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Deux routes vers le ciel

Causerie de l'amie Daniel

 

Je croyais autrefois qu'il n'y avait qu'un moyen, d'arriver au ciel. main tenant qu'il y en a deux.

Il y en a deux comme il y a deux chemins, conduisant à B., si vous voulez aller à travers champs. Vous escaladez la barrière, puis vous voyez deux petits sentiers; et vous pouvez prendre celui que vous préférez. L'un vous conduit le long du fossé, parmi les buissons de genêt, les ronces et les broussailles, et il n'y a rien à,voir qu'un grand mur de pierre tout du long. L'autre est plus escarpé d'abord, mais vous vous trouvez bientôt au-dessus des buissons de genêt, vous avez une belle vue, et quel air frais vous respirez. La mer bleu se déroule sous vos yeux, et, les petits nuages blancs si brillants qui flottent au firmament semblent s'élever jusqu'à ce monde où le péché n'existe plus.

Il y a aussi deux classes de gens qui se dirigent vers le ciel; tous des braves gens, je n'en doute pas; ils sont entrés par la seule porte, et ils arriveront au but; mais les uns marchent au milieu des broussailles, se traînant à travers les ronces, toujours tâtonnant pour trouver le bon chemin; ils soupirent et se lamentent sans cesse, car le grand mur de pierre leur cache la belle vue; les autres marchent en chantant aussi gaiement que l'alouette; ils servent l'Eternel avec allégresse.

Je ne crois pas qu'on puisse expliquer cela en disant qu'il y a en a qui ont bien plus à supporter que d'autres pendant le trajet. Cela n'est pas une raison; ~j'ai souvent rencontré tel pèlerin bien pauvre courant sur la route du haut, tandis que je voyais tel autre auquel rien ne manquait, semblait-il, aller clopin-clopant le long de la route du bas. Voyez le pauvre vieux François; s'il en est qui aillent au ciel nu-pieds, il est bien du nombre. Eh bien! il est toujours sur le sommet, de la colline, Je viens d'aller le voir, et c'est ce qu'il m'a dit qui m'a fait penser à tout ceci. Il toussait beaucoup, le pauvre vieux, mais son visage rayonnait d'une clarté céleste.

- Tout contre la porte des cieux, n'est-ce pas? lui ai-je dit.

- Oui, mon cher Monsieur, tout contre la porte; je peux presque entendre les chants des anges.

- Mais il me semble que vous êtes sur le seuil depuis bien des années, mon pauvre.François.

- Eh bien ! N'est-ce pas la meilleure place? a-t-il répondu. Puisque Lazare, pouvait se traîner jusqu'à porte du riche et ramasser les miettes qui tombaient de sa table, il aurait eu bien tort de ne pas y venir et de se laisser mourir de faim. Il y a longtemps que j'ai compris que l'intention de mon bon Maître n'était pas de me laisser végéter misérablement; que je pouvais, aller tout droit à la porte d'or de la maison de mon Père, où tant de gens ont du pain en abondance, et prendre de la gloire des cieux tout ce que j'en pouvais prendre. Ayant compris cela, n'aurais-je pas été absurde de rester à l'écart, et de me laisser périr de faim?

- Vous avez bien raison, François, répondis-je, et je n'en reviens pas quand je vois combien de gens sont insensés à cet égard, quand ils sont si sages pour les choses de ce monde. Ils marchent au lieu d'aller en voiture, et vont en troisièmes quand ils pourraient aller en premières pour le même prix !

- En voiture, mon cher Monsieur ! reprit François joyeusement; ah ! vous pourriez même parler de voler vers la patrie; oui, de s'envoler comme l'alouette en chantant comme elle.

 

Eh bien, chers amis, cette conversation m'a fait penser qu'il y a là un secret qu'il vaut la peine de chercher. Du reste, ce n'est pas la première fois que, cette idée me vient. Un jour que j'étais à Londres, je voulus aller au Palais de Cristal, et je demandai à un « policeman » de m'indiquer l'endroit où l'on prenait les billets. « Il y a deux lignes, me dit-il, par laquelle voulez-vous aller? » Naturellement je répondis que je voulais prendre la meilleure, et je lui demandai quelle était la différence entre les deux. « Eh bien, dit-il, les deux lignes partent de cette station, et toutes les deux conduisent au palais. L'une s'appelle la voie d'en haut, et l'autre, la voie d'en bas; la première vous conduit jusque dans le, palais, l'autre vous laisse à une petite distance et vous avez à grimper passablement de marches avant d'arriver à destination. - Ah ! m'écriai-je, si c'est comme cela, je vais prendre la voie d'en haut, bien sûr.» Et je m'étonnai que personne prît jamais l'autre. Cela me fit réfléchir. Il y a des gens qui vont au ciel par la voie d'en bas; ils ne profitent pas de leurs privilèges; ils voyagent dans les ténèbres, au lieu de marcher en plein jour, à l'air libre, jouissant du paysage; quand ils seront près d'atteindre le but, il me semble qu'ils auront à gravir bien des marches.

