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Table des matières

Pâques ou...

LA LIBERTÉ DE DIEU

 

Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié. Actes 2, 36

 

On ne peut saisir le message de Pâques si l'on ne l'entend pas retentir dans le silence du Samedi-Saint, si l'on ne se rend pas compte qu'il s'agit là de « ce Jésus que vous avez crucifié», de cet homme mort, abandonné de Dieu et entraînant dans sa ruine l'espérance et la foi des vrais enfants d'Israël.

Ce Jésus est mort. Dieu l'a laissé mourir. Dieu n'a rien fait, rien. Il a tout laissé faire. Il n'a pas répondu à l'appel de cet homme. C'est un Dieu sourd et muet, le Dieu de Vendredi-Saint; un Dieu impénétrable, et qui refuse de nous admettre en sa présence; un Dieu qui dit non! jusqu'au bout; un Dieu qui se cache terriblement, et qui laisse Jésus-Christ succomber sous le poids de nos iniquités.

Oui, c'est là que nous en sommes: dans ce silence, dans ce refus, dans cette nuit noire, dans cet effondrement total.

Sur la croix, Dieu dit non à l'homme pécheur, il le rejette et le délaisse. Et c'est comme s'il n'y avait point de Dieu. C'est comme si Dieu ne pouvait rien. Son refus, son silence, serait-ce qu'il n'a plus rien à dire, serait-ce que le Malin a dit le dernier mot ! Serait-ce que Dieu est impotent ? Pendant que nous sommes à souffrir et à nous désespérer, pendant que Jésus désespère et agonise, Dieu ne peut-il rien faire, ou alors qu'est-ce qui le retient ? Qu'est-ce qui l'empêche d'intervenir et de répondre enfin aux cris de l'homme perdu ? S'il le peut, s'il peut nous sauver, s'il peut nous ouvrir la porte, qu'est-ce qui l'en empêche donc ? Et comment, s'il est le Tout-Puissant, peut-il être empêché par quelque chose ?

Eh bien oui, justement, notre péché le retient. Notre péché tient sa miséricorde prisonnière et trouve moyen d'enchaîner la puissance de son amour. Sans doute, théoriquement, Dieu peut-il toujours nous faire grâce et nous pardonner. Mais alors sa grâce et son pardon ne nous sauveraient pas, ne changeraient pas notre coeur, ils ne serviraient qu'à faire triompher notre péché. Si Dieu nous faisait grâce sans nous juger, si son amour n'était pas défendu par sa colère, alors notre péché triompherait de sa grâce, notre orgueil s'emparerait de son amour. Un pardon sans justice ne fait que du mal, ne fait que perdre davantage. C'est le diable qui nous pardonne ainsi. La chose est aisée à comprendre. - Il me souvient d'une contestation entre un fermier et son propriétaire dans laquelle le fermier avait incontestablement tous les torts et avait, par manquement à sa parole, causé un préjudice grave à son maître. Ce dernier décide de se faire rendre justice, comme il se devait; puis, cédant aux supplications de son fermier, et parce qu'il était un chrétien, un homme au coeur charitable, retire sa plainte et consent à passer l'éponge. C'était un geste de vraie miséricorde, accompli en toute liberté. Quel en fut le résultat ? En allant les visiter, je me réjouissais de constater la reconnaissance de ces paroissiens, mais ma consternation fut grande quand je les entendis me déclarer triomphalement: «Vous voyez bien qu'il était dans son tort, puisqu'il a cédé!»

Ces fermiers étaient-ils sauvés ? Ils étaient bien sauvés d'une amende, sauvés de poursuites judiciaires ; mais sauvés de leur péché, l'étaient-ils par le pardon du maître ? Bien au contraire. Ce pardon n'avait fait que les perdre davantage, sans susciter l'ombre de reconnaissance et d'amour dans leur coeur. Ce pardon, loin d'ôter leur convoitise, la faisait triompher. Devant cette réaction, j'ai compris comme jamais la nécessité de la croix. Un pardon sans justice, un pardon sans expiation ne sauve pas mais laisse l'homme dans son péché. Il est donc vrai que, sans nous convaincre de péché et de jugement, le Tout-Puissant avec toute sa grâce et toute sa miséricorde ne peut rien faire pour nous. Il ne peut pas nous sauver. Il ne peut pas éveiller en nous la reconnaissance et nous faire vivre dans le royaume éternel de son amour, sans établir son droit et sa justice, sans nous consumer, nous et notre coeur de pierre, par sa colère. C'est pourquoi l'Evangile si souvent répète: Il faut que le Fils de l'Homme soit rejeté.

