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Table des matières

Que veut dire la Bible?


La Bible est vraiment un livre indéfinissable. Le livre au monde qui occupe le plus et sans doute aussi le moins de place, le livre le plus ancien et le plus nouveau, le plus connu, mais aussi le plus méconnu, celui dont on a le plus parlé et qui demeure toujours pourtant comme si on n'en avait jamais rien dit. Ce ne sont pas là jeux de mots, mais constatations très réelles. Imaginez que la Bible n'ait jamais été écrite, ou que nous ne la possédions pas, qu'y aurait-il de changé dans le monde ? Rien. Tout irait son train comme à l'ordinaire. Les hommes n'en seraient ni plus ni moins heureux, ils feraient la guerre et la paix comme aujourd'hui. Il n'est pas de livre dont on se passe plus facilement que de la Bible. Nous le savons tous. Et pourtant! Si ce livre-là faisait défaut, ce serait une catastrophe à laquelle toutes les catastrophes imaginables ne sauraient être comparées. S'il faisait défaut ou s'il ne disait pas vrai, au fond de toute existence humaine, une corde secrète serait cassée, - on plutôt il n'y aurait plus rien, littéralement. Car il n'y aurait plus cette ignorance de la Bible qui demeure quand même, dans le secret de chaque homme, l'indéfinissable attente du jour où cet homme connaîtra ce que ce livre annonce, la certitude obscure et inconsciente que ce livre, dont il se passe à merveille, contient les choses dont il ne peut pas se passer: le dernier mot sur son existence, la Parole qui comblera parfaitement le silencieux abîme de sa vie et de sa mort. On peut dire en un certain sens que tout être humain sur la terre ne vit que par son ignorance de la Bible, que parce qu'il lui reste Jésus-Christ à connaître.

Nous tâcherons maintenant de comprendre comment ce livre est à la fois rien et tout, comment il occupe une si petite et une si grande place. C'est-à-dire, d'abord ce que les hommes font de la Bible, ou ce que la Bible est pour notre incrédulité. Ensuite ce que Dieu peut faire de la Bible ou ce que la Bible est pour la foi.

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La Bible devant notre incrédulité ou ce que les hommes font de la Bible

Rappelons aussi exactement que possible des souvenirs : Qu'évoque au premier abord la Bible pour tout homme élevé dans ce qu'on appelle un « milieu religieux» ? Un vol d'images les plus diverses et les moins engageantes hélas!: les vieilles demoiselles se rendant aux études bibliques de la paroisse, l'ennui des cultes de famille, la longueur des services dominicaux. Ou bien ces histoires cocasses de l'Ancien Testament: Jonas dans sa baleine, les trompettes de Jéricho, Jacob et son échelle. Les interminables phrases filandreuses des épîtres de Paul. Peut-être des sectes, des réunions de gens très pieux dissertant passionnément à l'infini sur quelques textes. Et aussi cette figure effrayante du puritain que décrivent Mary Webb, Faulkner et bien d'autres romanciers anglo-saxons, l'homme qui dresse l'Ecriture comme un rempart autour de son orgueil, l'homme confit de versets bibliques et qui en mitraille continuellement son entourage. (Le père d'Elisabeth Browning par exemple.) Ou encore un livre magique, tombé du ciel, et qui inspire je ne sais quelle crainte superstitieuse.

La Bible, c'est aussi la façon dont chacun l'utilise. Cet appui qu'elle donne à toutes les prétentions, et à toutes les politiques: le conservateur en tire son conservatisme et le socialiste son socialisme, le libéral en tire son libéralisme, et l'orthodoxe son orthodoxie. Ainsi tiraillée de tous les côtés, elle finit par dire tout ce que les hommes lui font dire, par être la poubelle de tous les idéals. Et la seule chose qu'elle devait dire, elle ne le dit plus.

Or, voilà tout ce qui doit nous écarter de la Bible: l'exploitation morale, religieuse, politique, que d'autres en font et que nous sommes tous prêts à en faire.

Mais, dans notre attitude envers la Bible, il peut y avoir un deuxième stade que j'appellerai esthétique. Un jour, ce livre a cessé de nous apparaître uniquement dans ses caricatures extérieures. Voici que nous y avons découvert de très belles choses, des histoires émouvantes, des pages qui comptent parmi les plus pures expressions du miracle poétique, des cris déchirants et des vérités profondes. C'est le moment où le jeune homme pense: Tout ceci vaut bien Homère, Platon et Marc-Aurèle ! Un petit amour-propre de chrétien se réveille. Notre livre en somme ne fait pas si mauvaise figure à côté des autres. A l'enquête bien connue: s'il fallait choisir dix volumes seulement pour votre bibliothèque, lesquels garderiez-vous ? on répond glorieusement: D'abord la Bible. Or, ce stade où l'on «admire» la Bible est sans doute le plus dangereux. S'imaginer avoir découvert la Bible parce qu'on en a fait une source de jouissance esthétique, philosophique ou sentimentale, c'est encore l'exploiter. Cette Bible «admirable» est encore celle dont on peut se passer, dont on n'a pas vraiment besoin. C'est la Bible qui dit ce que nous désirons entendre et non pas ce qu'elle veut dire.

