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 FRAGMENTS DE LETTRES D'UN PASTEUR LUTHÉRIEN.

 

I

2 juillet 1874.

... Tes lignes mont vivement intéressé. Les développements dans lesquels tu entres sur le rapport qui unit la justification à la sanctification, sur l'étendue de celle-ci et sur la source d'où elle procède, touchent à une partie si difficile et si importante de la morale chrétienne qu'il est presque impossible de s'en expliquer en quelques lignes. Je ne pense pourtant pas que, du moins chez les théologiens luthériens, Luther en tête, il ait régné à cet égard une aussi grande confusion d'idées que tu sembles le croire. Avec quelle netteté les réformateurs et nos confessions de foi n'énoncent-ils pas l'incapacité de l'homme à accomplir de bonnes oeuvres agréables à Dieu, et combien ils mettent ensuite l'accent sur ce fait que la force se trouve en dehors de nous, que celui qui est notre justice est aussi notre sanctification - non pas une sanctification imputée, mais une force qui nous est communiquée et qui, bien qu'agissant à la manière du grain de sénevé, nous purifie sans relâche, à travers des chutes et des rechutes diverses, et nous conduit d'un degré de la perfection à l'autre. Je ne puis accorder que d'après notre Église ce soit nous qui ayons à nous sanctifier; elle enseigne au contraire que nous devons, dans la foi, nous laisser sanctifier par là puissance de Dieu; or c'est précisément la pensée que tu as saisie d'une manière si vivante. Peut-être est-ce l'influence des congrégations religieuses au sein desquelles tu vis, qui t'a amené à méconnaître que la tendance semi-pélagienne contre laquelle tu t'élèves avec raison, a été dès longtemps repoussée par les réformateurs.

Il me semble voir, du reste, dans ton exposition, une tendance dangereuse. Tu parais admettre que, de même que nous acquérons par la foi une parfaite justice, nous pouvons par elle parvenir, ici-bas déjà, à une parfaite sanctification de la vie. Cela paraît ressortir, du moins, de certaines expressions de ta lettre, atténuées, il est vrai, par d'autres qui les limitent. Je conteste tant la possibilité que la justesse scripturaire de cette conception. Car, bien qu'une pleine sanctification non-seulement du coeur, mais aussi de la vie pratique, soit donnée comme règle partout et sans exception dans l'Ecriture, cela ne nous montre pourtant que le but à atteindre, l'achèvement qui ne sera possible que par le dépouillement de ce corps de péché, quand l'âme sera affranchie des entraves de la chair.

Jusque-là, ce sera toujours une mortification, supposant constamment un reste de péché auquel il faut mourir. L'apôtre nous déclare que tout ici-bas est « en partie, » la connaissance, la foi, la sanctification, et il dit expressément (Phil. 3 : 12) : « Non que j'aie atteint le but, ou que je sois déjà rendu accompli; mais je cours vers le but, m'efforçant d'y parvenir, après que j'ai été pris par Jésus-Christ, » indiquant ainsi, en même temps, la source de sa foi.

 

16 août 1875.

... Je voudrais beaucoup te voir, surtout pour causer avec toi du « mouvement d'Oxford. » Depuis nos lettres, je me suis procuré quelques ouvrages pour me rendre compte de la chose, et je confesse avoir été tout surpris des vérités anciennes et pourtant nouvelles auxquelles ils rendent témoignage.

Je n'ai pas encore entièrement reçu en moi ce dont ils parlent; peut-être aussi ne. puis-je pas les suivre en tous points; mais ce qu'ils disent m'est apparu comme une révélation, et dans tous les cas je voudrais être sur la voie qu'ils indiquent pour vaincre le péché. Tout cela m'a tellement surpris, je trouve la thèse que nous devons chercher la sanctification par la foi seule, comme nous avons fait pour notre justification , si scripturaire, si logique, si en harmonie avec les autres doctrines de l'Écriture, que j'ai été saisi et comme ébloui après avoir lu la sainteté la foi. Je voudrais pouvoir vivre avec des frères ayant l'intelligence de la chose, afin de m'édifier et de me fortifier moi-même. Mais je n'ai personne avec qui je puisse m'en entretenir.

 

3 septembre 1875.

Des conférences sur le sujet qui nous occupe m'auraient été d'un grand profit, et je regrette de ne pouvoir assister aux réunions dont tu me parles. Après avoir lu quelques-uns des ouvrages que tu m'as signalés, je dis avec toi : De nouvelles lumières se sont levées pour moi, et je me sens aussi plus joyeux qu'auparavant. Ces pensées si simples sont si scripturaires, elles concordent si admirablement avec « l'analogie de la foi, » que je suis tout étonné qu'il ait fallu tant de temps à la chrétienté pour trouver la vraie intelligence de cette parole: Comme Christ « nous a été fait justice, » «il nous a été fait » aussi « sanctification. » Je suis convaincu qu'il ne se passera plus longtemps avant que ceux qui se sont considérés jusqu'ici comme les porte-flambeaux de la connaissance chrétienne, je veux dire les hommes de la science et les stricts orthodoxes, soient forcés de tenir compte de ce mouvement.

Bref, je me réjouis du fond de mon coeur de cette nouvelle lumière. Je vois maintenant devant moi un chemin clair pour la sanctification de ma vie, taudis qu'auparavant je tâtonnais dans le brouillard; et je suis heureux de le connaître. Que le Seigneur veuille m'aider à y marcher et à devenir joyeux comme d'autres, dans l'expérience de sa fidélité.

 

IV

26 octobre 1875.

Je cherche à me procurer tout ce qui paraît sur ce mouvement, aussi dans le sens polémique. A ce dernier égard, je n'ai encore rien trouvé qui pût être objecté victorieusement quant au caractère scripturaire des expériences et des enseignements dont il s'agit. Ces grandes vérités sont là, si simples, si lumineuses dans la Parole de Dieu, et nous ne les y voyions pas! C'est l'oeuf de Christophe Colomb. Quiconque désire sincèrement la sanctification et la victoire sur le péché, est forcé de dire qu'il a cherché et qu'il n'a pas trouvé, qu'il a tâché, mais sans parvenir.. et cela, parce que nous n'avons pas reconnu le chemin indiqué par Dieu même, et avons cherché plus ou moins la sanctification en dehors du Sauveur, appuyés sur notre propre volonté et sur notre propre force.

Je vois maintenant l'Évangile et la vie chrétienne avec des yeux tout autres. Le développement de celle-ci me devient clair. La restauration de l'homme déchu et pécheur pour en faire un homme saint et sanctifié, apte seulement alors à la communion avec Dieu, (« sans la sanctification personne ne peut voir le Seigneur »), est pour moi une nécessité logique, et je découvre le moyen pax lequel cette restauration s'accomplit. Je conçois bien une justice, une rémission des péchés, une adoption par imputation; mais une sanctification imputée ne signifie rien : il faut que celle-ci ait une réalité, parce qu'elle doit être personnelle, inhérente à la personne. Si le Seigneur est notre force, c'est afin que nous devenions forts en lui (Ephésiens 6 : 10). Je lis encore dans les Philippiens (1 : 11) : « Remplis des fruits de justice, lesquels sont (s'accomplissent en vous) par Jésus-Christ, pour la gloire de Dieu. » Comme ces paroles m'apparaissent autres qu'elles ne m'apparaissaient précédemment!

Il ne sert de rien de traiter de la vie chrétienne si l'on n'indique les moyens de la réaliser. C'est précisément ici le point nouveau, si l'on veut, auquel nous sommes aujourd'hui rendus attentifs.

X.


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