Ce qui fut la force du grand travail
d'évangélisation d'où naquit
l'Eglise de l'âge apostolique, de la
Réformation du XVIe siècle et du
Réveil au XIXe, c'est l'affirmation que la
confiance en l'amour immérité de Dieu
et dans l'oeuvre accomplie, une fois pour toutes,
sur la croix par son Fils unique
Jésus-Christ, est l'élément
initial et fondamental de l'appropriation du
salut.
Nos Réformateurs vaudois : Farel
et Viret, avaient remarquablement saisi cette
vérité capitale. « C'est en
Jésus-Christ, dirent-ils à la Dispute
de Lausanne, qu'il faut chercher la satisfaction
pour nos péchés ; car ce qui
nous a justifiés, c'est qu'il a
souffert la peine due à la justice de Dieu
pour nos péchés, et a payé la
rançon à laquelle nous étions
obligés, ayant attaché à la
croix l'obligation qui était contre nous. Col.
II, Ps.
LXIX, Esaïe
LIII, c'est aussi ce que
signifie dans l'Écriture le terme de rédemption, qui veut dire
payer et
satisfaire pour la délivrance. 1
Pier. II, 2
Cor. V. »
C'est avec une égale netteté
et une égale profondeur qu'ils
exposèrent la vraie nature de la foi et
marquèrent ainsi la vraie relation entre la
justification et la sanctification.
« Au reste cette Foi, par laquelle
le juste vivra, Rom.
I, n'est
point
une Foi vaine, mais une confiance certaine qu'on a
en Jésus, par laquelle nous recevons
l'Esprit de Jésus, Gal.
III et Eph.
I, et sommes
insérés en lui, Rom.
VI et XI,
et faits enfants de Dieu. Jean
I. Une telle Foi n'est point sans fruit ; mais
tous ceux qui l'ont, comme des sarments unis au bon
cep, qui est Jésus, portent du fruit ;
et l'Esprit de Jésus, qui est dans les
croyants, porte ses fruits, Gal.
V, car nous recevons par elle
Jésus-Christ, qui nous a été
fait sanctification ; et par l'union que nous
avons avec Jésus-Christ par la Foi nous
sommes transportés au royaume de justice,
pour servir Dieu en toute pureté. Rom,
VI
(1). »
L'abandon de l'acceptation de
l'autorité religieuse et morale des saintes
Écritures, l'idée bien naïve que
les grands problèmes religieux ne sont pas
toujours les mêmes, mais se présentent
tout autrement aux diverses époques
(2),
l'intention
de réagir contre une notion tout
intellectuelle de la foi, qui ne fut ni celle de
Saint Paul, ni celle des Réformateurs, ni
celle du Réveil dans ses
représentants authentiques, mais qui n'est
que trop aimée de ceux qui cherchent dans le
salut la sécurité et non la
sainteté, ont amené une
transformation dans les idées religieuses de
ceux qui sont voués à l'enseignement
religieux dont le public ne se rend nullement
compte.
Renouvelant une expérience trop
fréquente au cours de l'histoire, la
théologie moderne au lieu de redresser les déviations
de maints
esprits, d'apporter ce qui peut manquer aux
conceptions courantes, s'arme d'une
vérité parfois méconnue pour
attaquer et renverser une vérité
infiniment précieuse. Ce sera ainsi de
nouveau une demi-vérité
prétendant être toute la
vérité. La doctrine de la
justification tend à disparaître au
grand détriment de la vie religieuse.
On s'alarme avec raison de l'envahissement
de notre pays par l'élément
catholique romain. Mais ce serait une chose
infiniment plus grave si la doctrine catholique,
sur le point capital de l'appropriation du salut,
reprenait possession des chaires de notre pays ou
si la bonne nouvelle du salut n'y était plus
clairement annoncée.
Or on ne peut méconnaître que
c'est dans ce sens que porte, sans s'en rendre
compte, le courant de la théologie
moderne.
« Qu'est donc être
sauvé ? Recevoir une déclaration
d'innocence ? Non pas. Cela veut-il dire que
Dieu considère nos fautes comme n'ayant pas
été commises ? Encore moins.
