DU MÉCONTENTEMENT DE SOI.

 

Il est un mécontentement de soi dont la légitimité est hors de doute et qui est inséparable de tout christianisme sérieux; c'est ce sentiment de tristesse provenant du contraste que nous constatons entre nos aspirations vers la stature parfaite de Christ, notre modèle, et la réalisation si grossière de cet idéal dans notre vie de tous les jours. Cette sainte douleur de l'âme qui gémit de ses imperfections et de son insuffisance, nous ne la connaîtrons jamais assez. S'il y a une forme de christianisme qui envisage le péché à un point de. vue superficiel, et qui, satisfait à bon marché, croie à tout instant avoir atteint le but, jamais ce christianisme-là ne sera le nôtre. Ce n'est pas celui de l'Apôtre Paul, et notre propre expérience le contredit de point en point. A mesure que nous avons avancé dans la carrière qui s'ouvrait devant nous, nous sommes devenus plus exigeants quant à nous-mêmes, moins faciles à contenter. C'est là un principe indiscutable, car il repose sur le double témoignage de l'Écriture sainte et de l'expérience chrétienne. !

Mais si ce' principe est vrai, gardons-nous toutefois d'en exagérer la portée et d'en tirer des conséquences qui ne s'y trouvent pas renfermées.

Il y a dans notre vie à tous des époques où nous éprouvons le besoin de jeter un rapide coup d'oeil en arrière et de faire le compte de nos voies. Où en sommes-nous en fait de vie chrétienne? Avons-nous avancé ou reculé? Telle est la question que nous nous adressons. Rien de plus légitime que ces examens de conscience. Autant il serait malsain pour notre âme de nous considérer et en quelque sorte de nous « ausculter » à tout moment, autant il est salutaire de rentrer de temps à autre en nous-mêmes pour établir, sous le regard de Dieu, notre bilan spirituel. Or, cet examen peut nous conduire à des résultats très différents.

Il peut arriver en premier lieu que nous ayons le sentiment de n'avoir fait aucun progrès, et que ce sentiment ne corresponde pas à un état de choses réel. Il y a là une illusion fréquente qui provient de ce que Dieu fait son oeuvre en nous d'une manière insensible et cachée. Quand l'idée fixe que nous n'avançons pas s'empare de notre esprit, elle risque fort de nous pousser au découragement.

Prenons garde de ne pas tomber dans ce piège, et rappelons-nous que le sentiment individuel n'est pas une règle à, laquelle nous puissions mesurer avec certitude la réalité et l'étendue de nos progrès.

Mais il peut arriver aussi que ce sentiment de mécontentement de nous-mêmes ne soit pas une pure illusion. Ce cas particulier nous est décrit dans un des derniers numéros de ce journal : « Trop souvent le chrétien le plus ardent dans ses aspirations et le plus persévérant dans ses efforts pour croître, se trouve à la fin de chaque année moins avancé qu'il ne l'était au commencement'. » Si. cette expérience provient quelquefois d'une erreur de notre esprit, il n'en est pas toujours ainsi. Il serait dangereux de repousser cette idée d'un déclin chaque fois qu'elle se présente à nous, en n'y voyant qu'un piège de Satan; dangereux aussi de n'y voir, tout au contraire, qu'un, signe de progrès.

Qui nous dit en effet que ce mécontentement ne provient pas d'un état de choses anormal, qui nous donne mauvaise conscience? Il est bien des causes qui ont pour effet certain d'arrêter notre croissance dans, la grâce et de. nous empêcher d'avancer vers le but. Tel serviteur de Dieu, dont la parole a été pour un temps irrésistible, gémit, d'avoir perdu cette démonstration d'esprit et de puissance dont il avait trouvé le secret. Il se peut fort bien qu'il se trompe, et que, dans nu affaiblissement apparent il ait gagné en force spirituelle; mais il se peut aussi que, faute d'exercer un contrôle incessant sur lui-même chaque fois qu'il était appelé à parler en public, il ait laissé peu à peu se glisser dans son âme des préoccupations personnelles qui le réduisent à une impuissance momentanée. Ou bien, pour choisir un cas tout différent, ce qui nous trouble peut-être et nous rend mécontents de nous-mêmes, c'est une habitude fâcheuse dont nous avions été délivrés pendant un certain temps et qui, par suite d'un manque de vigilance, a fini par reparaître : l'habitude, par exemple, de nous faire des soucis.

Nous soupirons en songeant à ces journées d'autrefois, si paisibles, si heureuses, où mille sujets de préoccupation ne nous causaient aucune anxiété, parce que nous avions appris à nous décharger chaque jour sur Dieu de notre fardeau.Nous comparons le présent au passé, et ce contraste nous attriste. Quoi d'étonnant! Il est fort heureux que nous éprouvions ce sentiment de tristesse, car sans cela, nous demeurerions indéfiniment dans cette situation lamentable, tandis qu'en reconnaissant un déclin, nous pouvons le faire cesser d'un moment à l'autre et rentrer dans les conditions normales de tout véritable progrès.

