.

 CHAPITRE VII

L'ÉVANGÉLISTE (1883-1890)

 

Peut-on rêver en ce bas monde

Plus belle joie et plus profonde,

Que de conduire le pécheur

A son unique Rédempteur

 

1. Libre pour évangéliser

 

Rappard avait tout au fond de son coeur un besoin pressant d'évangéliser. Ce désir, il l'avait connu déjà dans sa jeunesse, à Iben; au cours de ses années d'études, il l'avait eu constamment devant les yeux comme un idéal; et lorsqu'il avait été appelé à la direction de l'oeuvre de Chrischona, il avait déclaré que, tout inspecteur qu'il serait, il voulait rester évangéliste. Il reconnaissait d'ailleurs avec gratitude que les occasions s'en étaient présentées abondamment. Mais les appels allaient se multipliant, des portes nouvelles s'ouvraient, et au fond de son coeur grandissait le désir de se vouer entièrement à ce ministère.

En 1880 au cours d'une conversation, il en faisait part à son ami Schrenk, qui travaillait alors avec grande bénédiction dans le canton de Berne. La Société évangélique de ce canton, ayant eu vent de cette conversation, décida d'appeler Rappard à venir à Berne pour collaborer à son oeuvre. Mais le comité de la Pilgermission ne pouvait ni ne voulait entrer dans ces vues, et l'inspecteur lui-même n'avait pas la liberté de rompre des liens si visiblement formés par le Seigneur. Toutefois, deux ans plus tard, au cours des réunions décrites plus haut, il vit clairement se dessiner à ses yeux un projet qu'il développa aussitôt à son comité et qui rencontra un assentiment unanime. Voici ce qu'il en écrit:

 

Depuis quelques années déjà, il m'arrivait fréquemment d'être retenu au loin, en partie pour visiter les évangélistes dans leur champ de travail, en partie aussi pour aller prêcher l'Evangile en divers lieux, sur invitations spéciales. Le Seigneur mettait sa bénédiction sur ce ministère. La marche de l'institut n'en souffrait guère, le maître de théologie me remplaçant pendant mes absences.

Mais la multiplicité croissante des appels de ce genre fut pour moi l'indice divin marquant que le moment était venu d'envisager une répartition du travail, c'est-à-dire d'avoir deux inspecteurs, l'un spécialement chargé de la direction de l'institut, de l'instruction et de l'éducation des « frères », l'autre de visiter les stations de la Pilgermission, d'installer les nouveaux « frères » et de se tenir à la disposition du Seigneur pour l'oeuvre si importante à notre époque de l'évangélisation.

Pour le premier de ces postes, le Seigneur avait déjà, en réponse aux prières, préparé l'homme qu'il fallait en la personne de M. Théodore Haarbeck, maître au gymnase de Lerber, à Berne. Sa culture théologique, son activité de quatorze ans dans l'enseignement, et, par-dessus tout, ce que le Comité connaissait de ses dispositions intimes, le désignaient sans conteste pour la direction de l'institut de Chrischona.

M. Haarbeck accueillit comme venant de la part du Seigneur l'appel qu'on lui adressa, et il vint s'installer à Chrischona avec sa femme, soeur de l'inspecteur Rappard. Celui-ci pouvait maintenant joyeusement suivre sa voie, avec la pleine persuasion que l'institut bien-aimé avait à sa tête un homme bien équipé pour sa tâche.

Il s'agissait dès lors pour lui de fixer son domicile dans une situation plus centrale, en vue de ses nombreux voyages : d'autant plus qu'alors l'espace était bien exigu pour deux familles dans les bâtiments de Chrischona. Il fut donc décidé que Rappard se transporterait à Bâle. Voici en quels termes il fit part de cette décision aux « frères » et aux amis :

Nous avons, ma chère femme et moi, avec les huit enfants que le Seigneur nous a accordés et nous a laissés, quitté notre chère colline de Sainte-Chrischona le 12 juillet 1883, pour pouvoir désormais plus aisément de Bâle, visiter souvent tout le champ de travail de la Pilgermission et y porter notre collaboration.

Ce changement n'implique en aucune façon un relâchement dans nos relations avec l'oeuvre de la Pilgermission, puisque le Comité désire expressément que j'en conserve la direction et que je reste en étroite communion avec les « frères » qui sont dans l'institut.

Veuille le Seigneur me donner d'être pour les « frères » par ces visites plus fréquentes aux stations, un frère aîné en qui ils aient pleine confiance et qui leur soit en aide en paroles et en actes ! N'avons-nous pas pour l'obtenir les promesses divines faites à la prière en commun ?

Ce sera aussi pour moi un besoin de maintenir la communion avec d'autres serviteurs du Seigneur, appartenant ou non à l'Eglise nationale, et de chercher à dissiper certaines préventions et certains malentendus. J'ai en vue un travail d'évangélisation établi sur des bases larges et ouvert à tous ; mon coeur a soif de communion avec les frères en Christ et d'union entre les enfants de Dieu.

 

Nous avons à coeur de rechercher le bien de la ville où nous sommes venus nous établir, et qui nous est déjà si chère. Notre maison, notre temps et nos forces appartiennent à notre Seigneur Jésus-Christ. Qu'il en dispose selon sa grâce et sa sagesse !

Pendant les sept années de son séjour à Bâle, l'activité de Rappard fut double, comme il l'avait prévu.

