Nous avons maintenant à parler de la simplicité.
La simplicité de coeur, d'où procède la confiance
dans les autres, est le résultat de la sincérité, de l'absence de
toute fraude en soi-même. C'est une grâce que doivent rechercher avec
soin les personnes soupçonneuses. La posséder, c'est le grand secret
de l'influence que nous exercerons dans le monde. Réfléchissez un peu
et vous verrez que ceux qui ont le plus d'influence sur vous sont ceux
qui vous témoignent le plus de confiance. Dans une atmosphère de
méfiance, les hommes se renferment en eux-mêmes, tandis que sous
l'action de la confiance les coeurs s'ouvrent, se sentent encouragés
au bien et améliorés. Il est étonnant que, dans ce
monde si dur, si étranger à l'amour, il existe encore quelques rares
âmes qui ne soupçonnent point le mal. Voilà, en effet, le
sceau dont sont marqués ceux qui ne sont pas du monde. L'amour ne
suppose pas de mauvais motifs, voit toujours le meilleur côté des
actions et les explique de la manière la plus favorable. Quel
bienheureux état d'esprit cela doit être ! Comme on se sent
rafraîchi et fortifié, lorsque, même pour un instant passager, il
arrive qu'on en rencontre de tels sur son chemin !
Se sentir traité avec confiance, c'est, bien
souvent, le salut. Si nous essayons d'exercer une influence
bienfaisante autour de nous, nous remporterons des succès justement en
proportion du degré auquel nous aurons su faire sentir à ceux auxquels
nous nous sommes adressés que nous avons confiance en eux. Le respect
que nous montrons pour nos semblables est, pour celui qui est tombé,
le premier échelon qui l'aidera à remonter, à se reprendre, à se
respecter lui-même. Sentir que quelqu'un a de lui une opinion
favorable, c'est pour ce malheureux l'espoir, le précurseur
de son relèvement, le tableau qu'on lui présente de ce à quoi il lui
sera possible de parvenir.
La sincérité. - L'amour ne se réjouit point de
l'injustice, mais il se réjouit de la vérité. J'ai employé le
mot sincérité pour indiquer l'état d'âme dont il s'agit ici,
car, dans le sens restreint qui nous frappe d'abord, c'est
l'expression juste du texte. Celui qui sait aimer sera sincère autant
que charitable. Il s'agit ici de cette discipline de l'esprit qui
refuse de faire son profit des fautes de son prochain, de cette
charité qui ne prend aucun plaisir à signaler les faiblesses des
autres, mais qui, au contraire, selon une parole de l'Écriture,
« couvre une multitude de péchés ; » de cette droiture
d'intention qui fait que nous cherchons à voir les choses dans leurs
justes proportions et se réjouit de les trouver meilleures qu'on ne
les avait supposées ou que la calomnie ne les avait représentées.
Ce passage peut cependant avoir un sens plus
étendu. L'amour, nous dit-on, se réjouit de la vérité, de la
vérité vraie ; non pas de ce qu'on peut avoir enseigné sous ce
nom dans telle petite coterie, dans telle ou telle chapelle, dans
telle ou telle assemblée d'hommes quelconques, mais de la vérité qu'à
l'exemple des juifs de Bérée, loués par saint Luc, on aura mise à
l'épreuve, selon cette autre parole de l'apôtre : « Éprouvez
toutes choses et retenez ce qui est bon. » On la cherchera, cette
vérité, religieuse ou autre, avec humilité, sans parti-pris, et,
l'ayant trouvée, on s'y attachera, quelques sacrifices qu'il en coûte.
Ainsi se termine cette analyse de l'amour chrétien.
Mais ce n'est pas assez de le connaître ; l'affaire la plus
sérieuse de notre vie devrait être de le posséder, d'en faire le
mobile de toutes nos actions. L'oeuvre la plus excellente au monde,
c'est d'apprendre à aimer. La vie n'est-elle pas remplie d'occasions
de nous y exercer ? À chacun d'entre nous, il s'en présente
chaque jour des multitudes. Ce monde n'est pas un lieu
d'amusement ; c'est une école. La vie n'est pas une fête, mais un
temps d'instruction, et l'unique, l'éternelle leçon que nous avons à
apprendre, c'est celle-ci : Comment faire pour aimer mieux, pour
aimer d'une manière plus intelligente, pour aimer davantage ? Or,
que faut-il pour qu'un homme arrive à l'excellence
dans les arts, dans les sciences, dans la littérature, dans les
travaux manuels ? La capacité et l'étude sans doute, mais surtout
la pratique.