Si donc Jésus est bien à ma place devant Dieu, s'il est bien l'homme pécheur que je suis, s'il porte toute l'iniquité du monde, Dieu ne peut pas intervenir, Dieu ne peut pas le ressusciter avant qu'il ne soit mort, avant que justice ne soit faite et la sentence exécutée. Dieu, s'il veut vraiment nous sauver, ne peut pas dire oui avant d'avoir dit non. Il ne peut pas nous accueillir avant de nous avoir totalement rejetés. C'est pourquoi nous avons vécu toute cette semaine sainte. C'est pourquoi la passion de Jésus s'est déroulée inexorablement. Dieu s'est montré sans aucune pitié, sans aucun pardon. Ou pour mieux dire encore, il ne s'est pas montré du tout. Il a caché sa face. Il s'est détourné de nous avec horreur. Il n'est pas revenu en arrière. Il n'a pas cédé d'un pouce. Il n'a pas retiré sa plainte.

C'est Jésus qui a cédé devant Dieu, qui a cédé pour nous qui ne le voulions pas.

Nous nous trompons toujours profondément sur le salut. Nous pensons que pour être sauvé, il faut que Dieu nous cède. Et toute notre religion est une énorme pression faite dans ce sens pour ouvrir une brèche dans le rempart de la justice de Dieu. Ainsi nous sommes sur le chemin de la perdition car le salut c'est très exactement le contraire, c'est que nous cédions et que Dieu tienne bon dans sa juste colère.

Sur la croix, Jésus est le seul homme au monde qui ait cédé devant la justice de Dieu, et qui n'ait pas tenté de la faire céder. Avec tout mon péché sur lui, Jésus-Christ a cédé et s'est courbé sous la colère de Dieu. Pendant que tous les hommes de la terre s'efforcent, avec leur religion, de franchir à coups de bonnes oeuvres le barrage de la justice de Dieu et s'enfoncent par là même toujours plus dans la perdition, un homme, le fils bien-aimé, le saint de Dieu, lui seul nous a sauvés tous en cédant, en renonçant à lui-même, en préférant la justice et l'honneur de Dieu à son propre salut.

Oui, voilà ce qui s'est passé avant-hier. Pendant que le crime des crimes s'accomplissait, pendant que notre mensonge, notre violence, notre injustice triomphaient du fils de Dieu, pendant qu'Hérode et Judas et Caïphe réussissaient leur affaire et remportaient un succès décisif, il se passait en réalité ceci : un homme cédait à la justice de Dieu. Un homme consentait à ce que Dieu lui dît : Non ! et périssait sous le poids de ce non.

Jusque-là, Dieu était retenu. Mais depuis lors, oui depuis que Jésus a cédé, depuis que le droit et la justice et la sainteté de Dieu ont été reconnus, depuis que nous sommes convaincus d'éternelle perdition, depuis ce moment-là, Dieu est libre, sa miséricorde est enfin déliée, la toute-puissance de sa grâce peut agir. Comprenons-nous ce que c'est que cela : Dieu est libre. Dieu peut agir pleinement. Sa bonté peut se déchaîner. Elle ne risque plus de nous perdre. Elle ne risque plus de nous donner raison puisque la croix établit notre tort. Dieu peut dire oui.

Et que se passe-t-il quand Dieu dit oui, quand il est libre, quand notre iniquité ne le retient plus ? Il se passe l'événement de Pâques. Il se passe la résurrection de Jésus-Christ. Il se passe cet acte pur de Dieu, cette intervention pure de Dieu, ce déchaînement de sa toute-puissance qui ouvre la mer Rouge devant les enfants d'Israël et qui la referme sur les armées victorieuses de Pharaon, qui saisit toutes les puissances de ce monde à la gorge, le diable et sa séquelle, la mort et tout son épouvantement, et les anéantit et leur arrache son fils bien-aimé. «Cet homme que vous avez fait mourir en le clouant à la croix, Dieu l'a ressuscité en le délivrant des douleurs de la mort parce qu'elle ne pouvait pas le retenir en sa puissance. » Alors qu'il ne restait plus rien de Jésus-Christ, voici qu'il ne reste plus rien que Jésus-Christ qui se lève dans le nouveau jour de la souveraineté de Dieu. Dieu a dit oui. Il a simplement dit oui. Et toute la victoire de ce monde a fondu sous ce simple oui comme un peu de neige.

