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 3. Derniers échos

 

Comme un glaive transperçant le coeur des siens, un télégramme arriva à Chrischona: « Notre père inspecteur délogé. Hier prêché glorieusement, dans la nuit endormi doucement. » On avait peine à le croire!

Madame Rappard put une fois encore contempler ces traits bien-aimés, quoique glacés par la mort. On avait laissé sa chambre intacte. Sur la table, son chapeau et sa valise étaient tout prêts pour le départ pour Siegen, où le cher inspecteur était attendu pour la conférence de mardi après-midi. Mais il avait achevé son pèlerinage. Il était arrivé à la maison du Père, et sa dépouille mortelle sommeillait là, avec une expression, non pas de paix seulement, mais de triomphante allégresse. Combien les siens furent reconnaissants d'avoir la preuve que leur bien-aimé n'avait nullement souffert dans cette heure solitaire du dernier passage !

Nombreux sont les bien-aimés de Dieu qui ont dû être seuls pour mourir. Mais pour eux aussi s'est réalisée la promesse du Maître: « Voici, je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde. »

Le mercredi 22 septembre, il y eut au Vereinshaus de Giessen une émouvante solennité. Devant cette chaire tout ornée des produits du sol, on voyait le cercueil de celui qui deux jours auparavant y avait rendu avec tant de force son témoignage au nom de Jésus. « Dieu tout sage, disait tôt après un évangéliste,

 

A tes pieds tu nous vois prosternés et brisés.

On t'offrait de bon coeur de joyeux sacrifices

Mais c'est lui que tu veux, glorieuses prémices

Gerbe lourde d'épis dorés, mûris et pleins...

Et devant le cercueil nous sommes orphelins ! »

 

Le pasteur Ausfeld de Giessen présidait la cérémonie.

Les évangélistes de la Hesse étaient presque tous venus, ainsi que bon nombre d'autres « frères ». Le pasteur Simon, arrivé la veille avec sa femme, montra en ce père bien-aimé un serviteur fidèle du Seigneur et un homme mûr et complet, en même temps qu'un enfant par la confiance.

On entendit encore bien des paroles d'amour et de foi, puis la solennité se termina par le chant du cantique qui sert de clôture habituelle au culte à Chrischona:

 

Jésus, pour toi je vis,

Jésus, je meurs pour toi,

Jésus, à toi je suis

A jamais, divin Roi

 

Dans tes compassions, Dans ta tendre bonté, Que tous nous jouissions De ta félicité !Amen.

Vers le soir le cercueil fut transporté à la gare, les évangélistes l'accompagnant.

Plusieurs amis redirent à ce propos ce que la Bible dit d'Hénoc : « On ne le vit plus, parce que Dieu le prit (1). » Même le cercueil qui cachait aux regards son enveloppe mortelle ne devait pas monter jusqu'à Chrischona. Il arriva à Bâle le jeudi matin, avec deux des évangélistes de la Hesse, et resta jusqu'au lendemain à la maison des diaconesses de Riehen.

Toute la communauté de Chrischona en deuil accompagna à Riehen la famille privée de son chef. Les amis Sarasin et Bischoff avaient bien voulu offrir leur maison comme lieu de rendez-vous. A la nouvelle de cette mort, Théodore Sarasin s'était écrié: je suis dans la douleur à cause de toi, Jonathan, mon frère ! A peine deux mois plus tard, il s'en allait à son tour d'une façon aussi soudaine et aussi douce...

Le pasteur Arnold prononça quelques paroles consolantes et une prière, puis le cortège se mit en mouvement. C'était un tableau saisissant: le char funèbre s'avançait dans l'avenue où l'automne avait mis son chaud coloris, tandis que des feuilles flétries tombaient mélancoliques, que tout parlait de mort et redisait que tout passe; et pourtant celui qu'on pleurait venait d'entrer en possession d'un héritage qui ne se peut ni corrompre, ni souiller, ni flétrir.

L'église de Riehen pouvait à peine contenir la foule de ceux qui étaient venus témoigner leur affection et leur sympathie, des parents et des amis, des représentants de l'Église et de différentes sociétés et unions de la Suisse et de l'Allemagne, et des « frères» en grand nombre. Après un chant de l'assemblée et une prière, le choeur des « frères » entonna le cantique que l'inspecteur avait entendu la veille de son départ de Chrischona, et qui commence ainsi:

Bientôt, avant l'heure prévue,

Jésus paraîtra sur la nue

pour se terminer par ces mots :

Venez, fidèles serviteurs,

Dans le royaume de mon Père!

 

Quelle signification avait prise ce cantique, en une semaine !

C'est le Dr Langmesser qui fit l'oraison funèbre:

Quand l'orage, commença-t-il, fait tomber un chêne élevé, visible au loin, on dirait que toute la forêt retient son souffle, émue et saisie de douleur; et quand Dieu reprend à lui en pleine activité, comme dans une tempête, un de ses ouvriers de choix, qui a montré à des milliers le chemin de la vie, on reste là dépouillé, en pleurs, sentant tout ce que celui qui n'est plus était pour beaucoup, et se demandant comment pourra se combler le vide qu'il a laissé.

Puis, l'orateur décrivit l'oeuvre opérée par Dieu dans et par le défunt, d'après la parole du Sauveur: Ce n'est pas vous qui m'avez choisi; mais moi , Je vous ai choisis, et je voies ai établis, afin que voies alliez, et que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. S'adressant alors à ceux de Chrischona, il continua:

Souvenez-vous du maître qui vous a enseigné la Parole de Dieu. N'oubliez pas comment il vous l'a enseignée, avec quelle foi inébranlable, avec quel amour brûlant, avec quelle espérance ferme ! Et maintenant, mes frères, contemplez sa fin ! Notre inspecteur a gardé la foi jusqu'au bout ; à nous d'imiter sa foi. Si nous le faisons, le fruit de sa vie, qui peut se résumer dans la Pilgermission, demeurera par notre entremise; nous serons les continuateurs de son oeuvre.