Que faut-il donc pour faire un homme de bien ?
La pratique du bien. Il n'y a rien de capricieux dans la religion.
L'âme n'est pas soumise à des lois différentes de celles qui régissent
les esprits et les corps. Si un homme néglige d'exercer son bras, ses
muscles ne se développeront pas ; au contraire, le membre se
raidira et se flétrira. De même, si un homme n'exerce pas son âme au
bien, il n'acquerra aucune vigueur morale ; il n'y aura chez lui
aucune saine croissance spirituelle. L'amour ne dépend ni de
l'émotion, ni de l'enthousiasme ; ce n'est autre chose que le
caractère chrétien dans son plein développement, riche en qualités
précieuses, fort, viril, vigoureux. C'est la nature de Christ qui est
devenue la nôtre. Or, les qualités qui constituent ce beau caractère
ne s'acquerront que par une pratique continue.
Que faisait le Christ pendant qu'il travaillait
dans l'atelier du charpentier ? Il mettait en pratique les doctrines
qu'il devait enseigner plus tard. Quoique parfait, l'Écriture nous dit
qu'il apprit l'obéissance, qu'il croissait en stature
et en grâce devant Dieu et devant les hommes.
Ne vous plaignez donc pas de votre sort quel qu'il
soit ; ne gémissez pas des soucis continuels qui vous assiègent,
de la platitude de votre vie, des vexations qu'il vous faut supporter,
des petitesses, des bassesses des gens parmi lesquels vous êtes appelé
à vivre et avec lesquels vous avez à travailler.
Surtout ne vous découragez pas à cause des
tentations ; ne soyez pas perplexe lorsqu'il vous semblera que le
nombre et la force en augmentent et qu'elles vous enserrent de plus en
plus, ne vous donnant de relâche ni par suite de vos efforts, ni par
suite de vos souffrances, ni même par l'effet de vos prières. C'est là
la discipline que Dieu vous envoie, et cette discipline fera son
oeuvre, vous rendant patient, humble, généreux, désintéressé, bon et
aimable. Ne vous plaignez pas de la main qui veut rectifier en vous
l'ébauche encore trop informe de l'image de Christ. Chaque jour, cette
image croît en beauté et devient plus distincte, quoique
vous, peut-être, vous ne vous en aperceviez pas, et il se peut que
chaque assaut de la tentation ajoute quelque chose à sa perfection.
C'est pourquoi, restez au milieu du monde ; ne vous isolez
point ; demeurez parmi les hommes, au milieu des affaires, des
chagrins, des difficultés et des obstacles. Vous souvenez-vous de ce
que dit Goethe ? « Le talent se développe dans la
solitude ; et le caractère, dans le courant de la vie. » Le
talent, c'est-à-dire la capacité pour une oeuvre quelconque, se
développe dans la solitude.
Ainsi en est-il de la capacité de la prière, de la
foi, de la méditation, de la vue de l'invisible. Mais le caractère, ce
qui forme l'essence de notre être, croît dans le courant de la vie de
ce monde. Voilà où, principalement, les hommes doivent apprendre
l'amour.
Et maintenant, me demanderez-vous peut-être,
comment faut-il faire pour l'apprendre ? Afin de simplifier la
chose, j'ai passé en revue les divers éléments de l'amour. Mais ce ne
sont là que des éléments. L'amour lui-même ne saurait se
définir. La lumière est quelque chose de plus que tout ce qui la
compose. C'est une chose éthérée, flamboyante, éblouissante, vibrante.
De même, l'amour est quelque chose de plus que tout ce qui en forme
les éléments. C'est une chose palpitante, vivante. Par le mélange de
toutes les couleurs, l'homme peut produire la blancheur ; il ne
saurait faire la lumière. Par le mélange de toutes les qualités, les
hommes peuvent atteindre à la vertu, ils ne sauraient enfanter
l'amour.
Comment donc faut-il faire pour que cette chose
transcendante, vivante, devienne la vie de nos âmes ?
Quand nous nous efforcerions de l'obtenir par toute
la puissance de notre volonté ; quand nous prendrions pour
modèles ceux qui la possèdent ; quand nous observerions
rigoureusement une règle de vie que nous nous serions imposée ;
quand nous passerions tout notre temps à veiller et à prier, ces
choses seules n'amèneraient pas l'amour dans un coeur d'homme.