Je me représente parfois le moment du départ. C'est bien la même gare, mais les voies sont différentes. Saint Paul prend de suite celle d'en haut.

Cette voie est celle dans laquelle l'homme ne porte pas ses regards sur lui-même, mais sur le Seigneur Jésus; ses péchés lui apparaissent dans toute leur laideur, car il se dit que ce sont eux qui ont fait souffrir son Sauveur; puis, il ne voit plus que ce Sauveur qui est tout amour, il tombe à ses pieds, décidé à se donner, entièrement à lui, et il s'écrie du fond de l'âme : « Seigneur, que veux-tu que je fasse? » - D'autres, au contraire, pensent avant tout à eux-mêmes : à leur salut, leur pair, leur satisfaction, leur avenir.

C'est là l'entrée des deux sentiers; cherchons comment ils continuent Voyez cet homme : il franchit la barrière, et voit la colline et le sentier qui la contourne. Ne pensant qu'à lui-même, il se dit : « Eh bien, je vais m'épargner cette montée, » et pour cela il s'engage à travers les broussailles. Avant qu'il soit longtemps, vous le verrez gémissant, soupirant, trouvant que la route qui mène à Sion est bien rude et bien difficile. S'il rencontre un compagnon de voyage, il ne l'entretiendra que de ses tentations, de ses difficultés, et les gens du monde qui l'entendront, diront : Quelle triste chose que la piété!

Suivez au contraire l'homme qui a pris le chemin montant. A peine a-t-il escaladé la barrière qu'il voit de loin son Maître. « Ah! pense-t-il, je serai plus près de lui là-haut, et je verrai mieux sa beauté. » Il se hâte de gravir la côte escarpée, puis il continue son chemin en chantant et en admirant la vue ravissante qu'il a devant lui. L'autre pèlerin se dirige vers le même point, mais il ne voit rien qu'un grand mur, et ce qu'il y a de plus fâcheux, c'est qu'il aura à grimper deux fois autant quand il arrivera au bout.

Il y a une quantité de gens qui en sont là. Ils sont très pieux, mais leur piété ne leur a jamais procuré la joie; et si vous voulez en savoir la raison, c'est qu'ils ne pensent guère qu'à eux-mêmes. Ils prient, mais presque toujours pour demander au Seigneur de les garder, de les nourrir, de les vêtir, et de les amener enfin à la patrie céleste. Ils sont plus préoccupés de ce que le Seigneur fera pour eux que du service qu'ils doivent eux-mêmes au Seigneur; ils le servent, mais dans l'espoir d'obtenir comme récompense la couronne et la robe de justice; il n'y a pas de danger qu'ils s'oublient, allez! Comment donc s'étonner que le pauvre voyageur de la vallée soit si triste? L'étonnant serait qu'il ne le fût pas: il a toujours son moi devant lui comme un mur qui l'entoure et intercepte le soleil.

Quand on tient ses regards fixés sur soi-même, on aura beau regarder, on ne trouvera rien de bien réjouissant à voir. D'ailleurs, le croiriez-vous, il arrive assez souvent que ces gens-là aiment et entretiennent soigneusement leur tristesse, parce qu'ils considèrent qu'elle les élève au-dessus des chrétiens joyeux. Ils ne pensent pas même à se demander si le Seigneur les veut joyeux ou tristes, parce qu'ils ont tranché la question d'eux-mêmes, en sorte que c'est encore, sans qu'ils s'en doutent, leur moi qui règne, sur eux. Mais le voyageur qui marche sur le sommet de la montagne, prend sa longue-vue et s'oublie en contemplant l'amour, la sagesse, la puissance et la gloire de son divin Maître. Il loue Dieu de tout son coeur parce qu'il ne peut pas faire autrement. Comment pourrait-on ne pas le louer quand on a éprouvé combien il est bon et compatissant?