Après une prière du pasteur Iselin de Riehen, on se rendit au cimetière, tandis que les trompettes jouaient « Jésus, meine Zuversicht » (Jésus, mon refuge). C'était bien la seule chose qui pouvait apaiser la douleur des faibles coeurs brisés, au moment où le cercueil disparaissait dans le tombeau de famille, à côté de celui de sa mère...

Le pasteur Isler prononça encore des paroles de regret, en même temps que d'amour et de foi, comme représentant du Comité. Puis, M. Braun, au nom des maîtres, rattachant son exhortation à ce que lui avait dit l'inspecteur : « Prends-en soin jusqu'à mon retour, » rappela la parabole des mines avec l'ordre du maître : « Faites-les valoir jusqu'à ce que je revienne. » L'évangéliste Spörri, de Reinach, exhorta ses collègues à recueillir avec soin le triple héritage de leur père spirituel: le zèle pour les intérêts de Dieu, la confiance enfantine dans le Dieu vivant, l'attitude nette à l'égard de la Parole intégrale. L'évangéliste Vetter enfin lut ces paroles si sobres et si saisissantes de l'Écriture: « Alors ses disciples vinrent prendre son corps et l'ensevelirent, et ils allèrent le dire à Jésus. » Puis, se tournant vers l'assemblée, il exprima le voeu que des âmes vinssent à Jésus, comme fruit de ce service funèbre.

 

Ne convenait-il pas qu'au bord de la tombe de ce fidèle vétéran de l'évangélisation retentît, puissante et claire, la note de l'évangélisation ? Ah ! que ce volume aussi soit un appel 1 Ce qui a fait de la vie de Henri Rappard une vie si riche, si heureuse, et si féconde, et ce qui a illuminé sa mort d'une clarté céleste de l'éternité, c'est Jésus, c'est Jésus seul. « Celui qui a le Fils de Dieu, a la vie. »

On sentit au cimetière comme un souffle de l'éternité. Après la prière finale, prononcée d'un coeur profondément ému par le vieil ami du défunt, le pasteur 0. Stockmayer, les trompettes firent entendre la mélodie du cantique: « De loin, Seigneur, l'ai vu ton trône » (Ich hab'von ferne, Herr, deinen Thron erblickt), tandis que s'écoulait gravement la foule.

Il fallait retourner à la vie, au travail, au combat ; mais au fond des coeurs résonnaient encore les notes du cantique

 

Je suis heureux : j'ai vu la ville aux portes d'or

Sans me lasser, joyeux, je puis marcher encor,

Approchant chaque jour du terme de ma route

Ce que mes yeux ont vu chasse à jamais le doute.

 

il y eut à 3 heures, à Chrischona même, un dernier service. La chapelle était pleine ; les anciens élèves étaient en nombre. Quelle joie c'eût été pour leur père spirituel de voir réunis tant de fils de tout âge ! Tous les coeurs étaient unis dans une commune affliction, mais aussi dans une commune espérance d'un glorieux revoir là-haut.

L'inspecteur Haarbeck parla, de manière à affermir la foi, sur l'unité de l'Église de Jésus-Christ. Elles ne font qu'un, les deux armées, l'une qui lutte ici-bas, l'autre qui triomphe devant le trône de l'Agneau.

 

Ici-bas et là-haut, Sion est bien la même I

ls ne sont pas si loin, ceux que notre coeur aime...

 

D'autres voix encore se firent entendre, et beaucoup, surtout parmi les « frères » âgés, rendirent témoignage à ce qu'ils devaient, par la grâce de Dieu, à leur inspecteur bien-aimé, rappelant ainsi en quelque sorte à la vie bien des paroles de prix de ces lèvres maintenant muettes.

Le dernier mot fut prononcé par M. Henrichs:

C'était un homme en Christ, telle est l'impression la plus forte, la plus ineffaçable, que m'ait faite sa vie. Au centre était Christ. Toute sa pensée se mouvait autour de ce centre. Il ignorait les complications. Alors que d'autres se tourmentaient et se torturaient l'esprit, la vie lui apparaissait sans énigmes, parce que pour lui Christ était la clef de tous les problèmes. Aussi sentons-nous douloureusement le départ de cet homme. Mais nous rendons grâces à Dieu du fond du coeur d'avoir donné à l'Église un tel homme.

EN CHRIST ! Les deux déclarations bibliques qui servaient de pivot à toute la vie et l'activité de Henri Rappard étaient en effet: « Si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature » (2 Cor. 5, 17), et: « Celui qui demeure en moi et en qui je demeure porte beaucoup de fruit » (Jean. 15. 5).

Et maintenant, le suivant du regard, par la foi nous le voyons avec certitude avec CHRIST, CE QUI DE BEAUCOUP EST LE MEILLEUR!

Sur la pierre tombale est inscrite cette parole qui résume son témoignage:

ILS ONT VAINCU PAR LE SANG DE L'AGNEAU.

Seigneur, tu nous as repris ton serviteur ; mais il est auprès de toi, et nous nous réjouissons à la pensée de le revoir auprès de toi.

Cet homme de Dieu nous a quittés, mais le Dieu de cet homme nous reste.

L'oeuvre que tu l'avais chargé d'accomplir n'était pas à lui, elle était à toi.

MAÎTRE, N'ABANDONNE PAS TON OEUVRE!

Car c'est à toi qu'appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire. Amen!

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1) Gen. 5. 24, trad. de Luther.