L'amour est l'effet d'une cause que nous pouvons
connaître, que les saintes Écritures nous indiquent, et ce n'est
qu'autant que nous aurons accompli la condition d'où il dépend que cet
effet peut se produire.
Voyons maintenant cette cause. Lisez dans la 1re
épître de saint Jean les paroles qui suivent : « Nous aimons
parce qu'il nous a aimés le premier ! » C'est à dessein que
nous omettons le pronom le qui ne se trouve pas dans le texte original
et qui en diminue la force. Notez ce mot « parce que. »
La voilà donc, cette cause dont je vous ai parlé.
Parce qu'il nous a aimés le premier, il s'ensuit forcément, si nous
croyons cela, que nous aimerons Lui, notre Dieu Sauveur d'abord, et
ensuite tous les hommes. Nous ne pourrions faire autrement. Peu à peu
notre coeur sera changé et sa dureté se fondra sous les chauds rayons
du soleil de justice.
Considérez l'amour de Christ et vous apprendrez à
aimer. Tenez-vous devant ce miroir où le caractère du Rédempteur se
trouve réfléchi, et vous serez transformé en son image, et vous
deviendrez toujours plus doux, toujours plus aimant. Il n'y a pas
d'autre moyen. L'amour ne se commande pas, mais si vous contemplez la
beauté divine de Jésus, vous en viendrez nécessairement à l'aimer et à
lui ressembler. Contemplez donc ce caractère parfait, cette vie sans
tache, ce sacrifice immense qu'il fit de lui-même
pendant tout le temps qu'il vécut sur notre terre, sacrifice qu'il
consomma sur la croix du Calvaire, et vous ne saurez faire autrement
que de l'aimer. Or, si vous l'aimez, vous lui deviendrez semblable.
L'amour enfante l'amour.
C'est là un simple procédé d'induction. Mettez un
morceau de fer auprès d'un corps saturé d'électricité, et le fer,
pendant quelque temps, deviendra électrique lui-même. Il se trouvera
transformé en aimant par le simple voisinage du vrai aimant et aussi
longtemps qu'ils resteront ensemble ils seront l'un et l'autre des
aimants. Restez auprès de Celui qui nous a aimés et qui s'est donné
pour nous, et vous aussi vous deviendrez un véritable aimant,
possédant une réelle force d'attraction. Comme Lui, vous attirerez à
vous tous les hommes ; comme Lui, vous vous sentirez attiré vers
eux. C'est là l'effet invariable de l'amour. Celui qui en remplit la
condition en éprouvera certainement les résultats. Renoncez à l'idée
que la religion nous arrive par accident, par des voies mystérieuses,
par caprice. Elle nous arrive par une loi naturelle ou, si vous
l'aimez mieux, par une loi surnaturelle,
car toute loi a Dieu pour auteur.
Edouard Irving, allant un jour faire une visite de
malade chez un jeune garçon mourant, ne lui dit que ces mots :
« Mon enfant, Dieu vous aime ! » puis il le quitta,
L'enfant se souleva dans son lit en s'écriant : « Dieu
m'aime ! Dieu m'aime ! » et, à partir de ce moment, il
fut tout changé, consolé, heureux. Le sentiment de l'amour de Dieu le
saisit, s'empara de lui, l'attendrit, et commença de créer en lui un
coeur nouveau et un esprit nouveau.
C'est ainsi que l'amour de Dieu pénètre le coeur
dur de l'homme et fait de lui une nouvelle créature, patiente, humble,
douce, sans égoïsme. Il n'y a pas d'autre moyen pour obtenir ce
résultat. Il n'y a là-dedans aucun mystère. Nous l'aimons, nous aimons
nos frères, nous aimons tous les hommes, parce qu'il nous a aimés
le premier.
Afin de démontrer d'une manière encore plus éclatante que l'amour
chrétien est le don suprême, l'apôtre Paul résume le magnifique éloge
qu'il en fait par une considération digne de toute
notre attention. C'est que ce bien est durable. « L'amour
ne périt jamais ». Saint Paul passe en revue tout ce qui
est tenu en plus haute estime parmi les hommes et mérite le plus de
l'être, tout ce qu'ils regardent comme le moins sujet à disparaître,
et il montre qu'il n'y a pas une seule de ces choses qui ne soit
éphémère, sans stabilité, vouée à la destruction.