Lorsqu'il était chez lui, son temps était rempli par la correspondance considérable qu'il entretenait avec ses frères évangélistes, par des travaux de rédaction et par une participation active aux réunions d'évangélisation de la ville, ce qui amenait dans son cabinet maintes visites pastorales. Il consacrait le mardi à Chrischona, s'y acheminant de bonne heure à pied par le sentier solitaire de la forêt, ou s'y rendant par la route de la colline dans sa légère voiturette bernoise. De onze heures à midi il donnait une étude biblique dans la salle des cours.

On comprendra facilement, écrivait-il un jour, que ce soit pour moi-même une joie et un rafraîchissement spécial de m'édifier de nouveau comme jadis avec les « frères ».

Beaucoup d'anciens élèves ont conservé des impressions durables de ces études bibliques. Il avait une façon fraternelle de faire revivre des encouragements reçus ou des expériences passées, qui instruisait et stimulait.

Il va de soi qu'il participait comme ci-devant à toutes les séances, conférences et fêtes de la Pilgermission.

Tous les lundis soirs avait lieu dans sa demeure de Bâle (Karthausgasse, 42) une étude biblique « pour les voisins » qu'on annonçait par des convocations portées dans tous les logis et appartements de la rue. Seulement il avait fallu borner ces invitations, à cause de ses fréquentes absences, aux femmes et aux jeunes filles, Mme Rappard remplaçant son mari quand il n'était pas là.

La proximité de l'hôpital des enfants fut l'occasion de bien des entretiens bénis. Souvent la soeur directrice venait à une heure tardive demander qu'on priât pour un enfant gravement malade.

Quant au ministère itinérant de Rappard, il embrassait à la fois son concours aux stations de la Pilgermission et des visites à d'autres localités, sur demande précise.

 

Quelques extraits de ses lettres si pittoresques décriront un ou deux de ses plus importants voyages. Quant à ses innombrables tournées de moindre durée, il serait oiseux et fastidieux de s'y arrêter.

Dans ses visites aux stations, il venait tout d'abord en évangéliste, se réjouissant d'entrer en contact avec les gens et de leur annoncer directement la Parole de la vie. Mais il va sans dire qu'en bon inspecteur il savait ouvrir les yeux sur tout ce qui concernait l'évangéliste, sa famille et son oeuvre. Son regard était comme aiguisé par l'amour et l'expérience ; le Seigneur lui mettait souvent sur le coeur, pendant les heures de la nuit, telle ou telle chose comme un fardeau, il en parlait alors avec celui que cela concernait, donnant conseils et encouragements. Il devint ainsi de plus en plus pour ses «frères » bien-aimés un véritable père.

On peut juger par les lignes ci-dessous de la joie qu'il trouvait dans ce ministère:

Quoique le Seigneur m'ait jusqu'à aujourd'hui conservé force et santé, si bien qu'il m'arrive souvent de tenir pendant un temps prolongé deux réunions par jour, et trois le dimanche, je ne viens pas à bout de tout, et, à mon grand regret, je ne puis répondre à tous les appels. C'est avec joie que je travaille. je puis le dire, c'est mon bonheur d'annoncer l'évangile, et les inconvénients divers qu'entraîne le fait d'être si souvent au dehors ne sont rien en comparaison de la gloire qu'il y a maintenant déjà à obéir à l'injonction royale: « Allez et prêchez l'Évangile ! » Combien souvent je suis fortifié par l'exemple du Maître lui-même et des apôtres, qui allaient de lieu en lieu en prêchant!

La tâche de l'évangéliste, c'est d'évangéliser d'un coeur largement ouvert. Que son coeur soit plein du glorieux Évangile que l'esprit de parti n'y ait aucune place.

Dans un remarquable article nécrologique, M. le Dr Christ-Socin de Bâle s'exprime ainsi à propos de l'action exercée par Rappard:

De même que la chapelle de Sainte-Chrischona se dresse comme un phare éclairant toute notre banlieue, ainsi l'inspecteur de Chrischona éclairait notre route en nous donnant l'exemple d'un christianisme vécu et vivant.

A côté de son oeuvre de Chrischona, il a rendu d'inappréciables services, spécialement à notre cité, par sa parole éloquente et incisive. Il va nous faire un vide immense. Il fut des premiers à introduire à Bâle l'évangélisation à côté de l'Église ; ce qui nous déconcertait d'abord nous est, grâce à lui, devenu précieux et même indispensable.

Rappard était une personnalité imposante ; avec sa haute stature et sa barbe ondoyante, il n'entrait nulle part sans attirer sur lui les regards. Sa personne respirait l'autorité, mais une autorité adoucie par une bienveillance profonde, par un amour venant du coeur : on se sentait en présence d'un homme qui vivait devant Dieu et qui avait la prière pour arme et pour recours. L'attrait qu'il exerçait était tout spirituel. Comme orateur, il avait un sujet central et inépuisable, qu'il ne se lassait pas de traiter de façon toujours neuve et vivante; il prêchait Christ crucifié, rendant témoignage à la vie nouvelle qui se trouve en lui. Son langage était populaire ; il atteignait l'ignorant comme l'intellectuel, et, - chose remarquable après une carrière aussi longue - il n'est jamais devenu routinier ; car tout ce qu'il savait, tout ce qu'il disait, il le puisait toujours à une source limpide.


Table des matières

Précédent:5. Semaines lumineuses à Bâle

Suivant:2. Participation à d'autres oeuvres

ACCUEIL