Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

IV (suite)

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 Voyons donc ce que c'est que la Justification.

La justification est un acte de la souveraine grâce de Dieu, par lequel il pardonne à tout pécheur repentant et croyant tous ses péchés, et le reçoit comme juste devant lui en considération de Jésus-Christ.
Être justifié, c'est donc être tenu et déclaré pour juste devant Dieu, conforme aux exigences de l'ordre divin.

La justification est un acte, c'est-à-dire qu'elle a lieu en une seule fois, non par degrés successifs, progressifs. C'est un acte complet et définitif, sur lequel il n'y a pas à revenir. St-Paul l'attribue à la souveraine grâce de Dieu quand il dit : « Nous sommes justifiés gratuitement, par sa grâce, par la rédemption qui est en Jésus-Christ. »

On a dit, pour expliquer la disparition des termes : justification, justifié, que la justification n'est pas autre chose que le pardon des péchés que Dieu accorde à quiconque croit en Jésus-Christ. St-Paul lui-même la présente ainsi, quand, voulant montrer aux lecteurs de l'épître aux Romains la conformité de sa doctrine avec l'Ancien Testament, il cite ces mots du psaume 32: « Oh ! qu'heureux est celui dont la transgression est quittée et de qui le péché est couvert ! Heureux l'homme à qui l'Éternel n'impute pas son iniquité ! »

Le pardon des péchés est une grâce capitale, aussi c'est avec une profusion d'images que l'Ancien Testament en montre l'efficace et la plénitude. Dieu éloigne de nous nos péchés autant que l'Orient est éloigné de l'Occident ; il met nos péchés derrière son dos ; il les jette au fond de la mer ; il les dissipe comme la nuée ; et quand ils seraient rouges comme le cramoisi, ils seront blanchis comme la laine, et quand ils seraient comme le vermillon, ils deviendront blancs comme la neige. Enfin Dieu dit expressément : « Je ne me souviendrai plus de leurs péchés ni de leurs iniquités. »

Mais le pardon est surtout présenté comme se rapportant à des actes de Commission ou d'omission et laisse un peu dans l'ombre le péché en tant qu'attitude générale condamnable à l'égard de Dieu. Il a aussi quelque chose de négatif, alors que notre rapport normal avec Dieu n'est pas seulement de ne pas enfreindre ce qui est prescrit, mais d'être et de faire ce que Dieu veut que nous soyons et que nous fassions. Le pardon de nos fautes ne rétablirait pas encore dans son intégrité notre relation avec Dieu. C'est pour cela que Dieu ne se borne pas à nous pardonner, mais nous regarde comme justes, nous proclame justes à ses yeux, afin que rien ne nous empêche de nous confier pleinement à lui, de l'aimer de tout notre coeur et de venir constamment à lui avec la plus entière liberté.

Chacun sent qu'il y a une différence entre un enfant à qui son père pardonnerait généreusement ses fautes et un enfant à qui il dirait : « Tu réponds pleinement à ce j'attends de toi. » Dieu ne met pas simplement le croyant au bénéfice du sacrifice de Jésus-Christ, du sang qui lave de tout péché, mais il le voit désormais en Jésus-Christ, en celui sur lequel a toujours pu reposer tout son plaisir ; ou, pour employer l'image biblique, il lui donne la robe de noce, sous laquelle disparaissent tous les haillons de sa misère. Le croyant peut et doit dire : « Je ne me sens pas juste, et en effet je ne suis pas juste, mais Dieu veut bien me tenir pour juste et traiter avec moi sur ce pied-là. »

M. le pasteur Tophel a très bien montré, dans sa brochure : Christ notre justice, l'importance pratique de la justification comme acte souverain de la grâce de Dieu en opposition à la justification comprise comme une infusion de la justice de Dieu dans l'âme et dans la vie du croyant.

C'est l'enfant prodigue reçu immédiatement dans les bras du père, réhabilité, rétabli sans transition dans sa position et dans ses droits de fils par la restitution de l'anneau filial, tandis que l'idée d'une justification parallèle à la sanctification, progressive comme elle, soumise à toute espèce de fluctuations, aurait dû être représentée par l'accueil cordial sans doute, mais sous condition, de l'enfant repentant. Le père n'a pas pris au mot son enfant lui disant ou voulant lui dire : - car le père ne lui en a pas laissé le temps. - « Traite-moi comme l'un de tes mercenaires. » Il ne l'a pas placé dans quelque emploi subalterne afin qu'il reconquière peu à peu son titre de fils, au risque, pour lui, de se décourager ou, au contraire, de se remplir de l'esprit légal qui empoisonnait la vie correcte du fils aîné. Il l'a réintégré dans tous ses privilèges.