Et tout le triomphe des seigneurs de ce monde s'est transformé en une indescriptible panique. Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié. Quelle victoire ! Une victoire inénarrable ! Dieu a donc agi. Dieu est bien souverain. Sa miséricorde est bien toute-puissante. Son oui a tout recouvert, a tout recommencé. Enfin Dieu se montre, il agit lui-même. Pâques est son acte pur, son oeuvre à lui seul quand il n'y a personne d'autre pour agir. Son fils, il le fait mourir par nos mains mais il le ressuscite à lui seul, en une heure aussi mystérieusement souveraine que celle de la création.

Depuis le temps que nous demandions à Dieu d'agir! Mais nous ne voulions pas que Dieu agît. Nous voulions qu'il cédât. Et il faut que sur la croix nous consentions à ce qu'il ne cède pas pour qu'enfin nous le voyions agir. Il faut que nous cédions à sa justice pour que nous entrions dans sa miséricorde. Il faut que sur la croix nous l'entendions dire non, pour qu'alors son oui vienne à nous avec la puissance de l'éternité, et nous fasse lever d'entre les morts. Jésus meurt pour libérer la grâce de Dieu et, à peine sa grâce libérée, Dieu s'est précipité sur lui. Comme Joseph (Gen. 45, 1), il n'a plus pu se contenir et il s'est jeté vers Jésus, il s'est fait reconnaître et il a dit oui, et il a renversé à jamais toute la situation. Il a fait Seigneur ce Jésus que vous avez crucifié. Il l'a fait. Il a changé la plus totale défaite en la plus totale victoire.

Telle est la politique de Dieu. Tel est le message de Pâques: ce n'est pas autre chose que la Révélation de la grâce et de la souveraineté de Dieu, une fois le péché expié.

Mais il faut avouer que c'est un mauvais jour pour les vainqueurs de ce monde, pour Hérode, Caïphe, Judas, Pilate et la foule des pharisiens. Un bien mauvais jour quoiqu'ils. ne s'en doutent pas, et qu'ils continuent de croire la question réglée et le triomphe acquis. Un bien mauvais jour pour la masse des lâches qui sympathisaient l'autre jour avec Jésus-Christ qu'ils pensaient être un allié puissant, et qui aujourd'hui sympathisent avec le sanhédrin et les pharisiens, avec l'autorité victorieuse. On les entend tous ces anciens alliés du Messie, tous ceux qui attendaient pour se décider de voir comment tourneraient les choses, tous ces politiciens réalistes discutant le matin de Pâques: « Je reconnais que ce Jésus-Christ avait des qualités, mais maintenant, que voulez-vous que j'y fasse, il est par terre, il est enterré, c'est fini, il faut bien en prendre son parti. Il est vaincu. Quand on est vaincu, on est vaincu. Et puis avouez que tous ces gens du sanhédrin, Judas, Hérode et Pilate ont admirablement mené leur affaire et rétabli l'ordre troublé par ce prophète vagabond. Que voulez-vous, ils sont forts, ces gens-là 1 Et ce sont eux qui commandent. Nous sommes bien forcés de nous entendre avec eux, sinon que deviendra le peuple d'Israël ? Et que deviendrons-nous ?

Vous dites? La vérité, la justice? Hé oui, nous sommes bien d'accord. Nous ne demandions pas mieux que de collaborer avec elles. Mais elles sont sur la croix, la vérité et la justice. Elles sont vaincues, vous n'avez donc pas compris. Force m'est donc de tendre la main aux vainqueurs, au mensonge, à l'orgueil et à l'oppression. Puisque Dieu les a laissé faire, oui puisque votre bon Dieu leur a donné la victoire, est-ce ma faute si je dois leur tendre la main ? je n'ai pas le choix d'ailleurs puisque ce Jésus n'existe plus.

Et puis encore une fois je vous dis qu'ils sont forts, ces gens-là. Ils sont les maîtres. Et ils ont des qualités. Ils ont bien des choses à nous enseigner, eux aussi, je vous assure. Si ce Jésus reprenait le dessus, on verrait bien à ce moment-là à s'occuper de vérité et de justice mais il n'y a pas de risque qu'une telle chose arrive. Il faut être souple et s'adapter aux circonstances. D'ailleurs le salut du pays l'exige, Monsieur !

