LE LIVRE DES PSAUMES

 

S'il fallait chercher une épigraphe au livre des Psaumes, nous n'en trouverions pas de plus significative que cette parole du psaume 66e : « Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu, et je raconterai ce qu'il a fait à mon âme. » (Verset 16.) Tel est bien, en effet, le contenu de ce livre : le récit des expériences religieuses du psalmiste; s'il chante, c'est « pour raconter ce que l'Eternel. a fait à son âme; » et ces effusions, il les répand dans l'âme de ceux qui craignent Dieu, » les seuls qui puissent le comprendre. Ceux-ci, malgré la distance des temps et la diversité des situations, s'associent tous, avec sympathie, à ses souffrances, à ses humiliations, à ses désirs vers Dieu, à sa confiance filiale, à sa joie du pardon. Aussi n'est-il aucun livre qui ait tenu, dans la vie de l'Église, soit dans le culte publie, soit dans les dévotions particulières, une place comparable à celle qu'y occupe le livre des Psaumes. Qu'elle est longue et touchante l'histoire spirituelle qui se lit à travers les lignes de ces 150 cantiques! Que de coeurs consolés, rendus à l'espérance et à la prière! et depuis combien de siècles!

En Israël, les psaumes étaient chantés avec accompagnement de musique. (Les instruments en usage étaient la harpe, le luth, les cymbales, la trompette et probablement d'autres encore, ps. 150.) Ils formaient cinq recueils distincts : 1-41 ; 42-72; 73-89; 90-106; 107-150.

L'hymne que chanta Jésus avec ses disciples, la veille de sa mort (Matth. 26, 30; Marc 14, 26) était vraisemblablement l'un des psaumes de louange (commençant par « alléluia » c'est-à-dire : Louez l'Éternel) par lesquels les Juifs avaient coutume de terminer le repas pascal. (Ps. 111 et suivants.) Lui-même avait, plut d'une fois, expliqué les psaumes à ses disciples (Luc 24, 44), et quand il fût sur la croix, c'est une parole du psaume 22e qui lui servit à exprimer l'intensité de sa souffrance. (Matth. 27, 46; Ps. 22, 2.)

Les citations des psaumes sont fréquentes dans les écrits apostoliques et dans l'Église chrétienne; chez nos frères de l'Église romaine, comme chez nos huguenots des Cévennes, on chez les Bassoutos du sud de l'Afrique; sous les voûtes des cathédrales, ou au prêche du désert, que de voeux, de confessions, d'actions de grâces, de sentiments d'adoration sont montés vers Dieu avec les accents de ces anciens cantiques!

La forme originale des psaumes est celle de la poésie lyrique qui, étant l'interprète des émotions de l'âme, est la langue la, plus populaire et la plus, universelle. On sait que la poésie hébraïque N'A ni rimes, comme la poésie française, ni mètre comme la poésie latine; elle est caractérisée par, un mouvement rythmique de la pensée qui s'exprime successivement sous deux formes analogues et parallèles, ce qui donne au poème une allure à la fois grandiose et musicale.

Exemple

La loi de l'Éternel est parfaite;

Elle restaure l'âme.

Le témoignage de l'Éternel est véritable;

Il rend sage l'ignorant.

Les ordonnances de l'Éternel sont droites;

Elles réjouissent le coeur.

Les commandements de l'Eternel sont purs;

Ils éclairent les yeux.

(Ps. 19 9.)

 

Les traductions modernes de Perret-Gentil et de Segond ont cherché à conserver dans le style et à faire ressortir par la disposition des lignes accouplées ce parallélisme poétique qui est à peu près. perdu dans nos versions ordinaires.

Tous nos psaumes ne sont pas de, David. Soixante et onze seulement portent son nom, et encore, ne peut-on se fier entièrement à ces inscriptions qui ont été souvent ajoutées après coup. Plusieurs portent le nom d'autres poètes lyriques qui vécurent en Palestine du temps de David ou après lui : Asaph (50, 73-83), les fils de Coré (42-48), Héman (88), Ethan (89). Beaucoup sont anonymes, par exemple la plupart de ceux qui, forment l'admirable recueil connu sous le nom de « cantiques de Mahaloth, » c'est-à-dire « des degrés » ou « des montées, » ainsi, nommés parce que les pèlerins les chantaient quand ils montaient à Jérusalem pour lés fêtes religieuses. (Ps. 120 à 134.)