Car c'est ici la vraie gravité de la Bible. Elle se laisse faire. Elle paraît donner ce qu'on lui demande. Celui qui la fit pour se distraire trouvera en elle de quoi se distraire, celui qui la lit pour s'instruire trouvera en elle de quoi s'instruire, celui qui la lit pour s'enrichir y trouvera de quoi enrichir sa personnalité. Mais dans tous ces cas, la Bible se bornera à cela, elle ne fera rien de plus que nous distraire, nous instruire, nous enrichir. Exactement comme tout autre livre. Il ne vaut vraiment plus la peine alors de la lire. Et nous savons bien renoncer tout seul à cette peine; car la Bible ainsi lue finit toujours par nous ennuyer, si elle n'a pas commencé par le faire. Inutile de le cacher. Le plus souvent la Bible ne «nous dit rien». Malgré de fermes résolutions, nous abandonnons peu à peu ce livre toujours plus étranger, plus inutile, qui nous déçoit en fin de compte aussi profondément que Jésus, après des heures d'enthousiasme, a déçu la foule de ses disciples.

Est-ce la faute de la Bible ? Est-ce la nôtre ? Il ne faudrait pas répondre trop vite ni trop facilement : la nôtre. Cela pourrait être encore une manière de s'en tirer. En fait, notre faute consiste à chercher dans la Bible ce que l'on cherche dans un autre livre, et de la sorte à lui échapper. Notre fuite devant elle apparaît dans cette incapacité où nous sommes de la comprendre. Esaïe disait déjà aux Juifs de son temps: Vous êtes comme un homme à qui on donne un livre en disant : Lis - et qui répondrait: Je ne sais pas lire (Es. 29, 9-13). Tout ce que nous faisons de la Bible prouve une seule chose: naturellement nous ne savons pas la lire. Ou plutôt nous savons lire la Bible, mais nous ne savons pas lire la Parole de Dieu. Témoignage le plus éclatant de notre incrédulité : nous ne savons pas lire. Nos yeux ne voient pas. Nos oreilles n'entendent pas. Il y a un voile (2 Cor. 3, 14). C'est notre faute, mais une faute si profonde, une surdité si radicale que nous ne pouvons nous en rendre compte ni en sortir nous-mêmes. Nous ne pouvons pas faire dire à la Bible ce qu'elle vent nous dire. Je pense à cette note de Kassner: «Je l'ai senti aujourd'hui plus profondément que jamais: Dieu veut quelque chose de moi. Je ne sais pas ce qu'il veut que je fasse. Je veux qu'il me le dise; il veut que je le sache. Ainsi nous restons dressés l'un en face de l'autre. Le jour doit venir où tout se décidera. Quand viendra-t-il ? » (Eléments de la grandeur humaine, p. 11.)

Ce jour vient, ce jour est venu. C'est Pentecôte. Nous ne pouvons pas, mais un Autre peut, un Autre peut nous apprendre à lire, un Autre peut donner son sens à ce livre que nous remplissons de contresens, un Autre peut nous envoyer ces pages comme une lettre vivante, incontestable, bouleversante. Cet Autre, c'est Dieu, le Saint-Esprit. Nous ne savons pas lire la Bible, c'est-à-dire nous ne pouvons pas en faire la Parole de Dieu. Dieu seul peut nous la lire et en faire Sa propre Parole. Dieu seul peut donner à la Bible son véritable contenu qui est Jésus-Christ.

Devant cette affirmation, notre raison s'insurge. Toujours le cercle fermé: il faut la Bible pour connaître Dieu, et il faut Dieu pour lire la Bible; nous ne savons rien de Dieu sans la Bible et rien de la Bible sans Lui. Il est vrai; mais ce cercle est bienheureux, c'est celui de notre salut; car il signifie: Rien, jamais rien sur la terre ne pourra remplacer Dieu lui-même. La Bible elle-même nous l'annonce de sa première à sa dernière page en dénonçant la substance même de notre péché qui est l'idolâtrie. Tout ce qui remplace Dieu est idole. Et les idoles sont muettes. Les idoles ne disent que ce qu'on veut bien leur faire dire. La Bible sans Dieu n'est qu'une idole muette, c'est-à-dire qu'elle ne dit plus que ce que nous lui faisons dire. Ou bien, ce qui revient au même, elle est le livre magique qui fournit des croyances toutes faites et dispense de Dieu. Brunetière disait : Ce que je crois allez le demander à Rome. Et l'on s'indigne justement. Mais combien de protestants pourraient, au fond, répondre aussi cyniquement: Ce que je crois ? Allez voir dans la Bible. Cette Bible-là, celle qui a remplacé Dieu, est une lettre mortelle. Car le comble serait que la Bible devint pour nous le suprême moyen d'ignorer l'Eternel, le Dieu vivant. S'il n'en est pas ainsi, le croyant est contraint de confesser - c'est là toute son espérance - qu'il ne peut pas davantage lire la Bible sans le Saint-Esprit qu'il ne peut lire un livre mis sous scellés. Ainsi, tout ce que nous pouvons faire par nous-mêmes de la Bible, c'est une Bible sans Dieu, une Bible pleine de nous-mêmes et non de la Parole de Dieu. Si elle nous devient ennuyeuse c'est que nous l'avons remplie de nous-mêmes et de nos idées, de notre morale, de notre sentiment religieux, au lieu de la laisser parler elle-même et de découvrir qu'elle est pleine d'une seule chose : de la gloire de Dieu qui resplendit en Jésus-Christ.