Ainsi parlait l'honorable bourgeoisie et le peuple de Jérusalem en ce matin de Pâques d'il y a 1900 ans. « Ah! ils sont forts, ces gens-là. Et puis, ce sont eux qui commandent ! » Cependant que déjà de bouche en bouche courait la nouvelle inouïe, la nouvelle incroyable et souveraine : « Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que vous avez crucifié. Dieu a donné tout pouvoir à celui que vous avez rejeté. Hérode et les pharisiens ne sont pas forts. Ils sont désespérément faibles. Ils ne sont rien, moins que rien. Ce ne sont pas eux qui commandent, c'est Dieu qui commande, Dieu seul et personne d'autre. »

S'ils avaient pu entendre cette nouvelle et la croire, ils auraient encore essayé de tourner casaque, ces braves gens réalistes qui attendent pour se décider de voir comment tournent les choses. Mais pas de risques. Non. Pas plus de risques qu'ils croient cela qu'il n'y avait de risques pour eux que Jésus ne l'emportât. Non. Le Ressuscité n'apparaît qu'à ceux qui sont demeurés au pied de la croix, dans l'effondrement et le désespoir, dans l'angoisse et la supplication, mais sans se tourner d'un autre côté, sans donner la moindre parcelle de leur coeur à ceux qui l'ont vaincu et crucifié, sans se mettre tant soit peu du côté d'Hérode et de Caïphe. Ceux-là, et ceux-là seulement, sauront que Jésus-Christ est le plus fort, que la vérité et la justice sont victorieuses et que Dieu seul commande, qui ne se sont pas tournés d'un autre côté, et qui ont préféré ne plus rien avoir que d'avoir autre chose que cette vérité et cette justice défaites et crucifiées.

Oui, Pâques est un très mauvais jour pour tous ceux qui se sont tournés vers les vainqueurs du Vendredi-Saint et qui ont pris sur eux la marque de la Bête, et qui ont tendu la main aux Pilate et aux Hérode et aux Judas. Il n'y a point de Pâques pour ceux-là qui continueront jusqu'au jugement dernier à croire que c'est la Bête qui commande et qu'ils sont du bon côté.

Mais, pour ceux qui demeurent invariablement tournés vers ce vaincu, vers cette pauvre loque clouée contre un poteau de bois, impuissante, agonisante, pour tous ceux qui portent sa croix, oui, pour ceux-là, Pâques est une bonne Journée, une journée d'inénarrable joie, celle du triomphe absolu de leur Seigneur et de sa justice et de sa bonté. C'est le jour où une autre vie a commencé pour eux. C'est le jour de leur nouvelle naissance. Le jour où, se débattant dans les sables mouvants, ils ont senti le rocher sous leurs pieds. Car cet acte de Dieu le jour de Pâques, ce oui prononcé par Dieu le jour de Pâques sur le plus grand vaincu de la terre change absolument tout et commande toute notre vie. La puissance de la Résurrection est indescriptible, mais aussi toute simple et concrète. C'est un véritable enlèvement, un arrachement aux liens du monde et de la mort, un arrachement à l'enlisement universel, une incroyable liberté qui nous vient. Impossible de croire au Ressuscité sans être ressuscité avec lui, arraché à ce monde !

Nous avons de la chance, parce qu'il semble bien que depuis des siècles il n'a pas été aussi facile, aussi nécessaire qu'aujourd'hui de comprendre ce que cela veut dire. C'est à tel point qu'il suffit de causer quelques minutes avec n'importe qui de la situation du monde présent pour pouvoir se rendre compte, dans une certaine mesure, s'il est ressuscité avec Jésus-Christ ou s'il pactise avec les messieurs du sanhédrin.

