LES IRREGULIERS.

 

Nombre de gens aiment à décliner leur responsabilité personnelle vis-à-vis de Dieu dans les questions religieuses ou ecclésiastiques, sous prétexte d'ordre et de régularité. Il n'y a rien d'aussi irrégulier que la vie, ni d'aussi régulier que la mort. Tout réveil, toute conversion ou reconversion d'une âme n'est autre chose que la vie de Dieu brisant le moule régulier du sommeil et de la mort par des moyens qui paraissent irréguliers à ceux qui sont morts ou endormis.

La tentation des hommes après le déluge, de se constituer en organisation unique et bien ordonnée, fut irrégulièrement arrêtée par Dieu qui confondit leurs langages et les dispersa sur la surface de la terre. Lorsque Dieu voulut se choisir parmi les hommes un ami, dont sa postérité devait devenir « - un royaume de sacrificateurs » (Ex. 19, 6), il commença par soustraire Abram à toutes les « régularités » de la vie, et fit de lui un voyageur et un étranger dans une terre étrangère.

Il prépara sa postérité à devenir une nation puissante, en dispersant de très bonne heure l'établissement qu'ils commençaient à former en Canaan et les envoyant dans un autre pays étranger. Lorsque Dieu voulut un sauveur et un législateur, au lieu de tirer parti de la situation de Moïse dans la maison de Pharaon, et de la connaissance des Égyptiens qu'il avait acquise, Dieu l'envoya garder les troupeaux pendant quarante ans dans le désert.

Lorsque Moïse mourut, au lieu de mettre à sa place un des anciens d'Israël, Dieu appela le jeune homme Josué, pour conduire Israël dans la terre promise. Et lorsque son peuple abandonnait le Seigneur pour servir d'autres dieux, mais que dans sa détresse, il criait à Lui pour être délivré, l'irrégularité vivante de Dieu se manifestait invariablement en un antagonisme systématique avec la régularité morte de l'homme.

Le premier des juges ou libérateurs (Néh. 9 : 27), que Dieu suscita dans les temps troublés qui suivirent la mort de Josué, fut bien un descendant de Caleb, un homme de renom, mais il était fils du « frère aîné de Caleb. » Le second, Ehud, avait « la main droite serrée » (Juges 3: 15), et il était de la moindre des tribus d'Israël, Benjamite. Ensuite vint Schamgar qui frappa 600 Philistins avec un aiguillon à boeufs. Songez un peu : Israël redevable de sa délivrance à un guerrier armé d'un aiguillon à boeufs! Débora et Barac vinrent ensuite : le soldat ne veut marcher que si Débora est avec lui, et même alors l'honneur ne lui en revient pas car, l'Éternel livre Sisera entre les mains d'une femme.

Celui qui doit délivrer Israël est ensuite Gédéon, dont la famille est pauvre en Manassé, et, lui, le plus petit de la maison de son père; son armée est réduite à 300 hommes qui, pour remporter la victoire, cassent leurs cruches de terre et tiennent leurs flambeaux en leurs mains, Puis vient Abimélec, fils illégitime de Gédéon, et Jephthé, fils d'une femme débauchée. Et lorsque, après ceux-ci, il fallut un autre libérateur, Dieu fit naître, un fils d'une femme: jusque-là stérile, comme il avait autrefois donné Isaac à Sara, comme Il devait donner plus tard Samuel, à Anne et Jean-Baptiste à Elisabeth! Il ne peut rien imaginer de plus irrégulier que le système de guerre de Samson, qui prit des renards pour ses soldats, et remporta sa plus grande victoire, à une seule exception près, avec cette arme étrange, la mâchoire d'un âne.

Que dirons-nous de plus? car le temps, manque pour parler du - vénérable - Eli mis de côté, tandis que l'enfant Samuel est appelé au service de la maison du Seigneur, de Saül rejeté, des fils aînés de Jessé négligés, pour que le petit berger pût recevoir l'onction royale; d'Élie, un montagnard inconnu de Galaad, apparaissant tout à coup, devant le roi pour lui dire ces étonnantes paroles : « L'Éternel, le Dieu d'Israël, en la présence duquel j'assiste, est vivant, que pendant ces années-ci il n'y aura ni rosée ni pluie, sinon à ma parole. » (1 Rois 17 : 1.) Elie va disparaître de la scène du monde, mais qui choisira-t-il pour être prophète à sa place? Non pas un des fils des prophètes, mais Elisée, un campagnard, occupé en ce moment même à labourer sa terre: « - et Elisée se leva et suivit Elie. »

Un dernier exemple. Lorsque le Fils de Dieu vint au monde, il naquit dans une étable; il fut élevé dans un petit village éloigné de Jérusalem ; il n'appartenait pas à la tribu sacerdotale, il n'était membre d'aucun parti religieux; il ne remplissait aucune fonction; charpentier de son état, quand vint l'heure de commencer son ministère, il abandonna son métier, son village, sa famille, homme sans feu ni lieu, sans apparence, détesté des sacrificateurs, suspect aux yeux des chefs du peuple, mais c'était le saint de Dieu.

La première manifestation d'inimitié contre lui fut provoquée par la position indépendante qu'il prit vis-à-vis de la synagogue, et parce qu'il leur rappelait que bien qu'il y eût autrefois plusieurs veuves et plusieurs lépreux en Israël, cependant Dieu envoya Élie chez une femme veuve du pays de Sidon, et guérit, par le ministère d'Elisée, Naaman qui était Syrien.

La voix de l'histoire criera-t-elle en vain? Appeler Élie dans ses montagnes, Elisée dans ses champs, ce n'était pas, de la part de Dieu, déclarer qu'il n'avait pas de confiance dans les fils des prophètes, mais c'était montrer bien clairement que la sanction et l'approbation de ceux-ci n'étaient pas nécessaires à ceux-là. Les comètes peuvent nous faire l'effet de corps irréguliers; mais elles n'ont pas besoin de l'autorisation des étoiles; tous les corps célestes, dans leurs différents orbites, qu'ils soient réguliers ou non, glorifient Dieu ensemble et chantent en choeur : la main qui nous a faits est une main divine.


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