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Ce que Dieu peut faire de la Bible ou ce que la Bible est pour la foi

 

Dieu peut faire de la Bible sa propre Parole, c'est-à-dire qu'Il nous donne dans cette Bible la seule possibilité de connaître Christ, la seule possibilité de croire en Lui, la seule possibilité d'être sauvé.

Mais avant d'examiner ces possibilités, il nous faut répondre à une question inévitable: Pourquoi ce livre et pas un autre ? Pourquoi ce seul livre ? Pourquoi faut-il une Ecriture ? Les Eglises de la Réforme ne revendiquent aucune espèce d'autorité pour elles-mêmes, mais seulement pour la Bible. Sola scriptura. L'Ecriture sainte, seule règle de foi. Pourquoi ?

La réponse est bien simple. A cause de Christ. Demander : Pourquoi seulement la Bible, c'est demander: Pourquoi seulement Jésus-Christ ? Parce que lorsqu'il est là, on ne peut rien attendre d'autre. De même, l'Ecriture est exclusive parce qu'elle nous dit du Christ tout ce que nous pouvons en savoir. Les deux questions de l'unicité de Christ et de l'unicité de l'Ecriture sont liées, et nos réactions identiques devant elles. Ah ! certes, pensons-nous, la foi serait tellement plus aisée si Dieu s'était incarné dans l'Humanité. Confondre Dieu avec l'esprit humain, nous y consentons volontiers. C'est l'effort des libres penseurs et des philosophes. Jésus-Christ n'est alors que le représentant le plus éminent de cet esprit. De même aussi, tous les livres deviennent à des degrés divers révélateurs, tous plus ou moins Parole de Dieu. Le système est admissible, et même exaltant. Tandis que confondre Dieu avec un homme particulier, né et mort en un lieu particulier, à un moment donné de l'histoire, c'est le scandale du Christianisme et sa substance même. Or, la Bible ne confond Dieu qu'avec Jésus de Nazareth. Pour elle, toute autre confusion est idolâtrie. C'est le message qu'elle est seule au monde à proclamer. C'est pourquoi l'Eglise fidèle déclare : La Parole de Dieu ne peut se confondre maintenant qu'avec la Bible. Toute autre confusion est idolâtrie.

La nécessité et la place unique de l'Ecriture tiennent au fait que Jésus est à lui seul la Révélation parfaite de Dieu, que cette révélation est un fait historique, contingent, terminé, sans prolongement, et non pas une doctrine, un idéal, une vérité qui serait «dans l'air » et dont chacun soupçonne ou sait quelque chose. Non, Jésus-Christ n'est pas dans l'air. Il est sur la terre, dans l'espace et dans le temps. Il n'est pas une pensée, Il est un homme. Nous ne pourrions donc rien savoir de lui, sans le témoignage de ceux qui ont assisté à cette révélation unique, de ceux qui l'ont connu directement.

Il est évident que pour quiconque n'a pas personnellement assisté à un événement, la seule connaissance qu'il en puisse avoir est le récit de ceux qui en furent les témoins. Si donc la Révélation de Dieu est bien le fait historique de Jésus-Christ et non pas une théorie, une idée, un principe, il n'y a aujourd'hui pour l'Eglise et pour nous tous aucune, absolument aucune connaissance de Dieu hors du témoignage écrit des prophètes et des apôtres.

On pourrait ici se demander : pourquoi ce témoignage devait-il être écrit ? N'aurait-il pas pu être transmis oralement ? Ne pourrait-il ainsi exister une deuxième source de connaissance du Christ ?

Nous ne discuterons pas dans son ensemble le pro]blême de la tradition. Retenons seulement que Jésus en parle à plusieurs reprises, et Esaïe et Paul. Or, c'est toujours pour montrer qu'elle s'oppose à l'Ecriture. A ceux qui prétendaient fort honnêtement, pieusement, compléter l'Ecriture par des traditions orales, Jésus déclare : « Vous anéantissez la Parole de Dieu par votre tradition. .» Pour la Bible, la tradition c'est toujours l'arbitraire humain. Il en est aujourd'hui comme il y a 2000 ans. La tradition, quand elle est une seconde source de connaissance, n'est pratiquement que le détour par lequel cette Eglise échappe à l'Ecriture, renonce à la « pierre » sur laquelle elle est fondée, pour remonter directement à un Jésus qu'elle invente.