Les relations recommencent en effet par une grande fête à laquelle toute la maison prend part. Cela n'a rien d'une admission à l'essai. « C'est, dit M. Tophel, la différence entre le salut gratuit, absolument gratuit de Dieu et le salut, qui, en donnant trop de part à l'homme, tend, d'un côté, à lui ôter l'élan de la joie et de la confiance ; de l'autre, à le ramener à lui-même pour que, tantôt il se glorifie et tantôt se décourage à la vue de ses plaies. »

M. le professeur Ch. Porret a écrit également : « Toute vie chrétienne doit reposer sur la certitude du pardon et de la réconciliation. Sinon, la joie et l'amour sont à la merci des souffles qui passent, et la vie de sanctification se trouve paralysée. Pour vivre saintement, il faut être enfant de Dieu, adopté par sa grâce, inondé par son amour, rempli de son Esprit. Et tout cela ne devient une réalité que dans la justification. Une prédication qui relève l'obéissance à Dieu avant d'avoir mis en évidence l'affranchissement qui nous est donné dans la croix, aboutit tôt ou tard, d'une façon plus ou moins déguisée, au légalisme, au moralisme. La doctrine de la justification donne seule satisfaction à la vie religieuse en nous plaçant au centre même de la vie, qui est la communion avec le Dieu vivant. Aussi la justification doit-elle être maintenue au foyer de la vie chrétienne. Nous ne prétendons pas qu'elle soit toujours le commencement de la conversion. Les voies de Dieu sont trop variées pour cela. Mais tôt ou tard, il faut que la rencontre avec le Dieu vivant s'opère et que le mystère de la croix et de l'oeuvre rédemptrice se dévoile à nos yeux. Et c'est alors que la vie chrétienne a trouvé sa vraie base et peut s'élever solide dans un esprit filial (1). »

Saint Paul envisage cet état de paix avec Dieu comme un état « dans lequel le chrétien se tient ferme » ; dans lequel il se glorifie déjà de la gloire, saisissant la consommation de son salut dans ce qui n'en est que le point de départ ; se glorifiant aussi au milieu des afflictions à cause des progrès spirituels qu'elles lui feront faire, ce qui lui sera une confirmation de son assurance ; se glorifiant même en Dieu, en ce Dieu dont il était jadis l'ennemi et dont il avait peur. Il y a vraiment là le commencement d'une vie nouvelle.


V

Le catholicisme a une tout autre manière de comprendre la justification par la foi. Thomas d'Aquin, le grand docteur du moyen âge, si recommandé par Léon XIII, expose que la justification est bien la rémission de la coulpe, le pardon des péchés, mais seulement à la condition d'une communication préalable de la grâce, déterminant un mouvement de la volonté libre vers Dieu et en même temps contre le péché. La justification embrasse donc le pardon et le changement intérieur. De plus, la foi est conçue surtout comme un acte de soumission, comme une acceptation docile des doctrines formulées par l'Eglise, mais qui n'a de valeur que dans son union avec l'amour ; la foi devient méritoire. Le pardon se trouve donc être la récompense de la foi infusée à l'âme. Enfin, comme la justification est liée au baptême, que le baptême ne couvre que le péché originel et inconscient, le croyant est renvoyé pour le pardon de ses péchés personnels à l'Eglise qui dispose des moyens de grâce, qui répète dans la messe le sacrifice de Jésus-Christ pour les péchés commis après le baptême ; aussi son devoir essentiel est-il l'attachement docile à la sainte Église.

Le concile de Trente, qui a précisé la doctrine romaine en face de celle des réformateurs, dit : « La justification n'est pas seulement la rémission des péchés, mais aussi la sanctification et la rénovation de l'homme intérieur par l'acceptation volontaire de la grâce et des dons de Dieu, en sorte que l'homme d'injuste qu'il était devient juste, d'ennemi, ami ; et qu'ainsi il est en espérance héritier de la vie éternelle. » La justification n'est plus distincte de la sanctification et, dans la foi, l'activité de l'homme est fortement relevée. Aussi comprend-on que le catholicisme soit incapable d'amener les âmes à l'assurance de leur salut.

Je crains que l'on n'en revienne tout doucement et sans même s'en douter à la conception catholique de la justification. Le protestantisme contemporain y est poussé par l'effacement, dans sa conception de Dieu, de l'idée de justice au profit de celles de sainteté et d'amour. Dans la conception de la misère de l'homme, l'idée de culpabilité disparaît derrière celle de sa maladie morale. L'expiation, dans l'oeuvre du Christ, est remplacée par la guérison du pécheur. L'on en revient ainsi au salut par la sanctification uniquement. On nie qu'il contienne autre chose. Mais comment une vraie sanctification serait-elle possible sans une pleine et préalable réconciliation avec Dieu ? Comment l'homme pourra-t-il accomplir le premier commandement : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, s'il n'a pas l'assurance que Dieu l'a réintégré dans sa position d'enfant de Dieu ?