D'abord il parle des prophéties, qui sont ce qui
touche de plus près à la foi : « Pour ce qui est des
prophéties, elles seront abolies. » Il est vrai que les
Saintes Écritures, « les oracles de Dieu, » en sont
remplies ; toutefois, pour beaucoup d'entre elles, nous pouvons
dire que, l'une après l'autre, elles ont été abolies. Elles avaient
atteint le but pour lequel elles avaient été données. Ayant donc reçu
leur accomplissement, elles n'ont eu plus rien à faire dans le monde,
que de servir d'aliment à la foi et à la piété. Les années qui se
suivent amèneront également l'accomplissement de celles qui restent
jusqu'à ce que, dans la consommation des siècles, la prophétie
elle-même aura cessé d'exister. Cependant, ces prophéties
regardent pour la plupart celui qui était « le Désiré des
nations, » celui qui, après de longs siècles de silence pendant
lesquels l'Éternel avait cessé d'adresser la parole directement à son
peuple par la bouche de ses serviteurs, est venu manifester aux hommes
l'amour de leur Père céleste et mettre en évidence la vie et
l'immortalité.
Néanmoins, saint Paul nous démontre que la
prophétie, donnée dans un but déterminé, n'était que pour un temps et
qu'elle n'avait pas et ne pouvait avoir de caractère durable. C'était
pourtant une grande chose que d'être prophète ! Celui qui était
ainsi chargé par le Tout-Puissant de porter son message aux hommes,
d'être l'ambassadeur de Dieu, marchait sur la terre à l'égal des
potentats les plus superbes, - que dis-je ? - il les dominait
autant que le juge est élevé au-dessus du criminel traduit à sa barre.
Aussi l'ambition de toutes les mères en Israël était-elle de voir
leurs fils investis d'un pouvoir aussi envié. Cependant, saint Paul
l'inscrit le premier parmi les choses qui sont appelées à disparaître.
« Pour ce qui est des prophéties, elles seront abolies ».
Paul parle ensuite du don des
langues, alors assez commun dans l'Eglise, et qui parait avoir duré
pendant la plus grande partie du premier siècle. C'était là un
privilège fort ambitionné parmi les chrétiens, mais l'apôtre en prédit
la courte durée, « le don des langues cessera. » Or, nous le
savons, bien des centaines d'années se sont écoulées depuis que la
faculté de parler des langues étrangères sans les avoir péniblement
apprises a cessé dans l'église chrétienne. Remarquez toutefois que le
mot « don », se trouvant en lettres italiques dans nos
versions, n'existe pas dans le texte original, et quoique ce soit
certainement ce « don » que l'apôtre avait en vue, on peut,
si vous voulez, laisser de côté ce sens littéral et limité, et prendre
cette affirmation dans son application aux langues en général, même
alors, quoiqu'il ne soit plus question d'une intervention miraculeuse
de la puissance divine, le fait demeure vrai. « Les langues
cesseront ».
Beaucoup d'entre elles ont déjà cessé. Pensez
seulement à celle que saint Paul lui-même employait pour écrire ces
mots. C'est le grec. Or, comme langue vivante, elle n'existe plus,
celle qui porte de nos jours ce nom n'ayant que de
lointains rapports avec la langue d'Homère, et cette autre langue, -
le latin, - parlée presque partout dans le monde alors connu,
qu'est-elle devenue ? Morte aussi, et depuis longtemps. Et la
langue celtique, celle des fiers guerriers qui ont abaissé les aigles
romaines et rançonné la ville elle-même qui se disait éternelle ?
Elle n'est plus parlée que dans quelques coins reculés de ta terre,
dans les montagnes d'Écosse, dans ces coins perdus de l'Irlande qui
sont demeurés presque en dehors de la civilisation moderne, ou par les
Bretons de France, qui sont parmi les plus incultes de ses paysans.
Même là où elle existe encore, elle se meurt rapidement, et l'heure
n'est pas éloignée où elle aussi elle appartiendra au passé. Mais il y
a plus.
Notre langue française et la langue anglaise,
telles qu'on les parle aujourd'hui, tout en portant le même nom, ont
si peu de rapports avec les dialectes qu'on parlait autrefois, qu'il
faut des études spéciales presque aussi difficiles que pour une langue
étrangère pour se mettre à même de comprendre, je pourrais presque
dire de traduire, la littérature des siècles antérieurs.