Une tradition au long des siècles se développe; elle n'est jamais terminée, ni déterminée. Mais un écrit est terminé. Ainsi la Bible est maintenant aussi terminée et unique que la Révélation est terminée et unique en Jésus-Christ. L'Eglise est en face de la Bible, comme les apôtres en face de Jésus-Christ. C'est une bien grande providence que vraiment, comme dit l'apôtre Jean, «ces choses aient été écrites afin que vous croyiez... » Car ces choses écrites, personne ne peut empêcher qu'elles le soient, elles sont le roc inébranlable de l'Eglise fidèle; d'âge en âge, des hommes, au fond de l'abîme, les écoutent pour leur paix éternelle. Ces «choses écrites», on peut en altérer le sens, on peut les ignorer, les déformer, se boucher les oreilles, mais on ne peut les empêcher d'être là, maintenant, pour chacun de nous, toutes chargées de la Révélation de Dieu, pas plus que les Juifs ne pouvaient empêcher Jésus d'être là. Ils pouvaient en faire le prince des démons, un fou, un imposteur. «Regardez-moi le fils de Joseph, dont les frères et les soeurs sont parmi nous et qui veut occuper la place de Dieu!» Ils pouvaient l'ignorer, se moquer de lui, cracher sur lui, ils ne pouvaient l'empêcher d'être là. Et quand enfin ils l'ont dressé sur la Croix pour le supprimer, ils ne pouvaient que rendre plus effrayante et plus insistante Sa présence. Ces « choses écrites » sont là de la même manière. Malgré tout ce que les hommes en font et en dépit de tous les problèmes qu'elles soulèvent, elles ne bougent pas, elles sont ce qu'elles sont, elles ne disent que ce qu'elles disent. Qu'on supprime la réalité annoncée par la Bible, le problème demeure entier, rigoureusement intact. Comment se fait-il que des hommes aient écrit de pareilles choses ? Qu'est-ce qu'il y a donc derrière eux ? Qu'ont-ils vu et entendu ? De même qu'on ne peut échapper à la question de Jésus: Qui dites-vous que je suis ?, on ne peut échapper à cette singulière présence de l'Ecriture sainte. Elle est là.

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Selon les Ecritures

 

Comment l'Ecriture est-elle liée à Jésus-Christ ? Comment Jésus lui-même est-il lié à l'Ecriture ? Tout au long du Nouveau Testament, il est dit que Jésus est ce qu'il est, qu'il fait ce qu'il fait « selon les Ecritures» ou bien «afin que les Ecritures soient accomplies». Cette expression nous a tous beaucoup gênés. Il semble que le Christ soit ainsi lié à un programme déterminé d'avance, comme un touriste suit l'itinéraire qu'il s'est fixé, ou comme le bonhomme de la Farce du Cuvier, son papier à la main, déclare à sa femme en train de se noyer: Ceci n'est pas sur mon rôle. Jésus jouerait-il un rôle appris par coeur, le rôle de l'Ecriture ?

Cette gêne cesse dès que Von comprend le sens véritable de ce «selon les Ecritures ». Il signifie tout simplement que l'Ecriture n'a ni sens, ni vérité en dehors de Jésus-Christ. L'existence de Jésus de Nazareth, sa vie, sa mort, sa Résurrection, c'est le sens de chaque phrase de la Bible, c'est la vérité de tout ce que la Bible nous annonce. L'Ecriture n'est jamais là pour elle-même; elle ne contient aucune vérité d'ordre général, elle ne propose pas de valeurs spirituelles et religieuses. Sans lui elle est vide, totalement vide. Sans lui elle est fausse. Strictement elle n'existe que parce qu'accomplie par Lui, recevant de Lui son sens et sa vérité. Aussi longtemps que Jésus-Christ n'accomplit pas pour chacun de nous le message de la Bible, cette Bible est lettre morte, un mensonge, une possibilité parmi tant d'autres offertes à nos diverses entreprises religieuses, morales, historiques ou poétiques. Quand Jésus-Christ n'accomplit pas actuellement le message de la Bible, l'Eglise protestante n'est rien qu'une société anonyme pour l'exploitation de l'Ecriture sainte; et la Parole de Jésus aux pharisiens l'a condamnée : «Vous sondez les Ecritures, parce que vous pensez y trouver la vie éternelle... ce sont elles pourtant qui rendent témoignage de moi, et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie. »

En un mot, toutes les grandes affirmations bibliques sont fausses sans Jésus-Christ. Si Jésus n'est pas le Fils unique qui fut crucifié sous Ponce Pilate, qui est ressuscité trois jours plus tard, il n'est pas vrai que Dieu est Amour, qu'Israël a «été délivré de la maison de servitude », il n'est pas vrai que nos péchés sont pardonnés, il n'est pas vrai que notre vie a un sens, il n'est pas vrai que «les morts entendront la voix du Fils de Dieu». Un exemple: Esaïe déclare (63, 9) étrangement: «Dans toutes nos angoisses, Dieu lui-même a été dans l'angoisse». Belle phrase, audacieuse intuition religieuse! Mais que nous importent les belles phrases, les intuitions audacieuses! Nous voulons savoir si c'est vrai. Et nous savons bien que ce n'est pas vrai, que Dieu le Tout-puissant, malgré toutes les assurances de sa sympathie, que le Créateur dans son Ciel n'est pas, ne peut pas être avec nous dans nos angoisses d'hommes qui souffrent et qui meurent. Non. Il en serait comme d'un milliardaire qui viendrait dire à un malheureux, affamé: «Mon ami, tu as toute ma sympathie, je suis avec toi dans ta pauvreté». Le misérable aura peut-être le courage de répondre: Oui! tu regardes ma pauvreté, mais tu as beau me le dire avec des larmes dans la voix, tu n'es pas, tu ne peux pas être toi, le milliardaire, avec moi dans ma pauvreté. De même la Bible sans Jésus-Christ ne serait que formules de politesse divine, langage convenu de gens religieux. - Mais voici qu'un jour Jésus-Christ est mort sur une croix et descendu en enfer au fond de l'angoisse, abandonné de Dieu. - Ainsi c'était donc vrai! Dieu lui-même dans toutes nos angoisses! Non pas seulement une formule de politesse, un faire-part de sympathie : Dieu réellement, physiquement et spirituellement, dans l'angoisse de ma mort quand Jésus est sur la croix... La parole du prophète est accomplie, elle est vraie; elle quitte le domaine religieux où nous la cantonnions pour passer dans la réalité de notre vie et de notre mort. Alors, alors seulement elle est la Parole de Dieu. Tel est très simplement le rapport entre l'Ecriture et la Parole de Dieu: un passage de l'Ecriture est la Parole de Dieu quand il contient Jésus-Christ, quand il nous met en sa présence. La Bible ne dit rien que Lui: Jésus-Christ. La lire, c'est l'y chercher, l'y découvrir. La lire autrement, ce n'est pas la lire.