Néanmoins, les psaumes de David demeurent le noyau autour duquel se groupent tous les autres. Il est probable d'ailleurs qu'il est l'auteur d'un certain nombre de ceux qui ne portent point de nom. Cet homme « selon le coeur de Dieu » (1 Sam. 13, 14; Actes 13, 22) avait été de bonne heure préparé à la haute mission qu'il devait remplir un jour. Habitué dès sa jeunesse à conduire les troupeaux d'Isaï, son père, sur les collines de Bethléem jeté plus tard par la jalousie de Saül dans les périls d'une vie errante, il apprit, sous le beau ciel de l'Orient, à interroger et à comprendre les grandes oeuvres de Dieu qu'il célébra si souvent dans ses chants et auxquelles il emprunta ses plus frappantes images. Sa harpe fut sa consolatrice dans ses malheurs, comme elle fut l'instrument de sa reconnaissance sur le trône. Surtout, il vivait dans une communion intime et constante avec son Dieu; son âme vibrait sous le souffle de Dieu comme sa harpe sous ses doigts; tous les événements de sa vie éveillaient en lui des émotions religieuses qui, à leur tour, se traduisaient en poésie; souffrances, joies, craintes, espérances, tous les; sentiments de son coeur montaient tout droit vers son Dieu, comme l'oiseau vole vers son nid. C'est Dieu qu'il voit, qu'il entend partout; c'est à Lui qu'il parle sans cesse.. Preuve en soit la facilité et le parfait naturel avec lesquels le psalmiste passe, à chaque instant, de la troisième personne à, la seconde, c'est-à-dire du récit de ses expériences à l'invocation directe de l'Eternel : « L'Éternel est mon berger. Il me mène le long des eaux tranquilles; il restaure mon âme; il me guide dans les sentiers du salut, pour l'amour de son nom. Quand je chemine dans une sombre vallée, je ne redoute aucun mal, car tu es avec moi; ta houlette et ton bâton, c'est là ce qui me console. » (Ps. 23.)

 

Quant au contenu essentiel du livre, le psalmiste l'indique! d'un mot : il veut « raconter ce que Dieu a fait à son âme. » On mit l'intérêt et le profit qu'on trouve à lire dans les pensées intimes d'un homme supérieur, au moyen de sa correspondance ou de ses mémoires. C'est un privilège analogue qui nous est accordé dans les psaumes pour ce grand serviteur de Dieu qui fut à la fois un conquérant fameux un puissant monarque, un grand poète, mais qui, par-dessus tout, était un humble enfant de Dieu, et dont nous recueillons ici les confidences religieuses. On ne peut se défendre d'une surprise mêlée d'humiliation, quand on remarque à quel degré de spiritualité, de confiance filiale eh Celui qui est « son berger, » de saints désirs, avait pu parvenir avec des lumières encore si imparfaites, un pieux Israélite qui, mille ans avant Jésus-Christ, connaissait déjà le secret d'une « vie cachée en Dieu. » Quelles expériences instructives! et quelle sincérité dans le récit qu'il en fait! Que sont d'ordinaire nos prières, nos élans de componction, d'adoration ou de reconnaissance, à côté des accents dit psalmiste, si vrais, si pénétrants, et dans lesquels on sent qu'il a répandu son &me tout entière? Et cependant, ne l'oublions pais, il n'avait pu « voir que de loin, » il n'avait fait que « croire et saluer » l'accomplissement des promesses dont, grâce à Jésus-Christ, nous goûtons, depuis dix-huit siècles, les fruits précieux.

Depuis sa fondation, l'Église chrétienne a éprouvé le besoin très légitime de témoigner sa foi et son amour pour son Sauveur par des cantiques nouveaux, inspirés par l'esprit évangélique; mais les psaumes n'en conserveront pas moins leur place dans le culte; comme simplicité, comme énergie, comme grandeur religieuse, ils ne seront jamais remplacés. Une excellente méthode pour sentir le prix des psaumes serait de les prendre quelquefois comme l'expression de nos besoins personnels, en d'autres termes, de les prier au lieu de les lire.

Êtes-vous, par exemple, dans la souffrance? empruntez l'une ou l'autre de ces nombreuses paroles où David épanche avec tant de liberté et dans un si grand détail les douleurs de son âme : « Mon Dieu, je crie le jour, et tu ne réponds pas; la nuit, et je n'ai point de repos! Pourtant, tu es le saint; tu sièges au milieu des louanges d'Israël! Ne t'éloigne pas de moi, quand la détresse est proche! Pourquoi, Éternel, repousses-tu mon âme? pourquoi me caches-tu ta face? » etc. (Ps. 22, 88.)