VI

L'on s'achoppe sans doute, dans l'idée biblique de la justification, à ce scrupule ; « Comment Dieu peut-il déclarer juste quelqu'un qui ne l'est pas ? C'est une fiction ! Cela n'est pas digne de Dieu et ne peut inspirer aucune confiance ! » Saint Paul est très rassurant à cet égard. Il est convaincu que Dieu reste juste, parfaitement juste, quand il justifie, quand il proclame juste même l'impie.... mais l'impie qui croit. Et cela pour deux raisons :

Tout d'abord, c'est déjà un changement capital d'attitude de l'homme envers Dieu quand la confiance vient remplacer non seulement l'incrédulité déclarée mais la défiance, le doute, l'éloignement. L'homme a été perdu dès qu'il a donné accès dans son coeur à cette pensée : Il y a quelqu'un qui a des intentions plus généreuses à mon égard que Dieu. Dieu est jaloux de mon développement, il redoute que je ne devienne son égal. Quand il revient à la pleine confiance en Dieu, quand il ne doute, plus de son intention, de son amour, une restauration devient possible.

Possible, disons-nous seulement. Mais comme la foi saisit Jésus-Christ, sa personne et son oeuvre, la rédemption qu'il a accomplie, la vie dont il est la source inépuisable, Dieu qui voit le chêne dans le gland, l'homme dans la cellule embryonnaire, peut bien voir un juste dans un pécheur qui s'est livré à Jésus-Christ.

Cette justice de Jésus-Christ, parfaite aux yeux de Dieu, qui revêt d'abord le croyant, deviendra, dans la communion vivante avec Jésus-Christ, justice effective, réelle et enfin parfaite. Tous les progrès dans la réalisation de cette justice seront une précieuse confirmation de la validité de la justice imputée, sans que des défaillances partielles, suivies de repentir, ôtent à celle-ci sa valeur.


VII


Et la sanctification, comment faut-il la comprendre ?

Qu'elle se rattache intimement à la justification, cela est certain puisque c'est la justification qui la rend possible. « Il y a pardon auprès de toi afin qu'on te craigne. Je courrai dans la voie de tes commandements quand tu auras mis mon coeur au large. » La délivrance du péché, l'homme ramené effectivement à la pleine conformité d'esprit, de pensée et de vie avec Dieu, c'est bien le but essentiel de l'oeuvre du salut. Dieu a élu les fidèles en Christ, avant la fondation du monde, pour qu'ils soient saints et irrépréhensibles devant lui. Ceux qui sont élus selon la prescience de Dieu le Père, le sont par la sanctification de l'Esprit, afin qu'ils deviennent obéissants et qu'ils participent à l'aspersion du sang de Jésus.

C'est le but de l'oeuvre de Christ, spécialement de sa croix. Elle assure le pardon, mais elle procure aussi la mort au péché. Par une seule oblation, Jésus-Christ a amené à la perfection pour toujours ceux qui sont sanctifiés. L'on sait avec quelle force saint Paul s'élève contre ceux qui, sous prétexte du pardon de Dieu, en prennent à leur aise à l'endroit du péché. Demeurerions-nous dans le péché, afin que la grâce abonde ? Loin de là ! Nous qui sommes morts au péché, comment vivrions-nous encore dans le péché ?

On peut grouper sous quatre chefs les idées courantes dans le monde protestant sur la sanctification.

Celle qui était la plus répandue jusqu'il y a cinquante ans, c'est que le chrétien, poussé par la reconnaissance pour tout l'amour que Dieu lui a témoigné, se sanctifie lui-même par ses efforts et en employant fidèlement les moyens de grâce mis à sa disposition ; la prière, la Parole de Dieu, les sacrements, la communion fraternelle, les institutions de l'Eglise.

Cette doctrine fait place de plus en plus à celle de la sanctification par l'action directe de la personne du Christ glorifié. « Saisie par le coeur du pécheur, l'action du Sauveur se traduit bientôt en lumière pour sa raison, en sécurité pour sa conscience, en bonheur et en espérance pour toute son âme régénérée et sauvée » (2). Le contact avec Jésus-Christ, la contemplation de Jésus-Christ, transforment peu à peu le fidèle à l'image de son maître.

Il y a trente-cinq ans, le mouvement religieux qui se rattache au nom de Pearsall Smith, mouvement qui n'a pas trouvé dans le monde protestant l'accueil qu'il méritait, vint remettre en lumière que la sanctification du pécheur est l'oeuvre de Dieu comme sa justification. Ce mouvement n'était pas exempt d'exagération et de quelques erreurs sans doute, mais il insista sur la mort avec Christ comme sur le point de départ réel de la sanctification chrétienne.