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Le témoignage de la Bible

 

La Bible est donc la Parole de Dieu quand elle nous est un témoignage, ni plus ni moins; quand nous attendons de ceux qui l'ont écrite ce qu'on attend d'un témoin, rien que cela, mais tout cela. Il faut s'arrêter à cette définition, car elle précise sans doute un des plus grands pas que l'on puisse faire dans la compréhension de la Bible. L'Ecriture sainte n'est pas un plaidoyer, mais un témoignage, les hommes de la Bible ne sont jamais des avocats, mais toujours des témoins.

Qu'est-ce qui importe chez un avocat ? Sa personnalité, son instruction, son éloquence; autrement dit : lui-même. On ne lui demande pas de s'en tenir rigoureusement à la réalité. On attend de lui qu'il interprète, convainque, démontre, bref qu'il plaide en faveur d'un homme ou d'une cause. En outre, c'est lui qui a choisi cette cause, accepté de la défendre; il s'y est volontairement préparé.

Qu'est-ce qui importe chez un témoin ? Ce qu'il a vu. Tout simplement. S'il se met à plaider, s'il commence à faire intervenir son jugement, le président du tribunal lui coupe la parole. Car il sort de son rôle. S'il est témoin, c'est uniquement parce qu'il a assisté à l'événement dont il est question. Un témoin, c'est n'importe qui. Ses qualités ne comptent pas. Un témoin n'a pas choisi de l'être, il ne s'est pas préparé à l'être; il l'est bon gré, mal gré, quand on le cite.

Ceci s'applique strictement aux prophètes et aux apôtres: ils n'ont rien fait pour être ce qu'ils sont. Ils n'en ont pas eu le désir, ils n'avaient pas d'aptitudes particulières. Ils ont été tout bonnement mêlés à l'affaire. De là vient leur autorité. Chacun à sa place - et à des places fort diverses - ils ont assisté au même fait. Chacun dans son langage et à son point de vue, ils ont dit la même chose. Une fois qu'ils l'ont dite, ils disparaissent et l'on ne s'inquiète plus d'eux. Toute leur valeur provient de ce dont ils parlent. «Ce que nous avons entendu, dit Jean, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché concernant la Parole de vie, nous vous l'annonçons. » Une plaidoirie peut se permettre toutes les envolées spirituelles, elle peut broder à l'infini sur des thèmes édifiants. Un témoignage ne le peut pas. Il doit s'en tenir au détail le plus vulgaire, aux faits les plus concrets. Ainsi la Bible a le ton, la sobriété, le terre-à-terre du témoignage. Elle est remarquablement étrangère à tout ce que nous appelons spiritualité ou religiosité ou moralité. Elle nous délivre de toutes les hauteurs abstraites et pathétiques où nous nous complaisons, et de tous les démons de l'intelligence, pour nous jeter dans la réalité la plus profane, dans ce terre-à-terre biblique, ce prodigieux terre-à-terre, éblouissant de Résurrection, ces «signes» du jour éternel de Dieu toujours choisis dans la plus pauvre des matières. Rappelez-vous à quoi l'Evangile compare le Royaume des cieux :

«Le Royaume des cieux est semblable, est-il dit, et alors vient toujours une image de la vie sociale qui n'a rien de céleste en elle-même. Ce n'est pas un monde moral, ni chrétien, ni aucun monde imaginaire ou artificiel qui nous est décrit, mais tout naïvement, tout simplement, le monde ordinaire comme il suit son cours, sans se soucier de tout le reste, des grands événements, tout concentré dans de petits faits et d'humbles relations humaines. Voici un vrai vaurien que son père - parce que, malgré tout, c'est son père l'accueille avec une bonté incompréhensible. Une pie-grièche qui a raison d'un juge, lequel ne craint d'ailleurs ni Dieu, ni les hommes. Un roi qui entreprend une guerre imprudente et fait sonner la retraite encore au bon moment. Un spéculateur qui engage toute sa fortune pour acquérir une pierre précieuse. Un rusé compère, vrai profiteur de guerre, qui très habilement parvient à s'emparer d'un trésor découvert par hasard. Un filou qui traite avec Mammon comme s'il n'y avait pas de droit de propriété. Des enfants qui se querellent dans la rue. Un paysan qui dort très confortablement tandis que sa terre travaille pour lui. Un homme qui - ces choses sont possibles - tombe au milieu de brigands et doit longtemps attendre une âme compatissante de Samaritain, bien que le monde soit plein de gens très pieux. Un hôte fantasque qui tient envers et malgré tout à remplir sa maison. Une femme seule qui, parce qu'elle a perdu deux sous, s'agite comme si tout était perdu. Un homme juste et un pécheur côte à côte dans l'église et tous deux complètement conséquents avec eux-mêmes. Comme tout ceci est banal, dépourvu d'illusions, raconté sans aucune pointe eschatologique; mais parce que c'est de la vie humaine, réelle, tout débordant d'eschatologie ! » (Karl Barth, Parole de Dieu et parole humaine, p. 71.)