Vous pensiez peut-être que la vie d'un homme ressuscité avec Christ, la vie d'un enfant de Dieu, était une affaire mystique, un domaine spirituel cultivé par certaine nature religieuse. Détrompez-vous! Ceux pour qui la vie chrétienne est cela, un refuge hors de la réalité, une fuite dans un au-delà ou dans des pratiques pieuses, ne sont justement pas ressuscités avec Christ et arrachés au monde. Car le monde auquel la Résurrection nous arrache, c'est très exactement le monde du sanhédrin et de ses partisans, c'est le monde de ceux qui se tournent vers les vainqueurs, c'est le monde de la lâcheté et du mensonge, en un mot, c'est le monde où le succès donne raison, où la force mesure la vérité c'est bien le monde où nous vivons. C'est bien l'ordre nouveau qu'on nous propose. Et qui d'entre nous peut affirmer qu'il n'y entrera pas le jour où il y trouvera son avantage? Car, décidément, les hommes sont envoûtés par le succès, leur coeur est pris au piège de la victoire du monde. Ils se tournent vers celui qui l'emporte. Et comment voulez-vous qu'ils fassent autrement s'ils ne savent pas que Dieu a fait Seigneur et Christ celui que nous avons crucifié ? Comment voulez-vous qu'ils tiennent bon et demeurent fidèles à la vérité et à la justice quand elles sont écrasées, s'ils ne savent pas que Dieu a souverainement élevé et déclaré victorieuse la vérité morte avant-hier sur une croix, la justice ensevelie dans le tombeau de Joseph d'Arimathée; et qu'il a, au contraire, déclaré morte l'injustice qui a crucifié Jésus-Christ et enterré le mensonge qui l'a fait descendre dans la tombe. A Pâques, Dieu coupe la parole au monde avec une inconcevable souveraineté. Il renverse de fond en comble notre jugement. Les vainqueurs sont vaincus et le vaincu est à jamais vainqueur. Ce qui triomphe est mort et ce qui est mort triomphe. Le Crucifié l'emporte.

 

Dans cette foi, dans l'audition de cette parole de Pâques, dans la connaissance du Ressuscité, je sais que rien au monde ne peut quoi que ce soit contre la vérité et contre la justice de Dieu, je puis donc aller ferme et droit le long des chemins les plus glissants, à travers les foules les plus houleuses, au milieu de tour, les effondrements. Je puis aller, paisible et sûr, au milieu de l'affolement universel, je puis rester debout au, milieu de l'agenouillement universel et surtout je puis résister au milieu de l'entraînement universel. Cela n'est en aucune manière de mon pouvoir. Car je n'ai aucun autre pouvoir que celui de me laisser entraîner avec les autres et d'être lâche avec les autres. Mais c'est son pouvoir à lui, c'est la puissance de sa Résurrection qui me libère, qui me tient, qui me porte, qui me rend fidèle et me permet de porter sa croix. Toute ma résistance au monde n'est rien d'autre que la puissance de sa Résurrection. Toute ma fidélité familiale, politique, sociale, militaire, internationale, mon attitude dans tous les domaines de l'existence est liée et commandée par cette puissance.

Et je le répète, nous avons de la chance par rapport à d'autres générations, puisque le bonheur et l'exigence du jour de Pâques prennent un relief inouï au milieu du malheur, au milieu de la honte des temps que nous vivons. Car il n'est pas d'autres alternatives que celle de Pâques ou de l'ordre nouveau. La puissance qui nous fait vivre dans tous les domaines, c'est forcément, que nous le voulions ou non, celle de sa Résurrection ou celle des puissances de ce monde. Je vois de moins en moins le moyen de tracer une limite à notre obéissance et de distinguer le domaine politique, que l'on abandonne au Malin, du domaine religieux que l'on abandonne à Jésus-Christ. Car, ou bien Christ est ressuscité et nous faisons la politique de Pâques, ou bien Christ n'est pas ressuscité et nous adoptons la religion et la politique du sanhédrin. Ou bien Christ est ressuscité et nous regardons à lui en toutes choses quand même cela nous coûterait la croix, ou bien Christ n'est pas ressuscité et nous regardons à Hérode, à Caïphe, à Judas, à tous les grands maîtres de la situation.

Vers qui voulez-vous que nous levions les yeux si la justice est morte ? Si la vérité est morte ? Si la justice et la vérité ne sont rien? Si Christ n'est pas ressuscité, votre foi est vaine, votre obéissance est vaine, votre résistance est vaine, votre honneur ne vaut pas un morceau de pain ni une goutte de sang. Il n'y a qu'à tout laisser faire, il n'y a qu'à tout accepter, il n'y a qu'à désarmer et à tendre la main au Prince de ce monde, il n'y a qu'à tout arranger pour s'en tirer le mieux possible, il n'y a qu'à se taire en acceptant du cambrioleur quelques miettes de son butin. Il n'est aucun déshonneur à tout cela si Christ n'est pas ressuscité... «Mais voici, dit l'apôtre, que la pierre rejetée par ceux qui bâtissaient est devenue la pierre d'angle. C'est pourquoi l'honneur est à vous qui croyez » qui croyez, qui vous reposez sur cette pierre rejetée, et précieuse devant Dieu, sur ce Seigneur crucifié et souverainement élevé. L'honneur, notre honneur individuel mais aussi notre honneur national repose sur cette pierre d'angle, sur la Résurrection. L'honneur des peuples, l'honneur des hommes ne peut subsister, ne peut être sauvegardé que parce qu'il y a Pâques, autrement tout tourne et tout glisse dans l'abîme éternel. Il n'est qu'un mot d'ordre qui puisse faire vivre et mourir aujourd'hui les hommes et les peuples dans l'honneur, les arracher aux griffes de la Bête et les sauver de la honte éternelle, c'est : Christ est ressuscité. Cela est aujourd'hui le fondement non pas seulement de toute vie religieuse, mais bien de toute vie politique, militaire et sociale.