Mais l'apôtre dit une chose qui peut paraître
encore plus étonnante : « La connaissance (autrement dit la
science) sera anéantie. »
En effet, que sont devenues les connaissances, la
science du temps de Paul ? L'élève d'une école primaire en sait
plus aujourd'hui que les plus sages d'entre les anciens, et même,
tellement vite vont les choses de nos jours, il est plus avancé que
Newton, celui dont le magnifique génie a découvert la grande loi qui
régit l'univers matériel, la gravitation des mondes. La vaste science
de cette intelligence hors ligne a été dépassée. On peut dire qu'elle
est disparue. Comme le journal d'hier qu'on jette au feu quand la
connaissance des événements qu'il vous a apportée est du passé, vous
pouvez acheter pour quelques sous les anciennes éditions des
meilleures encyclopédies, car leur science a vieilli. Dans un autre
ordre, d'idées, voyez comme la diligence a été remplacée par le chemin
de fer, et comment l'emploi moderne de l'électricité a relégué dans
l'oubli une multitude d'inventions presque contemporaines. Un homme
d'une grande autorité scientifique, sir William Thompson disait dernièrement :
« La machine à vapeur a fait son temps ! »
Vous ne sauriez visiter un atelier sans voir dans
quelque coin ou sous quelque hangar un amas de vieilles ferrailles,
des roues, des leviers, des manivelles, brisés et mangés de rouille.
Ce sont les débris de machines qui, il n'y a peut-être pas vingt ans,
étaient l'orgueil de la ville. On arrivait de loin pour voir
fonctionner la belle invention, et maintenant c'est chose finie, on a
trouvé mieux. De même, toute la science, toute la philosophie de ce
siècle dont nous sommes si fiers, ne tardera pas à vieillir. Naguère
vivait encore l'homme le plus éminent de l'université d'Edimbourg, sir
James Simpson, celui qui a découvert le chloroforme. Eh bien, tout
dernièrement, son neveu et successeur, le professeur Simpson,
répondant au libraire de l'université, qui lui demandait de faire un
choix entre les livres traitant de sujets de la spécialité de son
oncle, afin de mettre de côté ceux qui étaient devenus inutiles, lui
dit : « Vous pouvez laisser tout ce qui date de plus de dix
ans ! » Cependant, comme vous le savez, il n'y a que peu
d'années, sir James Simpson était regardé comme l'un des princes
de la science médicale, on venait le consulter des endroits les plus
reculés de la terre, et voilà que la presque totalité de la science de
son temps se trouve vouée à l'oubli par la science d'aujourd'hui. Il
en est de même pour toutes les autres branches des connaissances
humaines. Maintenant « nous ne connaissons
qu'imparfaitement..., nous voyons confusément, comme dans un miroir. »
Pouvez-vous indiquer quelque avantage dont la durée
soit certaine ? Il y a bien des choses qui sont fort estimées
dans le monde, et que Paul n'a seulement pas daigné mentionner. Il y a
l'argent, la fortune, la renommée. Les biens qu'il indique sont ceux
que les hommes les plus sages et les meilleurs de son temps
regardaient comme les plus désirables, et il n'hésite pas à les
écarter avec autorité. Paul ne dit rien contre ces choses en soi. Ce
qu'il affirme, c'est qu'elles ne peuvent durer. Ce sont des biens
magnifiques, mais non pas suprêmes. Il existe d'autres biens plus
précieux, car ce que nous sommes, ce qui constitue notre être, est
incontestablement supérieur à ce que nous faisons et à ce que nous
possédons. Bien des choses que des hommes pieux ont
traitées de péché sur l'autorité de textes de l'Évangile isolés ou mal
compris, ne le sont pas réellement en soi, et ne le deviennent
que lorsque nous leur donnons, dans notre vie, une place qui ne doit
appartenir qu'au bien suprême ; mais toutes sont passagères,
toutes sont de courte durée.
