie morale. L'expiation, dans
l'oeuvre du Christ, est remplacée par la
guérison du pécheur. L'on en revient
ainsi au salut par la sanctification uniquement. On
nie qu'il contienne autre chose. Mais comment une
vraie sanctification serait-elle possible sans une
pleine et préalable réconciliation
avec Dieu ? Comment l'homme pourra-t-il
accomplir le premier commandement : Tu aimeras
le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, s'il n'a
pas l'assurance que Dieu l'a
réintégré dans sa position
d'enfant de Dieu ?
L'on s'achoppe sans doute, dans l'idée
biblique de la justification, à ce
scrupule ; « Comment Dieu peut-il
déclarer juste quelqu'un qui ne l'est
pas ? C'est une fiction ! Cela n'est pas
digne de Dieu et ne peut inspirer aucune
confiance ! » Saint Paul est
très rassurant à cet égard. Il
est convaincu que Dieu reste juste, parfaitement
juste, quand il justifie, quand il proclame juste
même l'impie.... mais l'impie qui croit. Et
cela pour deux raisons :
Tout d'abord, c'est déjà
un changement capital d'attitude de l'homme envers
Dieu quand la confiance vient remplacer non
seulement l'incrédulité
déclarée mais la défiance, le
doute, l'éloignement. L'homme a
été perdu dès qu'il a
donné accès dans son coeur à
cette pensée : Il y a quelqu'un qui a
des intentions plus généreuses
à mon égard que Dieu. Dieu est jaloux
de mon développement, il redoute que je ne
devienne son égal. Quand il revient à
la pleine confiance en Dieu, quand il ne doute,
plus de son intention, de son amour, une
restauration devient possible.
Possible, disons-nous seulement. Mais
comme la foi saisit Jésus-Christ, sa
personne et son oeuvre, la rédemption
qu'il a accomplie, la vie dont il est la source
inépuisable, Dieu qui voit le chêne
dans le gland, l'homme dans la cellule
embryonnaire, peut bien voir un juste dans un
pécheur qui s'est livré à
Jésus-Christ.
Cette justice de Jésus-Christ,
parfaite aux yeux de Dieu, qui revêt d'abord
le croyant, deviendra, dans la communion vivante
avec Jésus-Christ, justice effective,
réelle et enfin parfaite.
Tous les progrès dans la réalisation
de cette justice seront une précieuse
confirmation de la validité de la justice
imputée, sans que des défaillances
partielles, suivies de repentir, ôtent
à celle-ci sa valeur.
Et la sanctification, comment faut-il
la
comprendre ?
On peut donc définir la
sanctification en disant :
La sanctification est cette oeuvre de la souveraine grâce de Dieu par laquelle il nous amène à étendre à tout notre être et à toute notre vie la mort au péché et le renouvellement complet que nous trouvons dans la communion avec Christ mort et ressuscité.
Et nous dirons en
utilisant quelques-unes des
données du catéchisme de l'Eglise
d'Écosse :
La justification et la sanctification
sont indissolublement unies ; dans le
décret éternel du salut, dans les
promesses de Dieu, dans la mission de
Jésus-Christ, dans sa mort et dans sa
résurrection, dans la vocation de Dieu, dans
la foi et dans l'expérience du
chrétien.
Elles diffèrent en ce que la
justification change la position, l'état du
pécheur devant Dieu tandis que la
sanctification change son coeur et sa vie.
La justification nous assure la faveur
de Dieu, elle se lie étroitement à
l'adoption par laquelle il nous prend pour ses
enfants ; la sanctification rétablit en
nous son image et fait de nous des enfants ayant
l'esprit de leur père.
La justification est un acte
de
Dieu, parfait et complet dès l'abord ;
la sanctification est une oeuvre de sa
grâce, s'opérant graduellement dans la
mesure où nous nous ouvrons à elle.
La justification nous proclame justes en
Christ, la sanctification nous rend justes par
l'action persévérante du
Saint-Esprit.
La justice de justification nous est
imputée, elle est sur nous comme un
vêtement magnifique qui couvre notre
misère ; la justice de sanctification
est opérée en nous, elle est en nous
comme une nature.
Quoique la justification ait pour objet
l'homme tout entier, cependant elle agit
immédiatement sur la conscience qu'elle
remplit de paix la sanctification agit sur
l'être tout entier.
La justification se rapporte à la
loi considérée comme alliance
d'oeuvres, et nous en affranchit ; la
sanctification se rapporte à la loi comme
règle de vie, et nous la fait
réaliser dans son esprit et dans toute son
étendue,
La justification nous donne la certitude
de la gloire éternelle ; la
sanctification nous prépare à y
entrer et nous met en harmonie avec ce
séjour de sainteté.
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