Cela veut dire que Dieu écarte la
condamnation pour le chrétien. Par le fait
même que le croyant reçoit de Dieu, en
Jésus-Christ, une énergie nouvelle,
par le fait que sa vie est désormais
inspirée, fécondée et conduite
par son Sauveur, organiquement, il sort peu
à peu de la boue où le
péché l'avait plongé, pour se
constituer en personnalité nouvelle sous le
souffle régénérateur de
l'Esprit. Il s'approprie le salut, par la
grâce de Dieu, car le salut c'est la vie, et
la vie est dans l'obéissance à la
volonté du Père : « Ma
nourriture est de faire, disait
Jésus-Christ, la volonté de mon
Père. »
« Sauvés par la foi !
En effet, si j'ai cédé à
l'attrait que le Sauveur exerce
sur mon âme, quel mérite ai-je
à Cela ? Je puis certes
démériter et me condamner
moi-même en repoussant la grâce de Dieu
en Jésus-Christ ; mais si je
réponds à l'appel de cette
grâce et si la confiance que Jésus a
acquise en moi est telle qu'elle me détache
de plus en plus du mal, dont j'étais
naturellement l'esclave, pour me libérer
dans la pratique du bien, dont je deviens l'ouvrier
toujours plus dévoué, n'est-ce pas
à Jésus-Christ et par lui à
Dieu lui-même que je dois ma
délivrance et mon salut ?
(3) »
Ceci est même en dessous des
affirmations du catholicisme qui reconnaît au
moins dans la justification, Comme un de ses
éléments, la rémission des
péchés.
Voici une autre citation, empruntée
au Croyant moderne. « L'acceptation pure
et simple d'un salut réalisé hors de
nous, n'agit plus sur notre âme comme une
puissance de régénération. La
rédemption ne saurait être, à
nos yeux, qu'un phénomène de
transformation intérieure,
opérée dans le coeur de Celui qui le
cherche, par l'action salutaire de Dieu en
Jésus-Christ. »
On comprend qu'avec une telle conception,
l'auteur ne puisse expliquer la parole centrale du
drame de la croix : « Mon
Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m'as-tu
abandonné ? »
On comprend en face de telles tendances que
non seulement le professeur très positif
Schlatter, mais le théologien très
moderne Lobstein de Strasbourg, éprouvent le
besoin de réagir : « Faire
dépendre la vie et la vérité
libératrices et salutaires de
l'intensité de nos dispositions
intérieures, de la vivacité de nos
impressions, de l'ardeur de notre zèle, ne
découvrir la pensée de Dieu que dans
les transports de notre âme
ou même dans les progrès de notre
sanctification, fonder l'assurance de notre salut
et de notre victoire sur des conquêtes
déjà réalisées,
chercher ainsi notre point d'appui et notre centre
de gravité dans nos états d'âme
et en général dans les
phénomènes que nous découvrons
en nous-mêmes, qu'est-ce autre chose que
substituer la vue à la foi ; marcher
par la foi, vivre par la foi, c'est donc au besoin
s'inscrire en faux contre nos propres
expériences, c'est infliger un
démenti aux données immédiates
de notre observation sensible.
« Oui, au milieu des plus
douloureuses éclipses de cette certitude
intime qui l'avait ravi, en dépit de la
sécheresse et du vide de son âme,
à travers les luttes, les doutes, les
fluctuations et les angoisses de sa vie
intérieure, que dis-je, au sein des
humiliations les plus amères, de ses
défaites et de ses chutes, le
chrétien doit croire quand même.
« Partout et toujours ce qui
importe à nos Réformateurs, c'est de
maintenir intacte, c'est d'élever au-dessus
de toute atteinte, la réalité
victorieuse de la grâce divine, ou pour me
servir d'un terme d'école,
« l'objectivité du
salut ». - Notre foi n'est pas solidaire
de nos expériences
(4). »
M. Lobstein indique bien qu'il ne s'agit
point ici de discussions théologiques, mais
de questions intéressant au premier chef la
vie religieuse pratique.
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