C'est là un argument souvent employé dans
l'Écriture. Saint-Jean, en parlant du monde, ne dit pas que le monde
soit synonyme du mal, mais il dit qu'il passe. Il y a,
dans le monde, beaucoup de beauté et de charme, bien des choses
magnifiques et attrayantes, mais tout cela est éphémère. Ce qui domine
en lui, la convoitise des yeux, la convoitise de la chair et l'orgueil
de la vie, ne subsiste que pour un peu de temps. Par conséquent,
n'aimez pas le monde. Rien de ce qu'il contient ne vaut que la vie
d'une âme immortelle lui soit sacrifiée. L'âme ne doit se donner qu'à
ce qui est immortel comme elle. Or les seuls biens immortels sont
ceux-ci : « maintenant ces trois choses demeurent, la
foi, l'espérance et la charité ; mais la plus grande des trois
est la charité. »
Certains chrétiens pensent que le moment
viendra où la foi et l'espérance elles-mêmes devront
disparaître ; la foi s'évanouirait devant l'évidence, et
l'espérance devant la réalisation. Paul, à vrai dire, ne l'affirme
pas. Nous savons peu de chose par rapport aux conditions de la vie
future, mais une chose est certaine : c'est que l'amour doit
durer. Dieu, le Dieu de l'éternité, est amour. Désirez alors ce don
qui ne passera jamais, cette seule chose qui, certainement, existera
toujours, cette unique richesse qui aura cours dans l'univers, alors
que tout autre possession deviendra inutile et méprisable. Vous vous
occupez de beaucoup de choses, préoccupez-vous tout d'abord de l'amour
chrétien, mettez chaque chose à sa place. Que votre premier objectif
dans la vie soit d'acquérir cette vertu que l'apôtre vous recommande
avec tant d'insistance, vertu qui fut la vie même du Christ, et qui a
sa source et sa raison d'être dans l'amour que notre Père céleste nous
a témoigné en Jésus-Christ.
J'ai dit que l'amour est éternel par sa nature.
N'avez-vous jamais remarqué que saint Jean associe constamment l'amour
et la vie éternelle ?
Quand j'étais enfant, on me disait bien que
« Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils unique,
afin que quiconque croit en Lui ne périsse point. » On m'a fait
comprendre que la confiance en Lui me procurerait la paix, le repos de
l'âme, la joie, la sécurité, mais on a négligé d'insister sur ce point
que la confiance, qui n'est autre chose que l'amour, ou qui du moins y
conduit directement, est la source même de la vie éternelle. C'est ce
que j'ai dû découvrir seul, et c'est là cependant ce que l'Évangile
nous offre : la vie ! La vie déjà ici-bas, et la vie pendant
l'éternité !
Ne présentons jamais aux hommes un Évangile
diminué. À quoi servirait-il de leur offrir les meilleurs biens
spirituels si vous ne leur dites que Jésus est venu leur apporter non
seulement le salut, en tant que cela veut dire la délivrance de la
condamnation, mais encore, mais surtout la vie, une vie plus large que
celle qu'ils possèdent, une vie débordant d'amour qui les remplira de
puissance et d'énergie pour alléger les souffrances de ce monde
présent et travailler à l'oeuvre de sa rédemption ? C'est ainsi seulement
que l'Évangile s'emparera de l'homme tout entier, corps, âme, esprit,
donnant à chaque partie de notre être la nourriture et le
développement qu'elle réclame.
Beaucoup d'entre ceux qui croient annoncer
l'Évangile ne s'adressent qu'à un côté de la nature humaine. Ils
offrent la paix mais non la vie, la foi mais non l'amour, la
justification mais non la régénération. Or, de la religion ainsi
comprise les hommes retombent facilement dans leur état premier, car
cette religion-là n'aura jamais de véritable prise sur eux. Elle ne
les enveloppera jamais tout entiers. Le cours de leur nouvelle vie
n'est ni plus profond, ni plus plein de joie que celui de la vie
qu'ils menaient auparavant, et la raison elle-même nous démontre qu'on
ne combattra l'amour du monde qu'en y substituant un amour plus noble,
plus élevé, plus puissant.
Aimer largement, c'est vivre largement, et aimer
pour l'éternité, c'est vivre éternellement ; en sorte que la vie
éternelle se trouve liée à l'amour d'une manière indissoluble. En
réalité, nous voulons vivre éternellement, pour le même motif qui nous
fait désirer de vivre demain. Et pourquoi
désirez-vous vivre demain ? Parce que vous avez quelqu'un qui
vous aime et que vous voulez revoir, auprès duquel vous désirez être
et à qui vous voulez témoigner votre affection en retour de la sienne.