Si nous allons vers notre Père céleste pour lui demander seulement la part de biens qui nous revient, nous l'obtiendrons en notre qualité de fils., mais nous ne serons jamais satisfaits; notre joie ne débordera pas comme un torrent et ne se répandra pas autour de nous. Si nous voyons, au contraire, que notre part de biens n'est rien, en comparaison de la présence du Père lui-même, nos coeurs seront pleins d'allégresse. Vraiment, quand nous entendons la voix de notre Père, que nous sentons ses bras nous entourer et son amour se répandre dans notre coeur, nous ne pouvons faire autrement que de nous réjouir. Saint Paul marchait sur la hauteur parce qu'il était mort à lui-même et qu'il vivait pour Christ; les souffrances, la pauvreté, les persécutions, la mort même, n'étaient rien pour lui si seulement il pouvait servir son Dieu. Aussi pouvons-nous être sûrs que lui qui se disait « affligé, mais toujours dans la joie, » était le premier à mettre en pratique l'ordre que le Seigneur nous a donné par lui : « Soyez toujours joyeux. » C'est qu'il ne se recherchait pas lui-même.

La volonté propre est comme un bras de mer qui sépare la terre promise de la nôtre. Saint Paul traita ce vieux locataire avec bien peu de Ménagements; il lui donna ordre de déloger et fit restitution de la propriété à l'Éternel. « Ce n'est plus moi qui vis, » dit-il, « c'est Christ qui vit en moi. » Eh bien, je veux suivre son exemple. Je me dirai: « Daniel, je ne veux plus de toi dans la maison. Tu me donnes plus d'ennuis que n'importe qui; tu es si difficile à contenter, et si changeant, que si tu vas bien aujourd'hui, on ne sait pas comment tu iras demain; je vais te congédier, toi et tout ce qui t'appartient. »

Voilà ce que je désire pour moi, mes amis; mon coeur s'écrie : « Mon Sauveur, viens demeurer sous mon toit, non pas comme un hôte que j'ai à recevoir et auquel je puis de temps en temps demander une faveur; viens, et sois le Maître, et je serai le serviteur, et 'tout ce qui est à moi te servira. » C'est là ce que je veux; et si quelqu'un vient frapper à la porte et demande : « Daniel demeure-t-il ici? » avec quel bonheur je répondrai : « Daniel n'y pst plus; il est mort et enterré cependant je vis, non plus moi-même, mais Christ vit en moi. »

Vous avez aussi, chacun de vous, une maison; une maison à trois étages qui sont le corps, l'âme et l'esprit. Prenez-en la clef, allez tout droit au Seigneur, donnez-lui cette clef, et que ce soit fait une fois pour toutes. D'année en année, nous renvoyons toujours jusqu'à ce que les vieux murs tombent en ruines et qu'il n'y ait plus que des décombres. « Offrez vos corps, » dit saint Paul. Dites donc à votre Dieu : « Me voici; » prends-moi à toi tout entier et pour toujours. Donnez-lui la maison, et balayez-la, et entretenez-la aussi soigneusement que possible pour lui. Que le Seigneur nous aide tous à être des chrétiens marchant sur la hauteur.

Ainsi parla l'ami Daniel, et tous ceux qui l'écoutaient dirent du fond de leur coeur: Amen.


Dites-vous que Dieu ne fait jamais rien arbitrairement; s'il vous refuse la santé, par exemple, c'est qu'il a une raison pour cela, et si vous le croyez avec une foi sincère, vous n'aurez pas le désir de découvrir quelle est cette raison, Si peu à peu vous vous apercevez que votre volonté n'est pas toujours la sienne, ne vous découragez pas ; réfugiez-vous auprès de votre Sauveur et restez en sa présence jusqu'à ce que vous obteniez le même esprit qui lui faisait dire : « Père, si tu voulais éloigner cette coupe de moi! Toutefois, que ma volonté ne se fasse pas, mais la tienne. » Chaque fois que vous le direz, cela vous sera plus facile; vous vous rapprocherez davantage de lui, et dans ce rapprochement vous trouverez une douce paix qui rendra votre vie infiniment heureuse, quelles qu'en soient les conditions extérieures.

(Extrait de « Marchant vers le Ciel. »)


Se confier, c'est se reposer; se confier en l'Éternel, c'est se reposer sur l'ami l e plus sage, le plus puissant, le plus tendre, le plus fidèle à ses promesses. Ne direz-vous pas qu'il est heureux, celui qui, à chaque inquiétude sur l'avenir, répond: « Mon Père céleste sait de quoi j'ai besoin; » qui, à chaque difficulté, dit, en regardant Jésus crucifié sur le Calvaire : « A la montagne de l'Éternel il y a été pourvu: Celui qui n'a pas épargné son propre Fils, qui l'a livré à la mort pour moi, comment ne me donnerait-il pas toutes choses avec lui? »

ROCHAT.


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