Si la Bible avait voulu « plaider» en faveur du Royaume, elle aurait pu trouver d'autres accents et d'autres exemples. C'est que toutes les religions ont leurs avocats, mais le Royaume de Dieu ne peut avoir que ses témoins,

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La lettre de Dieu

 

Il est bien évident que nous ne saurions maintenant plaider en faveur de la Bible. Mais nous devons à notre tour témoigner de ce qu'elle doit être, de ce qu'elle est dans la main de Dieu, quand ses auteurs ne sont plus pour nous que les témoins de Jésus-Christ. Nous indiquerons ainsi la situation dans laquelle nous recevons la Bible comme la Parole de Dieu.

Il n'y a ici aucun stade préparatoire. Pas d'initiation. La Bible nous arrive, comme une lettre. C'est une situation éminemment laïque. Une lettre que le facteur apporte. Car devant Dieu, nous sommes tous dans une situation laïque, c'est-à-dire comme des hommes solitaires, malades dans un pays lointain, et sans nouvelles depuis longtemps de celui ou de celle qu'ils aiment le plus au monde. Chacun sait l'angoisse, en pareil cas, d'attendre le courrier; et s'il tarde ou n'apporte rien, le désespoir qui fond sur nous comme la nuit et dont on peut mourir. S'il en est ainsi pour les nouvelles d'un homme, qu'en sera-t-il pour la Nouvelle que Dieu nous envoie ! Ne pourrait-on lui accorder une place au moins égale ? Et cependant voilà comme tout homme, sans le savoir, attend la Bible.

Voici donc que nous parvient la lettre inespérée et pourtant attendue. La Bible est là.

Qu'allons-nous faire en premier lieu ? Avec le facteur, qui tout heureux nous fait remarquer que pour une fois il a autre chose que des prospectus à nous remettre, engager une grave discussion sur l'administration des Postes et Télégraphes ? Réfléchir aux conditions de la surprenante et lointaine venue de ces feuillets ? Nous interroger sur leur authenticité ? Telle est la nature des discussions soulevées le plus souvent à propos de la Bible. Et ces problèmes se posent effectivement. Mais après coup. Car enfin, nous aurions le temps de mourir plusieurs fois avant de les avoir résolus tous, cependant que la lettre attend sur notre table.

La première chose à faire, c'est d'ouvrir la lettre et de la lire. S'il y a erreur d'adresse, si ces pages ne nous sont pas destinées, nous le verrons bien. L'absurde situation de l'homme qui n'ouvre pas la lettre mais discute avec le facteur ou avec lui-même, c'est le plus souvent notre attitude devant la Bible.

Rappelons-nous ce petit apologue d'Albert-Marie Schmidt (Hic et Nunc, 9-10) :

«Le savant est semblable à un homme qui recevrait un pli portant la mention «urgent ». Avant d'ouvrir, il fait sa petite enquête. D'où vient ce pli ? Qui l'a transmis ? Est-il vraisemblable qu'il y ait, en général, quelque chose de vraiment urgent dans le domaine de la science ? De qui l'écriture ? Enfin, le savant décide de recourir à plusieurs expertises. Les résultats en sont, bien entendu, contradictoires. L'un des « experts» ayant suggéré que ce message pourrait être de nature religieuse, le savant se décide à aller voir un pasteur. Celui-ci le rassure : certes, il s'agit d'une affaire religieuse, et c'est très grave, mais aussi très relatif. Ce qui est urgent pour l'un ne l'est pas pour l'autre.

Tout dépend de l'état spirituel du savant. Et puis, il y a la critique, bien troublante parfois. Il ne faut forcer personne. La véritable urgence est toujours intérieure, etc. Le savant loue cette tolérance, et s'en va demander des précisions à un curé. Le curé lui défend d'ouvrir le pli, ce pourrait être dangereux pour un laïque mal éclairé. Il le renvoie à son évêque, qui le renvoie au cardinal, lequel s'occupe d'élections et le renvoie au pape, lequel met le pli dans sa poche et bénit le savant, lequel retourne à ses travaux d'histoire. »

Avant d'être un savant, ou un ignorant qui discute, il faudrait être un homme, un homme concret, ou plutôt un enfant, qui, tout simplement, sans arrière-pensée scientifique, politique, ou religieuse, ouvre la lettre et la lit.