C'est la seule raison pour laquelle la vie est désirable.
Aimer et être aimé, là seulement est le bonheur.
Malgré les afflictions et les souffrances, il est
rare qu'un homme attente à ses jours tant qu'il se rend compte qu'il y
a quelqu'un qui l'aime. Aussi longtemps qu'il aura des amis dont il se
sentira aimé et qu'il aimera, il voudra vivre, car vivre, c'est aimer.
Quand ce ne serait que l'amour d'un chien, cela suffira la plupart du
temps pour réconcilier l'homme avec la vie ; mais que l'amour
vienne à lui manquer, rien ne le retient plus ; sa vie n'a plus
de but, et il se pourrait même qu'il meure de sa propre main. Il n'y a
pas d'état qu'on puisse concevoir plus misérable que celui d'un homme
qui vivrait et vieillirait seul, sans affections, sans un être pour
l'aimer. Vivre dans de telles conditions et arriver ainsi à la fin de
sa carrière, ce serait, dans toute la force du terme, être perdu ;
aussi la vie éternelle, est-ce connaître Dieu, le Dieu qui est amour.
Réfléchissez aux paroles que le Christ lui-même nous adresse :
« C'est ici la vie éternelle, qu'ils te connaissent, toi qui es
le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que tu as envoyé. »
Donc, comme nous l'avons vu, l'amour doit forcément être éternel,
puisque c'est l'essence même du Dieu éternel, et ainsi, en dernière
analyse, aimer, c'est vivre ! L'amour ne périt jamais ni
la vie non plus, tant que nous continuons à aimer. Voilà la
philosophie que Paul nous enseigne, et voilà aussi pourquoi, par sa
nature même, l'amour est la chose suprême, car il doit durer, car il
est la vie, la vie à jamais.
Je n'ai plus que quelques mots à ajouter, et c'est
pour demander combien de mes lecteurs voudraient se joindre à moi pour
lire une fois par semaine, pendant trois mois, le chapitre que nous
venons de méditer. Un homme de ma connaissance a consenti à faire
cela, et toute sa vie en a été changée. Voulez-vous en faire
autant ? C'est peu de chose, pour acquérir ce qu'il y a de plus
grand au monde. Vous feriez encore mieux peut-être, en commençant,
de le lire une fois par jour, surtout les versets qui se rapportent
spécialement aux qualités morales de la nature parfaite : « La
charité est patiente ; elle est pleine de bonté ; elle
n'est point envieuse ; elle ne s'enfle point d'orgueil, »
et les deux versets suivants.
Faites entrer ces vertus dans votre vie, et vous
ferez là une oeuvre qui durera pendant toute l'éternité. La chose en
vaut la peine ; elle mérite qu'on y consacre son temps et ses
efforts. Ce n'est pas en dormant qu'on peut devenir saint, et pour y
réussir, pour remplir les conditions requises, il faut donner une
certaine part de son temps à la prière et à la méditation, justement
comme, pour obtenir un progrès quelconque soit sous le rapport
physique, soit sous le rapport intellectuel, il faut du travail et du
soin. Que le but principal de votre vie soit d'acquérir cette chose
seule nécessaire. Coûte que coûte, faites en sorte d'échanger votre
égoïsme contre la nature divine. En jetant un regard en arrière, vous
reconnaîtrez bien que les heures qui ont laissé dans votre vie les
traces les plus profondes, les plus lumineuses, les moments
où vous avez vraiment vécu, sont ceux où vos actions ont été dictées
par un esprit d'amour. Ces moments bénis, vous les verrez resplendir
bien au-dessus de tous les souvenirs que vous avez gardés des plaisirs
transitoires de la terre. Ce sera peut-être quelque acte de bonté
envers ceux qui vous entourent, acte ignoré de tous et se rapportant
même à des choses trop triviales pour qu'on en parle ; et
cependant, vous le sentez bien, ce sont ces choses-là qui constituent
ce qu'il y a de meilleur dans votre existence.