Il est vraiment ressuscité ! Il faut le dire aux soldats pour qu'ils puissent être des soldats et aux hommes politiques pour qu'ils puissent être des hommes politiques; et aux hommes d'affaires pour qu'ils puissent être d'honnêtes hommes d'affaires, et aux industriels, et aux étudiants et aux ouvriers. Christ est ressuscité! Nous n'avons pas d'autre politique. Rien d'autre pour nous tenir debout dans la vérité et la justice face aux déchaînements des puissances, face au triomphe de l'ordre nouveau. C'est pourquoi nous ne pouvons rien faire de plus pratique, de plus immédiatement salutaire pour un homme et pour un peuple que de croire au Ressuscité, d'entrer dans la « nuée des témoins » de sa Résurrection et de «courir en regardant à lui» (Héb. 12, 1-13).

Voulez-vous que Pâques devienne notre seule raison d'agir ? Voulez-vous qu'à toute question posée nous répondions infailliblement: «Parce que Christ est ressuscité. » Ce sera la seule attitude possible du chrétien.

Pourquoi cette résistance sans espoir ? Parce que Christ est ressuscité et qu'elle est pour cela chargée de la seule espérance véritable.

Pourquoi cette fidélité qui vous perd ? Parce que Christ est ressuscité et qu'elle est ainsi la seule chose qui me fasse émerger de l'abîme.

Pourquoi cette honnêteté ridicule ? Parce que Christ est ressuscité et qu'elle est ainsi la seule chose qui ne me rendra pas éternellement confus.

Pourquoi cette vérité qui vous compromet ? Parce que Christ est ressuscité et qu'elle est pour cela la seule chose qui ne me compromette pas devant Dieu.

Pourquoi cet amour qui vous fait souffrir ? Parce que Christ est ressuscité et qu'il est donc la seule chose qui ne me plonge pas dans une souffrance éternelle. Parce que le résultat de toute obéissance à Dieu est éternellement acquis par sa Résurrection et que je n'ai aucunement à m'inquiéter d'un quelconque résultat humain, et que je suis, dans la mesure ou je regarde à lui, souverainement dégagé de toute préoccupation de succès comme de toute crainte d'insuccès, libéré du péché qui nous enveloppe. Je sais qu'en dernier ressort il n'est qu'une seule victoire, celle de Pâques, la victoire de celui qui fait jusqu'au bout la volonté de Dieu, la victoire de celui qui résiste jusqu'au sang à la puissance de l'iniquité.

 

Vous aurez compris, je l'espère, à quel point la puissance de la Résurrection vous délie actuellement, présentement, des liens du Prince de ce monde et des sollicitations effroyables de sa puissance; et comment il ne s'agit point là d'une affaire privée seulement, d'une question de religion personnelle, mais d'une affaire publique, d'une révolution mondiale, d'un ordre nouveau surgissant à l'encontre de celui que veulent bâtir les peuples et qui n'est que la plus ancienne et la plus monotone des tyrannies du Malin, un ordre nouveau où Dieu lui-même a renversé toutes les valeurs, élevé souverainement celui qui s'est abaissé jusqu'à la honte de la croix et donné la terre en possession aux humbles, aux pauvres en esprit, aux pacifiques, aux débonnaires, aux assoiffés de justice. Puissance du jour de Pâques, telle, encore une fois, que vous ne pouvez rien faire de plus renversant, de plus indiciblement soulageant pour un homme quel qu'il soit et où qu'il soit, que de lui dire: Jésus-Christ est ressuscité. Il est vraiment ressuscité!