Un quatrième point de vue, poussant à l'extrême ce qui était déjà un danger en germe dans le mouvement Pearsall Smith, en vint à présenter la sanctification comme un don de Dieu fait aux croyants en une seule fois, comme un fait réalisé tout entier au moment où le croyant s'unit au divin Crucifié. On insista uniquement sur les mots : « Vous êtes morts en Christ » en oubliant l'exhortation : « Faites donc mourir ce qui constitue en vous les membres du corps du péché. »

Il faut dire bien haut que la sanctification ne peut pas venir des efforts propres de l'homme, qu'elle vient de Dieu par Christ et par le Saint-Esprit. Mais il ne faut pas oublier que Dieu ne nous sanctifie pas sans notre concours, et que ce concours, pour être réceptif encore plus qu'actif, est pourtant une réception volontaire, empressée, désirée, active, partant progressive. Il s'agit de nous assimiler ce que nous avons de la part de Dieu collectivement en Christ, individuellement dans notre baptême, de devenir en réalité et personnellement ce que Dieu nous a fait être en droit, en principe, en puissance. Dieu nous dit: Soyez ce que vous êtes. Réalisez jusqu'au bout, jusque dans les membres les plus éloignés, une mort et une résurrection qui sont déjà accomplies dans le corps lui-même.

Le beau passage de saint Paul : « Travaillez à votre salut - et salut a bien ici le sens de sanctification - avec crainte et tremblement » se continue ainsi : « Car c'est Dieu qui produit en vous le vouloir et le faire. » O sublime contradiction logique que de dire : A l'oeuvre ! À l'oeuvre sans retard, sans relâche ; à l'oeuvre avec angoisse même ! et de motiver cette pressante exhortation en disant : Vous n'y pouvez rien, c'est de Dieu que vient non seulement le faire, mais le vouloir !

Cette contradiction logique se résout admirablement par ces trois mots du texte : Selon sa bienveillance. Sans doute, vous travailleriez comme des désespérés que cela ne servirait de rien ; mais vos efforts ne sont rien moins que stériles puisque Dieu, dans sa grande bienveillance, veut vous donner le vouloir et le faire.
C'est comme si l'on disait à un écolier : « Applique-toi avec le plus grand soin, écoute, obéis parce que tu as maintenant un maître tout à fait disposé pour toi, dévoué et capable. Il vaut donc la peine que tu te donnes beaucoup de peine. »


On peut donc définir la sanctification en disant :

La sanctification est cette oeuvre de la souveraine grâce de Dieu par laquelle il nous amène à étendre à tout notre être et à toute notre vie la mort au péché et le renouvellement complet que nous trouvons dans la communion avec Christ mort et ressuscité.

Et nous dirons en utilisant quelques-unes des données du catéchisme de l'Eglise d'Écosse :

La justification et la sanctification sont indissolublement unies ; dans le décret éternel du salut, dans les promesses de Dieu, dans la mission de Jésus-Christ, dans sa mort et dans sa résurrection, dans la vocation de Dieu, dans la foi et dans l'expérience du chrétien.
Elles diffèrent en ce que la justification change la position, l'état du pécheur devant Dieu tandis que la sanctification change son coeur et sa vie.

La justification nous assure la faveur de Dieu, elle se lie étroitement à l'adoption par laquelle il nous prend pour ses enfants ; la sanctification rétablit en nous son image et fait de nous des enfants ayant l'esprit de leur père.

La justification est un acte de Dieu, parfait et complet dès l'abord ; la sanctification est une oeuvre de sa grâce, s'opérant graduellement dans la mesure où nous nous ouvrons à elle.

La justification nous proclame justes en Christ, la sanctification nous rend justes par l'action persévérante du Saint-Esprit.
La justice de justification nous est imputée, elle est sur nous comme un vêtement magnifique qui couvre notre misère ; la justice de sanctification est opérée en nous, elle est en nous comme une nature.

Quoique la justification ait pour objet l'homme tout entier, cependant elle agit immédiatement sur la conscience qu'elle remplit de paix la sanctification agit sur l'être tout entier.

La justification se rapporte à la loi considérée comme alliance d'oeuvres, et nous en affranchit ; la sanctification se rapporte à la loi comme règle de vie, et nous la fait réaliser dans son esprit et dans toute son étendue,

La justification nous donne la certitude de la gloire éternelle ; la sanctification nous prépare à y entrer et nous met en harmonie avec ce séjour de sainteté.

FIN

1) Liberté chrétienne 1901 p. 111. 

2) Au coeur de la Réforme, p. 21.
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