Il m'a été donné de voir presque toutes les beautés
de la création ; j'ai joui de presque tous les plaisirs que le
Seigneur, dans sa bonté infinie, a offert à ses créatures, et
cependant, quand je songe au passé, je vois se profiler clairement,
bien au-dessus de toutes ces joies, quelque légitimes qu'elles aient
pu être, quatre ou cinq petites expériences où l'amour de Dieu s'est
trouvé reflété, en une faible lueur, dans certaines actions peu
importantes de ma vie de tous les jours, et celles-là me semblent les
seules choses qui vaillent la peine qu'on en garde le souvenir. Tout
le reste n'est que vanité ; toute autre chose
n'est qu'illusion ; seuls les actes d'amour, ignorés de tous et
que les hommes ignoreront toujours, ne disparaissent jamais.
Dans l'évangile selon saint Matthieu, où le jour du
jugement dernier nous est dépeint sous l'image du Juge suprême assis
sur son trône et séparant les brebis d'avec les boucs, la pierre de
touche qui révèle le caractère des hommes n'est pas ce qu'ils ont cru,
mais comment ils ont aimé. Aussi quand viendra ce jour grand et
redoutable, les preuves qui nous seront demandées de la sincérité de
notre religion, ce ne seront pas des paroles, mais des actes d'amour.
Il ne sera même pas question de ce que nous aurons cru mais de la
façon dont nous aurons accompli les petites charités ordinaires de la
vie. Il est même à remarquer que, dans l'effrayant acte d'accusation
dressé contre les condamnés, il n'est pas question de péchés commis.
Nous serons jugés non d'après ce que nous aurons fait, niais d'après
ce que nous aurons négligé de faire. Il ne pouvait en être
autrement ; car ne pas savoir aimer, c'est renier l'esprit de
Christ ; c'est la preuve que nous ne l'avons jamais
connu, que pour nous, il a vécu en vain et qu'il est mort en vain.
Cela prouverait qu'il n'a été pour rien dans toutes nos pensées :
qu'il n'a inspiré aucune de nos actions ; que nous ne nous sommes
pas une seule fois approchés assez près de lui pour avoir été saisis
par le doux charme de sa compassion envers les hommes. Cela
justifierait, en un mot, la parole du poète
C'est devant le Fils de l'homme que les nations seront
assemblées ; c'est en présence de l'humanité que nous serons
jugés. La vue seule de ces solennelles assises suffira sans qu'une
parole soit prononcée pour que chacun se rende compte du verdict qui
l'attend. Ils seront là, ceux que nous aurons rencontrés sur cette
terre et que nous aurons aidés et soulagés. Mais elle y sera aussi, la
multitude de ceux pour qui nous aurons été sans pitié, de ceux que
nous aurons négligés ou méprisés. Il n'y sera besoin d'aucun
autre témoignage, aucune accusation ne s'élèvera contre nous, sinon
celle d'avoir manqué d'amour. Ne vous y trompez pas, les paroles que
chacun de nous entendra un jour ne se rapporteront pas à la théologie,
mais à la vie, ne regarderont ni les diverses églises, ni le fait d'en
être membre. Il ne sera question que des pauvres et des misérables.
Ces paroles ne viseront ni des formules, ni des doctrines, mais des
actes de miséricorde envers ceux qui étaient nus et sans abri. Il n'y
est pas même question de la Bible elle-même, encore moins d'aucun
formulaire de prières, mais d'un verre d'eau froide donné au nom du
Seigneur !
Béni soit Dieu ! on commence à mieux percevoir
cette vérité et à mieux comprendre combien le christianisme réel
s'adapte aux besoins de l'humanité. Vivez de manière à aider le
mouvement qui se fait dans cette direction. Béni soit Dieu ! les
hommes pieux de notre temps commencent à voir plus clairement en quoi
consiste la vraie religion, je veux dire à mieux réaliser la beauté
transcendante de cet enseignement divin, « Dieu est
amour ! » à mieux se rendre compte que le
Seigneur Jésus est venu, non seulement pour sauver les âmes, mais
aussi pour nous offrir un exemple et nous montrer la puissance active
de l'amour. Or, ce divin Sauveur, dont le saint nom a été invoqué sur
nous qui nous appelons chrétiens, qu'a-t-il fait, et qui
était-il ? Celui qui nourrissait ceux qui avaient faim, qui
venait au secours de toutes les souffrances, de toutes les infirmités,
de toutes les misères. Et où faut-il le chercher ? Il nous le
dit : « Quiconque reçoit un enfant en mon nom, il me
reçoit. » Finalement, qui sont ceux qui sont à Christ ?
« Quiconque aime les autres est né de Dieu et il connaît
Dieu. » (1
Jean, IV, 7.)
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