Rappelons-nous pourtant que cette puissance de Pâques n'est pour nous, dans le temps présent, que la puissance d'une espérance, et non pas d'une possession. Quoique le message de Pâques retentisse à nos oreilles et nous arrache à la mort, nous n'en continuons pas moins à vivre dans le monde de la croix. Quoique ressuscité, Jésus n'en continue pas moins à être en agonie jusqu'à la fin du monde. Le message de Pâques ne change pas la substance du monde. Il n'arrange pas les affaires du monde. Il ne nous promet aucun succès, aucune facilité spéciale sur la terre. Le monde et la nature humaine demeurent, avant comme après Pâques, fondamentalement semblables à eux-mêmes, c'est-à-dire un monde et une nature qui mettent en croix le fils de Dieu. La chose est assez évidente pour qu'il soit inutile d'insister. La croix demeure le grand signe de ce monde. La substance de tout ce qui se passe, la substance de l'histoire humaine n'est point Pâques mais Vendredi-Saint. Jésus n'arrête pas de souffrir et de mourir au milieu de nous, de souffrir et de mourir par nous.

Mais Pâques annonce que ce monde qui triomphe de Jésus-Christ est défait. Il n'en a pas du tout l'air, certes; on ne le voit pas. On ne peut que le croire, que l'entendre dire, comme vous l'entendez dire en ce moment. Nous ne voyons pas la réalité de la défaite de ce monde et de la victoire du Christ. Mais un jour nous verrons. Ce sera le jour du jugement dernier et de l'avènement de Jésus-Christ.

Pourtant, demandons-nous, faudra-t-il vraiment croire, souffrir, combattre jusque-là ? Est-ce que le grand triomphe ne se dessinera pas quand même peu à peu ?

Non, répond la Bible. Les hommes s'endurciront de plus en plus et le mal se manifestera de plus en plus, jusqu'au jour où il sera exterminé. Il faut qu'il en soit ainsi. Il faut que le triomphe du Christ demeure objet de foi. Il faut que le message de Pâques demeure un pur message; autrement si l'on pouvait voir comment tourneront les choses, s'il devenait avantageux d'être chrétien, si le Ressuscité se promenait triomphalement parmi nous, que se passerait-il ? Tout le monde se mettrait à courir après lui. Tous les profiteurs, tous les opportunistes que nous sommes deviendraient chrétiens et s'empareraient du fils de Dieu.

C'est alors que tout serait à jamais perdu, comme si Jésus était descendu de la croix pour répondre à la prière des pharisiens : «Si tu es le fils de Dieu, descends de la croix afin que nous voyions et que nous croyions ! » C'est peut-être bien là notre prière. Prenez garde que le message de Pâques n'est pas, n'est en aucune manière l'exaucement de cette prière.

En mourant, Jésus a pris soin de décevoir totalement les réclamations de notre convoitise. Parce qu'il ne retentit que derrière la croix, c'est-à-dire derrière la fin de ce monde, derrière la condamnation et la mort de toutes les espérances du monde, le message de Pâques, la souveraineté de la grâce de Dieu, est hors de l'atteinte de notre péché, hors de portée des mains de notre convoitise.

En un mot, le message de Pâques est celui de l'espérance du Royaume de Dieu. Une pure espérance et non pas une possession. Nous ne dépassons pas la croix pour entrer, par le moyen de Pâques, dans quelque monde meilleur. Au contraire, nous demeurons au pied de la croix, mais dans l'espérance, dans l'assurance du Royaume de Dieu, et du triomphe final de Jésus-Christ. «La puissance de sa résurrection » se traduit concrètement par «la communion de ses souffrances ». L'homme ressuscité avec Jésus-Christ, c'est celui qui porte la croix de son Seigneur et auquel l'espérance du Royaume de Dieu donne la force de porter cette croix et de résister jusqu'au sang.

C'est le sens des Béatitudes. Les bienheureux, les héritiers du Royaume de Dieu ont faim et soif, ils sont pauvres, ils sont persécutés, ils pleurent. Ils souffrent plus que quiconque de voir la vérité et la justice bafouées et leur Seigneur continuellement mis en croix. Ils souffrent plus que personne de sentir en eux-mêmes une persistante opposition à la volonté de leur Sauveur. Ils souffrent aussi plus que personne de voir s'effondrer des valeurs humaines authentiques et dont ils avaient la garde. Ils souffrent de cette ombre de la croix qui recouvre le monde. Il faut ajouter que leur souffrance, le sérieux, la réalité de leur souffrance est à la mesure de l'espérance qui est en eux. Vous n'auriez rien compris au message de Pâques si vous pensiez qu'il va vous dispenser de souffrir, qu'il vous rendra moins vulnérable, qu'il facilitera votre route. Car en fait, il vous tiendra dans la communion des souffrances de Jésus.