Il est un troisième résultat auquel nous pouvons arriver. Il se peut que nous soyons amenés à cette conclusion : Ma vie spirituelle a progressé. Cette satisfaction que nous éprouvons peut sans doute provenir de l'orgueil spirituel et n'être qu'une illusion dangereuse; mais en est-il toujours et nécessairement ainsi? Nous est-il absolument interdit de constater des changements heureux dans notre conduite, et serait-il vrai de dire que si nous croyons avoir avancé, c'est une preuve certaine qu'au contraire nous avons reculé? Nous ne le pensons pas. Tout dépend de l'esprit dans lequel nous constatons ce progrès de l'oeuvre de Dieu en nous. Si nous le faisons en toute humilité, en disant avec l'Apôtre : « C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, » et en ne nous glorifiant que « dans le Seigneur, » n'est-il pas tout naturel et parfaitement légitime de nous réjouir de ce travail béni qui s'opère en nous sous l'influence du Saint-Esprit? Quoi! nous avons pu reconnaître que notre Bible nous était devenue plus précieuse qu'autrefois, la prière plus nécessaire que jamais, nous avons plus de courage pour surmonter les difficultés de notre position, plus de patience dans nos rapports avec notre prochain, nous avons perdu le goût de telle récréation mondaine qui nous passionnait jadis, en un mot la volonté de Dieu nous devient toujours davantage « bonne, agréable et parfaite, » et par crainte de paraître nous décerner des éloges, nous passerions toutes ces bénédictions sous silence, nous en mettrions en doute la réalité! Ne craignons pas de le dire, une pareille manière d'agir serait le comble de l'ingratitude et empêcherait le Seigneur de nous continuer sa faveur.

Que Dieu nous donne de plus en plus cet esprit de sagesse et de simplicité dont nous avons besoin pour voir les choses telles qu'elles sont et éviter de tomber toujours dans les extrêmes! Que, d'une part, il nous enseigne chaque jour davantage ce mécontentement de soi qui puise incessamment sa source dans le sentiment de notre indignité et de notre misère, sans jamais dégénérer en découragement, et que, d'autre part, il nous donne de connaître de plus en plus cette satisfaction, si pure et si légitime, du voyageur qui, arrivé au sommet de la première colline, au moment de re prendre son bâton pour gravir une pente plus élevée, éprouve le 'besoin de se recueillir un instant en face de l'espace parcouru, et d'entonner un cantique d'action de grâces.

AUGUSTE FISCH.

 


On ne continue à marcher qu'à la condition de ne pas se croire arrivé au but. Celui qui se croit arrivé s'arrête et cesse de combattre, sous prétexte qu'il a déjà reçu la couronne. Personne n'est plus près d'une chute que celui qui, étant debout, s'imagine qu'il ne peut pas tomber, et néglige de prendre garde à ses pas. Notre vraie sécurité est dans le sentiment de notre faiblesse. Nous défier de nous-mêmes et regarder à Celui qui seul peut toutes choses en nous, voilà le secret de la force.

P. BONIFAS.

 


Plusieurs demandent des moyens, des méthodes, des secrets pour arriver à la perfection, et je leur réponds que je ne connais d'autre perfection que d'aimer Dieu de tout son coeur et son prochain comme Soi-même, et que tous les secrets de cet amour, C'est d'aimer: comme on apprend à étudier en étudiant, à parler en parlant, à courir en courant, aussi apprend-on à aimer Dieu en l'aimant. Chacun parle de perfection et fort peu la pratiquent; on veut avoir des vertus éclatantes, attachées au haut de la croix afin qu'on les voie de loin et qu'on les admire. Très peu s'empressent à cueillir celles qui croissent au pied, à l'ombre de cet arbre de vie. Cependant ce sont les plus odoriférantes et les plus arrosées du sang du Sauveur. - Employez donc au service de Dieu les menues occasions qui se rencontrent. On ne fait presque point de cas de ces petites condescendances aux fâcheuses humeurs du prochain, ou du support de ses imperfections... d'une petite injustice, d'une préférence des autres à nous, d'une algarade, d'une importunité de faire des actions au-dessous de notre condition, de répondre agréablement à qui nous reprend à tort et avec aigreur, de recevoir une faveur avec action de grâces, de s'abaisser devant ses égaux et inférieurs, de traiter ses domestiques avec humanité et avec bonté. Tout cela paraît petit devant ceux qui ont le coeur haut. On ne veut aujourd'hui que des vertus braves et bien vêtues, qui donnent de la réputation ; et cependant combien est préférable l'humilité! Dieu qui est charité conduit les humbles. Son esprit n'est ni dans l'orage, ni dans le tourbillon, ni dans le bruit de plusieurs eaux, mais dans un son doux et subtil.

SAINT FRANÇOIS DE SALES.


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