Éprouvez-vous un élan de confiance en Dieu? Dites avec le psalmiste 0 toi qui exauces la prière ! toute chair s'adresse à toi. Nous voulons être nourris du bonheur de ta maison! Tu fais des prodiges pour nous exaucer en nous donnant la grâce, ô notre Dieu sauveur! » (Ps. 65.)

Êtes-vous dominé par un sentiment de repentance? c'est le moment de vous écrier : « Fais-moi grâce, ô Dieu, selon ta miséricorde! contre toi, toi seul, j'ai péché! » (Ps. 51.) Et quelle liste de, paroles sublimes, qu'on dirait écrites exprès pour nous, ne pourrait-on pas ranger sous ces différents chefs !

Toutefois il faut remarquer qu'au-dessus de ces émotions personnelles et variées, il règne, dans les psaumes, un sentiment uniforme, savoir une espérance ferme et paisible qui se fait sentir d'un bout à l'autre du livre et domine tout le reste; c'est l'espérance de l'établissement du royaume de Dieu sur la terre. « L'Éternel règne, » et il veut régner toujours davantage sur les nations en la personne de son roi qui est son oint , auquel il a dit : « Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage, les extrémités de la terre pour possession. » Tel est le but que Dieu poursuit et qu'il faut qu'il atteigne; mais les peuples « dans leurs vaines pensées, » et les princes, à leur tête, au lieu d'accepter ce joug bienfaisant, « se sont soulevés contre l'Eternel et contre son oint. » (Ps. 2.) De là une lutte inévitable et terrible dans laquelle il ne se peut pas que la victoire ne reste pas à Dieu; ses ennemis seront nécessairement détruits, et David) le représentant de Jéhovah, annonce et souhaite cette destruction, dans des imprécations nombreuses et terribles, tout empreintes de l'esprit de l'ancienne alliance, mais qu'il faut expliquer au point de vue théocratique où il était placé et qu'il a lui-même défini en ces mots : « Éternel! n'aurais-je pas de la haine pour ceux qui te haïssent? Ils sont pour moi des ennemis ! » (Ps. 139.)

Sous l'économie évangélique, David aurait compris que le moyen par lequel Dieu veut triompher de ses ennemis, c'est leur conversion, non leur mort; mais autre est la loi, autre est l'Évangile; à chaque époque sa lumière et sa responsabilité.

Rappelons enfin que pour profiter des richesses de ce merveilleux livre. il faut ne pas perdre de vue quels sont ceux à qui le psalmiste raconte ce, que Dieu a fait à son âme : « Je vous le raconterai, s'écrie-t-il, à vous qui craignez Dieu. » (Ps. 66, 16.) En effet, ceux qui craignent Dieu sont les seuls qui puissent s'associer aux expériences de David. A vingt-huit siècles de distance, elles se renouvellent pour eux aujourd'hui; ils passent par les mêmes humiliations, et c'est la même main qui les relève. Seulement, depuis David, « les temps ont été accomplis; » le Dieu de David « a envoyé son fils » et s'est révélé en lui sous des traits nouveaux; aujourd'hui, les vrais adorateurs de Dieu sont les disciples de celui qui a dit : « Nul ne connaît le Père que le Fils et celui auquel le Fils le fait connaître. » C'est par les chrétiens vivants que les psaumes seront pleinement compris; dans les expressions employées par David, ils découvrent des richesses spirituelles qui ne pouvaient pas encore être aperçues à son époque. Celui qu'il appelle « l'Eternel » est pour eux « le Père de notre Seigneur Jésus-Christ » (Ephés. 1, 3); Israël est non-seulement le peuple élu, mais aussi tout « l'Israël de Dieu , » c'est-à-dire l'ensemble des croyants (Gal. 6, 16); le « Roi d'Israël, » c'est Jésus, le seul chef de l'Église (Ephés., 5, 23) ; les ennemis à vaincre et à faire mourir, c'est tout ce qui, soit en nous soit autour de nous, est inimitié contre Dieu. (Col. 3, 5.) Ce n'est point là se lancer dans des applications ingénieuses ou forcées ; c'est simplement prolonger des lignes commencées, et d'ailleurs déjà continuées dans cette direction par Jésus-Christ lui-même et par les apôtres. Reprenons donc avec reconnaissance ce livre des choses anciennes et des choses nouvelles. Ouvrons-le surtout dans nos jours de lutte et de souffrances: relisons-le dans un esprit de foi, et de prière, et nous sentirons qu'il est pour nous, dans un sens tout spécial, ce que la loi de Dieu était pour le psalmiste, « une lampe à notre pied, une lumière sur notre sentier. »

JEAN MONOD


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