Il est clair que je ne puis vraiment espérer la victoire de Jésus-Christ si je ne souffre pas de sa défaite ? Comment puis-je attendre qu'il vienne sans être dans la douleur de son absence ? Comment puis-je dire : « Que ton règne arrive ! » et demander que Jésus-Christ prenne le pouvoir et gouverne personnellement les nations, sans souffrir de voir ces nations livrées à de mauvais bergers, sans être torturé du déshonneur de mon pays ?

Ceux qui n'espèrent pas le Royaume de Dieu, sans doute souffriront-ils aussi terriblement, mais ils pourront trouver le moyen d'en sortir, de prendre leur parti du désastre et de s'arranger d'une manière ou d'une autre avec les maîtres de la situation. Tandis que ceux que le message de Pâques a arrachés au monde et plongés dans l'espérance de la Résurrection, ceux-là n'ont plus aucun moyen de s'arranger, plus aucun moyen de consentir. Leur résistance demeure totale et pure, leur souffrance demeure totale et pure dans la mesure où leur espérance demeure totale et pure. - C'est le message de Pâques qui nous tient dans la souffrance du Vendredi-Saint, qui nous empêche de glisser hors de cette souffrance dans quelque consentement, dans quelque indifférence à l'iniquité, dans quelque acceptation de l'injustice.

Ainsi, ne vous réjouissez pas trop vite, ne vous réjouissez pas inconsidérément du message de Pâques, car l'espérance qu'il vous propose n'est dans le présent qu'un grand combat et une grande douleur, et pourtant réjouissez-vous totalement, car ce combat et cette douleur où Pâques vous jette sont la sûre espérance du triomphe final de Jésus-Christ.

Voulez-vous entrer dans cette espérance, dans ce combat, entrer dans la connaissance de Jésus-Christ pour vivre en rapportant tout à lui, à sa mort et à sa résurrection ? Avec lui, vous tenez la clef de l'histoire humaine, vous tenez les deux bouts de l'histoire humaine. Avec lui, rien ne pourra vous surprendre ou vous désarçonner, avec lui vous tenez l'extrémité du malheur et du bonheur. Que pourra-t-il jamais se passer de plus scandaleux que la croix ? Toutes les défaites, tous les désastres, toutes les misères imaginables ne seront jamais que l'ombre de sa mort. Toutes les victoires de la justice, toutes les guérisons, toutes les richesses ne seront jamais qu'un reflet de sa Résurrection. Avec lui, vous tenez bien les deux bouts de l'histoire humaine, les deux bouts de votre vie. Ou plutôt, c'est lui qui tient les deux bouts de votre vie.

S'il est votre Seigneur, lui, le Crucifié et le Ressuscité, vous voyez que rien de ce qui arrive ne peut déborder ce cadre, mais que tout est contenu entre Vendredi-Saint et Pâques. Tout ce qui vous arrive, vous arrive en lui. Comment voulez-vous vous sortir de lui ? Comment voulez-vous descendre plus bas que la croix ou regarder plus haut que la résurrection ? Vous pouvez courir et vous débattre, vous pouvez faire l'indifférent, le retors, l'incrédule, vous pouvez faire tout ce que vous voulez, comment sortirez-vous de ce chemin gardé par la croix et la Résurrection ? comment sortirez-vous de la main de Dieu ? Vous êtes en Christ. Votre travail et votre repos, vos peines et vos joies, vos défaites et vos victoires, votre vie et votre mort se déroulent en lui. Vous êtes en Christ.

C'est bien cela être dans les mains de Dieu. Car les mains de Dieu c'est Jésus-Christ, sa main gauche c'est le Crucifié, sa main droite c'est le Ressuscité. Par les épreuves les plus dures, les plus incompréhensibles, je suis dans sa main gauche; par les joies les plus intenses, les guérisons les plus merveilleuses, je suis dans sa main droite. Mais, quoi qu'il arrive, c'est toujours sa main. C'est toujours lui qui me tient. je n'en peux pas sortir.

Il est bon de savoir cela et de pouvoir en Jésus- Christ - jusqu'à l'extrême limite de l'accablement, jusqu'au moment où je suis abandonné à toute la puissance de l'Adversaire et me vois englobé dans l'empire de la mort, - dire : je remets mon esprit entre tes mains (Ps. 31, 6).


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