Et maintenant que sera la foi ? Exactement le cri poussé à la lecture de cette lettre: j'ai reconnu l'écriture de mon époux! C'est bien de lui. Il n'y a là qu'un bout de papier semblable à tous les autres, mais j'ai reconnu l'écriture de mon époux. Devant cette certitude, devant cette reconnaissance, tous les arguments, toutes les discussions sont précipitées du haut de leur trône sur les petits sièges où elles attendront leur tour d'audience... Avant toute chose qu'on me laisse respirer, qu'on me laisse me remettre de ma joie, parce que j'ai reconnu dans ce papier la voix de mon Seigneur!

Voilà ce que Dieu peut faire de la Bible. Voilà ce qu'il en fait quand nous lui laissons la parole. Et si nous demandons encore; ]Pourquoi cette lettre ?, c'est que nous n'avons pas saisi dans quelle situation nous sommes, exilés, séparés, loin de Celui qui nous aime. Notre Maître est absent. Pour un absent, la seule façon d'être là, ce sont ses lettres.

C'est peu et c'est beaucoup. Peu, parce que ce n'est qu'une lettre; beaucoup, parce que la Bible nous dit la plus belle chose qu'une lettre puisse nous dire. Elle dit: je viens, attends-moi. C'est une promesse et un ordre. Oui, dans toute l'Ecriture sainte il n'y a que deux mots: Je viens bientôt! Attends-moi!

Rien de plus capital, ni de plus provisoire qu'un tel message. Car ce message attend son accomplissement. La Bible, en effet, n'apporte pas de solution, elle n'ajoute pas une solution chrétienne aux diverses solutions païennes. Attendez-moi! Ce n'est pas une solution, c'est un ordre, un ordre qui engage notre vie entière! Certes, l'attente est une attitude réelle, précise en toutes choses, mais elle n'est pas une solution, elle comporte même le refus de toute solution autre que la venue de Celui qui dit : Je viens. La Bible n'apporte pas de solution, mais bien une promesse inconcevable, une promesse qui est en même temps l'ordre de vivre désormais dans l'attente de Celui qui sera l'unique et parfaite solution de toutes les questions et de toutes les angoisses. Aussi longtemps que la mort, ce dernier ennemi, n'est pas vaincu, c'est une illusion pitoyable de croire à une solution définitive de notre vie individuelle et sociale.

Ainsi, jusqu'à ce qu'Il vienne, nous n'avons rien d'autre de Lui que ces deux mots, dans cette lettre, rien d'autre que l'Ecriture sainte. C'est trop peu de chose ? Pour une si longue absence! Voulons-nous davantage ? Voulons-nous, selon l'image des prophètes, prendre un amant pour passer le temps, un des nombreux seigneurs de ce monde, comme nous voyons le peuple de Dieu tout au long de l'Ancien Testament ne pas cesser de se prostituer aux faux dieux, ne pas se contenter de la Promesse de son Seigneur ? Voudrions-nous plus que la Bible ? C'est qu'alors nous voudrions quelque chose de moins que l'époux lui-même, un intermédiaire, un remplaçant qui ne pourrait être qu'un faux dieu. Si l'Ecriture sainte ne nous suffit pas, c'est que nous avons cessé d'attendre Celui qui dit : je viens; cessé de lire la Bible comme sa lettre, et que nous nous prostituons déjà à l'un de ces nombreux seigneurs qui courent le monde et qui le mènent.

Pourquoi la Bible ? Pour que nous attendions Celui qui est absent et qui vient. Pour qu'à chaque instant nous soyons prêts à le recevoir. Pour que nous ne soyons pas en promenade, en voyage, au moment où il arrivera. Car alors, ce serait le manquer pour l'éternité.

Ainsi cette lettre où Dieu annonce sa venue, il est impossible d'attendre à plus tard pour l'ouvrir. Qu'un voisin rencontré nous annonce: «On vous a porté un télégramme », nous ne retrouverons plus de tranquillité jusqu'à ce que nous en connaissions le contenu. Il y a, chez nous tous, un télégramme arrivé depuis longtemps déjà. Il ne faut pas attendre pour savoir ce qu'il dit. Si nous l'ouvrons ainsi, nous saurons que Celui qui annonce sa venue est déjà là dans son message, que l'Eternel lui-même est présent, avec nous, ici et maintenant dans sa Parole; dans sa Promesse je viens, et dans son ordre: Attends-Moi !

Il est une dernière question que nous posons toujours: Quelle garantie avons-nous que la Bible est bien cette lettre-là, que les apôtres ne se sont pas trompés et n'ont pas inventé quelque nouveau dieu ? En fin de compte, qu'est-ce qui nous prouve que l'Ecriture sainte peut être la Parole de Dieu et pourquoi ne l'est-elle pas incontestablement ?

Ici il faut répéter : on ne doit pas faire pour la Bible ce que la Bible ne fait pas pour Jésus-Christ. On ne doit pas vouloir la démontrer. Dieu seul prouve et démontre sa Parole. On ne doit pas se mettre à sa place. Pas plus que Jésus n'est incontestablement le Fils de Dieu, la Bible n'est incontestablement la Parole de Dieu. La Parole de Dieu est cachée dans la Bible, aussi vrai que Dieu est caché en Jésus-Christ. La Bible participe à l'humanité de Jésus, à toute la faiblesse de l'Incarnation et par là même au scandale. Le disciple, le témoin biblique, n'est pas plus grand que son Maître. Mais tout disciple accompli est comme son Maître. Pas plus que Celui dont elle nous parle, la Bible ne s'impose par des moyens extérieurs. Le témoignage des apôtres, s'il est vraiment le témoignage rendu au Fils de Dieu, partagera tout l'abaissement du Fils de Dieu.

