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 Avant-propos

 

LES DEUX PHASES DU RÉVEIL.

 

Nous inaugurons cette année, comme la précédente, par une citation d'Adolphe Monod, qui, avec une singulière netteté de vue en même temps qu'avec une grande fermeté de foi, annonçait, il y a plus de vingt-cinq ans, une seconde phase du réveil, venant compléter la première.

 

On s'étonnera peut-être de m'entendre parler de progrès spirituel, à une époque où les enfants de Dieu se plaignent d'un alanguissement général. Mais, entre cet alanguissement (qui, pour le dire en passant n'a rien à faire avec les vices de notre organisation ecclésiastique, puisqu'il se fait sentir également dans toutes les positions), entre cet alanguissement et le progrès que je signale, la contradiction n'est qu'apparente. L'un et l'autre dépendent d'un état de crise et de transition par lequel la première phase du réveil, qui ne nous satisfait plus complètement, fait place à une phase nouvelle, où notre point d'arrêt n'est pas encore bien pris. Notre langueur présente ressemble à celle de l'adolescent, passant de l'enfant à l'homme; le, travail de la croissance, absorbant un moment les forces de la vie, apporte une atteinte temporaire à la vigueur de la constitution, mais pour lui Préparer un développement plus mâle et plus complet.

 

Convenons-en : pur, énergique, fidèle, comme il l'a été, le réveil n'a pu se défendre d'un certain entraînement, propre, nécessaire peut-être aux premières impulsions. Chargé de ranimer la foi presque éteinte, il a paru encore plus occupé d'éclairer que de régénérer le réveil a penché, je ne dis pas versé, du côté du dogmatisme. Nous avons trop analysé le christianisme, pas assez montré Christ ; nous nous sommes trop inquiétés de ce qu'un homme croit, j'ai presque dit de ce qu'il pense, pas assez de ce qu'il fait, de ce qu'il est. Ce n'est pas que nous nous soyons jamais contentés d'une foi de tête, qui n'engagerait pas le coeur et la vie; mais nous avons supposé que là où la doctrine est acceptée, le coeur et la vie ne sauraient manquer de suivre; et c'est en quoi nous nous sommes trompés.

La sainteté ne peut croître que sur la vérité mais l'arbre peut ne pas donner son fruit. Hélas! il n'est que trop possible à la tête de croire, sans que le coeur soit touché et que la vie se renouvelle! Cela peut arriver aux masses, comme aux individus; et il est à craindre que cela ne soit arrivé, dans une large mesure, au réveil de notre époque. Ce n'est pas non plus que ce réveil n'ait produit de beaux fruits de vraie sainteté. Il a été exemplaire, en particulier, dans cette action chrétienne, si nécessaire si charitable, si évangélique, qui se rapporte à l'extension du règne de Dieu.

De généreuses offrandes, de nobles dévouements, des vies précieuses usées et de vénérables têtes blanchies au service de Jésus-Christ : voilà des titres glorieux devant Dieu et devant les hommes, et je ne saurais penser aux premiers auteurs du réveil sans le sentiment profond d'une reconnaissance qui ne leur a pas toujours été rendue. Mais ce n'est pourtant là qu'une des faces de la vie chrétienne, et ce n'en est peut-être pas la face distinctive, caractéristique : l'action extérieure et le christianisme des oeuvres a pris cette première place, qui n'appartient qu'à la vie intérieure et au christianisme spirituel.

Sans contredit, l'esprit d'humilité, de renoncement, de charité, d'amour fraternel, n'a pas marché de pair avec la pureté de la doctrine et la ferveur du zèle. On a pu entrer dans le mouvement, on a pu y prendre une place d'élite, sans être homme de prière, sans « avoir faim et soif de la justice, » sans « se charger de sa croix, » sans « crucifier la chair avec ses affections et ses convoitises, » sans engager sérieusement le trésor terrestre, sans présenter à Dieu « des sacrifices qui coûtent, » en un mot, sans pénétrer jusqu'au coeur de l'Évangile.

 

Dans le tableau que le Saint-Esprit nous a tracé de l'Église primitive, la doctrine a sa place, sans doute, mais ce n'est pas la plus considérable : le premier plan est occupé par le fait historique et palpable d'un peuple renouvelé par « la vie de Dieu, » comme, il est occupé, dans les Évangiles, par le fait historique et palpable du Fils de Dieu vivant au sein de la race humaine. Ce qui frappe les yeux du lecteur des Actes, c'est cette Petite société qui surgit au milieu de la grande, avec des moeurs aussi contraires aux coutumes universelles que les huit' béatitudes du Sermon de la Montagne sont contraires à toutes les idées reçues. L'Église de Jérusalem est le Sermon de la Montagne passé dans la vie; et la peinture qui termine le second chapitre des Actes est l'exorde de ce sermon vivant. Or, supposez que l'on fasse l'histoire de notre réveil religieux : n'est-il pas vrai que l'historien sera obligé de renverser les proportions des Actes, et de nous Peindre bien plus par notre nouvelle croyance que par notre nouvelle vie? Dans la croyance, l'innovation est frappante; l'est-elle au même degré dans la vie, individuelle, domestique, sociale? Le trait saillant du réveil de Jérusalem, c'est la vie; le trait saillant de notre réveil, c'est la doctrine. Il n'y a pas jusqu'à cette activité que j'admirais tantôt en lui, qui n'ait été, mise, trop exclusivement au service de la doctrine; et la cause de la doctrine chrétienne est toute gagnée, que la cause de la vie chrétienne commence à peine d'être énergiquement débattue.

 

Ce mal est grand en soi, parce qu'il trouble l'ordre et l'équilibre divin du salut qui est en Jésus-Christ; grand pour le monde, aux yeux duquel nous risquons de compromettre l'Évangile en le rabaissant au niveau d'une théorie, fût-elle la plus vraie d'ailleurs ; grand aussi pour les croyants eux-mêmes, en qui cette prépondérance du dogme fausse la foi et dénature jusqu'au dogme même. Chacun le sent aujourd'hui; de là ce travail profond, au sein duquel se prépare comme un second réveil qui s'applique à être plus spirituel que le premier, soit dans ses vues, soit dans son action : dans ses vues, en dépassant la région du dogme pur pour parvenir à la contemplation, disons mieux, à la possession vivante de Jésus-Christ vivant, par le Saint-Esprit; dans son action, en prenant réellement, décidément, Jésus-Christ pour exemple et sa parole pour règle, dans toute la conduite de la vie. Or, cette aspiration du réveil à un développement nouveau, tant de la vie intérieure que de la vie extérieure, sur le terrain nettement réservé de la saine doctrine, constitue un progrès essentiel, qui doit tout à la fois mettre l'Evangile en contact avec la conscience générale de l'humanité et donner à l'Église invisible une vertu nouvelle pour refaire l'Église visible à son image.

ADOLPHE MONOD.

 

JANVIER 1876.


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