Esaïe dit de Jésus-Christ: «Il n'élèvera pas la voix. Il ne criera pas sur les places publiques». On sait comme les maîtres du jour parlent fort; on entend assez le bruit de leurs discours, de leur T. S. F. et de leurs journaux. Faut-il que le Fils de Dieu, pour se faire entendre, crie plus fort encore ? Il ne ressemble pas aux puissants de ce monde, il ne sait pas donner de ces mots d'ordre retentissants qui mettent les nations au garde-à-vous. Pour que nous l'entendions, faudrait-il que la Bible se mette à faire concurrence à la grande presse et aux bréviaires des religions nouvelles ? Non. Comme Celui dont elle est pleine, elle parle doucement et lentement. Elle ne parle qu'à celui qui veut bien encore aujourd'hui se laisser dire quelque chose doucement et lentement. Mais cette douceur, quand nous l'entendons, anéantit nos violences, et cette lenteur notre hâte.

Aussi vrai que Jésus est un homme comme les autres, la Bible est par elle-même un document humain comme les autres, problématique comme les autres, contestable comme les autres. Elle n'est pas le livre magique des apprentis-sorciers du littéralisme, pas plus que Jésus n'était le prince enchanté d'un conte de fées. Elle est le balbutiement de pauvres hommes en face de l'incarnation de Dieu. Elle participe à toutes les infirmités de notre histoire et de notre langage. Mais quoi ? Aimerions-nous qu'elle soit écrite dans la langue des anges ? Croirions-nous davantage a un verset biblique parce que nous le lirions inscrit dans le ciel en lettres de feu ? Ou faut-il, pour aider notre conviction, qu'on nous répète en combien de langues la Bible fut traduite ?...

Nous demandons des preuves et des signes. Et ce sont les oreilles qui nous manquent pour entendre et les yeux pour voir. Mais y a-t-il pour un aveugle une autre preuve de la lumière que le miracle qui lui ouvre les yeux ? Et pour un sourd une autre preuve de la parole que le miracle qui lui ouvre les oreilles? Nul ne peut croire à la place d'un autre. Chaque homme ne peut croire qu'à sa propre place. Lui seul peut ouvrir la lettre sur laquelle son nom est écrit. Nous voudrions des preuves: il n'en est pas d'autres que le témoignage des hommes que «la Parole de Dieu a réveillés d'entre les morts, pour une espérance vivante». Mais cela n'est rien encore, car on peut toujours dire : rien ne me prouve que ces hommes ont été réveillés d'entre les morts. Notre incrédulité trouvera toujours des refuges jusqu'à ce qu'elle soit détruite elle-même. Aucun miracle ne remplacera jamais le vrai miracle: la Parole même de Dieu dans l'Ecriture.

A la fin de la Parabole du pauvre Lazare, l'Evangile raconte que l'homme riche, dans le séjour des morts, supplie, d'une manière touchante, Abraham d'envoyer Lazare vers ses frères qui sont encore vivants. Mais « Abraham répond: Ils ont Moïse et les prophètes; qu'ils les écoutent. Et l'homme riche dit: Non, père Abraham, mais si quelqu'un des morts va vers eux, ils se repentiront. Et Abraham lui dit : S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, ils ne se laisseront pas persuader quand même quelqu'un des morts ressusciterait. (Lue 16, 29-31)

Rien n'est plus grave, ni plus décisif quant à la Bible que ces paroles du Christ. Nous avons les prophètes et les apôtres, nous avons l'Ecriture sainte; rien, rien au monde, serait-ce le plus sensationnel des miracles, un mort qui sortirait de sa tombe, ne pourra faire pour nous ce que la Bible n'aura pas fait, ne pourra nous donner la foi que la Bible ne nous aura pas donnée. Il n'est donc pas exagéré de dire que, jusqu'au jour de sa venue, la présence de Jésus-Christ est pour nous celle de ce Livre, uniquement de ce Livre.

«Je regardai, et voici, une main était tendue vers moi, et elle tenait un livre en rouleau. Il fut déroulé devant moi, et il était écrit en dedans et en dehors; c'étaient des lamentations, des plaintes et des gémissements qui s'y trouvaient écrits.

«Alors Il me dit: Fils de l'homme, mange ce que tu trouves, mange ce livre et va, parle à la maison d'Israël!

«J'ouvris la bouche, et il me fit manger ce livre. Il me dit: Fils de l'homme, nourris ton corps, remplis tes entrailles du livre que je te donne ! Je le mangeai, et il fut doux comme du miel. » (Ezéchiel 2, 9; 3, 3)

Oui, la Bible est un livre amer et lamentable si nous le considérons. Mais si nous le mangeons, si nous en tirons toute la substance de notre vie, il est doux comme le miel, et nous sommes à table dans le Royaume des cieux.


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